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Full text of "Voyage autour du monde : exécuté par ordre du roi, sur la corvette de Sa Majesté, la Coquille, pendant les années 1822, 1823, 1824, et 1825 : sous le Ministère et conformément aux instructions de S.E.M. le Marquis de Clermont-Tonnerre, ministre de la marine; et publié sous les auspices de son excellence mgr le cte de Chabrol, ministre de la marine et des colonies"

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VOYAGE 
AUTOUR DU MONDE, 


Éxécuté par Ordre Du Roi. 


IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT, 


IMPRIMEUR DU ROI, RUE JACOB, N° 24. 


| VOYAGE 
AUTOUR DU MONDE, 


Éxécuté par Ordre du Roi, 
Su la Corvette de 47 - Moapeste, JL Coquille, ; onda 


72 è } S 
Ve Gnvnecs 1822, 1823, 1824 C1 1825, 


SOUS LE MINISTÈRE ET CONFORMÉMENT AUX INSTRUCTIONS DE S. E. M. LE MARQUIS 
DE CLERMONT - TONNERRE, MINISTRE DE LA MARINE; 


Et public sous Les auspices 


DE SON EXCELLENCE M” LE C®* DE CHABROL, 


MINISTRE DE LA MARINE ET DES COLONIES, 


PARMI DIUPERIREEN 


CAPITAINE DE FRÉGATE, CHEVALIER DE SAINT-LOUIS ET MEMBRE DE LA LÉGION D'HONNEUR, 
COMMANDANT DE L'EXPÉDITION. 


80020 ———— 


Zoologie, 
PAR MM. LESSON ET GARNOT. 


6900 9 ————— 


Gone) Peumer. — ;" Île 


PARIS. 


ARTHUS BERTRAND, LIBRAIRE-ÉDITEUR, 


RUE HAUTEFEUILLE, N° 23. 


D 


1826. 


[en EL LA 1e 060000100606 010160000006 0S1S061S0001a1e0000)60000020S000S CacetecetecercstS tetes. 


PRÉFACE. 


Le gouvernement, en ordonnant la publication des 
travaux du voyage de M. le capitaine de Freycinet, 
sur la corvette l’Uranie, imposa aux médecins de l’ex- 
pédition la tâche de faire connaître au monde sa- 
vant leurs découvertes en histoire naturelle. On suivit, 
à l'égard de l'expédition de M. Duperrey, les mêmes 
errements; et par suite on nous chargea, M. Garnot 
et moi, de rédiger la plupart des observations zoolo- 
giques faites pendant la campagne de la corvette /a 
Coquille. 

Nos lecteurs nous tiendront sans doute compte des 
efforts constants qu'il nous a fallu faire pour répondre 
à l'attente et du ministère de la marine et des savants. 
La vie de mer n'est point propre aux recherches 
d'érudition, et ce n'est donc que par des travaux 
opiniatres que nous avons pu nous mettre au cou- 
rant des sciences naturelles, et suivre leurs progres, 
aujourd'hui surtout que chaque peuple de l'Europe 
envoie des voyageurs pour parcourir le globe, et que 
leurs observations sont publiées dans mille ouvrages, 
et surtout dans des recueils périodiques sans nombre. 
Le désir de remplir avec quelque distinction la tâche 
imposée à notre zele a soutenu notre ardeur, et la 


A 


ij | PRÉFACE. 

seule récompense que nous puissions ambitionner 
pour des travaux étrangers à nos devoirs, est qu’ils 
ne soient point au-dessous de ce que les naturalistes 
ont le droit d’en attendre. Nous devons ajouter en- 
core que, bien que nos collections aient été nom- 
breuses et variées, elles furent le résultat de nos 
propres ressources individuelles, et qu’elles n'occa- 
sionnérent aucune dépense à l'expédition. 

Le ministère de la marine n'ayant pas jugé à pro- 
pos de placer sur la corvette {a Coquille des natura- 
listes de profession, nous dümes, au moment du 
départ, assigner à chacun de nous les diverses bran- 
ches que nos recherches devaient plus exclusivement 
embrasser. Ainsi, M. d'Urville, second officier de 
l'expédition, déja avantageusement connu par des 
publications estimables, se réserva la Botanique et 
l'Entomologie; et M. Garnot, docteur en médecine, 
chirurgien-major de la corvette, désira se livrer ex- 
clusivement à la Mammalogie et à l’Ornithologie. II 
nous échut donc en partage les branches nombreuses 
et encore peu exploitées qui n’entraient point dans 
les goûts de ces deux officiers, en y joignant de plus 
la Géologie. 

Appelé bientôt à diriger une nouvelle expédition 
dans l'Océan Pacifique, M. d'Urville, lors de la pu- 
blication des matériaux apportés par la corvette /a 
Coquille, se vit dans la nécessité d’en confier la rédac- 
tion à diverses personnes; et c’est ainsi que MM. Bory 


PRÉFACE. il] 
de Saint-Vincent et Ad. Brongniart eurent à faire 
connaitre les plantes nouvelles du voyage, et que 
M. Latreille, qui s’adjoignit M. Guérin, dut mettre 
au jour les descriptions des insectes alors inédits. 

M. Garnot, dont le zèle et l’ardeur étaient à toute 
épreuve, fut atteint, sur la côte du Pérou, d’une dy- 
senterie des plus graves, en mars 1823; et cette re- 
doutable affection, prenant un caractère chronique, 
le contraignit à débarquer au Port-Jackson de la 
Nouvelle-Galles du Sud, en janvier 1824. Bien que 
souvent, dans ce laps de temps, des rechutes aient 
menacé sa vie, il ne cessa pas de s'occuper de ses 
collections, et des préparations nombreuses que les 
chasses journalieres de plusieurs des gens de léqui- 
page nécessitaient. Mais, enfin, il dut songer au re- 
tour, et quitter une expédition qui devait encore 
explorer des parages insalubres, et sillonner le grand 
Océan pendant près de deux années. En abandon- 
nant /4 Coquille, M. Garnot emporta avec lui la plus 
grande partie des collections réunies jusqu’à ce jour; 
elles formaient plusieurs grandes caisses que nous 
espérions voir arriver dans notre patrie comme les 
prémices de nos travaux. Mais vain espoir! en s’em- 
barquant sur le navire anglais le Castle-forbes, no- 
tre malheureux collègue devait faire naufrage (juil- 
let 1824) au cap de Bonne-Espérance, et perdre en un 
seul jour le fruit d’une année de persévérance et de 
soins. Heureux, toutefois, qu'il n'ait point été victime 
de ce funeste accident. 


iv PRÉFACE. 


Enfin réunis après des contrariétés longues et im- 
prévues, nous espérions, M. Garnot et moi, publier 
en commun les observations que nous avions pu faire 
isolément dans le voyage. Mais, appelé après quelque 
temps de séjour dans la capitale, à la place de chi- 
rurgien en chef de l'ile de la Martinique, M, Garnot 
nous remit divers Mémoires qu'il avait rédigés, en 
nous priant de les insérer textuellement, et sous son 
nom, en nous laissant par conséquent responsable de 
nos propres travaux. Nous avons donc dù apposer le 
nom de leurs auteurs aux divers articles qu’on trou- 
vera dans les deux volumes de cet ouvrage, où ils 
sont insérés à leur place naturelle, et au milieu de 
Mémoires sans signature, dont nous réclamons ici la 
propriété . 

Les limites que nous a fixées l’ordre de publication 
de tout l'ouvrage, ne nous ont pas permis de passer 
en revue toutes nos découvertes. Nous avons dù faire 
un choix, et n'offrir au public que les faits les plus 
neufs et les plus saillants dans l'état actuel de nos 
connaissances, et négliger par conséquent cette quan- 
tité de détails partiels qui concernent des objets déja 
signalés, quelqu'imparfaites qu'en soient les des- 
criptions. 


Paris, janvier 1828. LESSON. 


: M. le colonel Bory de Saint-Vincent doit publier les Pokpyers recueillis dans 
le voyage, et M. Guérin donnera un travail étendu sur les Zrsectes et sur les Crus- 
tacés. RTS 


VOYAGE 


AUTOUR DU MONDE, 


PENDANT LES ANNÉES 


POP TOM, 1024 El O2 0. 


———— 


ZOOLOGIE, 


CHAPITRE PREMIER. 


CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES ILES DU GRAND-OCÉAN, ET SUR 


LES VARIÉTÉS DE L ESPÈCE HUMAINE QUI LES HABITENT. 


Quod vidimus, testamur.. 


Nous croyons nécessaire de présenter un tableau succinct et 
rapide des iles de la mer du Sud, et des races qui les habitent, 
envisagées sous les rapports divers de mœurs, de coutumes et 
d'organisation, et de le faire servir d'introduction aux descrip- 
üons, naturellement arides, des animaux nouveaux ou peu 
connus qui forment la partie zoologique de notre voyage. L’en- 
semble des idées que nous émettons sur ce sujet obscur et diffi- 
cile offrira sans doute quelque intérêt; car il est en grande 


Foyage de la Coquille. — 7. Tôm. I. ï 


2 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

partie le résultat d'observations nombreuses et détaillées, re- 
cueillies sur les lieux et pendant le cours d'une longue naviga- 
tion. Parfois nos opinions se trouveront coincider avec les faits 
déja annoncés par deux savants voyageurs, d’une sagacité re- 
connue, MM. Forster et de Chamisso ; et d'avance, on voudra 
bien leur en attribuer le mérite, sans que nous ayons à les citer 
chaque fois. Cependant, on pourra se convaincre que notre 
manière de voir diffère assez souvent de la leur, et que, si nous 
devons à tous les deux l'idée de grouper sous forme de géné- 
ralités les principaux traits historiques des naturels de la mer 
du Sud, nous avons cependant apporté dans ce travail plusieurs 
modifications remarquables. 


K 1 


DU GRAND-OCÉAN ET DES ILES OCÉANIENNES. 


Le Grand-Océan, au milieu duquel sont semées les terres de 
l'Océanie * proprement dite, comprend ce vaste espace de mer 
qui baigne les côtes occidentales de l'Amérique, les côtes orien- 
tales de la Nouvelle-Hollande, les iles nombreuses du Sud-Est 
de l'Asie, en communiquant avec les mers des Indes et de Chine 
par de nombreux canaux; remontant au Nord-Est sur les iles 
du Niphon, jusqu'à la presqu'ile du Kamtschatka; se limitant 
au Nord aux iles Aléoutiennes et Kouriles, au milieu des nom- 
breux archipels de la côte Nord-Ouest d'Amérique, aux rivages 


1 Adoptant la manière de voir de plusieurs géographes modernes, nous appelons 
Océanie les îles innombrables qui sont éparses dans le Grand-Océan, et Polynésie 
toutes les îles qui forment ce qu'on appelle les archipels d'Asie, et qui renferment 
les Moluques, les Philippines, les îles de la Sonde et la Nouvelle-Guinée. Quelques 
autres écrivains ont, au contraire, transposé ces noms; mais il suffit qu'on soit averti 
pour comprendre ce que nous appelons Océanie et Polynésie. , 


DS! 


ZOOLOGIE. 3 


de la Californie, en donnant naissance à la mer Vermeille ; ren- 
fermant un intervalle de cent soixante degrés, et n'ayant pour 
borne au Sud que les mers de la Zone glaciale australe. Cette 
vaste surface d'eau ne présente qu'une petite portion de terre 
habitée par l'homme; et encore celle-ci se trouve-t-elle morcelée 
en un nombre considérable d’iles isolées ou disposées par 
groupes, qui forment des archipels distants et épars, dont la 
composition minérale appartient à trois formations différentes. 

Placées indifféremment dans l'un ou l'autre tropique, mais 
plus particulièrement sous le tropique du Capricorne, les iles 
vraiment océaniennes diffèrent, par leur disposition générale, 
de la trainée d'iles qui part de la pointe Sud-Est de la Nouvelle- 
Guinée, et qui s'avance dans le Sud, en formant une longue 
chaine à l'Est de l'Australie ou Nouvelle-Hollande : telles sont 
la Louisiade, la terre des Arsacides, les archipels de Santa-Crux, 
des Hébrides, de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Calédonie, 
les iles Norfolk, la Nouvelle-Zélande, et sans doute les iles Camp- 
bell et Macquarie; et ces iles semblent être véritablement le pro- 


longement des terres avancées de l'Asie; car on doit regarder 
les archipels de la Sonde, des Moluques, enfin de la Polynésie 


entière, comme les débris de ce continent, crevassé de toute 


part sous l'équateur. À ce sujet, une opinion assez générale | 


admet que le globe a subi l'action d’une force puissante sous la) 
Zone équatoriale; et on a remarqué des dispositions analogues 


dans le morcellement du continent américain sous le tropique 
du Cancer, et même en Europe, plus au Nord, entre la Médi- 
terranée et la mer Rouge. L'isthme de Suez, en effet, corres- 
pond à l’isthme de Panama ; et le cap York, dans le détroit de 
Torrès, est sans doute le prolongement d’un bras de terre qui 
unissait la Nouvelle-Guinée à la Nouvelle-Hollande, et que les 
vagues ont brisé. Enfin, les trois extrémités des masses de 


terre dans l'hémisphère austral offrent une grande similitude. Le 
1. 


In VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


cap de Diémen devait être le promontoire Sud de l'Asie, comme 
les caps de Bonne-Espérance et de Horn se trouvent terminer 
aujourd'hui l'Afrique et l'Amérique. Le détroit de Bass est l'a- 
nalogue de celui de Magellan ; et le banc des Aiguilles, à l'ex- 
trémité du cap de Bonne-Espérance, annonce que des terres 
affaissées s'y élevaient, et ont pu en être isolées par un détroit, 
ou qu'elles ont disparu dans la catastrophe qui a morcelé les 
extrémités méridionales de l'Afrique et de l'Amérique. 

La Nouvelle-Hollande, qui, dans cette hypothèse, formerait 
la partie méridionale des vastes contrées de l'Asie, en diffère 
complétement par ses productions, de même que les pays des 
Cafres, des Hottentots, et les terres magellaniques, diffèrent 
des continents dont ils sont les prolongements. Cependant les 
animaux ou les végétaux de l'Australie ‘ont recu une physio- 
nomie spéciale, un cachet qui leur est propre, et leurs formes 
insolites semblent éluder tous les principes de classification. 
Mais, à mesure qu'on avance vers l'équateur, les êtres se rat- 
tachent à ceux que produit l'Asie; et enfin, sur la partie inter- 
tropicale, on en trouve un grand nombre qui sont communs 
à la Nouvelle-Guinée, comme aux terres d’Arnheim et de Car- 
pentarie. L'opinion qui admet que la Nouvelle-Hollande est 
sortie plus récemment du sein des eaux est généralement recue ; 
et quoique l’intérieur soit pour nous couvert d'un voile mys- 
térieux, ce qu'on connaît du littoral lui donne le plus grand 
poids. | 

Sans rajeunir de vieilles idées, ou sans se perdre en suppo- 
sitions vagues et hypothétiques’, on ne peut, en jetant un large 
coup d'œil sur l'ensemble de ces terres, se dispenser de remar- 


* Ce nom est adopté par beaucoup de géographes pour désigner la Nouvelle- 
Hollande : quelques-uns écrivent Australasie. Par Tasmanie, on indique la terre 
de Diémen, découverte, en 1642, par Abel Tasman, navigateur hollandais. 


ZOOLOGIE. 5 


quer que toutes les iles qui forment le chainon depuis la Nou- 
velle-Guinée jusqu'au Sud de la Nouvelle-Zélande semblent 
étre les bords de l’ancien continent Australique déchiré; car 
aujourd'hui les nombreux canaux qui isolent ces archipels sont 
encombrés de bancs à fleur d'eau, de plateaux de récifs ou 
de rochers épars, qui forment de cette partie de l'Océan une 
mer semée d'écueils. 

Si nous examinons la partie orientale de l'Australie, depuis 
les rivages de Port-Jackson jusqu'à 150 milles dans l'intérieur 
du pays, en franchissant l'épaisseur des montagnes Bleues, nous 
parviendrons peut-être à saisir les chainons qui étaient cette 
idée. Toutes les côtes de la Nouvelle-Galles du Sud sont, en 
effet, entièrement composées d'un grès houiller à molécules 
peu adhérentes; et ce que nous appelons le premier plan des 
montagnes Bleues est également composé de ce grès, qui cesse 
entièrement au mont York. Là, une vallée profonde isole ce 
premier plan du second, qui est composé en entier de granite. 
La hauteur de ces deux chaînes parallèles, qui courent du Sud 
au Nord, est la même. Le mont York, d'après les observations de 
M. Oxley :, est élevé de 3,292 pieds anglais, et se trouve éloigné 
de la côte par un intervalle de r00 milles environ. Quelques voya-. 
geurs pensent, sans doute à tort, que cette montagne conique, 
et brusquement terminée par une pente roide sur le Zal de 
Clwyd, est l'ossuaire d'un ancien volcan, dont le périmètre a 
été enseveli sous le dépôt du grès marin qui revêt toute cette 
étendue de territoire. On est plus fondé à le considérer comme 
recouvert d'une formation tertiaire; ce que prouvent le gisement 
abondant d'un Zgnite stratiforme, qui occupe toute la partie 


© Journals of two expeditions into the interior of New-South-Wales, under- 
taken by order of the bristish governement in the years 1817-18. By Joux OXLEY; 
in-4°, London, 1820. 


6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

moyenne du mont York, à 1,000 pieds au-dessus du niveau 
de la mer, et les empreintes nombreuses de phytolithes qui se 
rencontrent vers son sommet , et qui paraissent pour la plupart 
appartenir à des feuilles d'Eucalyptus ou à des fougères. Au-delà 
du Val de Clwyd, se développe la deuxième chaine, et celle-ci 
se trouve être complétement primitive; car les roches qui la 
composent sont des grantites, des syénites quartzifères et des 
pegmatites. C'est sur le rebord de ce plan des montagnes Bleues 
qu'on remarque aujourd'hui les traces nombreuses de bouches 
volcaniques, et que des masses basaltiques, dont les plus re- 
marquables forment ce qu'on appelle les Chutes de Bathurst, 
s'offrent abondamment aux regards du voyageur. En dernière 
analyse, un terrain tertiaire, reconnu sur le littoral de la Nou- 
velle-Galles, comme sur divers points au Sud de la Nouvelle- 
Hollande ‘, serait done accolé sur le sol primitif qui compose 
le plateau central de cette vaste contrée. 

Les échantillons nombreux que nous avons rapportés de la 
terre de Diémen indiquent encore une étendue assez considé- 
rable de sol tertiaire, adossé à un terrain de pegmatite et de 
serpentine, où lon observe des gisements assez puissants de fer 
fibreux natif, au milieu de roches amianthoides. Il est à remar- 
quer que nous trouvames des empreintes de productus aux iles 
Malouines, et que les spérifères se montrent en abondance, et 
dans un bel état de conservation, avec plusieurs autres testacés, 
sur les bords de la rivière Famar, non loin du port Dalrymple, 
à 150 pieds au-dessus du niveau de la mer. 

La Nouvelle-Zélande, séparée de la Nouvelle - Hollande par 


: PÉRON, Joy. aux Terres australes (2° édit., 4 vol. in-8°, Paris, 1824), 
consacre plusieurs paragraphes à l'explication des divers phénomènes géologiques 
que lui présentèrent la terre de Diémen, les iles du détroit de Bass, et les terres 
d'Édels, de Witt, et d'Endracht. ( Tom. IV, pag. 215 et suiv.) 


ZOOLOGIE. 7 
un simple canal, est hérissée, sur sa surface, de volcans éteints 
ou même en activité, et de prismes D liquiee : et cependant 
on y trouve également quelques roches primitives, et surtout 
un jade d'une grande beauté. Mais, malgré le rapprochement 
de ces deux contrées, leur physionomie est toute différente; et 
si on remarque quelques points d'analogie, on ne les trouve 
que dans le règne animal. 

La Nouvelle-Irlande, avons-nous dit, semble être plus parti- 
culièrement le D lonacmient des terres d'Asie; et en effet, les 
hautes montagnes de cette grande île, située près de l'équateur, 
doivent être primitives, tandis que les collines de sa circonfé- 
rence et les écueils du rivage sont entièrement de carbonate 
de chaux madréporique ’, qui forme des sortes de murailles, ou 
plutôt un rivage récent moulé sur un autre plus ancien. En 
remontant au Nord, sous la ligne, les observations que nous 
avons pu suivre à la Nouvelle-Guinée nous démontrent que 
les montagnes d'Arfak sont composées de roches primitives ; 
car les rivières qui en descendent coulent sur des galets de 
granite; tandis que les terres assez élevées qui ur le 
littoral sur plus de 12 milles de largeur, ainsi que les iles de 
Masanouary et Masmapy, qui sont à l'entrée du havre de Do- 
rery, Sont, sans exception, de calcaire madréporique, élevé de 
plus de 150 pieds au-dessus du niveau actuel des eaux. D'un 
autre côté, on sait d'une manière positive que les îles de la 
Sonde, les Moluques, Timor même, malgré l'opinion erronée 
de Péron, sont de formation primordiale; et que le calcaire 
saxigène ne s'offre jamais que comme une ceinture extérieure, 
ce dont les iles d'Amboine, de Bourou, de Céram, offrent la 
preuve palpable. En franchissant par la pensée la largeur en- 


1 Fait également mentionné par M. LABILLARDIÈRE. a a la recherche 
de Lapérouse, t. 1, pag. 240, édit. in-4°, Paris, an vrr. 


ÿ VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
tière dé l'Océan Pacifique, et nous reportant sur la côte occi- 
dentale d'Amérique, on y retrouvera de vastes surfaces couvertes 
de testacés fossiles, en un mot, un sol tertiaire, élevé de 150 à 
200 pieds au-dessus du niveau de la mer (à Payta, côte du Pérou); 
et ne doit-on pas naturellement conclure que, par des causes 
quelconques, et que nous ne devons pas réchercher ici, le dernier 
niveau de l'Océan était à cette élévation, et baignait alors la 
surface de la Nouvelle-Galles du Sud jusqu'au premier plan des 
montagnes Bleues ? À 
En examinant ensuite l'ensemble des iles océaniennes pro- 
prement dites, puis chacune d'elles en particulier, nous ne trou- 
verons, sans nulle exception, que deux sortes de formation : 
l'une basaltique, et l'autre de création animale. Toutes les îles 
hautes de la mer du Sud présentent, en effet, les conditions de 
ce qu'on appelle terrains volcaniques, ou sont le produit pal- 
pable de volcans. Ces iles montagneuses, couronnées quelquefois 
par des pics qui se perdent dans les nuages, sont généralement, 
entre les tropiques seulement, entourées d’une bande de terre 
que supporte un calcaire à polypiers, élevé de quelques toises 
au-dessus du niveau de la mer. Mais ce rivage accessoire n'est 
presque jamais unique : souvent, à quelque distance, il s'y joint 
une ceinture d'iles basses, plates, uniformes, duesaux mêmes 
zoophytes, et que nous nommerons parfois Motous, d'après la 
désignation générale de la langue océanienne, usitée surtout à 
TFaïtu et chez les Pomotous ‘. Les iles de notre seconde division 
comprendront, sous le nom générique de Skopelonyse, ce que 
les divers peuples navigateurs appellent indifféremment 47re- 
zife, Paracels, Attoles et Attolons, ou Coralligènes , dont l'exis- 
tence est due au travail lent et successif d'animacules délicats, 
n'élevant jamais que jusqu'à la surface des vagues, en bâtissant 


? Insulaires des îles basses de l’Archipel dangereux. 


ZOOLOGTE. 9 
sur de hauts fonds leurs demeures pierreuses : bien éloignés en 
cela de donner lieu au phénomène décrit avec pompe par un 
savant d'ailleurs très-célèbre, d'écuerls qui naissent sous le sillage 
des navires. Mais les des-recifs sont de trois sortes: simples, cesont 
les motous des grandes terres; disposées en cercle, avec une mer 
intérieure, ce sont les motous à lagons de plusieurs navigateurs. 
Enfin, ces iles présentent encore une modification plus singu- 
lière : c'est celle d'offrir de vastes plateaux à fleur d’eau, recou- 
verts de motous arrondis et verdoyants, ayant un ou plusieurs 
lagons, et que les Anglais nomment //es-groupes (1SLANDS-GROUPS). 

Les motous sunples ne se rencontrent guère qu'autour des 
terres hautes, auxquelles ils forment des ceintures, telles qu'à 
Maupiti, Borabora, et dans tout l'archipel de la Société. Les mo- 
tous à lagons appartiennent à une sorte de système d'iles qu'on 
remarque plus particulièrement dans deux points de la mer du 
Sud, au milieu des archipels Gilbert et Mulgrave d'une part, 
et au milieu de la mer Mauvaise d'une autre part, et dont on 
peut aisément se faire une idée en examinant un plan des iles 
de Clermont-Tonnerre, de la Harpe, etc. Mais les #es-oroupes 
semblent être particulières à l'archipel étendu des Carolines. 
La, le plateau de lithophytes prend souvent un immense déve- 
loppement. Il n'est parfois surmonté que par des iles basses ou 
motous distants et isolés, comme on le remarque dans les archi- 
pels de Kotzebue, de Ralick et Radack ; et souvent il environne 
des terres volcanisées hautes, comme on en a la preuve par l'ile 
d'AHogoulous, crue si long-temps fabuleuse, les Palaos, Ulia, etc. 

En dernière analyse, les terres du Sud-Est de l'Asie, l'Aus- 
tralie, la Tasmanie, et même le chainon terminal de la Poly- 
nésie, de la Nouvelle-Guinée à la Nouvelle-Zélande, peut-être 
méme l'ile Campbell, sont des terres primordiales ; et les iles de 
l'Océanie, de formation récente et postérieure dans l'histoire 


du globe, sont volcaniques et madréporiques. 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 2 


10 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Mais, pour que notre idée soit complète sous ce rapport, il 
nous reste à envisager les causes qui peuvent démontrer l'ori- 
gine ignée d'un aussi grand nombre de terres séparées par d'im- 
menses espaces et par la plus vaste étendue de mer connue. 
L'ancienne opinion qui veut qu'elles soient les débris qui sur- 
gissent d'un continent austral brisé n’est point admissible; et 
la seule raison satisfaisante qu'on puisse donner de la naissance 
de tant d'iles éparpillées comme au hasard, mais cependant 
assez communément par grands groupes, a sans contredit été 
émise par Forster, et généralisée ensuite, trop exclusivement 
peut-être, par le savant géographe Buache. Forster { Observ.) 
considérait toutes ces iles comme assises sur les points culmi- 
nants des chaines sous-marines, s'irradiant sous la mer, comme 
elles le font sur la surface de la terre. Ainsi s'explique sans dif- 
ficulté la naissance des iles de corail , dont la base est construite 
par les polypiers saxigènes sur ces éminences placées à peu de 
profondeur ; et c'est de la conformation des chaines formant les 
bassins sous l'eau que nait celle qu'affectent dans leurs contours 
les iles basses. 

La surface du Grand-Océan, couverte de terrains volcanisés 
anciens ‘, présente encore une quantité prodigieuse de monts 
ignivomes en activité, également nombreux sur les terres ou sur 
les continents qui lui servent de limites. La Nouvelle-Zélande ?, 


? Les îles de la Société, au milieu des masses basaltiques (Basalte avec Péridot) 
qui constituent la plupart des montagnes de leur portion centrale, ont leur ossuaire 
composé d’une belle dolérite. Le mont Oroena est élevé de 3,323 mètres, d’après 
Coof ; et des montagnes voisines présentent à leur sommet des lacs qui sont d’anciens 
cratères. Il en est de même à Noukahiva. ( KRUSENST. ) 

? La partie Nord de la Nouvelle-Zélande est entièrement volcanique. La cascade 
de Xiddi-Kiddi est remarquable par la grande nappe d’eau qui se précipite d’une 
colonnade basaltique très-élevée. Le lac de Rotoudoua, qui joue un si grand rôle 
dans la mythologie de ces peuples, est un cratère d’où jaillissent des sources d’eau 
chaude. Des blocs d’une belle obsidienne, des tuffas rouges,abondent sur plusieurs points. 


ZOOLOGTE. 11 


Tanna, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie, les iles 
Schouten , les Mariannes, les Sandwich’, la Californie, ont encore 
des volcans en activité; et sur les bords, il ne faut que citer ceux 
des Andes en Amérique, des Gallapagos, etc., etc. L'Océan At- 
lantique, sous ce rapport, présente une grande analogie avec la 
mer du Sud; car les iles distantes et éloignées de la côte d'Afrique 
sont volcaniques, telles que Sainte-Hélène, l'Ascension, Madère, 
les Acores, les Canaries, les îles du Cap-Vert, Tristan-d’Acunha : 
le même phénomène se manifeste dans les Antilles, dans la mer 
des Indes par les iles Maurice et de Bourbon. Mais on remarque 
encore autour de ces îles la formation madréporique, qu'on ne 
retrouve point d'une manière complète dans l'Océan Atlantique. 
Des récifs de corail enveloppent, en effet, l'ile Maurice, les iles 
Rodrigues, les Mahées, les Seychelles, etc. Plus anciennement 
oies du sein des eaux, les iles volcaniques de la mer du Sud 


) 
ont ete peuplées les premieres; et ce n est que long-temps apres 


sur 


et successivement que l'espèce humaine a été s'établir sur les iles 
basses, où son existence est beaucoup plus précaire, et entourée 
de privations plus nombreuses. Enfin, si la Zone équatoriale 
offre seule le phénomène des formations de roches madrépo- 
riques en grand, les hautes latitudes boréales et australes en 
présentent encore des traces légères produites par un polypier 
nullipore , qui encrouûte les rochers baignés par la mer, et qu'on 
retrouve également à Terre-Neuve, comme aux iles Malouines. 

De ces considérations sommaires , il résulte que les peuples 
qui doivent nous occuper habitent, 1° des terrains primitifs, 
2° des terrains ignés, et 3° des iles madréporiques à peine élevées 
au-dessus du niveau des vagues. Suivons cette idée, en examinant 


* Le pic d'Owahie ou Monoroa, haut de 2,254 toises, suivant M. Horner ( voy. 
de Krusenst.), vomit une immense coulée de lave, vers 1801, suivant M. de Cha- 
misso ( Kotzebue’s V’oy. round the world), t. II, p. 353. 


12 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


rapidement les caractères généraux de la botanique de la mer 
du Sud. 

La végétation des terres de l'Océanie se compose de plantes 
entièrement indiennes, ou analogues à celles de l'Inde équato- 
riale, c'est-à-dire, aux végétaux qui revêtent les iles de la Sonde, 
les Moluques et la Nouvelle-Guinée. Leur distribution parait 
évidemment avoir été faite de la Polynésie dans l'Océanie jus- 
qu'aux iles les plus voisines de l'Amérique, à l'ile de Paques, par 
exemple, de l'Occident vers l'Orient, contre le cours habituel 
et des vents réguliers et des courants. Le règne végétal, si pom- 
peux, si imposant dans les iles de la Polynésie, diminue successi- 
vement de sa richesse en avancant vers l'Est, et cette vérité a été 
démontrée complétement par les deux Forster et par M. de Cha- 
misso ; car on ne peut rien conclure de quelques plantes amé- 
ricaines ( qui datent même, pour la plupart, de l'arrivée des Eu- 
ropéens ), perdues dans la masse de celles z2d0-polynesiennes, 
qui composent uniquement la végétation de l'Océanie, pas plus 
que de ce qu'on rencontre dans la Nouvelle-Hollande des espèces 
européennes, où qui n'en diffèrent point au premier examen :. 
Il resterait à examiner l'ile de Juan Fernandez ; mais nous n'a- 
vons que peu de données sur sa végétation, et il n’y aurait rien 
de surprenant que cet ancien volcan ne partageàt la flore du 
continent dont il est très-rapproché. Il y a des plantes qui sem- 
blent faire le tour du globe sous les zones qui leur conviennent; 
et on peut citer en ce genre le portulaca, que nous rencon- 
trames sur toutes les terres que nous avons visitées, entre les 
deux tropiques, dans le Grand-Océan,comme dans l'Atlantique. 

La végétation zndo-polynesienne se montre dans toute sa splen- 


: Le Val de Clwyd, dans les montagnes Bleues, est revêtu de plantes des genres 
typha, lythrum, plantago, samolus, etc., qui me parurent en tout ressembler à 
ces plantes des marécages d'Europe. 

? Consultez Humboldt, Géographie des plantes, in-8°, 1817. 


ZOOLOGIE. | 13 


deur sous la ligne équinoxiale : d’abord imposante sur les îles 
de la Sonde, elle s'étend progressivement sur les nombreuses 
possessions malaises et tidoriennes, et étale toute sa pompe et 
tout son luxe sur les Moluques orientales et sur la terre des 
Papous. C'est là que des palmiers nombreux, des cycas, des fou- 
gères, prennent la forme gracieuse et svelte de colonnes légères : 
leurs forèts immenses se composent d'arbres de grande taille, 
tels que les gatip (zrocarpus edulis), les arbres à pain, les mus- 
cadiers, les spondias; c'est dans leurs profondeurs qu'on re- 
trouve la patrie des plantes nourricières des Océaniens, de 
longues lianes arborescentes, des /égumineuses, dont les formes 
sont innombrables et variées. En suivant la masse de ces végé- 
taux, nous la voyons diminuer successivement à mesure qu'on 
avance vers le détroit de Torres : quelques espèces le traversent 
. Seulement, et sont d'autant plus remarquables, qu'elles appar- 
grand 
nombre. Telles sont l'arec à chou, l'érythrine indien, le sa- 


tiennent à des genres qui n'en renferment point un 


goutier, deux muscadiers sauvages, la flagellaria indica, etc. ’. 
En continuant d'examiner les plantes suivant la latitude des 
iles qui forment la chaine avancée au Sud de la Polynésie, telles 
que la Nouvelle-rlande, la Nouvelle-Bretagne, nous y retrou- 
verons le même luxe; et les aréquiers, les sagoutiers , les grandes 
fougères, les drymirrhizées, peuplent encore les foréts. C'est 
ainsi que nous observames, à l’entour du port Praslin, les va- 
quois, les Barringtonia, les calophyllum, les filao (casuarina 


* Observations de M. Cunningham , faites dans le voyage autour de la Nouvelle- 
Hollande, exécuté par le capitaine King ( manusc.). Le journal de King, avec des 
recherches intéressantes d'Histoire naturelle, vient d’être publié sous ce titre : Var- 
rative of a Survey of the Intertropical and Western Coasts of Australia; per- 
formed between the years 1818 and 1822. By captain PæizziPp P. KING, with an 
Appendix containing various subjects relating to Hydrography and natural History. 
2 vol., Lond., 1826. j 


A VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

indica), propres à toute l'Océanie ; mais, à mesure qu'on s'élève 
en latitude , en allant vers le Sud, aux Hébrides, à la Nouvelle- 
Calédonie , le nombre de ces mêmes végétaux décroit naturel- 
lement. Plus au Sud encore, la Zone tempérée australe change 
complétement la physionomie des végétaux ; et l'ile de Norfolk 
a de commun avec la partie Nord de la Nouvelle-Galles du Sud, 
l'Araucaria, qu'on voit encore au havre de Balade, et avec la 
Nouvelle-Zélande le phormium tenax : mais il est à remarquer 
que cette ile vaste et composée de deux terres séparées par un 
détroit, quoique rapprochée de la Nouvelle-Hollande et par la 
même latitude, en diffère si complétement, qu'elles ne se res- 
semblent nullement dans leurs productions végétales. Toutefois 
la Nouvelle-Zélande, si riche en genres particuliers à son sol et 
peu connus, en a cependant d’indiens, tels que des piper, des 
olea , et une fougère réniforme qui existe, à ce qu'on assure, 
à l'ile Maurice. À l'époque de notre séjour à la Baie des îles de 
la Nouvelle-Zélande, la végétation se ressentait des approches de 
la saison hyémale. 

Pour peu qu'on ait voulu suivre les idées que nous venons 
d'émettre, on sera convaincu que les terres hautes du Sud- 
Est de la Polynésie, entre les tropiques, partagent les mêmes 
végétaux alimentaires que les îles des Indes orientales. Ils se 
sont répandus diversement par suite sur les terres les plus loin- 
taines, et ne se sont arrêtés que près des côtes d'Amérique. 
comment, par exemple, les végétaux si communs sur la Po- 
lynésie se retrouvent-ils sur les iles Sandwich et sur les iles des 
Marquises de Mendoce, qui en sont séparées par un intervalle 
immense ? Il serait fort difficile de résoudre une telle question, 
parce que des vents et des courants qui se dirigent dans un 
sens contraire ne permettent point de leur attribuer aucune 
influence pour l'établissement de la végétation sur des points 
comme égarés sur la surface du Grand-Océan. 


ZOOLOGIE. 1 


Toutes les iles océaniennes hautes , à peu d'exceptions pres, 
sont plantées de fruits à pain sans noyaux, de taro (arum escu- 
lentum), de cannes à sucre, de bananiers, qui y viennent presque 
spontanément, pour contribuer à la vie paisible et heureuse de 
ces insulaires. On retrouve à Taiti l'hzbiscus rosa sinensis, si 
abondant sur toutes les Moluques; les pandanus, le Gardenia 
florida, les cyathées, le cratæva, des ficus, le bambou, y repro- 
duisent leurs tribus; et « c'est dans cette ile, dit M. d'Urville 
« (Drstrib. des fougères, Ann. sc. nat. septemb. 1825), que com- 
«mence à paraitre une foule de fougères , qui semblent habiter 
«cette Zone, à partir de cet archipel, et mème des Marquises, 
«jusqu'aux Moluques, et plusieurs jusqu'à l'Ile-de-France, tels 
«sont les {ycopodium phlegmaria, schizea cristata, etc., etc.» 
Ainsi, les îles équatoriales partagent les productions végétales 
de source indienne, avec des différences cependant dans leur 
répartition ; car, suivant M. de Chamisso (4. ZI du V’oy. de Kotze- 
bue ), le Barringtonia et le filao , si communs à Taïti et à Bora- 
bora, ne se trouvent point aux Sandwich, tandis que ces der- 
nières ont le bois de sandal, dont les îles de la Société paraissent 
privées, et qui est si commun aux Marquises, aux Fidjis, etc., ete, 

Il est plus aisé de se rendre compte de la manière dont la vé- 
gétation a envahi les iles basses de corail. Ea flore de ces motous 
ne se compose point d'un grand nombre d'espèces, et nous 
avons eu souvent l’occasion de la suivre dans les diverses phases 
de ses progrès. La manière dont s'opère cet intéressant phé- 
nomène répond assez exactement aux descriptions, un peu 
poétiques sans doute, mais vraies dans leur ensemble, des mi- 
grations végétales, esquissées avec cette pureté et ce charme de 
style qui appartiennent et à Bernardin de Saint-Pierre et à M. de 
Chateaubriand. Sous le rapport de l'exactitude des faits, les 
détails fournis primitivement par Forster, puis par M. de Cha- 
misso, laissent sans doute peu de chose à désirer. 


16 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Quelques végétaux semblent avoir pour fonctions d'envahir les 
récifs de coraux à mesure qu'ils se dessèchent : les Bruguiera, par 
exemple, qui se plaisent dans l'eau salée, étendent peu à peu le 
lacis de leurs rejets à l'embouchure des rivières, au milieu des 
vases qu'ils accumulent sans cesse. Bientôt un humus suffit pour 
recevoir quelques autres plantes, et les sables des rivages, même 
purs, sont bientôt occupés par le scævola lobelia, le convolvulus 
pes capræ, le pandanus odorant, l'hibiscus tiliaceus, etc. Si le 
banc de corail est isolé, et distant de quelque ile principale, 
les flots sans cesse agités y portent bientôt des cocos, des fruits 
du bonnet carré de Bougainville (Barringtonta), qu'on rencontre 
en mer presque journellement. Ces fruits, arrétés par l’écueil, 
jetés sur le sable calcaire des madrépores, germent, s'y cram- 
ponnent, et sont ainsi les premiers colons de la nouvelle terre. 
Mais c'est principalement au précieux cocotier qu'il est réservé 
de conquérir sur la mer, pour l'habitation de l'homme, ces 
bandes plates d'écueils jetés au milieu des vagues, à quelques 
toises au-dessus de leur niveau. Antant ce palmier redoute les 
hauteurs, où il languit, autant il s'élance avec vigueur sur les 
récifs. Il y forme d'épaisses forêts, dont on ne peut se faire 
une idée par la description, et dont rien n’égale la grace et la 
beauté. Le navigateur passerait fréquemment dans le voisinage 
de ces iles sans en avoir la moindre connaissance, si un bouquet 
de cocotier, à l'horizon, ne les lui décelait. Ce roi des palmiers, 
comme le nomment quelques Orientaux, une fois établi et en 
rapport, la race humaine ne tarde point à y paraitre, et peut 
compter sur ses produits pour assurer son existence. On conçoit 
que les peuples qui émigrent des terres riches en fruits et en 
racines de toute sorte sont exposés, sur les iles basses, à de nom- 
breuses privations. L'eau douce leur manque souvent; souvent 
aussi ils sont réduits à vivre de vaquois, de taro, ou de ce que 
la pèche leur fournit. On peut assurer que chez ces hommes la 


ZOOLOGIE. 17 
défiance est beaucoup plus grande, et que leurs mœurs sont beau- 
coup plus farouches que celles des autres insulaires. Comme leur 
subsistance n'est point assurée, ils craignent toujours qu'on ne 
vienne leur en soustraire une partie. D'un autre côté, cependant, 
l’industrie et le besoin luttent contre le manque de ressources, 
et ont forcé ces peuples à s'adonner à la navigation, età devenir 
habiles dans cet art. L'objet le plus indispensable d’un insu- 
laire est sans doute une pirogue; et cependant, il arrive sou- 
vent qu'une ile de cette sorte ne produit point de bois 
d'assez forte dimension pour les réparer ou en fournir la mà- 
ture. C'est ainsi que nous en eùmes des exemples en longeant 
le grand archipel des Carolines et les iles Mulgrave et Gilbert. 
Leurs frèles embarcations présentaient parfois des pièces mal 
ajustées, faites de plusieurs morceaux d'hrbriscus tiliaceus, le seul 
bois dense qui puisse croître sur ces terres. 

La Polynésie proprement dite s'arrête au Nord-Est par une 
bande d’archipels composés des iles de Formose, Lucon et Min- 
danao, dans les Philippines. Mais on remarque que les chaines 
d'iles placées dans le Tropique du Cancer et dans l'hémisphère 
Nord, jusqu'au-delà du 160° degré de long., telles que les Ma- 
riannes, les Palaos, Hougoulous et Oualan, ont recu de ces 
contrées , probablement avec la race humaine, les orangers, les 
citronniers et les bruguiera , qu'on ne retrouve point dans le 
reste des iles de l'Océanie du Tropique du Capricorne. La va- 
riété sans semences de l'arbre à pain est la seule qu'on observe 
aux Sandwich, aux Tonga, aux Marquises, comme aux iles de 
la Société. Mais la variété à châtaignes, si commune dans les 
Moluques et à Célèbes, se retrouve, en nombre égal à la pre- 
miere espèce, aux Palaos et à Oualan par exemple, et est la 
seule qui assure l'existence des Carolins des iles basses. Ces na- 
turels, en effet, paraissent être réduits fréquemment à se nourrir 


des fruits demi-ligneux du pandanus. 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 3 


VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


D 


Sur toutes les iles du Grand-Océan, nous trouvâmes les mêmes 
productions végétales, et le plus souvent les mêmes noms pour 
les désigner. C’est ainsi que les vallons si pittoresques, mais à 
à la longue si monotones, des Sandwich, et de la reine de la 
mer du Sud, Taïti, si éloignés, produisent abondamment le 
taro (arum esculentum ), Vigname ( Dioscorea), la pomme de 
Cythère { spondias dulcis), etc., etc. Les Taïtiens mangeaient, 
dans les temps de disette, la moelle d’une fougère en arbre, 
comme les Nègres le pratiquent, à Maurice et à Madagascar, 
pour le cambare marron; et toutes les deux appartiennent au 
genre cyathea. Le pya est la racine du tacca pinnatifida, qui 
croit dans toutes les Moluques, à la terre des Papous et à la Nou- 
velle-Irlande. La noix d'ahi (inocarpus edulis ) se rencontre de- 
puis les iles de la Sonde, où les Hollandais nomment l'arbre gatip- 
boom , jusqu'aux iles les plus orientales de la mer du Sud. Il en 
est de même du terminalia, du morinda citrifolia, du curcuma , 
et d'une foule d’autres végétaux dont il serait assez fastidieux 
de présenter 1ci la liste. 

Placées hors du Fropique, les vastes iles de la Nouvelle-Zé- 
lande, dont l'intérieur est encore à connaitre, n'ont pu fournir 
à la race qui les habite les mêmes ressources, et la nécessité la 
contraignit de se plier à la pauvreté du sol sur lequel elle devait 
vivre, et de tirer sa principale ressource alimentaire de la racine 
sèche et ligneuse de la fougère( acrostichum furcatum, Forster ), 
qui couvre le pays : mais ce qui rend cette fougère très-digne 
d'attention, c'est que les peuples noirs de la Nouvelle-Galles 
du Sud s'en nourrissent habituellement , et la nomment d/n- 
Lou. 

L'ile de Paques, également hors des limites du Tropique du 
Capricorne, ne présente qu'un nombre très-restreint de végé- 
taux ; ceux qu'on rencontre sur cette terre brülée appartiennent 
encore cependant aux plantes indiennes : tels sont entre autres 


ZOOLOGIE. 49 
lhrbiscus populneus, des mimosa, un solanum que Forster fils 
indique aussi à Taiïti, etc., etc. 

La zoologie des iles Malaisiennes, aussi riche que variée par 
les nombreuses espèces qui leur sont propres, semble attester 
que cette portion centrale de l'Asie orientale a fait partie d'un 
continent, puisque ces iles sont peuplées de grands quadrupèdes 
vivants, qui sont communs à plusieurs d'entre elles. D'ailleurs 
les canaux qui les séparent sont peu profonds, et ils sont en- 
combrés de bancs, qui semblent complétement légitimer cette 
idée. Mais, toutefois, chaque ile de ces grandes terres équato- 
riales de l'archipel des Indes recèle quelques espèces qui y se- 
raient aujourd'huiisolées, et plusieurs ont fourni lasingularité de 
reproduire des individus de genres qu'on avait jusqu'à ce Jour 
regardés comme essentiellement propres au N ouveau-Monde ; 
tels sont, dans’deux branches différentes, un tapir, des courou- 
cous, et le rupicole vert. Tout ce que nous savons de l'histoire 
naturelle de ces contrées fécondes est d’un haut intérêt; et 
malgré les recherches infatigables de sir Stamford Raffles, 
d'Aorsfield, de Diard, de Duvaucel, de Leschenault, de Kuhl, 
de Van-Hasselt, et de Reinwardt, elles fourniront long-temps 
encore d'abondantes moissons en objets curieux et remarqua- 
bles ; mais leur climat a déja dévoré plusieurs naturalistes eu- 
ropéens, et la barbarie profonde des habitants de l'intérieur 
opposera long-temps une barrière insurmontable aux tentatives 
de ceux qui voudraient essayer de nous en faire connaitre les 
merveilleuses productions. C’est dans les mers de ces archipels 
que se trouve aujourd'hui le dugong ( halicore indicus , Desm. 
mamm., 751 esp. ), qu'on a cru si long-temps fabuleux, figuré 
par Renard ', mais complétement décrit par les naturalistes 


1 Renard, pl. 34, fig. 180. (Poissons des Indes, 1 vol. in-fol., Amsterd., 1754.) 
2. 


50 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
modernes‘, notamment par M: F/Cuvier, et dont on 1 trouve un 
bon dessim pour le temps (1708),.et une description assez COM- 
plète dans le Voyage de François Leguat *, qui n’est cité que dans 
Sonnini(Buff., t. XX XIV, p. 185), et d'une manière très-fautive. 
Sumatra et Bornéo paraissent renfermer quelques espèces de 
quadrupèdes identiques, tels que l'éléphant des Indes , elephas 


indicus, Cuv., et les orangs. Les rhinocéros ra par 


MM. Diard et Duvaucel, rhinoceros sondaicus , G. Cuv., et: 


rhinoceros sumatrensis, Cuv., appartiennent plus spécialement 
à cette belle ile de Sumatra, qui nourrit un très-grand nombre 
de singes, divers mammifères très-intéressants, et notamment; 
des semnopithèques, la viverra musangua, Raffles; le tupaia tana , 


v 


Raffles; enfin le tapir de l'Inde (tapirus indicus , F. Cuv.), qu'on : 


a découvert et dans cette ile et sur la presqu'ile de Malak. 


: Le Muscon en possède un squelette complet, dû aux voyageurs Duvaucel et Diard. 

? Vory. et avantures de Francois LEGUAT ez de ses compagnons en deux isles 
désertes, etc., 2 vol. in-12, Londres, 1708. Ce voyageur, qui a défiguré plusieurs 
animaux très-connus, a cependant tracé du dugong un portrait assez exact. Voici 
les détails qu'il donne sur ce cétacée herbivore, t. I, pag. 93 : « Le lamantin se trouve 
«en abondance dans les mers de cette île ( Rodrigues ). Sa tête ressemble extrême- 
«ment à celle du pourceau; mais il n’a pas le groin si pointu. Les plus grands ont 
« vingt pieds de long, et n’ont aucune autre nageoire que la queue et les deux pattes. 
« Le corps est assez gros. La queue est horizontale, comme aux baleines. Il a le sang 
«chaud, la peau noirâtre, fort rude et fort dure, avec quelques poils clair-semés. Les 
« yeux sont petits, les ouïes remplacées par deux trous qui s'ouvrent et qui se ferment. 
« La langue est petite. Il a des défenses comme le sanglier, mais point de dents inci- 
«sives. Ses gencives sont assez dures pour arracher et brouter l'herbe. Sa chair est 
«excellente, très-saine, et a le goût du veau. La femelle a des mamelles; fait, dit-on, 
« deux petits chaque fois, les allaite, et les porte avec ses deux espèces de mains. Ce- 
«pendant, je ne lui en ai jamais vu qu'un. Ce poësson est très-facile à prendre : il 
« paît par troupeaux, à trois ou quatre pieds d’eau seulement , et ne fuit point. Il ÿ 
«en avoit parfois jusqu’à trois ou quatre cents ensemble. Cet animal paroït ne jamais 
«venir à terre. Il meurt aussitôt qu'il perd un peu de sang ; et je ne crois pas qu'il 


« soit amphibie. » 


st ie 


We 


% 


PL 
& 


2 ZOOLOGIE. 21 


La grande ile de Bornéo, cet espace blanc sur la carte du monde, 
comme l'a dit judicieusement sir Raffles, recèle sans doute beau- 
ÉOup d'animaux inconnus ; mais ceux qu'on y indique plus parti- 
culièrement, tels que l'orang-outang et le pongo, existent aussi, 
à ce qu'on assure, et dans la Cochinchine et sur la pres- 
qu'ile de Malacca. Java, si particulièrement explorée dans ces 
derniers temps, a fourni à nos species un assez notable accrois- 
sement. On y trouve surtout la panthère noire , les tupaia 
Javanica et.ferruginea, Horsf.; la mustela nudipes, F. Cuv.; my- 
daus meliceps ,; F. Cuv.; un nycticèbe, et autres espèces remar- 
quables. Si Madagascar n'a aucun individu de la famille des 
singes, elle possède en revanche les makis; et les Moluques ont 
en propre les euscus ou phalangers à queue prenante, et les ga 
léopithèques, dont une espèce s’est propagée à l'Est jusqu'aux 
Carolines occidentales, c’est-à-dire,-aux Pelew ou Palaos. Ce 
n'est guere que sur l'ile de Bourou que vit de nos jours le co- 


Chon-cerf(sus babyrussa), animal rare, qui manque à nos musées. 


Les phalangers à queue nue appartiennent presque exclusive- 
ment aux Moluques orientales, et surtout à la terre des Papous, 
jusqu'à la Nouvelle-rlande. En s'avançant vers le Sud-Est, le 
nombre des mammifères diminue. Déja à la Nouvelle-Guinée, 
on ne trouve plus que le cochon nommé par nous sus papuensis, 


‘le pélandoc”, et le couscous tacheté. La-roussette Kéraudren, 


voisine du ptéropus edulis, parait s'étendre depuis les Philippines, 
sur les Marïannes, jusqu'à Oualan, où nous l’observames en 
abondance ‘par 160 degrés de longitude orientale : mais cette 
espèce parait ne point avoir pénétré au-delà; etaux Sandwich, par 


: La panthère melas, figurée par M. F. Cuvier, dans la 49° livraison de son bel 
ouvrage sur les mammifères, ne serait, suivant M. Temminck, qu'une variété acci- 
dentelle du léopard : ce qui semble exiger de nouvelles observations. 

2? Le pélandoc, et non pélandor, est commun à la Nouvelle-Guinée : les Papouas 


du havre de Doréry le nomment podin, et estiment sa chair. 


22 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

exemple, il n'existe qu'un petit vespertilion. Il est à remarquer 
qu'on ne connait aucun quadrupède comme véritablement in- 
digène de la N ouvelle-Zélande, excepté le rat, si abondamment 
répandu sur les îles de l'Océanie , comme sur presque l'univers 
entier. La Nouvelle-Hollande seule a produit des genres qu'on 
ne retrouve que sur son sol; mais le *angurus, un des plus sin- 
guliers, avait son type, aux Moluques, dans le lapin d’'Aroé 
(kangurus Bruni, Desm. ). 

Quant au cochon et au chien, leur histoire se rattache à celle 
de l'homme, qu'ils ont suivi. On remarque que ces deux animaux 
utiles ont été rencontrés dès la découverte des archipels des 
Sandwich, des Marquises, des Amis, de la Société, des Fidjis, 
de Rotouma, et sans doute des iles des Navigateurs. La Nouvelle- 
Zélande n'avait seulement que le chien, du moins d’après le dire 
du capitaine Cook, qui assure que le cochon n'y existait pas, 
et qui y déposa des femelles pleines, tandis qu'aujourd'hui 
il y est commun. Ces deux mammifères se rencontrent égale- 
ment dans les iles avancées de la Polynésie, jusqu'à la Nouvelle- 
Calédonie, où le chien est la même espèce à oreilles droites 
qu'on trouve au Port-Praslin, àla N ouvelle-Bretagne, et qui 
suit les misérables tribus de la Nouvelle-Galles du Sud. Mais cet 
animal parait avoir été inconnu des Carolins et des Mariannais 
jusqu'au temps de leurs relations suivies avec les navigateurs. 
Wilson dit qu'il était ignoré des habitants des Pelew ‘; et nous 
pouvons assurer que les naturels de l'ile d'Oualan , où très-pro- 
bablement jamais Européen n'avait mis.les pieds avant nous, 
n'avaient pas la moindre idée du cochon et du chien, qui leur 


* Le capitaine Wilson ( Relation des iles Pelew, 2 vol. in-8°, Paris, 1793), qui 
séjourna sur les îles Pelew, ou mieux de Palaos, après son naufrage, y vit un chat 
et aussi un Malais, qui tous les deux y avaient été apportés sans doute par la perte 
de quelques pros des Philippines. 


ZOOLOGIE. 23 


ispiraient une grande frayeur, et qui attiraient vivement leur 
attention. M. de Chamisso a observé le même fait à Radack, 
chaine d'iles bien plus reculée dans l'Est. 

Les reptiles sont d'autant plus communs, et d'autant plus 
développés dans leurs proportions, qu'ils se rapprochent da- 
vantage des climats brülants et humides de la Zone torride : on 
les voit peu à peu diminuer en nombre à mesure qu'on séloigne 
des tropiques, et qu'on s’avance dans la Zone tempérée. Le cro- 
codile, si abondant à Java, à Bornéo, à Timor, à Bourou, existe 
encore à la Nouvelle-Guinée ‘; mais il n'est plus représenté à 
la Nouvelle-Irlande que par un grand tupinambis, dont la peau 
sert à recouvrir les éamtam. D'après le récit de Mariner, on 
ne peut se dispenser d'admettre que des crocodiles, portés par 
des courants, n'aient été vus sur les iles Fidjis; car les habitants 
en ont consacré le souvenir par une tradition orale qui parait 
complétement assurer ce fait. Les lézards et les scinques sont 
d'autant moins nombreux, qu'on s’avance vers l'Est. C'est ainsi 
que plusieurs espèces fort intéressantes s'arrêtent à Oualan, 
tandis que toutes les iles de l'Océanie ont indistinctement le joli 
petit scinque à raies dorées et à queue azurée des Moluques. Il 
en est de même des geckos : le /acerta vittata, par exemple, se 
trouve depuis Amboine jusqu'à la Nouvelle-frlande; et à Taiti 
comme à Borabora, on ne rencontre plus que l'hémidactyle. 
Enfin, ces pythons de forme colossale des iles de la Sonde se 
trouvent remplacés, même à la Nouvelle-Guinée, par de longues 
couleuvres ?, dont la taille diminue à mesure qu'on s'en éloigne ; 


© Les Papous de la Nouvelle-Guinée suspendent à leurs cabanes les têtes desséchées 
de ce gigantesque saurien, peut-être comme trophée de la mort d’un ennemi dan- 
gereux : ou bien, environnent-ils sa dépouille des hommages qu’arrache la peur, chez 
des peuples superstitieux ? 

2? Ce dernier fait ne se rapporte qu’à des observations recueillies pendant notre 
court séjour dans cette contrée. 


24 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

et c'est ainsi que ces reptiles paraissent ne s'être pas introduits , 
jusqu’à ce jour, au-delà de l’île de Rotouma, par 175 degrés de 
long. O. Pour les batraciens, on n’en connaît aucuns de propres 
aux iles du Grand-Océan, phénomène intéressant, et qui semble 
concorder avec l'opinion ingénieuse d’un de nos savants distin- 
gués, le colonel Bory de Saint-Vincent; savoir, que les batra- 
ciens n'ont, jusquà ce Jour, été rencontrés sur aucune ile vol- 
canique, à moins que les espèces n'y aient été portées par les 
Européens, comme on l’a fait à l'ile Maurice. 

Les oiseaux de l'Océanie, comparés à ceux de la Polynésie, 
n'offrent point d'analogie dans les espèces. Chaque système de 
terre a ainsi des individus de genres qu'on rencontre dans un 
grand nombre de localités ; mais un fait qui n’est point inutile 
pour l'histoire de l'homme, c'est que sur toutes les terres hautes 
existe la poule domestique, bien que, dans certaines iles, elle 
ne serve point à la nourriture. Java, Sumatra, possèdent un 
grand nombre d'oiseaux d’une rare beauté ; quoique rien n'égale, 
sous ce rapport, le groupe d'iles nommées Terre des Papous, 
la patrie des somptueux oiseaux de Paradis et des grands pro- 
merops. Il est à remarquer ‘ que déja quelques espèces de ces 
oiseaux à plumage si splendide traversent le détroit de Torrès, 
et habitent la portion chaude de la Nouvelle-Hollande, tels sont 
l'epimachus regrus et le sericulus regens, entre autres. Les Mo- 
luques sont essentiellement peuplées par les calaos; et le genre 
nouveau des mégapodes remplace, aux Philippines, aux Ma- 
riannes, à Guebé, comme à la terre des Papous, les tinamous 
d'Amérique , près desquels doit venir se placer le beau mænure 
de la Nouvelle-Galles. Mais c'est surtout la grande famille des 


! Le genre eurylaime est tout-à-fait polynésien : plusieurs espèces de Sumatra 
ont été décrites récemment, et nous y ajouterons l’e. de Blainville, de la Nouvelle-Gui- 
née. 1] en est de même du genre nouveau de M. Horsfield, nommé pomatorhinus. 


ZOOLOGIE. 25 
psittacidées, qui compte sur les îles de la Polynésie de nom- 
breuses tribus, communes sur presque toutes, et dont le plus 
grand nombre des espèces a reçu le nom de loris, de la teinte 
de leur plumage. La Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, 
de même sans doute que les iles Bouka et Bougainville, par- 
tagent une portion des espèces de ce riche groupe, qui surtout 
est très-répandu à la Nouvelle-Hollande. L'analogie des espèces 
de perroquets est tellement grande entre la Polynésie et l'Aus- 
tralasie, que nous ne pouvons nous refuser à en citer quelques 
exemples. Ainsi, l'ara à trompe (pszttacus goliath, Kuhl) est 
remplacé par les kakatoës noirs ( ps. Banks et funereus, 
Shaw ), tandis que le kakatoës blanc à huppe jaune est aussi 
abondant aux Moluques que dans les environs de Port-Jackson. 
Les perroquets et les perruches, qu'on sait ne point s'avancer 
à l'extrémité Sud de l'Afrique, et qui n'ont qu'une ou deux 
espèces égarées dans les pampas de la Patagonie, sont bien autre- 
ment multipliés sur les terres australes. Leurs espèces, belles et 
nombreuses, peuplent la Nouvelle-Galles et la terre de Diémen. 
Ce dernier point du globe a même offert un ordre qui lui est 
particulier, celui des perruches-ingambes. La Nouvelle-Zélande 
a ses perroquets propres, dont le Vestor est sans contredit le 
plus remarquable. Mais il n'y a pas jusqu'aux îles Macquarie 
et Campbell, par 52 degrés de lat. Sud, qui n'aient également 
leurs espèces; et certainement on eût été bien éloigné, il y a 
peu d'années, d'admettre que ces oiseaux eussent leurs représen- 
tants dans de si hautes latitudes. Malgré l'étrangeté de formes 
que le sol sec de la Nouvelle-Hollande à imprimée à tous les 
êtres, et plus particulièrement aux oiseaux , que les naturalistes 
européens eurent à étudier de 1788 jusquà nos jours, on trouve 
cependant tous les types des espèces qui y sont les plus abon- 
dantes, dans les archipels d'Asie. Tels sont surtout le cygne noir, 


J'émiou (casuarius), qui diffère peu du casoar à casque des 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 4 


26 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Moluques, le philédon moine, et la perruche des montagnes 
Bleues, dont toutes les nuances semblent appartenir à la per- 
ruche ornée, etc., etc. D'un autre côté, il est vrai, rien ne nous 
rappelle ailleurs et le scythrops et le cereopsts. La plupart des 
oiseaux voisins des merles ont, sur ce continent, offert la sin- 
gulière organisation de présenter l'extrémité de la langue hé- 
rissée de longues papilles roides pénicillées, destinées à sucer 
les sucs miellés qui exsudent des fleurs d’un très-grand nombre 
d'arbres aromatiques dont tous les fruits sont ligneux. Presque 
tous sont remarquables par quelques autres singularités; M. Cu- 
vier les a réunis pour en former le genre philédon. Mais le beau 
merle à cravate frisée * habite seulement la Nouvelle-Zélande, 
et c'est à tort qu'on l’a indiqué comme propre à la Nouvelle- 
Hollande. Ces deux grandes iles, si opposées à l'Australie par 
l'aspect et la végétation, ont également le casoar, s'il faut en 
croire les naturels; mais tous les autres oiseaux terrestres dif- 
ferent absolument. 

Les iles de Norfolk et de la Nouvelle-Calédonie ont aussi des 
espèces particulières, et surtout des cassicans. Les iles Sandwich 
offrent quelques perruches du genre psittacule et des héorotai- 
res : ce dernier genre se retrouve aux Fonga et à Taïti, et dans 
plusieurs autres iles de l'Océanie. L'archipel de la Société a la 
sterna alba, Spar., deux belles perruches, l'evini (ps. taïtensis ), 
et le phigy, ainsi que le coucou taitien de Sparmann. Enfin, les 
Carolines hautes, et notamment l'ile d'Oualan, ont plusieurs 
oiseaux des Mariannes et des Philippines, qui paraissent ne point 
avoir été au-delà du 160° méridien. Ce sont un soui-manga rouge 
et brun, le pigeon océanique, et le merle des colombiers, si 
commun à Manille et à Guam. L'ornithologie ne peut donc être, 
pour les iles vraiment océaniennes, que d'un faible secours dans 


* Poé de Cook, philedon circinnatus des auteurs. 


ZOOLOGIE. 27 


nos recherches; car il serait assez inutile de s'occuper des oi- 
seaux organisés pour vivre à une certaine distance des côtes, 
ou même des échassiers qui fréquentent les grèves. Tant de 
causes peuvent les transporter d’un lieu dans un autre, quil 
suffit qu'ils y trouvent leur subsistance pour s'y multiplier. Nous 
dirons, toutefois, que le pluvier doré, le chevalier, les hérons 
blanc et ardoisé, se représentent à peu près sur tous les rivages 
de ces iles. 

Il serait très-difficile de pouvoir grouper les faits généraux 
de l’histoire des poissons, parce que trop de chainons manquent. 
Cependant l'ensemble de l'ichtyologie du Grand-Océan, des mers 
d'Asie et des Indes, se compose presque entièrement d'espèces 
analogues. C’est ainsi que nous avons retrouvé à l'ile de France 
un grand nombre des poissons de Taïiti, et que nous avons pu 
très-souvent les suivre d'archipel en archipel. On doit donc 
conclure que les espèces sont identiques, depuis les Marquises 
jusqu'à Madagascar, dans les mers situées dans la Zone équa- 
toriale , et qu'il en est de même pour les parallèles placés hors 
du Tropique du Capricorne. La plupart des poissons de la Nou- 
velle-Zélande, en effet, sont les mêmes que ceux des côtes de 
la terre de Diémen ou de la Nouvelle-Galles du Sud; et l'on sait, 
par exemple, que la Chimère antarctique se retrouve à l’extré- 
mité des trois grands caps avancés du globe , ceux de Horn, de 
Diémen, et de Bonne-Espérance, et semble être fixée dans les 
mers qui sont renfermées dans l'intervalle du 60° au 35° degré 
de lat. Sud. Entre les tropiques, les récifs de coraux, qui, par 
les riches couleurs des polypes qui les habitent, ou les innom- 
brables zoophytes qui y pullulent, forment comme des par- 
terres sous-marins enchanteurs, sont habités par des poissons 
revêtus des plus brillantes parures, et dont l'éclat est vraiment 
fantastique : ce sont surtout des girelles nombreuses, des chel- 


mons, des balistes, des serrans, des pomacentres, etc. ; tandis 
. 


28 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
que, sur ces mêmes récifs, que recouvre à marée basse très-peu 
d'eau, nagent en rampant les nombreuses tribus des muréno- 
phis et des ophisures. Mais plus on s'engage dans les canaux 
étroits et sans cesse réchauffés par le soleil équatorial, qui sé- 
parent en tout sens les iles innombrables de la Polynésie, plus 
le nombre des poissons augmente; et la seulement on observe 
certains genres Où certaines espèces qui n'existent sur aucun 
autre point. Le squale à ailerons noirs ne vit que dans les Mo- 
luques et sur les côtes de la Nouvelle-Guinée : il en est de même 
de quelques aleutères, du diacope macolor, de quelques acan- 
thures, de la lophie histrion, etc., etc. Dans toutes nos relàches, 
depuis Oualan et le Port-Praslin jusqu'a Java, nous observames 
le nason licornet, des scombres, des priacanthes identiques, etc. 
La partie intertropicale de l'Océanie est très-pauvre en tes- 
tacés. Plus on se rapproche des iles de la Polynésie, plus le 
nombre des espèces s’accroit d'une manière rapide. On doit donc 
supposer que les plages de sables uniformes de ces iles de l'Asie 
orientale, et leurs eaux peu profondes, et par conséquent plus 
faciles à échauffer, renferment toutes les conditions favorables 
pour la multiplication facile des belles espèces qu'on y trouve. 
A Faiti, comme à Borabora, on n'observe guère qu'une sorte 
d'arche, la vis tigre, la cérithe blanche, l’ovule, les porcelaines, 
la mitre épiscopale, le cadran escalier, etc. ; et ces mollusques, 
ainsi que l’aronde aux perles, la tridacne bénitier, le murex 
chicorée, le ptérocère, la harpe, des rouleaux, etc., etc., se re- 
trouvent, sans exception, sur toutes les iles océaniennes et po- 
Iynésiennes, jusqu à l'ile Maurice inclusivement , et sont égale- 
ment observés sur les îles africaines de la mer des Indes. Mais 
aux Moluques particulièrement, dont les baies sont paisibles et 
abritées, où la mer ne brise point avec fureur, où de longues 
plages sablonneuses déclives permettent à des testacés fragiles 
de vivre sans compromettre leur existence, naissent et se dé- 


ZOOLOGIE. 29 
veloppent de précieuses coquilles, telles que la carinaire vitrée, 
ces nautiles papyracés, ce scalata si recherché, etc., etc. Sur 
toutes les grèves, nous trouvames en abondance et la volute 
éthiopienne et l’argonaute flambé rejeté par les vagues; ce qui 
autorise à penser que ce céphalopode, extrèmement commun, 
ne vit qu'à une certaine profondeur. Les nautiles, qu'on retrouve 
dans plusieurs mers, et notamment dans la Méditerranée, et qui 
s'y sont propagés sans doute à l'époque où cette mer commu- 
niquait avec la mer Rouge et la mer des Indes, alors que n'existait 
point l'isthme de Suez, ont une espèce qui les représente, même 
dans le Sud de la Nouvelle-Hollande; car c'est dans le détroit 
de Bass qu'on observe communément le beau nautile dit à 
grains de riz, dont la patrie a long-temps été ignorée. En dé- 
passant le Tropique du Capricorne, les mollusques ne sont plus 
les mêmes : leurs espèces sont propres à tel ou tel point, d’où 
elles ne s'écartent guère; et c'est ainsi que l'extrémité australe 
de l'Amérique a des espèces trèsremarquables, qu'on ne retrouve 
point ailleurs, telles que des moules, des monocéros, le con- 
cholepas entre autres, et que la Nouvelle-Zélande, comme la 
terre de Diémen, et la Nouvelle-Holiande, ont des genres qui 
leur sont propres, et remarquables par leur rareté plus ou moins 
grande dans nos collections. C'est alors que serait rigoureuse- 
ment applicable cet aphorisme trop vague de Péron : : « Qu'il 
«n'est pas une seule espèce d'animaux marins bien connue qui, 
«veritable cosmopolite, soit indistënctement propre à toutes les 
«partres du globe ; et que les animaux originaires des pays. froids 
«ne sauraient s'avancer impunement jusqu'au milieu des zones 
« brülantes.» 

D'apres l'indication sommaire que nous avons présentée de 


‘ Notice sur l'habitation des animaux marins, chap. xxxix, tom. IV, pag. 275. 


V’oy. aux terres australes, 2° édition. 


30 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
toutes ces iles, on a dü préjuger que les crustacés étaient, à peu 
d'exceptions près, identiques. Ce n'est guère que sur les côtes de 
la Nouvelle-Guinée et au milieu des Moluques que vivent ces 
singuliers phyllosomes au corps aplau et nacré, et les smerdrs 
et les alëma, qui rendent parfois la mer étincelante par les feux 
qu'ils émettent sans interruption. Il en est de même des insectes : 
ils sont très-rares sur toutes les iles de la mer du Sud, et se bor- 
nent. communément à quelques diptères, à quelques papillons 
qui sont indiens, et qu'on rencontre aux Moluques. C'est ce qui 
a fait dire au plus profond entomologiste de notre époque, à 
M. Latreille ( Géographie des Insectes, in-8°, pag. 181 ) : « Plu- 
«sieurs des iles de la Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle-Calédonie 
«et des mers circonvoisines, sont américaines par leur position 
«géographique, et peuvent être asiatiques quant aux produc- 
«tions animales et végétales de leur sol.» Nous ajouterons, comme 
fait particulier, que partout, sur les eaux du vaste Océan-Paci- 
fique, en dedans comme en dehors des tropiques, nous avons 
observé le velia oceanica, insecte de la tribu des ploteres, men- 
tionné par Eschscholtz près de l'ile de Pâques, et qui couvre la 
mer, par les temps de calme, loin des terres, comme proche de 
Taïti, de la Nouvelle-frlande, ou de tout autre point. 

Nous avons esquissé à grands traits le sol des contrées dont 
nous devons maintenant essayer de peindre les habitants : ce 
sera l'objet du second paragraphe. 


ZOOLOGTITE. 31 


Ç I. 


DES INSULAIRES DU GRAND-OCÉAN, ET DE LEURS HABITUDES 
GÉNÉRALES. 


Dans l'homme physique, [homme moral est caché. 
L'homme extérieur n'est que la saillie de l'homme 


intérieur. Dupary, lettr. xxxr1—. 


L'homme, et les variétés qui en composent les races diverses, 
sont sans doute le sujet le plus vaste et le plus intéressant dont 
puissent traiter les sciences naturelles, la philosophie et la mo- 
rale ‘. Cette étude a, de tout temps, occupé quelques esprits su- 
périeurs, qui cherchèrent à mettre à la portée de leurs contem- 
porains cette pensée sublime de Solon, inscrite sur le temple 
d'Éphèse, Nosce te ipsum; mais, à cet égard, les modernes * ont 
bien surpassé les anciens, réduits à des relations extérieures 
bornées, et chez lesquels le peu de progrès des sciences naturelles 
ne permettait d'envisager une telle question qu'obscurcie par de 
vains sophismes. Nous nous abstiendrons ici de toute excursion 


1 La science la plus interessante et la plus importante pour l’homme est celle 
de l’homme méme. Marsden, Hist. of Sumatra. 

? Pour l’homme, considéré en général comme premier être zoologique, consult. 
LINNÉ (Systema naturæ, ed. 13, cur. Gmelin ); BLUMENBACH ( De generis 
humani varietate nativä , Gœttingue, 1795, 3° édit. in-8°. ); BUFFON ( Hist. de 
l’homme); G. CUVIER (Tab. élém. d’hist. nat., et Règne Animal); LACÉPÈDE (Dict. 
des scienc. nat.); VIREY ( Dict. des sciences médic., et Histoire naturelle du genre 
bumain, 3 vol. in-8°, 1824, 2° édit. ); DESMOULINS ( Journal de physiologie, 
1825 ) ; et le colonel BORY DE SAINT-VINCENT (Dict. class. d’hist. nat., t. VIIT). 
Parmi les travaux remarquables sur l’angle facial et les diverses modifications qu’e- 
prouve, suivant les races, la capacité du crâne, voy. Wozrerus Henricus CRULL, 
Dissertatio anthropologico -medica inauguralis de cranio, ejusque ad faciem 
ratione, etc., thèse in-8°, 1/4 juin 1810, Groningæ. 


32 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

extérieure, et nous ne chercherons qu'à ajouter quelques faits 
susceptibles d'éclaireir l'histoire des insulaires de la mer du Sud; 
car, chaque jour, la physionomie originelle de ces peuples dis- 
parait par leurs relations journalières avec d'autres nations. Le 
croisement des races, de nouveaux usages, de nouvelles habi- 
tudes, ne peuvent manquer d'apporter, dans un laps de temps 
peu considérable, des changements qui déja effacent chaque 
jour ce qui subsistait de leurs anciennes traditions. Au premier 
coup d'œil, on pourrait croire qu'il n’est point difficile de tracer 
le tableau physique etmoral de ces peuples, puisqueles voyageurs 
ontrecueilli, sur la plupart, denombreux documents publiés dans 
toutes les langues. Depuis Bougainville , Byron, Wallis, Carteret 
et Cook, en effet, peu d'années se sont écoulées sans que des 
expéditions aient visité ces insulaires : des établissements perma- 
nents d'Européens ont été fondés au milieu d'eux; et cependant 
nous ne possédons encore que des esquisses fort imparfaites sur 
cette matière. Une telle question mérite bien aujourd'hui d'être 
éclaircie; et peut-être le gouvernement qui ordonnerait une 
expédition dans ce seul but servirait-il plus efficacement les 
sciences qu'on ne le pense communément". N'est-il pas étonnant, 
d'ailleurs, que la question * sur les Océaniens, mise au concours 


© On sait que la pensée dominante de Péron, de cette ame de feu, sitôt enlevée 
aux sciences, était d'écrire une histoire de l’homme, pour laquelle il avait déja ras- 
semblé des notes, qui ont été égarées après sa mort. 

2 Elle est ainsi conçue : « Rechercher l’origine des divers peuples répandus dans 
l'Océanie ou les îles du Grand-Océan situées au Sud-Est du continent d'Asie, en exa- 
minant les différences et les ressemblances qui existent entre eux et avec les autres 
peuples sous le rapport de la configuration et de la constitution physique, des mœurs, 
des usages, des institutions civiles et religieuses, des traditions et des monuments; 
en comparant les éléments des langues, relativement à l’analogie des mots et aux 
formes grammaticales, et en prenant en considération les moyens de communication, 
d’après les positions géographiques, les vents régnants, les courants, et l’état de la 
navigation, » 


ZOOLOGIE. 33 
par la Société de Géographie, soit restée, plusieurs années de 
suite, sans réponse, et quon n'ait point encore cherché à la ré- 
soudre ? Mais voilà, à notre avis, où git la difficulté. Comment 
faire concorder les observations de tous les genres, consignées 
dans des relations écrites par leurs auteurs avec un mérite très- 
variable, des principes différents, et souvent sous l'influence 
des sensations opposées ? Le savant qui voudra coordonner dans 
son cabinet ce qu'ont dit les voyageurs sur les races des insu- 
laires de l'Océan-Pacifique, sur leurs migrations; qui essaiera 
de suivre la filiation de leurs idées , de leurs arts, ou les types 
de leur organisation, ne doit-il pas reculer devant la divergence 
des opinions et rester indécis au milieu des erreurs ou des in- 
certitudes dont rien ne peut le dégager ? Aussi cet écueil est 
tel, que la plupart des écrits relatifs à l’homme, et il en est 
où se montre la plus vaste érudition, sont pleins de rap- 
prochements erronés qu'il était impossible d'éviter. Malgré 
les connaissances dont nous sommes redevables à Forster, 
à de Chamisso, à sir Raffles et au docteur Leyden; malgré des 
descriptions complètes et détaillées de plusieurs îles, où séjour- 
nérent long-temps des Européens, tant de chainons manquent 
et interrompent la série des faits qui doivent lier, par une con- . 
tinuité de rapports, les peuplades les unes aux autres, que 
nous ne pouvons généraliser encore que les traits les plus 
saillants de leur histoire. Ce n'est donc, dans l'état actuel des 
choses, qu'une esquisse très-imparfaite qu'il nous est possible de 
présenter : le seul mérite qu’elle pourra avoir sera d'être basée, 
en grande partie, sur des observations faites pendant notre cam- 
pagne, ou parfois empruntées à quelques voyageurs dont le 
talent d'observation est généralement reconnu. 

Les sources où l’on peut puiser pour étudier l'organisation 


et les mœurs des peuples de l'Océanie, de la Polynésie et de 
Voyage de la Coquille. — TZ. Tom. I. 5 


34 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

l'Australie, ne sont point nombreuses. Forster ', le premier, 
traca d'une main habile le vaste cadre des productions des terres 
du Grand-Océan, et des insulaires qui y vivent. Combien l’on 
doit regretter que le cours de l'expédition ne l'ait pas mis à même 
de voir un plus grand nombre de points, ét de suivre le fil des 
idées qu'il avait émises avec tant de succès sur les lieux qu'il visita! 
Forster ne distingue que deux variétés dans l'espèce humaine 
de l'Océan- bu l'une blanche, et l’autre noire; mais il 
établit à chaque ligne cette pensée Fond entue , que Roame 
ne constitue qu'une espèce unique dont les variétés se sont pro- 
pagées à la longue, ou se sont transmises intactes, ou ont 
été modifiées par l'influence des croisements ou par une foule 
de causes locales. On ne devrait, en effet, adopter les distinctions 
de races ou d'espèces que comme des moyens artificiels, destinés 
à préciser nos idées dans l'étude de l’homme, et à la rendre 
plus facile. M. de Chamisso ?, plus récemment, écrivit sur le 
même sujet, et, sentourant de toutes les ressources d’une éru- 
dition riche et féconde, il emprunta aux langues parlées par 
les divers peuples ses principales lumières pour remonter à 
leur origine *. Enfin, si la race malaise, circonscrite dans des 
bornes plus étroites, a été mieux connue, on le doit aux travaux 


: Cook, deuxième voyage, t. V et VI, édit. in-8°, Paris, 1778, ou tom. V, in-4”, 
sous le titre d'Observaiions faites pendant le Second Voyage de Cook dans l 7: 
sphère austral et autour du monde, etc. 


> A Voyage of discovery into the South-sea, and Beering's straits, etc. By Otto 
von ROTZEBUE, tom. II, pag. 353. 


3 M. BALBI, dans un ouvrage important, intitulé tas Ethnographique du 
globe ( sous presse ), vient de classer les langues de tous les peuples de la terre, qu'il 
réunit ainsi par l’analogie des idiomes et des racines, des coutumes et des usages. 


ZOOLOGIE. 35 
de sir Aafjles *, de Marsden *, de Crawfurd, et de Leyden*, qui 


séjournèrent au milieu d'elle, et qui en firent l'objet de re- 
cherches approfondies. Le long séjour de M. Mariner ‘ aux iles 
de Tonga a, d'un autre côté, fait connaitre ces naturels de ma- 
nière à ne rien laisser à désirer ; et les documents que nous fournit 
une habitation plus ou moins longue au milieu des Océaniens 
s'accroissent journellement des travaux de quelques mission- 
naires anglais plus instruits que leurs collègues: et, sous ce rap- 
port, la grammaire zélandaise de M. Kendall * rend les plus 
grands services au philologue, en même temps qu'elle éclaireit 
plusieurs des habitudes et des usages de ce peuple singulier. 

Sans donner une grande importance au tableau suivant, 
nous grouperons les divers Océaniens à l’aide de distinctions 
spécifiques dont les noms, communément adoptés, n'ont, 
d'ailleurs, à nos yeux aucune valeur absolue qui puisse répu- 
gner à l'intelligence. 


! History of Java, 2 vol. in-4°. 

? Voyage à l'ile de Sumatra, trad. par Parraud, 2 vol. in-8°, Paris, 1794. 

5 Notice sur Bornéo (Transact. bataves, t. VIT), et dans divers Mémotres sur 
les peuples de l'Inde, insérés dans les recueils de la Société asiatique de Calcutta. 

& Histoire des naturels des les Tonga ou des Amis, rédigée par John Martin, 
Traduct. franc., 2 vol. in-8°, Paris, 1817. 

5 À Grammar and Vocabulary of the language of New-Zealand, published 
by the Church-Missionary Society, in-12, London, 1820. 


36 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


ere nent Roi] Hab. les archipels nombreux des Indes 
RE 7 © ?{ orientales ou de la Polynésie. 


1° race, HINDOUE-CAUCASIQUE Hab. les iles innombrables et éparses 


2° rameau........ OCÉANIEN, comme au hasard au milieu de l’im- 


mense surface du Grand-Océan. 


Hab. la longue suite des archipels des 
Carolines, depuis les Philippines jus- 
qu'aux îles Mulgraves. 


_ 3° rameau.. MONGOL-PÉLAGIEN 
© race, MONGOLIQUE......... ) DRSOLE ? 
l ou CAROLIN, 


{ 
1'° var., papoue , 
} | Hab. le littoral de la Nouvelle-Guinée 
| 4° rameau.. CAFRO-MADÉCASSE, et des iles des Papous. 
| 2° var., {asmanienne, 
: k {| Habite la terre de Diémen. 
2race, INOTREE FENETRE EEE / re var. endamène , 
Hab. l’intérieur des grandes îles de la 
Polynésie et de la Nouvelle-Guinée. 
2° var., australienne, 
Hab. le continent entier de la Nou- 
velle-Hollande. 


pe 


2 rameau....... ALFOUROUS, 


1. DES MALAIS. 


La conformation physique et l'habitude générale de ces peu- 
ples a porté quelques auteurs à les distinguer, parmi les variétés 

| de l'espèce humaine, sous le nom de race Malaise. Xs nous pa- 
raissent être un simple rameau détaché de la grande famille 
Hindoue caucasique , mélangé au sang Mongol, et fixé sur les 
iles polynésiennes, depuis leur éloignement du continent d'Asie; 

, car l'opinion des orientalistes les plus éclairés leur donne pour 
Ô patrie primitive la Tartarie ou le royaume d'Ava. Disséminés 
en un grand nombre de petits états, les Malais : qui peuplèrent 
les grandes iles conservèrent sur les unes les traditions de 
leurs ancêtres, ailleurs les modifièrent ou les dénaturèrent, se 
créèrent de nouvelles idées, et pratiquèrent des coutumes diffé- 
rentes. Tous, cependant, quelle que soit la dispersion de leurs 
tribus, conservent une forme typique caractérisée, et dans l’en- 


semble de leur organisation et dans leurs mœurs. Mais ces peu- 


? Consultez l'excellent tableau intitulé Mœurs et usages des habitants de Ti- 
nor, par Péron et de Freycinet, tom. IV, p. 1, du Z’oy. de découvertes aux Terres 
Australes, seconde édition. 


ZOOLOGIE. 37 
ples, qu'on a dit si faussement être répandus sur toutes les iles du 
Grand-Océan, ne dépassèrent jamais les iles Tidoriennes, les plus 
orientales des Moluques ; et quelques traces de leur fusion dans 
le Grand-Océan se font remarquer seulement à la Nouvelle -Gui- 
née, où le commerce les a attirés dans ces derniers temps, et 
aux Philippines, où ils ont fondé une petite colonie à Marigon- 
don , sur les bords de la grande Baie de Manille (Chamisso). Le 
rameau malais est bien loin d'être à nos yeux, comme le veut 
l'opinion reçue, la souche des TFaïtiens, des Sandwichiens, des 
Mendocins et des Nouveaux-Zélandais; et on ne reconnait, dans 
ces peuples, ni la même conformation physique, nulle analogie 
dans la langue, nulle ressemblance dans la tradition, les arts et les 
usages. Le seul point de rapprochement serait une sorte d'iden- 
tité de croyance religieuse; mais, chez ces rameaux distincts, 
et d'une même origine, ce fait n'a rien de remarquable : il in- 
dique que tous les deux ont conservé les traditions indiennes. 

Les Malais, dont l'existence politique est moderne dans l’his- 
toire de l'Asie, et dont les légendes de Malacca et quelques 
écrits anciens nous mettent à même de suivre les traces obscu- 
res et quelques-unes des migrations, ne sont bien connus que 
depuis le douzième siècle, où quelques-unes de leurs tribus 
émigrèrent de Menang-Kabou, la capitale des états malais à Su- 
matra , étendirent leurs conquêtes, fondèrent Singhapoura, leur 
premier établissement sur la Terre-Ferme, et placerent le siége 
de leur principale autorité à /ohor, sur la presqu'ile de Malacca. 
Ces peuples, avides de gain et de guerre, s’'adonnèrent particu- 
lièrement au commerce; et, par leurs communications avec les 
Maures de la mer Rouge, ils reçurent avec lenteur et succes- 
sivement quelques coutumes arabes, et surtout l'islamisme *. 


1 MARCO-POLO ( édit. in-4°, pag. 192) dit de Ferlec et du petit Java : « Sous 
« Magat, cette île fut habitée par des marchands sarrasins, qui jouissent des pré- 
« rogatives de citoyens, et qui les ont convertis à la foi musulmane. Ils vivent seule- 


«ment dans la ville. » - 


38 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Chez eux, la navigation se perfectionna, les richesses s'accumu- 
lèrent, et des envahissements successifs vinrent chasser les ha- 
bitants de la plupart des iles orientales ; car telle est la manière 
dont les Malais s'emparèrent du littoral de la plupart de ces 
terres, en reléguant dans l’intérieur les anciens propriétaires, 
ou en les exterminant. Cet état de choses est démontré d’une 
manière évidente par ce qu'on sait de l'élévation de plusieurs 
états malais de Bornéo, de Célèbes et de Timor; et les historiens 
des îles de l'Est sont remplis de documents qui prouvent la 
continuelle fusion des Malais sur les iles de la Polynésie. Mais, sur 
toutes celles dont les Européens n’ont pas fait la conquête , les 
montagnes de l'intérieur sont peuplées par des tribus, tantôt 
noires, tantôt jaunâtres, qui, confondues sous les noms d’4/- 
fours, Alforèzes, Alfourous, ont été l'objet des opinions les 
plus contradictoires et les plus absurdes. C’est ainsi que, dans 
les Moluques, les Hollandais qui y sont établis n’en ont point 
une idée distincte, et qu'ils en font la peinture la plus hideuse, en 
nommant sans distinction Papouas les habitants de l'Est, Bat- 
tas ceux de l'Ouest, et /daans ceux de Bornéo, quoiqu'ils ap- 
partiennent, d'ailleurs , évidemment à des races différentes. Or, 
ces peuples, ainsi refoulés, sans cesse expulsés par des hommes 
qui tenaient de l'Inde la coutume de faire des esclaves et de 
les vendre , sont restés stationnaires dans leurs idées. Ils ont fui 
les nouveau venus, qui, les chassant de leur territoire , les op- 
primaient ; et, séparés d'eux par des remparts naturels et puis- 
sants, leur existence est restée inconnue des Européens : ou, ce 
qu'on en sait est si imparfait, tant de fables obscurcissent les 
rapports qu'on a obtenus de quelques Malais qui trafiquent 
avec eux, qu'on ne peut faire aucun rapprochement positif, soit 
d’après leurs habitudes ou leurs mœurs, soit d’après leur orga- 
nisation. 


Le rameau malais, depuis long-temps mélangé au sang arabe, 


ZOOLOGIE. | 39 
a toujours conservé un type caractéristique, quoiqu'il présente 
quelques variétés assez distinctes. Une des plus remarquables est 
sans contredit celle des Javans. Assemblés naguère en corps de 
nation , les habitants de Java formèrent des états populeux, et 
conservérent, pendant long-temps, lestraditions de l'Inde ; cequi 
nous est prouvé par les ruines d'un grand nombre de monu- 
ments imposants, qui subsistent encore sur cette grande et belle 
ile; par le faste des cours des sultans et des sousounangs ; par les 
objets de leur culte et leurs divers emblèmes. Toutes les îles 
environnantes, d'ailleurs , avant l’arrivée des Portugais dans 
l’Inde, qui date de 1497, malgré les habitudes locales, avaient 
les mêmes formes de gouvernement, suivaient les mêmes cou- 
tumes , se servaient des mêmes titres ; tels étaient surtout lesétats 
de Célèbes, de Tidor, de Ternate, de Soulou, de Bornéo , de 
Sumatra, etc. Java seule paraissait en entier soumise à la même 
race humaine : aussi doit-on, à bien dire, la considérer comme 
colonisée par l'Inde bien avant les autres terres. Mais il n’en 
est pas de même des iles que nous venons de nommer; et 
voilà ce qui explique comment le rameau malais se trouve 
réduit à n'y occuper que le littoral, tandis que l'intérieur est 
peuplé par les plus anciens propriétaires, avec lesquels ils 
ne se sont presque jamais mélés. Cette explication de la ma- 
mière dont les Malais se sont emparés du sol qui leur pa- 
raissait avantageux est tellement satisfaisante, qu'on ne voit ja- 
mais, en effet, qu'ils aient assis leurs Campongs ou villes ailleurs 
que sur les bords des grandes baies, ou sur les rives des fleuves 


1 Les Malais de Banjer- Massin, royaume de Bornéo, suivant sir Raffles, pos- 
sédaient des attributs indiens, tels que les figures d’/Zshwara, des empreintes de la 
vache et de l'éléphant, qui attestent leur ligne primordiale. Ils font descendre leurs 
ancêtres de Johor même, sur la presqu’ile de Malacca, suivant le docte Leyden 
( Trans. bat., t. VIT), qui ajoute que le Javanais pur a les plus grands rapports 
avec le sanskrit. 


4o VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

navigables. C'est principalement à Céram , à Bourou, qu'on peut 
observer l'isolement dans lequel vivent réciproquement les Ma- 
lais et les naturels de l’intérieur, ou les Æ/fourous. Ceux-ci con- 
servent intacte et pure la langue et les usages qui leur furent 
transmis par leurs pères. Leur existence se borne au cercle 
étroit d'un petit nombre d'idées qui leur suffisent; et leurs 
mœurs se ressentent naturellement de cet isolement, et con- 
servent cette férocité de l’homme grossier primitif. 

Dans les iles soumises aux Européens, on conçoit que les 
Malais ont subi des modifications, et qu'ils ont pris, par leurs 
rapports continuels avec divers peuples, et surtout avec les 
émigrations chinoises, des habitudes qui ne leur étaient point 
naturelles. Elles sont en petit nombre toutefois; mais le type 
malais dans toute sa pureté se retrouve dans les iles où il a 
conservé son indépendance, telles que Guebé, Oby, Gilolo ou 
Halamahira , Flores, Lombok, Bali, etc. Cependant, quoique le 
Javanais soit la branche la plus distincte du Malais, on ne peut 
se dispenser de reconnaitre quelques nuances entre l'Æmbotnaïs 
naturel, le Timorien , le Macassar et le Budgis; mais toujours 
est-il vrai de dire que ces caractères sont peu saillants, et ne 
dérangent aucun trait de l'ensemble typique. 

Les Malais, dans tous leurs gouvernements, ont consacré la 
forme despotique des Indiens. La personne de leurs sultans ou 
de leurs Radjahs est sacrée; et la vénération la plus profonde, 
ou une humilité servile, leur prodigue des hommages qui tien- 
nent aux coutumes d'Orient. La perfidie la plus noire, la du- 
plicité, une soif ardente de vengeance, qui naît avec d'autant 
plus de violence sous des lois oppressives, qu'elle est plus con- 
centrée, caractérisent ces peuples : la mauvaise foi malaise est 
aussi célèbre que le fut jadis celle des Carthaginois, et nos re- 
lations sont remplies d'actes d’assassinats et de trahisons des 
Malais, qui ont toujours exercé la piraterie avec un goût dé; 


ZOOLOGIE. : 41 
cidé. Fanatisés par la religion mahométane, dont ils reçurent 
les dogmes, tout en conservant un très-grand nombre de céré- 
monies hindoues, ces peuples ont surtout adopté la polygamie, 
et les préceptes les plus vulgaires du Coran, sans être cependant 
très-rigoristes sur leur exacte observance. En suivant les diverses 
familles éparses de ce rameau, lés usages ne présentent, en 
effet, que très-peu de différences : et si nous examinons leur 
manière de s'habiller, nous verrons partout les chefs richement 
vêtus à l'orientale, tandis que les gens du peuple ne voilent 
une complète nudité que par quelque légère portion d'étoffe. 
Le turban, le sarong, ou une large pagne, composent en grande 
parte tout l'habillement d'un Orang caya, ou d'un homme 
de la classe fortunée. 

Les Malais sont adonnés à la sensualité, et leur Jalousie est 
extrème. Ils ont le cœur avili et corrompu; et les débauches 
auxquelles ils se livrent sont inouïes, au dire de tous ceux qui 
ont été à même d'en dévoiler les turpitudes ; et, sous ce rapport, 
les Chinois et les Japonais sont leurs seuls rivaux. C'est chez 
eux que les analeptiques de toutes les sortes jouissent d'une 
vogue générale, et que se consomment surtout l'opiumi, les tré- 
pangs et les nids d'oiseaux. Un usage qui paraît leur être propre 
est celui de mâcher le betel. Ce sialogue bien connu, et qu'il 
serait inutile de décrire, leur procure des sensations agréables ; 
et ce mélange est un besoin tres-vif pour les deux sexes, qui 
l'ont constamment à la bouche. On retrouve, cependant, l'habi- 
tude de se servir de cet excitant des membranes buccales chez 
les peuples de race noire de la Nouvelle-Guinée et de la Nou- 
velle-frlande ; mais nul doute qu'elle ne provienne de commu- 
mications entre les peuplades les plus voisines et de proche en 
proche. En remontant à la source de cette coutume, on la voit 
naitre dans l'Inde et se propager en Cochinchine. Le Camoëns, 
dans une note de la Lusiade, a décrit le cérémonial suivi à la cour 


Voyage de la Coquille. — 7. Tom. I. 6 


42 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

du Samorin de Calicut, lorsqu'il présenta du betel à Gama ;'cé- 
rémonial qui s'observe encore présentement dans toutes les 
réceptions d'apparat des sultans.et des radjahs. Le betel était 
autrefois, comme de nos jours, l'interprète des sentiments d’a- 
mour;'et c'est par l'offre du Sir qu'une femme malaise décèle 
ses secrètes pensées à celui qui en est l'objet. L'usage du betel, 
au reste, n'a pu naïître que sous l'Équateur et sur lesiles d'Asie, 
là où croissent en abondance et Le pinang ( areca) et le poivre, 
qui, unis à la chaux et souvent au cachou, en fournissent les 
principaux ingrédients. « 

En dernière analyse, il est bien reconnu aujourd'hui par tous 
ceux qui ont le plus étudié l’histoire des Malais que le.rameau 
qu'ils forment tire son origine de la race répandue dans l'Inde, 
et quil est limité entre les 92° et 132° méridiens; que le point 
le plus éloigné où ils se soient avancés à l'Ouest sont les côtes 
de Madagascar, où ils se mélangérent aux Maures, qui y abor- 
daient par le Nord ; en refoulant au Sud les Nègres V’inzimbers, 
maintenant disséminés, et probablement les premiers habitants 
de cette ile immense; qu'ainsi, ils formèrent les populations ri- 
veraines de toutes les iles des archipels de la Polynésie, telles 
que celles de la Sonde et des Moluques; qu'ils se propagèrent 
sur une ou plusieurs des Philippines; et qu'enfin quelques es- 
saims aventurés s'avancèrent Jusque sur les iles des Papous et 
au Nord de la Nouvelle-Guinée, où ils fonderent quelques vil- 
lages, et s'y arrogèrent l'autorité. On trouve, en effet, des 
Malais à Waigiou, aux iles d'Arou et dans le détroit de Dampier ; 
mais ils ne dépassèrent point le 132° méridien, ou, sils le firent, 
ce ne fut qu'accidentellement et sans projets. 

La conformation physique du rameau malais‘est aussi carac- 
térisée que l'ensemble de leurs coutumes, de leurs mœurs et de 
leurs institutions. En général, les hommes de cette race sont 
remarquables par la médiocrité de leur taille et par la couleur 


ZOOLOGIE. 48 


jaune cuivrée , mélangée d'une partie d'orangé, de leur peau‘. Les 
femmes surtout ont des proportions peu développées; et dans 
plusieurs de nos relaches, soit à Amboine, Bourou, Java, Ma- 
dura, et autres lieux, nous ne vimes que peu d’'exceptions à ce 
fait. La taille commune des hommes est, au plus, de cinq pieds 
quatre ou cinq pouces; mais il n’est pas rare d'en rencontrer 
qui aient davantage, et dont les proportions soient robustes. 
Les Malais sont, en général, bien faits, et leur système muscu- 
laire est dessiné avec vigueur. Les femmes ont des formes ar- 
rondies et courtes, des mamelles volumineuses, une chevelure 
rude et très-noire, une bouche très-ouverte, des dents qui se- 
raient très-belles si elles n'étaient pas noïrcies et corrodées par 
le betel. Le caractère des deux sexes est inflammable, irascible, 
porté à la vengeance et à l’artifice, bas et rampant sous le joug 
du plus fort, barbare et sans pitié pour leurs ennemis ou leurs 
esclaves. 

Nous ne nous occuperons pas de la langue malaise, et des 
divers rapprochements qu'il serait possible d'y trouver. L'ou- 
vrage de M. Marsden ne laisse rien à désirer, et prouve que, 
malgré ses divers idiomes, elle est parlée partout avec de très- 
légères modifications locales. Douce, harmonieuse, et simple 


dans ses règles, la langue malaise est pleine de tournures orien- 


5 
tales, et emploie souvent le style figuré. En recevant la religion 
des Arabes et leurs sciences, les Malais adoptèrent les caractères 
de leur alphabet et l'usage d'écrire de droite à gauche; tandis 
que les habitants de Sumatra, les Javanais, et plusieurs autres 
peuples indiens, écrivent, comme les Européens, de gauche à 


droite. 


* M. Bory de Saint-Vincent dit que les membranes muqueuses des Malais ont une 
couleur fortement violette. Ce fait intéressant, que nous avons négligé de vérifier, 
mérite bien de fixer l'attention des voyageurs futurs. 


6. 


G4 ; VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


9. DES OCÉANIENS :. 


La variété de l'espèce humaine que nous nommons ocea- 
nienne est remarquable par sa beauté, relativement aux autres 
rameaux dont nous aurons à parler ensuite; c'est elle qui peuple 
la plus grande partie des iles de l'Océanie proprement dite, et 
que M. Bory de Saint-Vincent a nommée, dans son ingénieux 
travail sur l'/omme , race océanique. Son histoire, dans l’état 
actuel des choses, est satisfaisante à tracer; car le long séjour 
des Européens sur plusieurs des iles de la mer du Sud, les nom- 
breux voyages entrepris dans le but de les explorer, les voca- 
Pulaires qu'on a dressés des mots usités dans la langue de chacune 
d'elles, permettent assurément de s'en former une idée plus 
nette et beaucoup plus précise. Quant à la migration de ces in- 
sulaires, de la source originelle, c'est là le point le plus difficile 
à expliquer; mais les hypothèses doivent se taire devant les faits : 
et puisque tout nous prouve que le cachet hindou est imprimé 
sur les hommes du rameau océanten , il serait absurde de cher- 
cher trop minutieusement à expliquer comment ils se sont ré- 
pandus sur ces terres séparées par de grands espaces de mer, 
et surtout contre la direction habituelle des vents régnants. Ce 
qu'on pourrait dire pour ou contre, sans preuves certaines, 
rentrerait dans le cas de ces nombreuses conceptions, plus ou 
moins ingénieuses, quon peut attaquer et défendre avec des 
armes à peu près égales. 

La race océanienne se trouve occuper des iles séparées les 
unes des autres par d'immenses distances, au milieu du Grand- 
Océan; et son existence est démontrée sur la plus grande partie 
des iles placées au Sud-Est de la Polynésie et à l'Est de l'Australie. 


* Mémoire lu à la Société d'Histoire naturelle de Paris, en novembre 1825. 


ZOOLOGIE. 45 


Les hommes de ce rameau, disséminés sur les iles volcaniques 
ou madréporiques du Tropique du Capricorne ou de la Zone 
tenipérée australe, ne paraissent avoir envoyé dans l'hémi- 
sphère Nord et sous le Tropique du Cancer qu'une seule co- 
lonie, qui a peuplé les iles Sandwich. Les insulaires de cet 
archipel, en effet, ont conservé avec une religieuse fidélité la 
physionomie de leurs pères, tandis que des hommes d’une autre 
race occupent évidemment les Philippines, et les Mariannes, et 
la totalité du vaste archipel des Carolines. 

Les Océaniens, ainsi isolés, se sont répandus, sans éprouver 
que de biens légères modifications, sur les iles des Amis, de la 
Société : plus tard, on les voit s'établir sur les récifs des iles 
basses; et la tradition de cette migration récente se conserve 
encore à Raïatea et à Borabora. Un essaim égaré s'est avancé 
jusque sur l'ile de Paques /Paschà) ‘; mais déja ils étaient fixés 
sur les iles de Mendana, Washington, Mangia, Rorotunga , 


5 
Lady Penrhyn, Sauvage, Tonga, et sur les terres de la Nou- 


5 

velle-Zélande. La moitié environ de la population des Fidjis et 
des iles des Navigateurs appartient à ce rameau, qui s'arrête 
au Nord, d'après nos propres observations, sur l'ile de Ro- 
touma *. Supposer les Océaniens autochthones sur le sol qu'ils 
habitent serait une exagération ridicule que tous les faits 
physiques démentiraient ; car leur établissement sur les iles de 
la mer du Sud doit être d’une époque bien récente, par rapport 


aux âges du monde, et dater, au plus, des temps primitifs | 


’ Les traits, les coutumes et la langue du peuple de l'ile de Päques ont 
la plus grande affinité avec ce qu'on observe dans les autres tles de la mer du 
Sud. FORSTER, t. II, p. 202, in-4°, 2° voy. de Cook. 

? Le capitaine MÉARES ( Voy. à la côte N. O., t. II, p. 360 ) observe que, sur 
les îles Æreewill de Carteret, les habitants, quoique si voisins de la Nouvelle-Guinée, 
ressemblaient aux Sandwichiens, avaient des pirogues construites de la méme 
manière, et parlaient absolument le même langage. 


46 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

de la civilisation Azndoue. L'organisation physique, leurs habi- 
tudes et leurs lois, leurs idées religieuses et la poésie qu'ils ont 
conservées, attestent cette origine; et, quelle que soit la diffi- 
culté d'expliquer la descendance de ces peuples, toujours est-il 
vrai qu'on ne peut soutenir une opinion contraire, sans heurter 
une analogie fort remarquable. Sur les iles de la Polynésie, que 
durent traverser les premières migrations indiennes, lorsqu'elles 
sirradièrent du golfe de Siam et du Cambhoge, devraient 
rester, toutefois, quelques indices de ce passage. C’est ici, il 
faut l'avouer, que cette théorie est en défaut, et que les faits 
nous abandonnent complétement. Peut-être, cependant, les 
Océaniens pourraient-ils être représentés, dans quelques-unes 
de ces iles, par cette belle race d'un blanc jaunatre, mentionnée 
par des auteurs estimables, et qu'un état permanent d'hostilité 
a refoulée dans l'intérieur. Cette question est sans contredit bien 
épineuse; et, quoique nous ne cherchions nullement à la ré- 
soudre, nous soumettons avec confiance le rapprochement qu'il 
est possible de faire de ce passage du savant docteur Leyden, 
concernant les Dayaks, habitants de l'intérieur de Bornéo : « Les 
« Dayaks ont un extérieur agréable, et sont mieux faits que les 
« Malais : leur physionomie est plus délicate; le nez et le front 
« sont plus élevés. Leurs cheveux sont longs, roides et droits. 
« Leurs femmes sont jolies et gracieuses. Ils ont le corps couvert 
« de dessins tatoués. Leurs maisons sont assez grandes pour que 
« plusieurs familles puissent les habiter à la fois, jusqu'à cent 
«personnes. Dans la construction de leurs pirogues, comme 
«pour fabriquer divers ustensiles, les Dayaks déploient une 
« grande adresse. Ils reconnaissent la suprématie de l'Ouvrier 
« du monde, adorent quelques espèces d'oiseaux, font des sa- 
« crifices d'esclaves à la mort d'un chef, conservent les tetes de 
«leurs ennemis, etc., etc.» En un mot, ce tableau, peint à grands 
traits, est entièrement applicable aux Océaniens. 


ZOOLOGIE. 4 


L'opinion la plus probable est donc celle-ci : Des peuples indiens 
et navigateurs, partant du golfe de Siam; s'avancèrent succes- 
sivement d'iles en iles. Ils s'emparèrent des unes, et furent re- 
poussés des autres, qu'occupaient des hommes de race noire. 
C'est ainsi qu'on les voit déja, aux Hébrides et à la Nouvelle- 
Calédonie, se mélanger avec eux, et que, même à la Nouvelle- 
Zélande, où les navigateurs modernes n’indiquent que de vrais 
Océaniens, ceux plus anciens y trouvèrent une espèce hybride ‘. 
Enfin, on suit ce rameau sur les iles des Amis, Vasquez, Ker- 
madec, s'étendant naturellement à l'Est par les Fidjis, les îles 
des Navigateurs, les Roggeween, Palmerston, Scilly, Hervey, 
jusqu'aux iles de la Société; s'irradiant de celles-ci sur les iles 
basses, jusqu à l'ile de Pâques, et, poussé par les vents de Sud- 
Est, se trouvant transporté aux Marquises, à Christmas et aux 
Sandwich ?. Qu'on ne pense point que de telles navigations ne 
soient qu'une fiction. Le hasard et les vents, en chassant au 
large un grand nombre de pirogues, en ont jeté quelques-unes 
sur des terres où leurs tribus ont ensuite été s'établir ; et ces faits 
nous sont clairement démontrés par les expéditions des Caro- 
lins et des Océaniens, qui font annuellement des trajets de 150 
à 200 lieues dans leurs grandes pirogues de mer. Ces embarca- 


5 
tions, d'ailleurs, sont très-propres pour des navigations loin- 


! « MARION (Joy. aux Indes, par Rochon, p. 364) n’a pas été peu surpris de 
« trouver à la Nouvelle-Zélande trois espèces d'hommes tout-a-fait distinctes, des 
« blancs, des noirs et des jaunes. On suppose que les noirs tirent leur origine de la 
« Nouvelle-Guinée, et que ceux à peau jaune descendent des Chinois. » Marion à 
bien pu se tromper : cependant, il est de fait que nous y vimes deux ou trois naturels 
très-bruns, à chevelure laineuse et crépue. 

? TURNBULL ( Joy. autour du monde, in-8°, 1807, p. 160) dit, en parlant 
des Sandwichiens : « Il est assez probable, néanmoins, que la plupart des îles de la 
«mer du Sud ont été peuplées, à diverses époques, par des émigrants chassés de léur 
« pays. Cela expliquerait les rapports de mœurs et de langues entre des contrées qui 
« ne paraissent avoir eu aucune communication. » 


4è VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


taines ; et nous en avons vu qui servaient aux naturels des îlés 
basses pour leurs campagnes habituelles, et dont les emménage- 
ments étaient propres à de longues traversées sur mer sans com- 
muniquer. Bligh, d'ailleurs, a bien pu faire 1200 lieues dans 
: une chaloupe non pontée' 

Le rameau océanien est supérieur à ceux qui forment avec 
lui la population des iles de la mer du Sud, par la régularité 
des traits et par l’ensemble des formes corporelles. Les naturels 
qui lui appartiennent ont, en général, une haute stature et 
des saillies musculaires nettement dessinées, une tête belle et 
caractérisée, une physionomie mâle, sur laquelle s'épanouit 
ordinairement une feinte douceur, ou qui souvent décèle une 
férocité guerrière. Les yeux sont gros, à fleur de tête, protégés 
par d'épais sourcils. La couleur de la peau est d'un jaune-clair, 
plus foncé chez les naturels habitués à chercher sur les coraux 
leurs moyens de subsistance, et beaucoup plus affaibli chez les 
femmes. Les Océaniens ont aussi le nez épaté, les narines di- 
latées, la bouche grande, les lèvres grosses, les dents très- 
blanches et tres-belles, et les oreilles singulièrement petites. 
Les femmes, quoique en général trop vantées, sont, dans l’âge 
de puberté, remarquables par une certaine élégance dans les 
traits , tels que des yeux grands et ouverts, des dents du plus 
bel émail, une peau douce et lisse, une longue chevelure noire, 
qu'elles arrangent diversement , et un sein régulièrement demi- 
sphérique; mais, toutefois, mal faites dans l’ensemble du corps, 
et ayant, comme les hommes, une grande bouche, un nez 
épaté, une taille grosse et ramassée. La teinte de leur peau est, 
d'ailleurs, presque blanche. Les habitants des iles de Mendoce 


* Krusenstern, en parlant des insulaires des Mendoces, s'exprime ainsi : « Les femmes 
« ont la tête belle, plutôt arrondie qu'ovale, de grands yeux brillants, le teint fleuri, 
« de très-belles dents, les cheveux bouclés naturellement, et la teinte de leur peau 


ZOOLOGIE. 49 
et de Rotouma sont, à ce qu'on rapporte, les Océamiens les 
mieux faits : viennent ensuite les Taïtiens, les Sandwichiens, 
les Tonga ; et déja la dégradation de la beauté chez les femmes 
est tres-sensible à la Nouvelle-Zélande, tandis, au contraire, que 
les hommes sont plus robustes et doués de formes plus athlé- 
tiques qu'aucun autre peuple de la même race. 

Si nous suivons chacun de ces peuples insulaires dans l'en- 
semble de leurs habitudes journalières, nous y remarquerons 
l'analogie la plus grande; et chez la plupart d'entre eux, les 
mêmes circonstances se reproduiront avec des nuances, légères 
toutefois, qu'ont amenées l'isolement et les localités ‘. Ainsi, 
placés dans la Zone intertropicale, les habitants des iles Mar- 
quises et des Sandwich ne se servent que de vêtements légers 
et imparfaits, ou ne portent qu'une pagne étroite ou 7nar0 ; 
mais ils savent, comme les Taïtiens, et de même que les in- 
sulaires de Rotouma et des Tonga, fabriquer avec l'écorce de 
l'aouté (Broussonetia papyrifera) une étoffe tres-fine, réservée 
le plus ordinairement aux femmes, et des toiles plus grossières, 
quils retirent du liber de l'arbre à pain ( artocarpus incisa )’. 


«est claire. Les Noukahiviens, ajoute-t-il , sont de haute taille, bien faits, robustes, 
« doués de belles formes, et ayant les traits du visage régulier. » ( Voy. autour du 
monde, de 1803 à 1806, sur la Vadiejeda et la Neva, 2 vol. in-8° et atlas.) 

! Aujourd'hui, cette manière de voir semble être adoptée universellement parmi 
les étrangers. On lit, dans le n° 51 de la Revue de l'Amérique septentrionale, avril 
1826, cette phrase positive : Zn all those particulars, which are considered as 
marking the broad features of the human constitution and character, the 
tnhabitants of Oceania exhibit a striking resemblance. Of no races or tribes 
of men, can it be inferred with greater certainty, that they originated from 
a common stock. (Journ. of a tour round Hawaii, the largest of the Sandwich 
islands; By a deputation from the mission of those islands, Boston, 1825, in-12.) 

2 L'usage de fabriquer un papier vestimental avec des écorces d'arbres est indien; 
et Marco-Polo, dans son langage naïf, s'exprime ainsi, en parlant des habitants de 
l’île de Cipingu, et de la province de Caigui, dans l'archipel des Indes : Z/s sunt 

Voyage de la Coquille, — Z. Tom. 1. 7 


50 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
Comme les naturels des iles de la Société, ils les teignent en 
rouge très-brillant avec les fruits d'un figuier sauvage ( ficus 
ténctoria, Forst.), ou avec l'écorce du morinda citrifolia, et en 
jaune fugace avec le curcuma. C'est avec un maillet quadrilatère 
et strié sur ses quatre faces que tous ces peuples faconnent 
leurs étoffes, en frappant sur les écorces ramollies et invisquées 
avec un gluten. Dans toutes les îles que nous avons mentionnées, 
on retrouve les mêmes procédés de fabrication , ainsi que l’art 
de les enduire d’une sorte de caout-chouc pour les rendre im- 
perméables à la pluie. Certes, de tels rapprochements ne sont 
point le résultat du hasard; ils doivent dériver des arts que pra- 
tiquait naguère la souche de ces peuples, que nous verrons, 
d'ailleurs, rattachés les uns aux autres par des liens de parenté 
encore bien plus forts. | 

Les deux sexes du rameau océanien se drapent avec leurs 
légers vêtements de la manière la plus gracieuse, lorsque la 
température variable leur en impose l'obligation. Souvent les 
femmes jettent sur leurs épaules une large pièce d’étoffe, dont 
les plis ondulent sur le corps et retracent le costume antique. 
Les chefs seuls jouissent de la prérogative de porter le #pouta, 
vêtement qui présente l’analogie la plus remarquable avec le 
poncho des Araucanos de l'Amérique du Sud. Les Nouveaux- 
Zélandais, placés en dehors des tropiques, ont senti le besoin 
de vêtements plus appropriés aux rigueurs de leur climat : ils 
ont trouvé, dans les fibres soyeuses du phormium, une sub- 
stance propre à remplir avantageusement ce but, et leur in- 
dustrie s'est tournée vers la confection de nattes fines et serrées, 
qu'ils fabriquent avec des procédés très-simples, maïs avec une 


jens blances, de beles maineres, e biaus : ils sunt ydules, e se tiennent por 

elz, vivent de mercandise e d’ars, e si voz di quil funt dras des scorses d’ar- 
3 ; q 

OnESE EC AOPENT 47) 


ZOOLOGIE. 51 


grande habileté. Les manteaux dont ils s'enveloppent sont plus 
épais et plus chauds que les nattes, qu'ils roulent simplement 
autour du corps, et qui descendent jusqu'à moitié des jambes ; 
et parfois cet ajustement, chez les chefs, est formé de larges 
bandes de peau de chien , cousues ensemble, et dont le poil est 
en dehors. 

Tous les peuples de l'Océanie ont un goût à peu près égal 
pour la parure. Ainsi, les Taïtiens, les Sandwichiens, aiment à 
se couronner de fleurs ‘; et ceux des iles Marquises et Wa- 
shington ?, de même que les naturels de Rotouma et des Fidijis, 
attachent le plus grand prix aux dents des cachalots ; et cette 
matière, que la superstition rend si précieuse à leurs yeux, est 
pour eux ce que sont les diamants pour un Européen. Les Zé- 
landais et les habitants de l'ile de Paques remplacent les fleurs 
par des touffes de plumes, qu'ils placent dans leur chevelure, 
et passent des bätonnets peints dans les lobes des oreilles. Les 
Rotoumaiens, comme les insulaires des archipels de la Société 
et des Pomotous, quoiqu'un immense espace de mer les sé- 
pare, ont conservé la même coutume de se garantir des 
rayons du soleil avec des visières de feuilles de cocotier *. Aux 
Fidjis, on suit cet usage; et là aussi se fabriquent ces nattes 
fines qui servent de rnaros aux Taïtiens, et qu'on nomme gnatou 


! Les fleurs plus particulièrement choisies par ces naturels jouissent de l'éclat 
le plus vif, ou laissent exhaler les plus suaves odeurs : ce sont surtout les corolles 
de l’hibiscus rosa sinensis, ou celles du Gardenia florida, qu'ils choisissent pour 
tresser des guirlandes, ou pour placer dans les lobes des oreilles’et en recevoir plus 
aisément l’arome. 

? Le groupe des îles Washington fut découvert à la fois par le capitaine français 
Marchand, sur le Solide, et, en mai 1791, par le capitaine américain Ingraham, 
commandant le navire the Hope, de Boston. 

3 Cette coiffure, nommée éschao à Rotouma, #iao à Taïti, est faconnée à l'in- 
stant même où un naturel veut s’en servir. Elle a quelque chose de gracieux sur la 
tête des jeunes gens. 


52 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

aux iles des Amis. Les Océaniens ont tous le goût des frictions 
huileuses, dont ils s'oignent le corps et les cheveux : ceux des 
tropiques emploient l'huile de coco; ceux placés hors de cette 
limite se servent d'huile de phoque ou de poisson. Une remarque 
assez intéressante est relative à cette habitude des femmes des 
Sandwich et de Rotouma de se poudrer les cheveux avec de la 
chaux de corail; et on ne trouve l'usage de se barioler le corps 
de poudre jaune de Curcuma, ou de se couvrir la tête ou la 
figure de poussière d’ocre, qu'aux Fidjis, à Rotouma et à la Nou- 
velle-Zélande. Dans cette dernière ile, l'un de nous a vu pra- 
tiquer un embellissement dont on ne retrouve des traces que 
chez des peuplades éparses au Nord de l'Asie et de l'Amérique, 
et qui consiste à s'appliquer sur le visage de larges mouches 
noires ou bleu de ciel. Comme l'usage de ces fards semble être 
un apanage exclusif du rameau nègre, il est intéressant d'en 
indiquer l'habitude chez quelques peuples océaniens. 

La coutume de porter la chevelure flottante, ou coupée ras, 
est peu caractéristique , et a subi des modifications locales sans 
nombre. Les Taitiens * ont leur chevelure rasée; les Mendocins 
ne conservent que deux grosses touffes, nouées sur les côtés du 
crâne; les Zélandais, les Rotoumaïens, ainsi que la plus grande 
partie des Océaniens, portent cette parure naturelle, tombant 
en boucles ondoyantes sur le cou. 

Un genre d'ornement généralement pratiqué par tous les 
insulaires de la mer du Sud, quel que soit leur rameau, ou océa- 
nien ou mongol, est le tatouage. Ces dessins, que l’art grave 
sur la peau d'une manière indélébile, et qui la revètent et voilent 
en quelque sorte sa nudité, paraissent étrangers à la race nègre, 
qui ne les pratique que rarement, toujours d'une manière im- 


! Le nom de Taïtien, pour nous, est collectif, et comprend les insulaires de Taha, 
Raïatea, Borabora, Eymeo, Maupity, etc., etc. 


3 


Qx 


ZOOLOGIE. 


parfaite et grossière, et qui les remplace par les tubercules dou- 
loureux et de forme conique que des incisions y font élever. 
Cette opération, dont le nom varie, toutefois, chez les divers 
insulaires des grands archipels ‘, ne peut ici nous occuper sous 
le rapport du sens qu'on y attache, soit pour la désignation des 
classes ou des rangs, soit comme ornement de fantaisie ou hié- 
roglyphique. Cependant, le soin et la fidélité que les divers in- 
sulaires apportent à reproduire ces dessins doivent nous porter 
à penser que des motifs qui nous sont inconnus, ou des idées 
dont la tradition s'est effacée, y attachaient un sens. L’analogie 
du tatouage, d’ailleurs, mérite que nous l'examinions chez plu- 
sieurs des peuplades que sépare aujourd'hui l'espace des mers. 
Les insulaires des Pomotous se couvrent le corps de figures 
tatouées ; et déja leurs voisins, les Taïtiens, en ont beaucoup 
moins, et surtout n'en placent jamais sur le visage, et se bornent, 
avec ceux de Tonga, à y dessiner quelques traits légers, tels que 
des cercles ou des étoiles ; mais plusieurs des naturels des Sand- 
wich * et la masse des peuples zélandais et mendocins * ont le 
visage entièrement recouvert de traits, toujours disposés d’après 
des principes recus et significatifs. On conçoit que leur aspect 
doit en acquérir un caractère de férocité remarquable, et que 
cet usage, né du désir d'inspirer une plus grande terreur à l’en- 


Es 
nemi, ou de blasonner des titres de gloire, s'est conservé, par 


! Tatou, Taïti ; Moko, Nouvelle-Zélande ; Chache, Rotouma. Krusenstern dit des 
insulaires de Noukahiva : « Les principaux chefs sont tatoués de la tête aux pieds, et 
«surtout les grands-prêtres. Ils se tatouent le visage et les yeux.» Suivant King: 
« Cette coutume se retrouve aux Sandwich. Les femmes ne sont tatouées qu'aux 
« pieds, aux mains, aux lèvres et aux lobes des oreilles. » 

? KING (5° voyage de Cook ). 

* KRUSENSTERN (t. 1, p. 164) observa à Noukahiva que les femmes n’avaient 
de tatouage que sur les pieds et les mains, comme les gants courts que nos dames 
portaient autrefois , dit-il. À Taïti , les femmes des classes supérieures suivent encore 
le même usage. 


54 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

suite, comme le témoignage de la patience du guerrier à endurer 
la douleur qui accompagne toujours une pratique qui blesse les 
organes les plus sensibles de la périphérie du corps. 

Les femmes, à la Nouvelle-Zélande, comme aux iles Mar- 
quises, se font piquer de dessins à l'angle interne des sourcils 
et aux commissures des lèvres, et souvent sur le menton. En 
général, le tatouage des Océaniens se compose de cercles ou 
demi-cercles, opposés ou bordés de dentelures, qui se rappor- 
tent au cercle sans fin du monde de la mythologie indienne. 
Cependant, celui des naturels de Rotouma diffère assez essen- 
tiellement, puisque le haut du corps est recouvert de dessins 
délicats, de traits légers de poissons, ou autres objets, tandis 
que celui qui revêt l'abdomen, le dos et les cuisses, est disposé 
par masses confuses et épaisses. 

Nous retrouvons dans le paraé ; ornement singulier et em- 
blématique des Taïtiens, destiné anciennement aux cérémonies 
funèbres , la représentation de ce que portent au cou, comme 
un hausse-col, les prêtres des iles Marquises. 

Si nous suivons les insulaires de la mer du Sud dans leur vie 
domestique, nous verrons pratiquer les mêmes coutumes chez 
tous ceux qui vivent entre les tropiques. Tous préparent et font 
cuire leurs aliments dans des fours souterrains, à l'aide de 
pierres chaudes ‘; ils se servent de feuilles de végétaux pour 
leurs besoins divers; ils convertissent le fruit à pain, la chair du 
coco , le taro, en bouillies : tous boivent le kava ou l’ava, suc 
d'un poivrier qui les enivre et les délecte. Avant l'arrivée des 


: Toutes les iles hautes, peuplées seulement par le rameau océanien, possédaient, 
à l'exception de la Nouvelle-Zélande, s’il faut en croire Cook , le cochon de race dite 
de Siam. Cette circonstance en elle-même est assez caractéristique; et c’est bien gra- 
tuitement que quelques personnes pensent que cet animal a pu y être porté par les 
anciens navigateurs espagnols, qui connaissaient ces îles bien avant l’époque historique 
de leur découverte. 


ZOOLOGIE. 55 


Européens dans leurs iles, ces peuples éloignaient de leurs re- 
pas les femmes, qu'ils regardaient comme des êtres impurs, 
susceptibles de souiller leurs aliments. Chacun connait, par les 
voyageurs, l’état de gène, le tabou, que les Océaniens s'étaient 
imposé : et cette prohibition que M. de Chamisso a découverte 
dans les lois de Moïse ne doit-elle pas provenir de la même 
source ?.…. Des productions différentes, un climat soumis à des 
rigueurs inconnues dans les iles précédentes, ont imposé aux 
Nouveaux-Zélandais un nouvel ordre de besoins à satisfaire et 
d'industrie à employer. Ainsi, on retrouve encore la cuisson, 
opérée le plus souvent avec des pierres chaudes. Seulement, ils 
ont appris à faire des provisions d'hiver pour la saison rigou- 
reuse , féconde en tempêtes; et ils ont panifié la racine de fou- 
gere, et desséché le poisson à la fumée. 

Dans la construction de leurs demeures, les Océaniens ont, 
en général , apporté les modifications nécessitées par les régions 
dans lesquelles ils vivent. Vastes, spacieuses, logeant plusieurs 
familles, sans parois closes, telles sont les maisons des insulaires 
des iles de la Société, de Tonga, de Mangia, des Marquises, de 
Rotouma : toutes sont sur un modele à peu près identique. Mais, 
obligés de vivre sur des iles dont les hivers sont intenses et pro- 
longés, que battent des vents tempétueux, les Nouveaux -Zé- 
landais, sans cesse en guerre de tribu à tribu, se sont retirés 
sur des pitons, sur des crêtes aiguës, inabordables ; ont palis- 
sadé leurs Aippahs, et ont construit ras de terre leurs cabanes 
étroites, dans lesquelles ils n’entrent qu'en rampant , et où deux 
ou trois personnes au plus peuvent se retirer. Ces demeures 
n'ont guère plus d'un mètre au-dessus du sol; et les coups de 
vent qui régnent fréquemment dans ces parages respectent 
ces singuliers ajoupas, plutôt faits pour servir de retraite à des 
animaux que pour être l'habitation de l’homme. Chez tous ces 
peuples, soit de race hindoue océanienne, ou mongole, nous 


56 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


voyons des maisons communales, destinées aux assemblées pu- 
bliques ou aux réceptions d'apparat. Partout on remarque 
l'usage de traiter les affaires avec recueillement et dans la po- 
sition assise , et les personnes les plus élevées en dignité se cou- 
chant seules sur des nattes. Dans la plupart de ces iles, les ré- 
ceptions amicales sont pratiquées à la suite d’un long discours, 
et en présentant une feuille de bananier ou un rameau. 

Disséminés sur des iles qui fournissent une nourriture abon- 
dante et facile, les Océaniens de la Zone équatoriale se livrent 
peu à la pêche, tandis que les Zélandais lui empruntent leurs 
ressources pendant l'hiver : aussi, ces derniers y sont-ils habiles, 
et ils ont su faire, avec le phormium, d'immenses filets, abso- 
lument semblables à ceux qu’on fabrique en Europe sous le nom 
de sennes. À Taïti, aux Sandwich, et ailleurs, les cordes sont 
faites de faou, de fara ( pandanus ), ou de pouraou (hébrscus 
tiliaceus ); et nous retrouvons aux iles de la Société ce que le 
général Krusenstern avait remarqué à Noukahiva, l'usage de 
prendre le poisson en jetant sur la mer la semence soporifere 
du taonou { calophyllum inophyllum ). 

Les pirogues ont été, Jusqu'à ces derniers temps, l'objet sur 
lequel les insulaires déployaient toutes les ressources de leur 
industrie. Chez cette race, la forme universellement adoptée est 
caractéristique. Les pirogues simples, creusées dans un tronc 
d'arbre, peuvent se reproduire ailleurs ; mais il n'en est pas de 
méme des pirogues doubles ou accolées deux à deux, qu'on ne 
rencontre nulle part, chez des peuples d’une descendance étran- 
gère aux Océaniens *. Nous vimes à Taïti des pirogues doubles 
qui arrivaient des iles Pomotou : c'étaient de vrais petits navires, 


© Si l’on s’en rapporte à Marco - Polo, les anciennes pirogues de l'Inde étaient 
doubles ( pag. 181): Ælle sunt clauée en tel mainere, car toutes sunt dobles : 
elle ne sunt pas empecé depèce, por ce ge il n’en ont. 


ZOOLOGIE. 57 


propres à faire de longues traversées, et capables de contenir 
des vivres, en proportion déterminée, pour l'équipage, qui est 
logé dans une banne en bois, solidement tissée et disposée sur 
le tillac. La coque de chacune des deux pirogues est calfatée 
avec soin, enduite de mastic; et de forts madriers, solidement 
liés, les unissent. Leur gouvernail est remarquable par un mé- 
canisme ingénieux, que nous ne pouvons point indiquer ici. 

Ces pirogues étaient anciennement, chez les Taïtiens, dé- 
corées de sculptures, qu'on retrouve encore aujourd'hui sur 
les embarcations sveltes des Nouveaux-Zélandais. Ces reliefs, 
débris des arts traditionnels que ces peuples ont conservés, et 
dont le fini étonne lorsqu'on examine l'imperfection des in- 
struments qu'ils employaient, sont toujours identiques par leurs 
représentations. Îls les négligent depuis que les Européens leur 
ont porté le fer : les idées nouvelles qu'ils ont reçues feront 
bientôt disparaitre les traces de ces ingénieux travaux, qui s'ef- 
faceront avec le sens mythologique qu'on y attachait, et que 
remplace déja, chez plusieurs, une imitation plus ou moins 
grossière de nos arts et de nos procédés. Les pirogues doubles 
sont usitées à Taïti, et dans les archipels voisins, aux Sandwich, 
aux iles Marquises, et jusqu'à Rotouma. Nous ne les avons pas 
vues à la Nouvelle-Zélande ; mais la nature des baïes nécessite 
des embarcations plus maniables. On nous assura, cependant, 
et quelques navigateurs, Cook notamment (p. 283, 1° voyage), 
affirment que ces insulaires s'en sont parfois servis. Toutes 
les pirogues zélandaises ont leur avant surmonté d'une tête hi- 
deuse, tirant la langue, ce qui est chez eux le signe de guerre et 
de gloire ; et l'arrière est terminé par une pièce sculptée, haute 
de quatre pieds, présentant un dieu et des cercles sans fin, dont 
la signification est entièrement symbolique. 

Adonnés à la guerre, comme toutes les tribus dont les droits 


se trouvent renfermés dans la force, la ruse, ou la trahison, 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 8 


58 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


ces peuples ont fabriqué diverses armes, et n’ont jamais manqué 
de les embellir par des reliefs sculptés avec soin. Mais on re- 
marque que l'are et la flèche n'étaient usités que chez très-peu 
d'Océaniens ". Les armes principales, et presque partout iden- 
tiques dans les diverses iles, sont les longues javelines en bois dur, 
les casse-tête sous diverses formes, les haches en basalte ou en 
serpentine, et les frondes. Les instruments d'utilité domestique 
sont également analogues, et consistent partout en petits ta- 
hourets, en vases de bois sculptés, en molettes de basalte pour 
broyer le kava, en nattes tressées en paille, etc., etc. 

Nous ne pouvons, cependant, nous dispenser de rappeler un 
objet fort remarquable, qu'on ne voit que chez les Sandwichiens. 
Il s’agit ici des casques, surmontés d'un cimier, ingénieuse- 
ment fabriqués en paille, et dont la forme est exactement cal- 
quée sur les casques grecs ou romains. D'où ces insulaires ont-ils 
eu la connaissance de ce genre d'ornement? L'ont-ils apporté 
de l'Inde, après qu'Alexandre leur eut montré cette coiffure 
guerrière ? Il serait difficile de répondre à cette question; mais 
il est de fait que les autres Océaniens en ignorent l'usage. 

Si nous fouillons dans les débris des arts qui subsistent encore 
chez les divers peuples répandus dans la mer du Sud, nous y 
distinguerons sans doute quelques disparates; mais nous y re- 
trouverons aussi bien des points d'analogie. En effet, si on exa- 
mine attentivement leurs habitudes, leurs lois, leurs mœurs, 
leurs arts, leur musique, leur grammaire, leur poésie, et même 
jusqu'à l'ensemble de leurs idées religieuses, on sera frappé de 


1 Chez les Taitiens, par exemple, qui se servaient de flèches et de lances, de casse- 
tête, et de frondes en corde de coco pour lancer les pierres. Aux Marquises, une 
tête d'homme est sculptée sur le casse-tête. Il en est de même à la Nouvelle-Zélande. 
Seulement, il paraît que les habitants des îles des Amis avaient recu l'usage des flèches 
des îles Fidjis, qui elles-mêmes l'avaient emprunté aux peuples noirs qui y émigrèrent. 
Voy. Vabillardière, t. T1, p. 108. 


ZOOLOGIE. 59 


l'analogie qui existe entre ces familles d'un même rameau , iso- 
lées sur des terres semées à de si grandes distances les unes des 
autres. L'identité des divers peuples de l'Océanie entre eux, si 
on en excepte les habitants des terres du prolongement d'Asie 
et de la bande des iles Carolines et Mulgraves, sera reconnue 
jusqu'à l'évidence ; nous l’espérons du moins : mais il n’en sera 
peut-être pas tout-à-fait de même pour leur descendance directe 


du continent de l'Inde. Ici, trop de ténèbres couvrent les usages 


primitifs de ces peuples dans les temps reculés, pour ne 
des rapports exacts avec les usages des peuplades actuelles, qui 
sont restées stationnaires dans leurs idées, bornées dans leurs 
ressources, et dont l'industrie n’a point été au-delà de quelques 
besoins et de quelques circonstances usuelles de la vie. Toute- 
fois, de nouveaux points de contact se présentent encore; et, 
soit à la Nouvelle-Zélande, soit aux Tonga, des vestiges remar- 
quables et caractéristiques d'idées hindoues, qu'on ne peut ré- 
cuser, semblent jeter quelque jour sur cette question obscure. 

Tous les Océaniens reconnaissent l'autorité de chefs dont 
les distinctions honorifiques et la puissance se ressemblent dans 
beaucoup d’iles, ou sont plus restreintes dans quelques autres. 
L'hérédité du pouvoir, dans quelques familles privilégiées, qui 
est encore observée religieusement pas les classes inférieures, 
dénote, cependant, bien une source indienne, ou, du moins, 
prouve que ces peuples, en sisolant de la souche commune, 
emportèrent et conservèrent avec eux les idées dominantes de 
leur patrie; qu'habitués à vénérer la caste des brames, leurs 
prêtres ou artkrs ‘ héritèrent de la considération dont ont tou- 
jours joui, chez ces peuples, les ministres de la divinité; qu'en- 
fin, ils respectèrent plusieurs des traditions, en modifièrent 
quelques autres, mais, dans toutes, et quoiqu'elles nous soient 


! Soit qu'on les nomme erë, Marquises; ariki, Taïti, Nouvelle - Zélande, Ro- 


touma ; egt, iles Tonga. 


8. 


Go VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

mal connues, leur conservèrent, pour nous, une physiono- 
mie commune. Cook, Vancouver, Bougainville, Wallis, Furn- 
bull , donnent la mesure du respect dont on entoure les chefs 
aux iles de la Société, des Amis et des Sandwich. Ils possèdent 
les terres et les fruits, ont des vassaux, qu’ils nourrissent et qui 
composent leur cour; tandis que les toutous, derniers débris 
d'une caste de parias, sont regardés comme d'ignobles servi- 
teurs, ainsi que les esclaves pris à la guerre. Les femmes, 
quoique considérées comme des êtres d'un ordre inférieur, 
n'en jouissent pas moins de beaucoup de liberté; et bien qu'il 
leur soit défendu de manger en présence des hommes, dans la 
plupart des iles, toujours est-il vrai qu'elles succèdent parfois 
à leurs maris, et que les enfants héritent d’une considération 
d'autant plus grande, que le rang ou la noblesse du côté de 
la mère est plus pure et plus ancienne. Telles sont les opinions 
des Taïtiens, des Tonga , aussi bien que des Nouveaux-Zélandais. 
Une coutume indienne, singulièrement remarquable, nous 
prouve la force des traditions, et nous fournit un document 
du plus grand poids. Les exemples de veuves qui se brülent sur 
le bücher de leurs époux, pour ne point leur survivre, se re- 
produisent aux iles des Amis et aux Fidjis; et ici, nous ne pou- 
vons nous dispenser, pour éclairer ceux qui douteraient d'un si 
grand rapprochement, de citer le texte même de l’auteur qui 
rapporte ce fait, et qui est d'autant plus croyable, que long- 
temps il séjourna dans les iles Tonga. Ainsi s'exprime Mariner 
(t. IT, pag. 278 ) : « La cérémonie des obsèques du toïitonga : se 
«nomme /angt : ses veuves viennent pleurer près de lui; et, 


? Le toitonga est le grand-prêtre des iles des Amis. Aux îles Marquises, les fu- 
nérailles étaient également célébrées par la mort de trois victimes ( KRUSEN- 


STERN, Joy. 1804). Le sacrifice des veuves s'exécute surtout religieusement aux 
Fidjis ( MARIN ., t. II, pag. 349 ). 


ZOOLOGIE. 61 


«suivant l'ancienne coutume, celle qui tient le principal rang 
«parmi elles doit être étranglée. Son corps est ensuite enterré 
«avec celui de son époux, et souvent des enfants sont massacrés 
«Sur sa tombe. » Ce dernier usage se retrouve aussi bien aux 
Tonga, aux Fidjis, qu'aux iles de Rotouma et de la Société ; et à la 
Nouvelle-Zélande, les mânes des chefs sont honorés par des holo- 
caustes sanglants, et par la mort de sept ou huit esclaves, ou 
méme plus, immolés sur leurs tombeaux. L'histoire ancienne 
nous représente souvent les funérailles de ses héros célébrées 
par le trépas des prisonniers de guerre; et ce n'est pas sans 
quelque étonnement que de telles coutumes nous sont offertes 
aujourd'hui par des peuples dans un état de demi-civilisation, 
et qui les ont conservées, à travers un laps considérable de 
temps, par la simple tradition orale. 

Déja, l'identité des Océaniens avec les Indiens, leurs an- 
cêtres, a été reconnue d'abord par Forster, puis par un auteur 
français, peu connu, qui s'exprime ainsi : « Les naturels des iles 
«de la Société et des Amis, etc., par le respect et les attentions 
«qu'ils conservent pour les corps des morts, pendant un assez 
«long espace de temps, peuvent avoir recu, dans l'origine, cet 
«usage qui se rapproche beaucoup de ceux des Égyptiens ; car 
«il est fort probable qu'ils sont originaires de la partie méridio- 
« nale de l'Inde, où la doctrine de la métempsycose était établie, 
« depuis un temps immémorial, bien avant que Pythagore en 
«eut puisé la doctrine dans les conversations qu'il eut avec les 
«anciens bracmanes » ( Æist. des peuples sauvages ). Les divers 
rites religieux des Océaniens ont long-temps été un sujet de 
doutes et d'erreurs pour ceux qui cherchaient à les approfondir. 
Ce qu'on en savait était si vague, que, jusqu'à ce jour, il n'était 
pas possible d'en présenter une idée bien nette; et nous sommes 
certainement loin encore de connaitre la filiation de leur 
croyance : il est même probable que les fréquentes communi- 


62 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

cations qu'ils ont actuellement avec les Européens leur feront 
perdre bientôt la tradition de la plupart de leurs opinions et des 
sources d’où elles découlent. Aussi nous ne chercherons point 
à entrer dans de grands détails à ce sujet. 

Les Nouveaux-Zélandais sont les insulaires qui ont le mieux 
conservé les traces de l'antique religion du législateur indien 
Menou, qui consacra les trois principes de Brahma, de Chiven 
et de #ichenou. Les sculptures qui ornent les pirogues des 
chefs principaux ou les palissades de l'Aëppah, représentent 
presque toujours ces trois principes, entourés de cercles nom- 
breux et sans fin, image sans doute du grand serpent Calen- 
gam, qui voulut dévorer le monde et dont Wichenou délivra 
la terre. La figure du centre de ces ornements offre constamment 
le Zngam, attribut qui se reproduit sur d’autres reliefs, et même 
sur des vases. Le fétiche de Jade, qui se porte au cou, repré- 
sente évidemment une figure indienne, et peut-être Chiven ou 
le génie du mal. Enfin, des poésies anciennes, dont le sens mé- 
taphorique n'est plus compris par les habitants d'aujourd'hui, 
semblent renfermer quelques-unes des premières idées mys- 
tiques, sabéennes et bracmanes de leurs ancêtres, que la 
tradition n'a pu sauver de l'oubli. Les Zélandais, comme tous 
les Océaniens, quelles que soient les variations qu'a éprou- 
vées leur théogonie, reconnaissent une trinité. [ls nomment 
Atoua, Akoua, leurs dieux, et pensent que les ames des justes 
sont les bons génies, Eatouas, et que les méchants ne devien- 
nent point meilleurs dans un autre monde, et que, sous l’attribut 
de 7%, ils sont investis du pouvoir de pousser l'homme au mal. 
Malgré des nuances légères, ne retrouvons-nous pas cet en- 
semble de faits dans ce que l’on sait du culte des autres peu- 
plades ? Et soit que Æaroa, brisant la coquille qui le tenait em- 
prisonné, s'en servit pour jeter les bases de la grande terre 
( fenoa nu ), ou l'ile de Taïti, et en composer, avec les parcelles 


ZOOLOGIE. 63 


qui se détachèrent, les autres iles qui l'entourent; soit que 7an- 
galoa (Mariner, t. [l, p. 168) tira le monde (les iles de Tonga) 
de la mer, en péchant à la ligne , partout, chez les Océaniens, 
nous voyons établis une identité de croyance frappante, la divi- 
nisation des ames, l'adoration de plusieurs sortes d'animaux et 
de certaines plantes, la puissance intellectuelle des prêtres, et 
les augures, les sacrifices humains, les Marais, les idoles”, et l'an- 
thropophagie, qui naquit de leurs préjugés religieux, mais qui 
s'est effacée de plusieurs îles abondantes en substances alimen- 
taires, et qui s'est conservée intacte sur celles où la rigueur du 
climat et la pauvreté du sol ont fait sentir le besoin d'une nour- 
riture substantielle ‘. 


! Les Dayaks adorent Deouata, l'Ouvrier du monde, et les mânes de leurs an- 
cêtres : ils vénèrent aussi certains oiseaux, et pratiquent les augures; ce que font les 
Océaniens ( voyez Mémoire sur les idées religieuses des Taïtiens, par LESSON ; 
Ann. marit. et colon., 2° partie, p.209, 1829 ). La religion des Zélandais de la 
partie Nord est assez connue, ainsi que leurs diverses cérémonies. Il n’en est pas de 
même pour ceux de la partie Sud, qui n’ont jamais été visités que très-passagèrement , 
et par des marins le plus souvent peu instruits. Voici quelques renseignements que 
nous nous procurâmes du capitaine £dwardson. On pourra juger comment les mêmes 
idées sont plus ou moins travesties par ceux qui les professent ou plutôt par ceux 
qui les recueillent. 

« Les Nouveaux-Zélandais méridionaux croient qu'un être suprême a créé toutes 
« choses , excepté ce qui est l'ouvrage de leur propre industrie. Cet être est clément, 
«et se nomme Maaouha. Is reconnaissent un bon esprit, appelé Voui-Atou, au- 
«quel ils adressent des prières, la nuit et le jour, pour qu’il les préserve de tout ac- 
«cident. Rowfkoula, l'esprit, aussi nommé Æatoua, gouverne le monde, pendant le 
« jour seulement, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil. L'esprit nocturne est 
« Rockiola, la cause de la mort, des maladies et des accidents qui viennent fondre sur 
« les hommes pendant le temps de sa puissance. Enfin, ils ont encore l’histoire fabu- 
« leuse d’un homme et d’une femme qui habitaient la lune. » Or, la plupart de ces 
idées, nous les retrouvons chez les habitants des îles de la Société. 

2? Les idoles se ressemblent toutes, quant à la forme générale, depuis l’île de Pâques 
jusqu'aux îles Sandwich, Mendoce, et de la Société, etc. Consult. les Voy. de Li- 
sianskoï, de Langsdorf, de Krusenstern, de la Pérouse, etc. 

$ L’anthropophagie est d’origine indienne. Marco-Polo ( p. 186 ) décrit ainsi les 


64 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Les iles de la Société avaient leur paradis, où se rendaient 
les ames heureuses des tavanas, que le dieu, esprit ailé, em- 
portait et purifiait : celles des rnataboles des îles des Amis ha- 
bitaient le délicieux séjour de Bolotou, d'où étaient bannies les 
ames du vulgaire, qui mourait en entier. Les Nouveaux-Zélan- 
dais ont la ferme croyance qu'après la mort, les esprits de 
leurs pères planent sur l’hippah qui leur donna le jour, et se 
rendent à l'Élysée, qu'ils nomment 4ta-Mira, en plongeant dans 
la mer, au lieu nommé Reinga, vers le cap Nord. Ces ames, au 
contraire, errent autour du Pouke-Tapou, ou montagne sacrée, 
et sont éternellement malheureuses, lorsque Les corps qui les 
renfermaient ont été mangés sur le champ de carnage, que leurs 
têtes sont restées au pouvoir des ennemis, et que les cadavres 
sont ainsi privés de l'oudoupa, ou sépulture de leurs pères. A 
ces principes d'une religion corrompue, mais dont l'ensemble 
ne nous est malheureusement que peu connu, à ces restes d’un 
fanatisme barbare, sont liées des idées de sabéisme ; et, dans 
leur croyance, ils placent au ciel quelques-uns de leurs organes, 
qu'ils transforment en météores célestes. Arracher les yeux d'un 
ennemi ’, boire son sang, dévorer ses chairs palpitantes, c'est 


coutumes de plusieurs des peuples qu'il visita : « Lorsqu'ils prennent un homme qui 
«n’est point de leurs amis, et qui ne peut se racheter, ils le tuent, et le font servir 
« à tous leurs parents, comme un régal, et ceste chars d’ome, ont-ils por la meilor 
«viande quil pensent avotr. » Or, c’est ce que pratiquent encore les Nouveaux- 
Zélandais , et, à ce qu'assurent plusieurs navigateurs d’un grand mérite, l'amiral de 
Krusenstern entre autres, ce qu’on remarque chez les habitants des îles Mendoce, 
des Fidjis, de Salomon, des Navigateurs, de la Nouvelle-Calédonie, et ce que prati- 
quaient naguère les Sandwichiens. 

1 TURNBULL rapporte ( pag. 341) qu'à Taïti « lorsque le corps d’un homme, 
«choisi pour servir de victime expiatoire , est déposé sur le Moraï, on lui enlève les 
« yeux pour les présenter au Roi sur une feuille d'arbre à pain. Celui-ci ouvre la 
«bouche comme pour avaler ce qu’on lui offre, et il est supposé en acquérir plus 
«de force et d’adresse. » M. Marsden, dans son Voy. à la Nouvelle-Zélande, observa 
la même coutume; et c’est ainsi que le fameux chef Shongé avait arraché et dévoré 


ZOOLOGTE. 65 
hériter de son courage, de sa valeur, commander à son dieu, 
et, enfin, accroître ainsi la puissance que chaque guerrier am- 
bitionne. Tels sont les fondements du droit de la guerre chez les 
insulaires des Marquises ( Xrusenstern), des Fidjis (à Navihi- 
Levou, Mariner, t. 1, p.335 ), et des Tonga ( Mar, t. I, p. 3338). 

Il serait trop long de rechercher les rapports d'analogie qui 
existent sur les devoirs à rendre aux morts, comme type carac- 
téristique des Océaniens. Leurs prêtres, leurs sacrifices, leurs 
cérémonies funèbres, leurs tombeaux, les arbres de deuil, an- 
noncent une croyance commune. La poésie méme de ces peuples, 
semblable à leur langue, qui ne varie que par l'introduction 
fréquente de mots nouveaux; leur poésie, unie à une musique 
dans l'enfance, mais composée de mesures lentes, de sons graves, 
attestent une civilisation régulière et une méditation bien en- 
tendue du but primitif et religieux de ces deux arts. 

Leur langue, bien que simple en apparence, est riche en 
tournures orientales; et les règles de leur grammaire, générale- 
ment analogues, d'après celles que nous connaissons :, diffèrent 
singulièrement du malais pur, dont le génie est opposé *. Tous 


les yeux de plusieurs de ses ennemis , dans la ferme persuasion qu’il se les appropriait, 
et que le nombre des étoiles qui lui étaient consacrées au ciel s’augmentait ainsi de 
celles des chefs qu'il avait vaincus; car, suivant la croyance de ces peuples, chaque 
œil, après la mort, est une étoile qui brille au firmament. 

‘ A Grammar and Vocabulary of the language of New-Zealand, x vol. 
in-12, 230 pages, 1820. 

Grammaire des iles Tonga, à la fin du tome IT de la relation de Mariner, par 
Martin, édit. orig., 2 vol. im-8°. 

Tahiian Grammar, publiée à Taïti, en 1823, par les missionnaires. 

2 Nous avions écrit ceci bien avant d’avoir connu l'opinion des missionnaires amé- 
ricains qui sont fixés dans plusieurs des îles océaniennes, et qui disent : /t has been 
a theory, in which geographers and philologists have universally concurred,, that 
the Malayan and Polynesian languages were from the same stock, or rather 
that the latter was only a branch of the former. The investigations of the missio- 

Voyage de la Coquille. — Z.: Tom. 1. 9 


66 _ VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


ceux qui lisent attentivement les Voyageurs, et qui mettent de 
côté les variantes que chacun d'eux, suivant sa langue mater- 
nelle, apporte dans la manière d'écrire les mots, ou de rendre 
des sons par des lettres, reconnaissent qu'une identité palpable 
de langage règne entre tous ces insulaires épars et semés sur le 
Grand-Océan, dans les limites que nous assignons aux Océa- 
niens. Îls savent qu'un Taiïtien peut être entendu aux îles Mar- 
quises , ceux-ci aux Sandwich, et un naturel de ces dernières îles 
à la Nouvelle-Zélande. Cependant, on concoit qu'une terre placée 
hors des tropiques, et, par conséquent, n’offrant pas les mêmes 
productions, a du nécessiter de nouveaux termes pour les pein- 
dre, ou pour les exprimer. 

Ne sait-on pas, d'ailleurs, qu'une sorte de dialecte, conservée 
par la classe supérieure, et consacrée aux traditions anciennes, 
permet aux artkis de se comprendre entre eux, tandis que le vul- 
gaire en ignore les règles, que les prètres et les chefs trans- 
mettent intactes à leurs enfants? Il serait facile de donner de 
longues preuves de ceci, pour compléter nos idées; mais nous 
les croyons superflues : et d’ailleurs, les relations journalières 
des Européens avec ces peuples en altèrent singulièrement la 
langue vulgaire ; et, déja corrompue, celle-ci, dans quelques 
années, présentera sans doute un grand nombre de nos déno- 
minations introduites dans les iles, où l'influence des voyageurs 
d'Europe est permanente. Dans toutes ces contrées, on retrouve 
les noms communs de faro, pain; tané, homme; wahine, ou 


naries have shown this theory to have no foundation in fact, and that few lar- 
guages are more diverse in their radical principles. La langue océanienne ( les 
auteurs anglais la nomment polynésienne), composée d’un si grand nombre de voyelles, 
qu'il est rare que chaque mot ne soit pas terminé par une d'elles, leur paraît être 
neuve, curieuse et spéciale : ils adoptent l'existence de cinq dialectes, qui sont le 
hawaien, le taitien, le marquisin, le nouveau-zélandais et le tongatabou ( the 
North American Review, avril 1820 ). 


ZOGDOCHE 0. | 67 
fafiné, femme; motou, ile; mataou, hamecon; mate, mort, tuer 
(mot d'origine hébraïque), et tant d'autres, qu'il serait aussi 
fastidieux qu'inutile de rappeler ici. 

Pourquoi cette identité de noms et de coutumes se retrouve- 
t-elle de la Nouvelle-Zélande aux iles Sandwich ? des Marquises 
à Rotouma ? tandis que les insulaires de cette longue bande 
de terres presque noyées, connues sous la dénomination vague 
d'iles Carolines, parlent un autre langage, ont des mœurs dif- 
férentes, un type autre ? C'est que les Océaniens, émigrés à une 
époque plus ancienne des rivages de l'Inde, habitèrent les pre- 
mières terres hautes de l'Océanie; et que les Carolins, venus 
plus tard et rameau isolé de la grande famille mongole, n'ont 
pris possession, en partant des mers de Chine, que des iles plus 
récentes sur l'Océan, qui les confinait au Sud-Est. 


3. DES GAROLINS ( iameau Mongol-Pelagien ). 


Si les faits abondent pour caractériser le rameau océanien, 
il n'en est pas de même pour isoler et décrire celui que nous 
nommons mongol-pelagien , qui, jusqu'à ce Jour, avait été con- 
fondu avec le premier. Les Carolins, cependant, diffèrent des 
Océaniens par l’ensemble de leur organisation et de leurs ha- 
bitudes ; et des rapports généraux servent à réunir les divers 
groupes de cette famille, qui s'est avancée de l'Est à l'Ouest 
jusqu'au 172: degré de longitude orientale et jusqu'à l'équateur, 
sans dépasser ces deux limites dans le Grand-Océan. A en juger 
par les figures et par les descriptions des voyageurs, on doit 
penser que ce rameau peuplait primitivement les iles Philip- 
pines, Mindanao, les Mariannes; qu'il s'est répandu de quel- 
ques-unes des terres hautes des Carolines sur les longues chaines 
d'iles basses qui les entourent, et qu'il s'arrêta aux archipels de 
Radack, de Mulgrave et de Gilbert, ou iles du Scarborough. 

(9E 


68 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Déja, dans un parallèle des insulaires d'Oualan * avec ceux des 
iles Pelew, si bien décrits par Wilson ?, nous avons indiqué Fana- 
logie parfaite qui existe entre ces deux peuples, séparés par une 
distance de plus de 500 lieues ; et nous savons par les récits du 
savant de Chamisso *, et surtout par ceux de son ami Kadu , que 
ces peuples, navigateurs par excellence, se trouvent souvent 
transportés par les moussons des archipels de Lamursek, par 
exemple, jusqu'à Radack. Comme nous avons suivi avec notre 
corvette ces nombreuses bandelettes de terres découpées et à 
fleur d'eau, en communiquant journellement avec leurs habi- 
tants, il nous a été facile de les comparer avec les autres insu- 
laires de l'Océanie proprement dite. Ne doit-on pas être étonné 
que ces naturels aient été confondus, jusqu'à ce jour, avec les 
Océaniens, dont les éloigne une foule de caractères ? Aussi, en 
attribuant leur origine à la race mongole, nous obéissions à 
notre conviction intime, lorsque des recherches subséquentes 
nous prouvèrent que cette idée n'était point neuve, et que déja 
le Père Charles le Gobien ‘ l'avait formellement exprimée dans 
le passage que nous citons textuellement ( p. 45 et suiv.) : « On 
«ne sait en quel temps ces iles ( es Mariannes) ont été habitées, 
«mi de quel pays ces peuples tirent leur origine. Comme ils ont 
«à peu près les mêmes inclinations que les Japonais et les mêmes 
«idées de la noblesse, qui y est aussi fière et aussi hautaine, 
« quelques-uns ont cru que ces insulaires venaient du Japon, 


! Notice sur Oualan, par R.-P. LESSON ( Journal des voyages, cahiers de mai 
et juin 1825.) 

? An account of the Pelew islands, by GrorGr KEATE, Lond., 1803. 

+ Remarks and opinions of the naturalist of the expedition (von CHAMISSO ). 
Tomes II et III (2 Joy. of discov., by von KOTZEBUE ). 

Histoire des isles Marianes , nouvellement converties à la religion chrétienne, ete., 
par le Père CHARLES LE GOBIEN , de la Compagnie de Jésus; 2° édit., in-12, 


Paris, 17017. 


ZOOLOGIE. 69 
«qui n'est éloigné de ces iles que de six à sept journées. Les 
«autres se persuadent qu'ils sont sortis des Philippines et des 
«iles voisines, parce que la couleur de leurs visages, leur langue, 
«leurs coutumes, et leur manière de gouvernement, a beaucoup 
«de rapport à celui des 7agales, qui étaient les habitants des 
« Philippines, avant que les Espagnols s'en fussent rendus les 
«maitges. [l y a bien de l'apparence qu'ils tirent leur origine et 
«des uns et des autres, et que ces îles se sont peuplées par quel- 
«ques naufrages des Japonais et des Tagales, qui y auront été 
«jetés par la tempête. » Le même missionnaire, en parlant des 
Carolins qui aborderent à Guam en 1696, ajoute ( pag. 404) 
qu'ils approchaient, par la ressemblance, des habitants des Phi- 
lippines , mais que leur langage était différent. 

Nous ne pouvons nous dissimuler, cependant, la difficulté 
qu'il y a de grouper les habitants des diverses chaines, depuis 
les iles Pelew jusqu'aux Mulgraves, par le peu de renseignements 
qu'on a sur ces iles. Les seuls guides qu'on puisse consulter pour 
cet objet sont Wilson, pour les iles de Palaos; de Chamisso, 
pour les Carolines, et surtout pour la chaine de Radack; nos 
propres observations sur Oualan, et celles des premiers mission- 
naires sur l'ensemble de ces archipels ". Quoique l'histoire de 
ces peuplades ait été un peu éclaircie dans ces derniers temps, 
ce que nous savons de leurs idées religieuses, de leurs coutumes 


fondamentales et du génie de leur langue, est encore si vague, 


5 
qu'il serait au moins prématuré d'essayer d'en tracer un tableau 
définitif. 

Il paraitrait, suivant le récit du Père Cantova, que des hommes 


de diverses races, surtout des nègres, auraient, de son temps, 


! La relation historique du capitaine de Freycinet, dont les premières parties 
viennent d'être publiées, renfermera aussi de nombreux documents, qui nous au- 
raient été fort utiles, mais qui n’ont point encore vu le jour. 


70 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

existé parmi les Carolins. Aussi M. de Chamisso ( Joy. de Kot- 
zebue, t. LL, p. 190) pense que des Papous des contrées placées 
au Sud ont abordé sur ces iles, s'y sont mélangés, et que des 
Européens, tels que Martin-Lopez et ses compagnons, ont bien 
pu les fréquenter souvent dans le cours de leur navigation. 
Enfin, ce savant ajoute : La race de ces insulatres est la méme 
que celle qui peuple toutes les iles du Grand-Ocean ; manaère de 
voir en opposition directe avec l'opinion que nous cherchons à 
faire prévaloir dans cet apercu, mais qui nous démontre, d'un 
autre côté, qu'il ne voyait, parmi les habitants de toutes les 
Carolines, aucune différence, et qu'il trouvait dans la généralité 
de leurs habitudes physiques et morales la plus grande ana- 
logie. 

On peut reconnaitre, dans la manière dont les iles Carolines 
ont été peuplées, deux migrations qui ont eu lieu à des temps 
divers et séparés. D'abord, les terres hautes recurent des co- 
lonies qui ne s’étendirent que successivement et plus tard sur 
les terres basses. Ces colonies sont certainement venues des côtes 
du Japon ou des archipels chinois ; car les vents y poussent fré- 
quemment des navigateurs de ces mers : et dès 1648, pendant 
le séjour des premiers missionnaires espagnols à Guam, un 
Chinois, nommé Choco, s'y fixa, après y avoir été jeté par un 
naufrage. Les moussons régulières d’ailleurs, et les typhons des 
mers placées à l'Occident, enlèvent souvent des insulaires des 
archipels de l'Ouest , et les transportent sur les côtes des iles qui 
sont placées à l'extrémité orientale du système entier de ces 
terres. De la nécessité de vivre sur des iles basses et comme 
noyées, 1l résulte que les habitudes des Carolins ont été en- 
üèrement dirigées vers la navigation : aussi ces peuples y sont:ls 
habiles, et c'est avec le plus grand art qu'ils manœuvrent leurs 
pros élégants et légers ; qu'ils se dirigent à l’aide des astres et de 
la boussole. Mais, quoique leurs connaissances pratiques soient 


ZOOLOGIE. 71 


très-étendues, beaucoup de ces insulaires, surpris par les oura- 
gans qui règnent à certaine époque de l’année, périssent dans 
leurs voyages, ou voguent au hasard, jusqu'à ce que leurs pro- 
visions soient épuisées, ou qu'ils trouvent un refuge sur quel- 
ques plateaux de récifs, que déja la végétation a envahis, et 
dont ils deviennent alors les premiers colons. 

En longeant les chaînes nombreuses des iles Carolines jus- 
qu'aux archipels de Marshall, nous n'apercümes que de légères 
nuances dans la physionomie générale et les habitudes des insu- 
laires de chaque groupe d’iles, qui, comparés les uns aux autres, 
présentaient tous les rapports les plus évidents. Lorsque, dans 
notre traversée de la Nouvelle-Zélande à l'équateur, nous eumes 
laissé derrière nous, et par conséquent au Sud, l'ile de Rotouma, 
où nous observames les derniers Océaniens, nous remontâmes 
au Nord, en suivant une ligne oblique sous les 74° et 72° mé- 
ridiens. Après avoir atteint les iles du Grand-Cocal et Saint- 
Augustin, nous ne cessimes plus ensuite d’avoir en vue les 
chaines d'iles basses et à peine élevées au-dessus de la mer, de 
Gilbert, de Marshall, de Mulgrave. Chaque jour, nous commu- 
niquàämes avec les naturels qui les habitent, et dont la pauvreté 
nous attesta le peu de ressources de ces récifs, et combien l'in- 
dustrie des habitants devait suppléer aux privations diverses 
qui tourmentenñt leur existence. 

Le 15 mai 1524, des pirogues que montaient des naturels de 
l'ile de Xingsmill, vue en 1799 par le Nautilus, vinrent com- 
muniquer avec la corvette la Coquille. Ces hommes étaient 
d'une taille assez élevée, quoique ayant des membres grêèles; la 
couleur de leur peau était d'un jaune cuivré, assez foncé, et 
différait, par cette teinte, du jaune-clair des Carolins de l'Ouest. 
Leurs pirogues étaient faites sur le même modèle que les pros; 
mais le manque de bois de certaine dimension avait nui à leur 
exécution. Ces insulaires portaient un poncho, fabriqué avec 


72 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

des nattes, et nous avons retrouvé cet ajustement chez les Chi- 
liens indigènes et chez les Araucanos d'Amérique, comme chez 
tous les Carolins indistinctement; sa forme caractéristique se 
reproduit dans le #pouta, ou vêtement des chefs des Océa- 
niens. 

Les jours suivants, nous communiquâmes avec les iles de 
Blaney, Dundas, Hopper, Woodle, Hall, Mulgrave, Bonham, etc. 
Leurs habitants nous présentèrent la plus grande ressemblance; 
mais tous paraissaient plongés dans un état de misère que nous 
ne vimes point chez les Carolins orientaux. Leur corps, couvert 
de cicatrices, attestait des hostilités fréquentes. Ils parlaient 
avec une telle volubilité, que nous ne pumes saisir aucun mot 
de leur langue ; mais, du reste, nous retrouvames, dans la forme 
de leurs pirogues et dans leur tactique pour les évoluer, dans 
les instruments qu'ils nous montrèrent, les mêmes principes et 
la plus grande analogie. Plusieurs de ces insulaires étaient coiffés 
avec des chapeaux de forme chinoise, faits avec des feuilles de 
vaquois, et tous portaient des ornements divers, fabriqués le 
plus ordinairement avec des tests de coquilles. À mesure que 
nous nous avançames à l'Ouest, il nous sembla que la teinte 
foncée de la peau diminuait d'intensité, et qu'elle affectait une 
couleur jaune plus pure : ce qui pourrait tenir à ce que les uns 
sont sans cesse occupés sur les récifs des lagons à la pêche, qui 
les fait vivre, et que les autres habitent des iles basses sur les- 
quelles s'élèvent des forêts nourricières de cocotiers, qui les 
ombragent. Nous continuâmes à longer l'ensemble des iles que 
peuple le rameau mongol-pélagien, ou les Carolins; et nous 
pumes ainsi compléter nos idées sur les points de contact de 
tous ces insulaires, et puiser des documents dans nos commu- 
nications journalières avec les naturels de Pénélap, de Taka, 
d'Aouera, de Doublon ou Hogoulous, de Tamatam, et de Sa- 
taoëlle. Voici le résultat de ce que nous avons vu et ce que 


ZOOLOGIE. 75 
rapportent , à ce sujet, les voyageurs et les premiers Européens 
qui s'établirent aux Mariannes. 

Nous ne pourrions reconnaitre les anciens habitants des iles 
Mariannes dans ceux d'aujourd'hui, dont le sang est mêlé au 
sang espagnol. À plus forte raison, il nous serait fort difficile 
d'établir l’'analogie qui peut exister entre eux et les Carolins, 
maintenant que des principes divers dus aux Européens, et une 
nouvelle religion, ont changé leur physionomie originelle. Nous 
sommes donc forcés de recourir aux auteurs qui les premiers 
les ont décrits, lorsque leurs iles furent découvertes. Mais, il faut 
l'avouer, les lumières que-nous en tirons sont un peu vagues; 
et les religieux qui traçaient l'histoire de ces peuples préféraient 
s'étendre sur le nombre de leurs néophytes que sur leurs usages 
et leur physionomie. Cependant, le Père Le Gobien dit, p. 46, 
en parlant des Mariannais : « Ces insulaires sont basanés, mais 
«leur teint est d’un brun plus clair que celui des habitants des 
«Philippines. Ils sont plus forts et plus robustes que les Euro- 
«péens. Leur taille est haute, et leur corps est bien propor- 
«tionné. Quoiqu'ils se nourrissent de fruits et de poissons, ils 
«ont tant d'embonpoint, qu'ils en paraissent enflés : ce qui ne 
«les empêche pas d'être souples et agiles. Ils vont nus. Les 
« hommes se rasent la chevelure, et ne conservent, sur le haut 
«de la tête, qu'une mèche, à la manière des Japonais. Leur 
«langue a les plus grands rapports avec la tagale des Philip- 
«pines. Ils ont des histoires et une poésie, qu'ils aiment beau- 
«coup. Il y a trois états parmi ce peuple : la noblesse, le peuple, 
«et une condition médiocre. La noblesse est d’une fierté in- 
«croyable; elle tient le peuple dans un abaissement extrême. 
«Les Chamorris, c'est ainsi qu'on les nomme, ne veulent pas 
«souffrir de mésalliance d’un membre de leur ordre avec quel- 
«qu'un d'une autre classe. Les canots dont ils se servent pour 
«pêcher et pour aller d'une ile à l'autre, sont d'une légèreté 


Voyage de la Coquille. —Z. Tome I. 10 


74 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
«surprenante, et la propreté de ces petits vaisseaux ne déplairait 
«pas en Europe. Ils les calfatent avec une espèce de bitume et de 
«la chaux, qu'ils détrempent dans de l'huile de coco, etc., etc.» 
Cette esquisse rapide est entièrement celle que nous pour- 
rions tracer des naturels de Oualan, placé au milieu des Caro- 
lines, où nous avons séjourné ; et la plupart des observations 
puisées dans cette ile coïncident d’une manière étonnante avec 
celles que nous possédons sur les Carolins occidentaux ou les 
habitants de Pelew, d'après Wilson. M. de Chamisso, à ce sujet, 
s'exprime ainsi : « Le peuple des Mariannes, suivant le Frère 
«Juan de la Concepcion, ressemble aux Bisayas aussi bien par 
«la physionomie que par le langage, et n'en diffère que par 
«des nuances diverses. » En parlant des peuples qui habitent 
ce que ce savant voyageur a désigné par sa première province, 
M. de Chamisso nous fournit une excellente peinture du groupe 
entier des Carolines; et nous ne concevons pas comment il se 
fait qu'il ait pu, au milieu des traits de rapport et d’'analogie 
qu'il reconnait dans cette famille, ne pas distinguer combien 
elle s'éloigne des insulaires de l'Océanie proprement dite. « Nous 
« pensons, disait-il, que ses dialectes sont moins simples que 
«ceux de la Polynésie orientale; et nous trouvons dans leurs 
«habitants un ensemble de nations, qui sont diversement liées 
« par les mêmes arts et par les mêmes manières, par une grande 
«habileté dans la navigation et dans le commerce. Ils forment 
« des populations paisibles et douces, n'adorant aucune idole, 
«vivant sans posséder d'animaux domestiques, des bienfaits de 
«la terre, et seulement offrant à d'invisibles dieux les prémices 
«des fruits dont ils se nourrissent. Ils construisent les pirogues 
«les plus ingénieuses, et font des voyages lointains à l'aide de 
«leurs grandes connaissances des moussons , des courants et des 
«étoiles. Mais, malgré les rapports frappants de ces diverses 
«tribus, elles parlent plusieurs langues. » Ce premier examen 


ZOOLOGIE. 75 


nous démontre donc une ressemblance incontestable de ces in- 
sulaires entre eux ; il ne nous reste plus qu'à en résumer les 
caractères généraux. 

La physionomie des Carolins, qui composent notre rameau 
mongo-lpélagien, estagréable ; la taille des individus est commur- 
nément moyenne; leurs formes sont bien faites et arrondies, mais 
petites: quelques chefs seuls nous ont paru d'une stature élevée. 
Leur chevelureesttrès-noire, la barbe ordinairement gréleetrare, 
quoique, cependant, divers naturels nous l’aient montrée épaisse, 
rude et touffue. Le front est étroit, les yeux sont manifestement 
obliques, et les dents très-belles; ils ont une certaine gravité 
dans le caractère, au milieu même de la gaité des jeunes gens. 
Leur peau jaune-citron est plus brune lorsqu'ils vivent sur les 
récifs non boisés, et beaucoup plus claire chez les chefs. Les 
femmes sont assez blanches, ont des formes potelées, et géné- 
ralement grasses; le visage est élargi transversalement, le nez 
un peu épaté, Leur taille est courte, et les filles nubiles l'ont 
souvent très-bien faite. 

De méme que tous les insulaires qui vivent sur les terres 
placées entre les tropiques, les Mongols-Pélagiens ne portent 
pour tout vêtement qu'une étroite bande d'étoffe, qui leur ceint 
le corps; ou, parfois ils jettent sur les épaules deux morceaux 
de nattes tissées, cousues aux deux bouts, mais non au milieu 
où ils passent la tête : ce qui constitue le véritable poncho des 
Araucanos; et nous dirons en passant, d’ailleurs, que d’autres 
traits de ressemblance ont même fait présumer à quelques au- 
teurs que les peuples du Chili, dont nous parlons, dérivaient. 
de la même source. On sait, du reste, que plusieurs savants 
s'accordent à dire que des Mongols ont également peuplé une 
grande portion de l'Amérique’. Quoi qu'il en soit, une autre 


‘ Il faut avouer que, parmi toutes les opinions émises sur les migrations des Mon- 
10. 


76 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


partie de leur ajustement, dont on ne suspectera pas l'origine, 
est le chapeau, de forme entièrement chinoise, fait de feuille 
de pandanus, dont ces insulaires se servent pour se garantir 
de la pluie ou de l'action du soleil : nous le remarquâmes par- 
ticulièrement chez les habitants de l'ile de Sataoëlle (Tucker 
de Wilson), d'Hogoulous ou Doublon, d'Aouerra, etc.; et à 
Oualan , un chapeau chinois, fait de coquilles enfilées, artiste- 
ment travaillé, sert à distinguer les pirogues des chefs. Cepen- 
dant, nous retrouvames aussi cette forme de chapeau chez les 
Papous de la Nouvelle-Guinée; et ceux-ci ont du la recevoir des 
marchands chinois, qui étaient dans l'habitude de trafiquer sur 
ces côtes, il n’y a pas encore un demi-siècle. 

Nous regardons comme une industrie essentiellement propre 
à ce rameau la confection des étoffes. Tous les Océaniens em- 
ploient, pour leur fabrication, des écorces battues et amincies 
sous forme de papier; les Carolins, au contraire, se servent 
d’un petit métier, seul débris des arts de leurs pères, pour as- 
sembler les fils et composer une toile par un procédé et par des 
instruments parfaitement analogues à ceux dont se servent les 
Européens. On ne peut, en voyant ces tissus formés de fils 
soyeux de bananier, teints en jaune, en noir, ou en rouge, en- 


gols en Amérique, plusieurs sont appuyées par des observations si judicieuses, qu’on 
ne peut se refuser à admettre un tel rapprochement. Par exemple, M. Auguste de 
Saint-Hilaire, dans l'aperçu qu'il a donné de son voyage dans l’intérieur du Brésil 
(Ann. du Muséum, t. IX, 1823), fait cette remarque : « Les Botocudos, souvent 
«presque blanes , ressemblent plus encore à la race mongole que les autres Indiens. 
« Quand le jeune homme de cette nation qui m’a accompagné vit des Chinois à Rio- 
« Janeïro, il les appela ses oncles; et le chant de ce dernier peuple n’est réellement 
«que celui des Botocudos extrêmement radouci. » On trouve aussi une grande si- 
militude dans les coutumes ; et c’est ainsi que les Botocudos, comme les Carolins, 
se percent les oreilles et la lèvre inférieure, pour y placer des bâtonnets, dont ils aug- 
mentent, chaque jour, le diamètre , de manière à donner à ces parties une extrême 
dilatation, etc., etc. 


ZOOLOGIE. 77 
trelacés sur un métier élégant, ornés de dessins qui annoncent 
du goût, que faire remonter la source d'un art ainsi perfec- 
üuonné à une race plus anciennement civilisée, et depuis long- 
temps établie en corps de nation. Pourquoi, d’ailleurs, les Ca- 
rolins n'ont-ils jamais eu recours à l'écorce de l'arbre à pain, si 
commun sur la plupart de leurs iles, et quils n'avaient qu'à 
battre avec un maillet pour la convertir en étoffe ? Cela tient à 
ce qu'ils ont retenu par [a tradition les principes d’un art très- 
perfectionné dans leur patrie primitive, et que leur industrie 
a su en conserver l'usage, pour confectionner les seuls ajuste- 
ments réclamés par le climat qu'ils habitent. 
Le tatouage, diversement nommé suivant les iles, nous parait 
aussi particulier à ces peuples, et, quoique nous n'y attachions 
pas une grande importance , nous le trouvons, cependant, par- 
tout à peu près identique, par sa distribution générale, c'est-à- 
dire, qu'il est placé par larges masses sur le corps, et que, chez 
divers insulaires, il couvre le tronc en entier, en formant ainsi 
une sorte de vêtement indélébile, mais arbitraire par les détails. 
Le genre de vie des Carolins, chez ceux dont les habitudes 
sont bien connues, diffère peu de celui des Océaniens. Ce sont 
les mêmes productions qui servent aux mêmes usages; et, sur 
les iles les plus fertiles, le fruit à pain à châtaignes ( a. incrsa, 
var. à semences ), le cocotier, le taro et la pèche en font tous 
les frais. Seulement, ceux qui vivent sur les iles basses, où leurs 
moyens d'existence sont très-restreints, sont obligés de recourir 
parfois aux fruits demi-ligneux du pandanus. Partout existe la 
méthode de cuire les aliments dans des fours souterrains, de 
composer des bouillies avec les bananes, la pulpe du rima et 
le coco. Enfin, nous retrouvâmes à Oualan l'usage de boire 
de l’ava après le repas ; mais cette boisson, nommée schraka, 


* Les Chiliens et les Péruviens ont conservé l'usage de composer des breuvages 


78 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

au lieu d’être faite avec les racines du poivrier, comme chez les 
Océaniens, est obtenue des feuilles, qu'on broie avec une mo- 
lette en pierre dans des vases en bois. 

Il paraît que les fibres qu'ils retirent d'un Musa, analogue 
au Musa textilis des Philippines, qui fournit l'abaca, étaient 
obtenues des Mariannais, de la même espèce de banamier, sous 
le nom de balibago, et que tous faisaient des étoffes, et s'en 
servaient. Les habitants de Pelew et les Mariannais étaient nus, 
d'après M. de Chamisso : et le Père Gobien; mais ils savaient 
également confectionner ces étoffes, puisqu'on lit dans son His- 
toire des Mariannes ( pag. 58) cette phrase remarquable : « Les 
« femmes mariannaises ajoutent à toutes ces parures de certains 
«tissus de racines d'arbres, dont elles s’habillent les jours de 
« fête : ce qui les défigure fort. » 

Les ornements que ces divers insulaires recherchent, quoique 
variables de leur nature, sont assez caractéristiques pour ces 
peuples. Ainsi, tous présentent un goût décidé pour entrelacer 
des fleurs rouges d’ixora dans les cheveux, ou des feuilles odo- 
rantes, et des spadices d’arum dans les oreilles : ces parties ont 
toujours le lobe fendu d'une manière démesurée ; et depuis les 
iles de Palaos jusqu à la chaine de Radack, on observe la coutume 
presque générale de placer dans cet organe, graduellement, 
des morceaux arrondis d'un bois léger, peint en jaune avec le 
curcuma, et dont on augmente sans cesse le diamètre. Mais 
cette mode, ainsi que celle de se couvrir d'habitude la lèvre 


enivrants avec le schinus molle et le maïs, qu'ils appellent #ava et schicka : c'est 
ainsi que nous les avons toujours entendu nommer. Or, quelle singulière analogie 
dans l’usage de ces liqueurs et dans leur nom! 

‘ A piece of banana stuff, worn almost like the maro of Owhyee and Otaheite, 
is the usual dress, and only at Pelli the men are entirely naked, as was also 
formerly the case in the Mariana islands. ( Chamisso’s Obs., t. LI, p. 191, de 
lédit. angl.) 


ZOOLOGIE. 79 


inférieure avec une valve de coquille, se représente avec la plus 
grande similitude sur les iles du Nord de l'Océan-Pacifique , et 
même sur la côte N.-O., là où le rameau mongol est reconnu 
par tous les voyageurs. Il en est de même des chapelets de pe- 
ütes coquilles dont ils se serrent le ventre, et des ornements de 
testacés dont ils se font des colliers. Certains Carolins se ser- 
vent de bracelets faits avec des portions de coquilles ou d'os 
polis et imitant l'ivoire. Ce dernier usage est essentiellement 
propre aux peuples de race noire, qui habitent la terre des Pa- 
pous, la Nouvelle-Irlande et les Hébrides; et nous avons déja 
dit que le Père Cantova indiquait une fusion de quelques insu- 
laires nègres au milieu de plusieurs iles Carolines. 

La maniere dont les Carolins construisent leurs maisons dif- 
fère notablement de celle des Océaniens. C'est un système d'ar- 
chitecture qui tient à d’autres idées ; et le soin qui préside à leur 
arrangement , les peintures diverses qui les ornent, leur forme 
singulière, mais remarquablement appropriée au climat, mé- 
riteraient des détails descriptifs complets, si cela ne nous était 
pas interdit dans le cadre étroit que nous avons du nous tracer. 
Tous ces peuples ont de grandes maisons communales pour 
traiter des affaires en public, ou pour préparer leurs repas. 

La construction des pirogues des Carolins est depuis long- 
temps célèbre ; elle ne ressemble en rien à celle des Océaniens. 
Ici, on ne peut se dispenser de reconnaître des insulaires essen- 
tiellement navigateurs, observateurs exacts du cours des astres, 
possédant une sorte de boussole, instrument que l’on sait exister 
depuis long-temps en Chine et au Japon, quoique les habitants 
de ce pays soient loin d'être aujourd'hui d'habiles marins. Si 
tous les Carolins évoluent avec facilité leurs pros gracieux, si 
leur construction montre un talent d'exécution bien supérieur 
à l'imperfection des instruments qu'ils possèdent, on est, ce- 
pendant, étonné de voir quelques-uns d’entre eux, tels que les 


80 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Oualanais , ignorer l'art de les manœuvrer, et ne pas con- 
naître l'usage des voiles et des mâts. Mais, à part cette excep- 
tion remarquable, les pirogues, toujours à un seul balancier, 
sont faites avec ce soin, ce fini, qui rendent leurs formes aussi 
gracieuses que leur coupe est svelte. Elles sont peintes en rouge, 
frottées avec quelques substances qui leur donnent laspect 
d'un ouvrage vernissé; et, par cela déja, on peut remonter aisé- 
ment à la source d'un art qui est encore poussé au plus haut 
degré de perfection chez les Mongols des mers de Chine. La 
marche des pros des Carolins est remarquable, quoiqu'elle soit 
loin de légitimer ce qu'en ont dit quelques navigateurs, et sur- 
tout Anson : elle est de cinq à six nœuds au plus. Mais avec 
quelle adresse on fait changer indistinctement à ces pirogues 
l'avant en arrière, par un simple renversement de la voile! et 
ces fragiles embarcations conservent toutes un genre de con- 
struction qui ne varie point dans aucune ile, et que nous eûmes 
occasion de voir sur la plupart de ces longues chaines d’ar- 
chipels. Cependant, à mesure qu'on avance dans l'Est, la pénu- 
rie des matériaux se fait remarquer ; et déja les pros sont moins 
soignés, et se ressentent du manque de bois, dont ces iles à fleur 
d'eau sont privées. Toutefois, le même esprit a présidé à leur 
forme générale ; et tels s'offrirent à nous ceux des archipels Gil- 
bert et Mulgrave. Les pros des Mariannais ne différaient point de 
ceux que nous décrivons ici; et ce n'est qu'après la sanglante 
conquête de leurs iles par les Espagnols, qu'ils négligèrent leur 
architecture maritime ‘. Mais tel est le gout du rameau mongol- 
pélagien pour la navigation, que, si chez les Océaniens un 
chef est renommé par son courage ou par son habileté comme 


! On a long-temps adopté sans examen l’idée ridicule que les missionnaires avaient 
émise, que les Mariannais ne connaissaient point le feu, et qu'ils le prenaient pour 
un animal qui mordait ceux qui l’approchaient de trop près. 


ZOOLOGIE. 8r 


guerrier, chez les Carolins, il n’a de réputation qu'autant qu'il 
est le plus habile pilote, et qu'il connait le mieux le cours des 
astres, les phases des saisons et les vents régnants. Enfin, peu 
d'insulaires font de plus longs trajets, dans de frêles pirogues, 
que ceux qui nous occupent. Leurs voyages annuels à #aghal 
(Guam), pour y chercher du loulou (fer), n'en fourniraient 
encore qu'une preuve secondaire, si M. de Chamisso, en tracant 
les aventures du Carolin Xadu, ne nous en donnait un témoi- 
gnage devenu historique. En remontant à des considérations 
plus élevées, nous trouvons chez ce peuple, comme chez les 
Océaniens, une noblesse héréditaire, des classes moyennes, et 
des serfs avilis. Fière de ces prérogatives, la classe privilégiée, 
soit quelle se nomme Urosse, Tamole, Rupack, etc., Uent 
dans une soumission servile le peuple qu'elle regarde comme 
façonné pour lui obéir : elle possède seule les terres, et même 
les individus; et, quoique n'ayant aucune marque distinctive, 
elle jouit d'une autorité d'autant plus forte, que la basse classe 
se croit seulement faite pour obéir à ses volontés. 

Leur croyance religieuse, peu connue, semble n'avoir de 
culte pour aucun objet extérieur ‘. Point de cabane servant de 
temple, point d'idoles!Que de traits propres à isoler ces peuples! 
Mais, de même que les Océaniens, ils possèdent le dogme con- 
solant d'une autre vie; et si les premiers placent les dépouilles 
de leurs proches sur les rnorais, les Carolins, en général, leur 
élévent des abris de chaume au milieu des bois ou des planta- 
tions de cannes à sucre. Ce n'est pas sans étonnement qu'on ne 
voit, chez ces peuples, nulle trace extérieure de lidolàtrie, qui 
règne chez tous les autres rameaux épars dans les mers du Sud. 


‘ « Au reste, les Mariannais ne reconnaissent aucune divinité; et avant qu'on leur 


« eût prêché l'Évangile , ils n'avaient pas la moindre idée de religion ; ils étaient sans 
« temples, sans autels, etc. » (Le Gobien, p. 64.) 
Foyage de la Coquille. — Z. Tom. I. ju 


82 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Adonnés à la guerre, parce que l'homme y est naturellement 
porté, les Carolins ont aussi conservé ou su faire un grand 
nombre d'instruments de destruction. Cependant, nous ne les 
trouvons point en possession de l'arc et des flèches, réservés à 
la race nègre, ni du casse-tête, ni des longues javelines, plus 
particulièrement usitées chez les Océaniens. Des frondes, des 
pierres, des bâtons pointus et garnis d'os et d’épines de poissons, 
des haches de coquilles, voilà les armes les plus habituelles, et 
sénéralement. 


5 
Les Carolins ne suivent point l'usage infame des Océaniens 


celles dont ils se servent plus 


de prostituer leurs filles, ou les esclaves enlevées à leurs fa- 
milles. Jaloux de leurs épouses, ils paraissent scrupuleux de 
conserver intacte la fidélité conjugale, et redoutent le commerce 
de leurs femmes avec les étrangers. La polygamie semble étre 
exclusivement réservée aux chefs. Quant à leur caractère, il 
parait enjoué et bienveillant. Leur abord est plein de douceur : 
mais cette race tient de ses pères l’art de dissimuler avec adresse; 
et tel est le tableau que Le Gobien en traça en 17017 : « Ces in- 
«sulaires en usèrent d'abord avec droiture et bonne foi; mais 
«bientôt les Espagnols s'apercurent qu'ils avaient affaire à une 
«nation fourbe et artificieuse, contre laquelle il fallait toujours 
«ètre en garde pour ne pas être trompé. Ils conservent profon- 
«dément dans leur cœur le souvenir des injures qu'ils ont re- 
« çues ; et ils sont tellement maitres de leurs sentiments, qu'ils 
«attendent plusieurs années l'instant de la vengeance. » Ici, 
nous n'adopterons point sans examen le caractère que leur 
donne un Père trompé par son zèle sans doute, et qui n'apprécie 
point assez ce que ce peuple infortuné avait à endurer d’une 
nation européenne, qui en opérait la conversion au christia- 
nisme avec le fer et le feu. Les Carolins, avec lesquels nous eûmes 
de fréquentes communications, montrèrent constamment de la 
bonne foi dans leurs échanges, de la franchise dans leurs ma- 


ZOOLOGIE. 83 
mères, de la gaité, et un certain abandon qui indiquerait de la 
droiture, à moins que cela ne fût produit par l'appareil d'une 
force imposante, qui les porta à n’avoir avec nous que des rela- 
tions franchement amicales. 

La musique des Mongols-Pélagiens, comme celle de tous les 
peuples dans l'enfance d’une demi-civilisation, est grave, peu 
mélodieuse, parfois mélée de notes entrecoupées et lentes. Elle 
est destinée le plus souvent à servir d'accompagnement à leur 
danse, qui est caractéristique, et qui diffère beaucoup de celle des 
vrais Océaniens. L'instrument dont ils se servent est le tam-tam, 
qu'on trouve généralement répandu chez la plupart des peuples 
orientaux et africains, de races nègre et jaune. Cette poésie, 
qu'on retrouve chez tous les Carolins, dont les idées sont de- 
meurées stationnaires, ne prouve-t-elle point que, découlant 
d'une source antique, et quoique brute et sauvage, elle peut 
encore réveiller dans leur ame des émotions agréables et des 
souvenirs historiques? que chez ces hommes, isolés dans un 
cercle étroit, elle suffit pour embellir les longues journées, qui 
s'écouleraient, sans elle, dans une complète inertie? 

La langue de ces peuples semble varier à l’infini, et presque 
dans chaque ile. Cependant, malgré la différence de l'ortho- 
graphe usitée par les collecteurs divers des mots employés par 
ces insulaires , on reconnait le même génie, et, comme le dit 
fort bien M. de Chamisso, des sortes de règles plus compliquees 
que chez les vrais Oceaniens. À notre avis, les langues, lors- 
qu'elles se rapprochent évidemment, peuvent offrir de bons 
caractères, lorsqu'ils s'adaptent surtout à l'ensemble de ceux 
qu'on peut ürer des habitudes et de la conformation; mais on 
ne peut jamais y attacher une valeur absolue. Où en serait-on, 
en effet, s'il fallait grouper divers peuples de la France, en 
écrivant des noms tels qu'on les entendrait prononcer? et à 


quelle race rapporterait-on alors les habitants de telle ou telle 
II. 


84 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


province ? Cependant, quelques rapprochements existent dans 
la langue des Carolins. Cà et là on retrouve les jalons de com- 
munications. Ainsi, la numération décimale est seule usitée, et, 
quoique les noms de nombre varient, le système arithmétique 
est le même. À Oualan comme à l'ile d'Hogoulous, les déno- 
minations numériques sont très-arbitraires, et doivent tenir ou 
à des migrations diverses, ou à des dialectes corrompus, que 
nous ignorons. Ainsi, le mot un, chez ces peuples, se dit scha 
à Oualan ( Nob. ), duon à Radack ( Chamisso), eoth à Ulea, rep 
à Eap, hatjijai en chamorien, sa à Pénélap (Nob.), yote à Dou- 
blon ou Hogoulous ( Nob. ), tong aux Pelew ( Wilson), wsa ( Bi- 
saya ), isa ( Pampango , Chamisso ), ysa (Tagale ), etc. Le mot 
cing offre beaucoup plus d'analogie, et il présente la plus grande 
ressemblance dans presque toutes les langues de la mer du Sud, 
quels que soient les peuples qui l'emploient ; il se dit, comme 
en malais, #ma, lime. D'un autre côté, le mot tamole, pour dé- 
signer un chef, est généralement usité dans les Carolines. Il en 
est de même du mot ##, poisson, qui semble dériver du malais 
than, etc. 

Nous terminerons ce tableau par une seule réflexion. Les 
peuples du rameau mongol-pélagien n'avaient point le cochon 
ni le chien sur leurs iles, avant l’arrivée des Européens; et 
MM. Quoy et Gaimard nous apprennent que ce dernier est lui- 
mème étranger aux iles Mariannes, comme l'indique son nom 
de galagou, qui veut dire, animal venu par la mer. 


4. DES PAPOUAS OÙ PAPOUS . 


Sous le nom de Papous, on connait, en France, des peuples 
dont la couleur noire varie en intensité, et dont la chevelure 


1 Mémoire lu à la Société d'Hist. nat. de Paris, dans la séance du 23 juin 1826. 


Les peuples dont la peau est noirâtre, et la chevelure tantôt lisse , tantôt laineuse, 


ZOOLOGIE. 85 


n'est point lisse de sa nature, mais n'est pas laineuse non plus. 
Ces hommes, qu'on sait habiter le littoral des îles de Waigiou', 
de Sallawaty, de Gammen et de Battenta, et toute la partie Nord 
de la Nouvelle-Guinée, depuis la pointe Sabelo jusqu'au cap de 
Dory, ont été parfaitement décrits par MM. Quoy et Gaimard ?, 
qui les premiers ont démontré qu'ils constituaient une espèce 
hybride, provenant, sans aucun doute, des Papouas et des Ma- 
lais, qui se sont établis sur ces terres, et qui y forment à peu 
près la masse de la population. Ces Négro-Malaïs ont emprunté 
à ces deux races les habitudes qui les distinguent; et c'est ainsi 
que plusieurs ont embrassé le mahométisme, et que d’autres 
ont conservé des Papouas le fétichisme et la manière de vivre. 
Un grand nombre des mots de la langue de cette variété hu- 
maine sont tirés du malais, et notamment celui de Radjah, qui 
sert à désigner les chefs. Ces insulaires forment donc une sorte 
de peuple métis *, placé naturellement sur les frontières des îles 


et qui vivent sur les grandes terres montagneuses, situées entre l’Asie et la Nou- 
velle-Hollande, ont été, jusqu’à ce jour, fort peu étudiés. Il est même difficile de se 
former une idée exacte des dénominations qui leur ont été appliquées. Aussi, dans 
cet essai, nous présenterons seulement un résumé très-succinct des observations que 
nous avons pu recueillir, pendant le séjour de la Corvette la Coquille au milieu de 
ces archipels. On doit, d’ailleurs , espérer que l'expédition de l’Astrolabe, qui explore 
actuellement ce système d'îles, jettera la plus vive lumière sur ce sujet ,en rassemblant 
les faits nécessaires pour fixer irrévocablement l’opinion des savants sur une ma- 
tière qui intéresse si particulièrement l’histoire de l’homme. 

1 Le nom de Waigiou est écrit différemment par les Français et par les, Anglais. 
Nous avons toujours entendu les naturels appeler Ouaighiou la partie Nord de l'ile, 
et Ouarido la partie Sud. 

2 Observations sur la constitution physique des Papous ( Zoo. du Foy. de l’U- 
ranie, P.1 & II). 

$ La relation de JACOB LE MAIRE (Miroir Oost et West Indical, Amst., 16217, 
in-4° oblong, p. 164) prouve que déja ces Papous hybrides n'avaient point échappé 
aux observations des premiers navigateurs. Il y est dit : V’indrentaussiquelques Negrez 
qui nous amenerent vivres. Ils avoyent aussi une monstre de porcelaine chinese ; 


86 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


malaises et des terres des Papouas, et sur le littoral d'un petit 
nombre d'iles, agglomérées sous l'équateur, et au milieu des- 
quelles s’introduisent sans interruption des Malais de Tidor et de 
Ternate, et des Papouas de la Nouvelle-Guinée, et mème quelques 
Alfourous des montagnes de l’intérieur. Presque toujours l’au- 
torité, peu influente d’ailleurs, se trouve reposer dans les mains 
des Malais, qui exploitent encore le commerce par échanges, 
et surtout la vente des esclaves pris à la guerre. La masse de 
ces Papous hybrides présente des hommes d'une constitution 
grèle et peu vigoureuse. La teinte de leur peau est très-claire ; 
mais le plus souvent elle est recouverte de cette lèpre furfu- 
racée, si abondamment répandue sur les peuples de race noire 
de la mer du Sud. Leurs traits ont une certaine délicatesse ; leur 
taille est le plus ordinairement petite; l'abdomen est très-pro- 
éminent, et leur caractère est timide. Tout en eux indique la 
funeste influence de leur genre de vie et de leur habitation. 
Nous ne nous étendrons pas davantage sur ces peuplades que 
visitèrent d'Entrecasteaux, de Rossel, Labillardière, de Frey- 
cinet, Quoy et Gaimard, et qu'il nous suffisait de distinguer des 
peuples à cheveux crépus (crispä tortilique com4 des Latins ), 
auxquels nous conservons le nom indigène de Papoua ', usité à 
la Nouvelle-Guinée, où ils sont répandus sur les côtes, de même 
que sur les grandes iles faisant partie de ce qu'on nomme terre 
des Papous. Enfin, nous retrouverons les Papouas peuplant les 


c'estoit une autre sorte de gens que les precedens (ceux de la Nouvelle-Guinée), 
de couleur plus jaulne; quelques-uns portoyent des cheveux longs, d’autres 
courts, et usoyent aussi d’arcxs et flesches, etc. 

En 1699, Dampier ( ’oy. aux Terres Australes et à la Nouvelle - Hollande, 
t. IV, pag. 67, 1714) décrivit également ces Papous hybrides, et les détails qu'il en 
donne portent le cachet de son exactitude ordinaire. 

© Du mot indigène pua-pua, qui veut dire brun-foncé. ( Marchal, Hist. de Java, 


\ 


pag. 4.) 


ZOOLOGIE. 87 


iles jusqu’à ce jour peu connues de la Louisiade, de la Nouvelle- 
Bretagne, de la Nouvelle-Irlande, de Bouka, de Santa-Crux : et 
de Salomon ?, etc. 

grande 
ressemblance avec les Nègres Cafro-Madécasses ?; et cette ana- 


logie se retrouve encore dans plusieurs de leurs habitudes et de 


Les Papouas qui doivent nous occuper ont la plus 


leurs traditions, de même que dans leur constitution physique. 
Ils paraissent provenir d'une migration postérieure à celle des 
Océaniens, migration qui s'est arrêtée sur le contour des chaines 
de la Polynésie, n’a envahi que le littoral de la Nouvelle-Guinée, 
et s'est répandue sur les iles de la Nouvelle-Bretagne, de la Nou- 
velle-Irlande, de Bouka, de Bougainville, de l'Amirauté, de Sa- 
lomon , de Santa-Crux, de la Tierra austral del Espiritu Santo, 
et de la Nouvelle-Calédonie “. Les habitants de la Nouvelle- 
Guinée se désignent par le nom de Papouas, en réservant la 
dénomination d'Endaménes aux Nègres à cheveux droits et 
rudes de l'intérieur : ils n'ont point passé le détroit de Torrès; 
tandis que les Endamènes où Alfourous (Nègres australiens) pa- 
raissent s'être répartis très-anciennement, en peuplades misé- 
rables, éparses et peu nombreuses, sur le sol maigre et stérile 
de la Nouvelle-Hollande. On ne peut, par suite, concevoir la 


1 Les naturels de l’île de Santa -Crux sont noirs comme les Nègres d’Afrique. 
Tous ont les cheveux laineux, et les teignent de différentes couleurs, ete. Second 
Voy. de Mendana. ( Fleurieu, Découv. des Français, p. 26.) 

? Les peuples qui habitent ces terres sont, en général, de l’espèce des Nègres : 
ils ont les cheveux laineux et noirs, le nez épaté et de grosses lèvres , etc., etc. ( Sur- 
ville, Découv. des Français, p. 95. ) 

3 Ce rapprochement avait déja été fait il y a un siècle; il a été combattu par 
M. Crawfurd, dont les raisonnements, en cette circonstance, ne sont appuyés sur 
aucun renseignement positif. 

“ Les naturels des îles Tatee paraissent être de la même race que les Papous. Ils 
ont la tête laineuse, la peau d’un noir de jais, et tous les traits des Nègres d’A- 


frique. ( Meares, Voy., t. I, p. 357.) 


83 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

maniere dont la terre de Diémen a été peuplée, qu'en adoptant 
l'idée que les Nègres à chevelure laineuse s'y sont introduits 
par le groupe des Hébrides et de la Nouvelle-Calédonie. 

Ainsi donc, la portion centrale de la Nouvelle-Guinée est 
habitée par des Nègres Alfourous, qui en sont les aborigènes, et 
que les Papouas du havre de Doréry nomment Endaménes. Ces 
peuplades sont toujours en guerre les unes avec les autres, et 
n'ont point d'autres communications que celles qu'amène un 
état perpétuel d'hostilités. Les Nègres, au contraire, qui sont 
établis sur les côtes, se distinguent entre eux par la dénomina- 
tion d_Arfakis ou demontagnards, et de Papouas ou de riverains. 
Ces derniers vivent, par tribus éparses et isolées, dans un état 
continuel de défiance et d'inquiétude. Leurs villages, placés sur 
l'eau et sur des pieux, se composent d'un petit nombre de ca- 
banes, gouvernées par l'autorité de chefs âgés. Leur taille est 
assez communément médiocre, quoiqu'on observe parmi eux 
de fort beaux hommes. Leurs membres sont ordinairement pro- 
portionnés avec régularité, et souvent leurs formes sont ro- 
bustes et athlétiques. La couleur de leur peau est d'un noir mélé 
d'un huitième de jaune ; ce qui lui donne une teinte assez claire, 
dont l'intensité varie. Leur chevelure est noire, très-épaisse, 
médiocrement laineuse : ils ont l'habitude de la porter ébou- 
riffée d’une manière fort remarquable, ou de la laisser retomber 
sur le cou en mèches longues et très-flexueuses. Le visage est 
assez régulier dans l'ensemble des traits, quoique le nez soit un 
peu épaté, et que les narines soient élargies transversalement. 
Le menton est petit et bien fait; les pommettes sont assez sail- 
lantes, le front est élevé, les sourcils sont épais et longs. La 
barbe est rare; mais quelques naturels la conservent au-dessus 
de la lèvre supérieure et au-dessous du menton, à limitation 
de plusieurs peuples africains. La physionomie des Papouas ré- 
fléchit aisément les sensations qui les animent et qui naissent 


ZOOLOGIE. 80 
de la défiance, du soupcon et de toutes les passions les plus haï- 
neuses : et l’on observe, chez presque tous les peuples de race 
noirâtre, une prédominance marquée des facultés purement in- 
stnctives : sur celles de l'intelligence. Les femmes, qui partout 
l'emportent sur l'homme par la délicatesse de l'organisation, 
sont communément laides. Cependant, nous vimes à la Nou- 
velle-Guinée quelques filles nubiles très-bien faites, et dont les 
traits réguliers et doux étaient remarquables. Faconné pour la 
servitude et l'obéissance, ce sexe chez les Papouas, comme chez 
certains Nègres d'Afrique, doit vaquer aux travaux les plus 
rudes que dédaigne de partager un maitre inflexible et despote. 

Ainsi, les Papouas se sont propagés sur les iles de Bouka, de 
Bougainville, de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-Irlande. 
Si l'on en juge par les descriptions des voyageurs les plus exacts, 
ils se seraient également établis sur les iles de Santa-Crux et des 
Arsacides, des Hébrides ? et de la Nouvelle-Calédonie ; ils au- 
raient envoyé des colonies sur les iles des Navigateurs et des 
Fidjis *, et y auraient donné naissance à la variété hybride ou 
negTo-oceantenne qu'on y connait, 


! Plus les hommes sont loin de l’état de civilisation, plus leur intelligence instinc- 
tive est développée : les sens sont plus parfaits que chez l'Européen. Aussi le Papoua 
a-t-il la vue perçante, et l’ouie très-fine. Mais comme son unique occupation est de 
satisfaire son appétit vorace, que cette fonction absorbe toutes les autres facultés, 
ou qu’elles ne sont développées que dans ce seul but, il a reçu des muscles masseter 
et temporaux d’une grande force. C’est ainsi que nous remarquäâmes, sur plusieurs 
cränes, des crêtes nombreuses hérissant toute la partie antérieure de la fosse tempo- 
rale pour donner aux fibres du crotaphyte des points d'attache plus puissants. 

? Consultez les excellents détails fournis par Forster sur les naturels de l’île de 
Mallicolo, qui semblent constituer une variété. ( 2° Voy. de Cook, t. TITI, p. 59, et 
Ge VE eee) 

* Suivant M. Mariner (t. 1, pag. 346), les habitants des Fidjis ont les cheveux 
crépus et de la nature de la laine. Ils les poudrent avec des cendres, et les frisent 
avec le plus grand soin, de manière qu'ils ressemblent à une immense perruque. 1ls 
portent des bracelets d’écorce et de coquilles autour des bras, et sont presque nus. 

T'oyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 12 


90 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Les naturels de Bouka, avec lesquels nous communiquämes, 
avaient une taille moyenne. Ils présentaient absolument tous 
les caractères et toutes les habitudes des Papouas, et portaient 
comme eux leur chevelure demi-faineuse, longue et ébouriffée. 
Les habitants de Port-Praslin à la Nouvelle-Irlande, ceux de 
l'ile d'York dans le canal Saint-George, ne différaient point de 
ceux-ci : seulement, il y avait parmi eux un plus grand nombre 
d'hommes grands et robustes. Mais plusieurs individus, dans 
le nombre, étaient remarquables par la teinte peu foncée de 
leur peau ; ce qui les rapprochait de la couleur jaune faiblement 
bronzée des Océaniens. 

La figure des vieillards de ces diverses peuplades était géné- 
ralement calme, sereine et impassible. Cependant, nous obser- 
vames des changements assez brusques dans le jeu de leur 
physionomie. À la fausseté, aux regards perfides des uns, étaient 
opposés la défiance et les soupcons des autres, la bonhomie ou 
la confiance d'un petit nombre. Ces peuples ne hérissent pot 
leur chevelure comme certains Papouas; car cette mode-n'est 
suivie que par quelques tribus. 

Si nous examinons, enfin, la conformation physique des ha- 
bitants de la grande ile de Madagascar, connus sous le nom de 
Madécasses proprement dits‘, nous trouverons, au milieu des 
trois ou quatre variétés humaines qui habitent cette grande ile, 


Plus loin , il ajoute, après avoir séjourné au milieu d’eux (t. IT, p. 135 ) : Les na- 
turels de ces îles paraissent être une race fort inférieure à celle de Tonga, et ap- 
procher davantage de la conformation des Nègres. La langue est dure, et emploie 
plus souvent la consonne 7. C’est au point que, malgré que les îles Fidjis soient très- 
voisines des îles de Tonga, le langage diffère bien plus entre ces deux archipels que 
celui de Tonga, par exemple, avec les Sandwich, qui en sont séparées par une di- 
stance neuf fois plus considérable. 

1 Consultez F/acourt, Hist. de Madagascar, 1 vol. in-4°; et Rochon, Voy. à Ma- 
dagascar, 1 vol. in-8°, p. 15. 


ZOOLOGIE. g1 


des N ègres dont les membres sont proportionnés avec régula- 


gueur. Ces Madécasses ont une 


taille bien prise, et, parmi eux, on observe un très-grand nombre 


rité, et souvent dessinés avec vi 


de beaux hommes. Leur chevelure, médiocrement laineuse, est 
nouée sur l'occiput par gros flocons; la peau est de couleur 
brune, mélée de jaune; le nez est légèrement épaté, la bouche 
grande; en un mot, l'ensemble de leurs traits, qui est régulier, 
servirait en grande partie à tracer le portrait d'un Papoua de 
Doréry, de Birare ( Nouvelle-Bretagne de Dambpier), de la Nou- 
velle-[rlande ou de Bouka :. Il nous reste à généraliser les habi- 
tudes de cette grande famille. 

Les Papouas vont nus. Jamais nous ne vimes les habitants 
des iles Bouka,de la Nouvelle-Bretagne et de Port-Praslin cacher, 
par le moindre voile, les organes sexuels. Les naturels de Do- 
réry, ainsi que les Papous hybrides, sont les seuls qui fassent 
exception à cette coutume; et, bien qu'ils ne sachent point faire 
de tissus, ni convertir les écorces d'arbres en étoffes, ils em- 
ploient comme ceinture des sortes de toiles naturelles et gros- 
sières, qu'ils retirent des enveloppes florales du cocotier ou des 
gaines membraneuses des feuilles du bananier. Les tribus qui 
vivent sur les côtes de la partie Nord de la Nouvelle-Guinée, 
ayant, chaque jour, des communications avec les Malais, et sur- 
tout avec les Guébéens , en recoivent en échange d'oiseaux de 
paradis, d'écaille de tortue, ou par la vente des esclaves, des 
toiles de coton teintes en bleu ou en rouge, et qui sont destinées 
aux femmes. Ils ont aussi adopté l'usage de chapeaux larges et 
pointus, faits à la chinoise avec des feuilles de pandanus, cousues 


! «Parmi les habitants de la Louisiade qui vinrent en pirogue le long de nos na- 
« vires , et dont la chevelure était laineuse et la peau olivâtre, j’en remarquai un aussi 
«noir que les Nègres de Mozambique, avec lesquels je lui trouvai beaucoup de rap- 
«port.» ( Labillardière, Voy., t. IL, p. 276, in-4°.) 


12, 


92 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

et disposées très-ingénieusement. Mais un goût commun à tous 
les peuples de race noire, est celui de se couvrir les épaules et 
la poitrine d'incisions, élevées et mamelonnées, disposées en 
lignes courbes ou droites, mais toujours régulières ; et cette 
mode, qui sert à distinguer les diverses tribus nègres de l'inté- 
rieur de l'Afrique, est pratiquée par presque tous les habitants 
de Madagascar, et par tous les naturels de couleur noire répan- 
dus dans l'Ouest de la mer du Sud, et aussi bien sur la terre de 
Diémen que sur l'Australie. 

La chevelure de ces peuples est, en général, très-frisée, très- 
fine, résistante, et en même temps très-épaisse. Quelques fa- 
milles de la Nouvelle-Guinée, de Waigiou, de Bouka, lui donnent 
la forme eébouriffee et singulière, qu'on a même regardée comme 
un caractère des Papous; mais d'autres tribus, telles que celles 
de Rony, à la Nouvelle-Guinée, de la Nouvelle-Bretagne et de 
la Nouvelle-[rlande, la laissent tomber sur les épaules en mèches 
cordonnées et flottantes. Les Papouas aiment à se couvrir la tête 
de poussière d'ocre, unie à de la graisse, et rougir ainsi leur che- 
velure et leur visage, et se faire sur la poitrine ou sur la face 
des bandes diverses avec de la chaux de corail. C’est plus par- 
ticulièrement au Port-Praslin, à la Louisiade, qu'on retrouve cette 
singulière mode, qui règne sans partage chez les habitants de 
la Nouvelle-Galles du Sud. Ces peuples emploient peu le ta- 
touage, qu'ils nomment panaya à la Nouvelle-Guinée; et, op- 
posés en cela aux Océaniens, ils se bornent à tracer quelques 
lignes éparses sur les bras ou à l'angle des lèvres de leurs femmes, 
comme une marque particulière. Ils aiment tous les ornements 
de quelque nature qu'ils soient. Nulle part nous ne rencon- 
irâmes en plus grande abondance des colifichets de plumes, 
d'écailles ou de nacres, destinés à être placés sur la tête, à la 
ceinture ou sur les armes. Mais partout nous observames l'usage, 
exclusif à cette race, de porter des bracelets d’une blancheur 


ZOOLOGIE. 99 
éblouissante , faits avec beaucoup d'art, très-polis, et qu'ils fa- 
connent probablement avec la grosse extrémité des énormes 
cônes qui vivent dans les mers environnantes : tous les naviga- 
teurs en ont parlé. Bougainville dit, en mentionnant cet objet 
chez les naturels des grandes Cyclades : «Ils se percent les na- 
«rines pour y pendre quelques ornements *. Ils portent aussi au 
«bras, en forme de bracelets, une dent de Babiroussa, ou un 
«grand anneau d'une matière que je crois de l'ivoire *. » Un tel 
usage est par lui-même caractéristique ; mais ce qu'il offre de 
plus remarquable encore est l’analogie qu'il présente avec les 
coutumes des Égyptiens. Les recherches modernes nous ont, en 
effet, indiqué la présence d'un ornement de forme exactement 
semblable sur un grand nombre de momies. 

L'usage de macher le betel avec l'arec et la chaux, propre au 
rameau malais ,'a été porté chez les Papouas par ce peuple sans 
doute; mais on doit supposer que des communications anté- 
rieures en ont fait naître le besoin chez les habitants de Port- 
Praslin, où nous le trouvames très-répandu; à Bouka, où nous 
en vimes des traces; à l'ile de Choiseul et à la Louisiade, où 
Bougainville et Labillardière l'observèrent. 

Ces derniers peuples et les Papouas de la Nouvelle-Guinée 


? Les naturels de Navihi-Levou, l’une des Fidjis, ont adopté cette coutume; et, 
pour se donner un air plus formidable, ils percent le cartilage du nez, et ils y passent 
des plumes qui retombent sur les lèvres comme d’épaisses moustaches ( Mariner, 
t. I, p. 335). Or, nous avons vu une habitude identique chez les Nègres de Port- 
Praslin. 

2 SURVILLE, sur le Suint-Jean-Baptiste,mentionne ces bracelets de cette manière 
(Port-Praslin) : « La plupart portent un bracelet au bras, au-dessus du coude, qui peut 
«avoir un demi-pouce d'épaisseur sur un pouce de largeur. Il est fait, autant qu'on 
« peut en juger, d’un coquillage dur, opaque, lourd , qui est supérieur en blancheur 
«à l’ivoire du Sénégal et au marbre de Carrare. » Découvertes des Français dans 
le S.-E. de la Nouvelle-Guinée, par Fleurieu, 1790, p. 128, in-4°. 


94 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

surtout portent des amulettes faconnées en idoles, fixées sur 
la nuque par un collier fait de dents d'animaux, etc. Mais nous 
trouvâmes dans leurs cabanes quelques coiffures parfaitement 
analogues à celles qui servent aux enfants dans nos fêtes reli- 
gieuses, et que surmontait une feuille de pandanus, contournée 
très-adroitement en fleur de lis. Cette forme antique et singu- 
lière., conservée fidèlement , et même avec le plus grand goût, 
chez les peuples encore dans les ténèbres d'une longue enfance, 
doit provenir de lAbyssinie. Mais ce qui met hors de doute 
leurs rapprochements avec les habitants de l'Afrique, ce sont les 
oreillers en bois sur lesquels ils appuient la tète pour dormir. 
À Waigiou, à Doréry, nous trouvämes chez tous ce meuble 
travaillé avec adresse, représentant le plus constamment et avec 
plus ou moins de perfection deux têtes de sphinx , attribut égyp- 
üen ; et plusieurs de ces objets, comparés en France, ne dif- 
fèrent en rien de ceux trouvés sous la tête des momies d'Égypte, 
dans leurs tombeaux, et conservés par les voyageurs récents, 
qui les ont découverts. 

Les Papous de Doréry et de Waigiou ont un goût particulier 
pour faconner des idoles, qu'ils placent sur leurs tombeaux et 
dans un point particulier de leurs cabanes. Ces sculptures se 
reproduisent sur le devant de leurs pirogues. Mais comme leur 
culte est un fétichisme pur, et que quelque teinte de l'islamisme 
n'a pénétré qu'avec les Malais au Nord seulement, nous voyons 
chez tous cette habitude de consacrer, dans une cabane qui 
sert de temple, une suite d'idoles, vêtues de guenilles diverses, 
représentant des divinités rangées par ordre de puissance. Nous 


«Les Nègres de Sierra-Leone semblent vénérer de petites statues faites à peu 
« près à la ressemblance de l’homme. Ii n’en coûte que huit ou douze pouces de bois 
« pour la façon de ces images, qu'on peint en noir, et qui sont les pénates de la 
«hutte. Ils en font des offrandes, qui consistent en chiffons, vases ébréchés, etc. » 
MATTHEWS , Voy. à Sierra-Leone. ) 


ZOOLOGIE. 95 


trouvâmes cet état de choses au Port-Praslin, graces à la course 
hasardeuse du jeune et brave de Blosseville; et ces naturels, sans 
exception, au milieu de leurs grotesques divinités, consacrent 
à des animaux des représentations assez fidèles. Cest ainsi que 
le crocodile est un objet de culte à Waigiou, le requin et le 
pélandoc au Port-Praslin, le chien à Doréry, etc. Les Papous, 
toutefois, vénèrent les morts, suspendent les têtes de leurs 
ennemis comme trophées aux parois de leurs demeures, pour 
les priver sans doute d'une existence heureuse dans l’autre vie; 
car ils ont la croyance d'un être suprême infiniment bon, et 
d'un génie adonné au mal. 

L'industrie des peuples de race noire n’est point à citer. Ce- 
pendant, les femmes des Papouas de Doréry fabriquent de la 
poterie ‘; et, comme ceux de Waigiou, ils savent assembler les 
belles feuilles satinées du pandanus longifolius, pour en faire 
des nattes, qu'ils festonnent diversement, ét qu'ils teignent avec 
les couleurs les plus éclatantes et les plus solides. Ces nattes, 
avec lesquelles ils s’abritent de la pluie, sont représentées, au 
Port-Praslin, par des capuchons qui en ont la forme et parfois 
l'ampleur : elles sont, en effet, le plus souvent pliées au milieu, 
et cousues à une extrémité. 

Les habitants de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-frlande, 
avaient divers ornements passés dans les narines, ou des bà- 
tonnets traversant la cloison du nez, à l'instar des naturels 
de la Nouvelle-Galles du Sud. Cette mode se reproduisit à nos 
yeux chez les Papouas du havre de Rony, et tous nous assurèrent 
que les bâtonnets qu'ils portaient étaient bien petits en com- 
paraison de ceux que les farouches Endamènes, leurs ennemis, 


© Dans le pays des Kaartans, dans l’Afrique Occidentale, le village d’'4samanga 
T'ary est renommé par ses manufactures de poterie de terre, travaillée par les femmes. 


( Voy. dans l'Afrique Occidentale, par Gray et Dochard.) 


96 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

et les propriétaires des districts plus au Sud, se placaient ainsi, 
et comme une vergue civadière, ainsi que l’a dit le premier un 
marin judicieux et instruit. 

Le genre de vie des Papouas ne nous fournit point de carac- 
tères bien précis. Cependant, ils ne savent point, comme les 
Océaniens , pratiquer des fours souterrains pour cuire leurs ali- 
ments : ils.se contentent de les griller sur les charbons ardents, 
ou bien, de faire des treillages élevés, et de les préparer amsi 
par l'action médiate de la chaleur. Vivant, du reste, des fruits 
équatoriaux, de racines nutritives, que le sol produit en abon- 
dance, les Papouas de la Nouvelle-Guinée savent encore cultiver 
quelques légumes; et l'espèce de haricot qu'ils nomment aberou 
forme principalement la base de leur nourriture, avec les pro- 
duits de la pêche, ou les coquilles qu'ils vont chercher sur les 
récifs, et même les reptiles qu'ils attrapent dans les forêts. 

Leur gouvernement est peu connu. On à, cependant, remar- 
qué qu'ils semblaient obéir à des vieillards, dont l'autorité pa- 
raissait nettement établie ; et ce n'est guère que chez ceux qui 
ont communiqué avec les Malais, qu'on retrouve le titre de 
Radjah, par exemple; et encore n'en ont-ils point d'idées bien 
claires et bien distinctes. Nous avons vu que leur culte était un 
fétichisme pur; fétichisme sous l'influence duquel toutes les 
races noires de l'Afrique, excepté l'abyssinienne, sont plus ou 
moins soumises. Mais les Papouas entourent d’un profondrespect 
les tombeaux de leurs pères : ils élèvent des cabanes pour les 
abriter. Ils dressent souvent des estrades en bois, destinées à 
supporter leurs os desséchés, et ne manquent point de placer 
sur leur sépulture des vases destinés à recevoir des offrandes, 
tels que du betel, du tabac ou du poisson, et de recouvrir des 
attributs du défunt le lieu où reposent ses cendres. 

La construction des cabanes présente, chez les divers peuples 
de race papoue, des différences assez tranchées. Ainsi les huttes 


ZOOLOGTE. 97 


des naturels de la Nouvelle-[rlande sont de forme africaine, 
arrondie, couvertes de paille, ayant une porte étroite et basse. 
Chez les habitants de Waigiou et de la Nouvelle-Guinée, au 
contraire, elles nous montrent quelle peut être l'influence des 
hostilités continuelles auxquelles ils se livrent. Ces peuples, en 
effet, établissent leurs villages au fond des baies, sur le bord des 
rivages. Mais, par une prévoyance sans cesse défiante, ils ont placé 
leurs maisons sur l'eau même des grèves, de manière qu'elles 
sont supportées par des pieux, qu'on ne peut y parvenir que par 
des ponts informes, qu'en cas d'alerte du côté des terres, on 
peut faire disparaître en un clin d'œil; tandis que la fuite est 
facile par mer, parce qu'ils ont le soin d'avoir leurs pirogues 
sous le plancher à jour de ces ajoupas. Ils se sauvent aisément 
dans les bois, au contraire, lorsque l'attaque à lieu avec des em- 
barcations armées. Enfin, ceux même qui habitent l'intérieur 
du pays ont placé leur gite sur quelque morne élevé, dont l'ap- 
proche est défendue par des palissades ; et, non satisfaits de la 
sécurité qu'ils peuvent retirer des obstacles qui se rencontrent 
sur le chemin, ils ont encore élevé leurs demeures sur des 
troncs d'arbres, rendus lisses, et hauts de douze à quinze pieds, 
et se servant d’un énorme bambou entaillé pour y parvenir. 
Chaque soir, cette échelle est retirée dans la cabane, et la fa- 
mille dort en paix, sur des tas de flèches préparées pour repousser 
toute attaque, dans l'aire qu'elle a construite à la manière des 
oiseaux. Ce sont ces cabanes aériennes, que l’un de nous exa- 
mina avec détail, qui ont donné lieu de croire à quelques écri- 
vains, amis du merveilleux, que les Papouas logeaient dans les 
arbres. Nous ne savons point si les voyageurs mentionnent ail- 


" Les cabanes des naturels de la Louisiade sont, comme celles des Papous, éle- 
vées avec des pieux de deux ou trois mêtres au-dessus du terrain (LABILLARDIÈRE à 
Voy. Rech. de la Pérouse, t. IT,p. 277). 

Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 13 


98 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

leurs une telle construction; et on n'en trouve point de traces en 
Afrique, à ce que nous croyons. Seulement, le capitaine russe 
Krusenstern (Voy.; t. I, p. 233) dit que les Tartares qui ha- 
bitent Sakhalien élèvent leurs cabanes sur des pieux, au-dessus 
du sol. 

Ces peuples possèdent encore un genre de construction nau- 
tique, opposé à celui des rameaux océanien et mongol-pélagien. 
Navigateurs comme le sont naturellement tous les peuples ri- 
verains, on retrouve, chez tous les Nègres épars depuis le Nord 
de la Nouvelle-Guinée, sur ces chaines de grandes îles, une 
forme assez générale de pirogues. Ceux de Port-Praslin, de la 
Nouvelle-Bretagne, de l'ile d'York, de Bouka enfin , ont des em- 
barcations sveltes, légères, formées de bordages assemblés, et 
cousus, et dont les joints sont bouchés par un mastic tenace, 
dont les deux extrémités se relèvent, et sont, le plus souvent, 
surmontées de quelque attribut. Mais toutes ces pirogues n'ont 
point de balancier, tandis que celles qu'on retrouve sur le pour- 
tour boréal des iles dites des Papous, et qui sont destinées aux 
besoins ordinaires, sont, sans exception, à deux balanciers; 
celles de guerre , toutefois, ressemblent aux précédentes. 

Les armes principales des habitants de Waigiou et de Doréry 
sont l'arc, les flèches et les longues javelines, terminées par une 
lame de bambou, acérée et faconnée en fer de hallebarde. A 
Bouka , nous retrouvons les flèches et des arcs parfaitement fa- 
briqués en beau bois rouge, de même qu'à la Nouvelle-Irlande 
et à la Nouvelle-Bretagne. Mais ces tribus, inquiètes et guer- 
rières, emploient principalement le casse-tête de bois dur, les 
longues javelines, garnies parfois d'os humains ; ce qui annon- 
cerait peut-être une habitude d’anthropophagie; les frondes pour 
lancer les pierres, et surtout l'usage constant du bouclier‘. Cette 


1 De Bougainville (’oyage autour du monde) vit les naturels de la Louisiade se 


ZOOLOGIE. 99 


arme défensive, faite sur le modele de certains boucliers ro- 
. mains, garnie de coquilles enchâssées avec symétrie, serait-elle 
due au hasard : ? 

Tous les peuples ont une musique, en rapport avec leur ci- 
vilisation sans doute ; mais les Océaniens, les Mongols-Pélagiens, 
et les peuples noirâtres et à cheveux frisés des îles de la mer du 
Sud, ont chacun un type particulier, suivant leurs habitudes ; 
et, quoique cet art soit resté stationnaire par l'isolement de ces 
peuplades, il n’en est pas moins caractéristique, et ne peut pro- 
venir que d'un ensemble d'idées perfectionnées. Nous ne savons 
rien de la musique des Papouas de Doréry et de Waigiou : celle 
des habitants de Port-Praslin et de l'ile d'York et leurs instru- 
ments nous sont mieux connus. Sur toutes ces grandes terres, 
nous retrouvames le tamtam, dont le nom peut varier, mais 
jamais la forme, qui est limitation parfaite du tamtam de la 
srande extré- 


5 
mité par une peau de lézard, est encore usité dans plusieurs 


côte de Guinée. Ce tambour, creux, fermé à sa 


régions de l'Afrique. Mais ce qui dut nous fournir matière à 
réflexion au Port-Praslin, sont et l'épinette et la flüte à pan que 
nous y trouvâmes. L'épinette est faite avec une lame de bambou, 
divisée en trois lamelles effilées, qui se placent dans la bouche 
comme la nôtre. Quant à la flute à pan, nous devons nous y 
arrêter un instant, et indiquer la conclusion d'une note, que 
nous à remise sur cet instrument un de nos amis, excellent mu- 
sicien. « Les anciens connaissaient deux sortes de flüte: la simple, 
«et le syrinx ou flüte à pan ; et ces flûtes n'avaient qu'une éten- 
«due de sons très-bornée, parce que les Grecs ignoraient l'har- 


servir également de boucliers : la description qu'il en donne est applicable à ceux 
que nous avons vus au Port-Praslin. 
1 Les Antaximes de la partie Sud de Madagascar, à teinte très-noire et à cheveux 


crépus, se servent du bouclier pour combattre ( Malte-Brun, Géog. t. IV, p. 123). 
13. 


100 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


«monie proprement dite, et que leur mode de musique était mr- 
«neur, tant l'homme raturel éprouve plus de facilité à attaquer 
«la tierce mineure que celle majeure. Le syrinx de la Nouvelle- 
«Irlande présente ce caractère mineur; et, après un examen 
«sérieux, je conclus que cet instrument, composé de huit notes, 
«dont cinq appartiennent à la gamme, et trois sont répétées à 
« l’octave en-dessous, est des temps les plus reculés.» 
Lorsque M. de Blosseville visita le village de Leukiliki, à une 
lieue du Port-Praslin dans l'intérieur, il ne fut reçu qu'après que 
des naturels eurent exécuté une danse nommée louk-louk. Les 
danseurs étaient entièrement cachés sous un vêtement bizarre, 
fabriqué avec des lanières de feuilles de pandanus, imitant une 
ruche ambulante, et qu'ils suspendent à des poteaux sur la 
grève. Toutes les circonstances de cette sorte de solennité se- 
ront rapportées dans la relation historique; mais nous devons 
citer comme rapprochement un usage semblable, observé dans 
le royaume de Woulli, en Afrique, par le major Gray. « En ap- 
«prochant de Barra-Cunda, nous vimes accroché à un poteau, 
«hors des murs de la ville, un vêtement fait d'écorces d'arbres, 
«coupé par filaments, et arrangé de manière à couvrir un 
« homme, espèce de loup-garou, nommé Mumbo-Jumbo. » 
Des ténèbres trop épaisses couvrent les traditions poétiques de 
ces peuples, pour que nous puissions en tirer quelques consé- 
quences : nous en ignorons même les faits les plus essentiels. 
Mais ce qu'on ne peut se dispenser de remarquer, c'est la diver- 
gence complète du langage, qui existe non pas d'ile à île, mais 
même de tribu à tribu et de village à village. Quelle peut en être 
la cause? rien autre chose sans doute que ces haines héréditaires, 
ces guerres perpétuelles , dans lesquelles vivent et meurent les 
générations successives. Le caractère moral de ces peuples en a 
acquis cette barbarie profonde, cette défiance sombre et conti- 
nuelle, qui les rendent traitres, perfides et assassins. « Nous 


ZOOLOGIE. IOI 


«avons observé, dans le cours de notre voyage, dit Bougainville, 
«qu'en général les hommes nègres sont beaucoup plus méchants 
« que ceux dont la couleur approche de la blanche. » 

Quant aux rapports que peuvent avoir entre eux les idiomes 
de chaque peuplade, il nous serait impossible de les saisir. Ce 
langage barbare et guttural se refuse à tout examen; et on en 
pourra juger par le tableau suivant, dans lequel nous avons placé 


les noms de nombre, écrits comme les naturels les prononcent. 


NOUVELLE - GUINÉE. |[NOUV.-GUINÉE.|NOUV.-IRLANDE.|MADAGASCAR. 
Re — MALAIS. 
Canton Havre de ALFOUROUS , 
de Ronyx. | Doréry. |hab. de l'intérieur.| PORT-PRASLIN, DER 
Hiossaire. Saha. Toure. Ti. Rec. Satou. 
Nourou. Doui. Kire. Irou. Roui. Doua. 
Nokore. Kiore. Noure. Toul. Telou. Tiga. 
Fake. Fiake. Ouat. At. Effack. Ampat. 
Rime. Rime. Mai. Lime. Dimi. Lima. 
Ouonèême. |[Ouonéme. Imbitoure. Ouone. Enine. Anam. 
Ounamanourou.| Fike. Inebiki. Hiss. Fitou. Touyou. 
Ounamonocore.| Ouart. Imbinour. Ouale. Valou. Delapan. 
Fike. Sihiou. Imbeboit. Siou. Sevi. Sambilan. 
Sanfour. Sanfour. Ouanguire. Saouli. Foulou. Sapoulou. 


1 

2 
3 
4 
5 
6 
7 
8 
9 
0 


n 


5. DES TASMANIENS. 


Nous placons à la suite des Papouas, et comme deuxième va- 
riété du rameau Cafro-Madecasse, les habitants de la terre de 
Diémen. Nous ne les indiquons ici que pour mémoire, parce 
que la corvette la Coquille n’a point visité cette partie du globe, 
et que les naturels ne nous sont connus que par les récits des 
voyageurs. On s'accorde généralement à peindre les Tasmaniens 
comme une race d'hommes d'un noir peu foncé, dont le crane 
est déprimé, et qui a des cheveux courts, laineux, très-reco- 
quillés. Le nez est écrasé, et l'angle facial médiocrement aigu. 
On peut, toutefois, s'en faire une idée assez juste par les planches 
sept et huit de l’atlas de Labillardière , et par les figures quatre 
à huit, dessinées par Petit dans l’atlas de Péron. Ce qui semble 


102 VOYAGE AUTOUR DU MONDE, 

autoriser à placer les Tasmaniens à la suite des Papouas, ce sont 
quelques ressemblances d'organisation, et une certaine simili- 
tude dans plusieurs usages, qui paraissent dériver d'une source 
commune. Ainsi, ils ont l'habitude de se couvrir les cheveux 
d'argile ferrugineuse très-rouge ; de se faire naître des mame- 
lons ou des cicatrices en relief sur la peau; de cuire leurs ali- 
ments sur des charbons incandescents; de coucher sur la terre, 
près de grands feux; de fabriquer des paniers élégants avec des 
tiges d'arbustes; de façonner des ornements divers, et surtout 
de se servir d’un petit oreiller en bois, nommé roëré ( Labtillar- 
dière, Voy.t. IL, pag. 43); de placer des huttes coniques sur les 
tombeaux de leurs parents décédés ( Péron , t. IV, pag. 99), et, 
enfin, d'être polygames. Seulement, on ne retrouve point chez 
eux l'art de construire des cabanes, dont la pauvreté du sol 
et l'inclémence du ciel auraient dù leur imposer la nécessité; 
car ils se bornent à élever des abris temporaires, des abat-vents 
en écorces, insuffisants pour les garantir des rigueurs du climat 
austral. Leur langage diffère tellement des idiomes barbares et 
sans nombre des peuples de la Nouvelle-Hollande, que déja, 
dès avant qu'on sût que la terre de Diémen en était séparée par 
le détroit de Bass, M. Labillardière avait dit (t. Il, p. 60 ): Z7 
prouve que ces peuples n'ont pas la même origine. Des détails 
utiles à consulter sur les Tasmaniens sont consignés dans le 
tome IV ( pag. 77 et suiv. ) de l'Historique du voyage aux terres 
australes, rédigé par Péron et le capitaine de Freycinet. 


6. DES ALFOUROUS-ENDAMÉÈNES. 


La population primitive des archipels des Indes orientales 
était une race noire, qui parait avoir été décimée par d'autres 
peuples conquérants, sur certaines îles et à diverses époques, 
ou avoir été chassée des côtes, et reléguée au milieu des mon- 


ZOOLOGIE. 103 


tagnes, aimsi que nous l'apprennent les anciennes histoires et 
les annales de Malacca en particulier. Ces peuples à peau noire 
et à cheveux rudes, mais lisses, vivent encore dans les lieux 
inaccessibles de toutes les terres polynésiennes ‘; et c'est ainsi 
que le plateau central de la plupart des iles Moluques est occupé, 
de nos jours, par les /araforas ou Alfourous” ; que les Phi- 
lippines sont peuplées par Los /ndios des Espagnols, que l'on 
mentionne los Negros del monte à Mindanao ‘, les V’inzimbers à 
Madagascar, dont ils seraient les habitants naturels, et que nous 
apprimes l'existence des Endaménes à la Nouvelle-Guinée. 


* En nous servant du nom de Polynésie, exclusivement restreint aux terres si 
vaguement nommées archipels d'Asie, nous encourrons probablement le blâme de 
quelques géographes fidèles à une nomenclature incertaine et encore plongée dans le 
chaos. La dénomination d’Oceanie est si harmonieuse, et peint si bien la dispersion 
des petites îles volcaniques et madréporiques, éparses sur la surface immense du 
Grand-Océan, qu’elle survivra indubitablement à toute autre : celle de Pélagie tra- 
duirait avec exactitude le surnom de monde maritime, qui lui fut imposé ( d’une 
manière trop générale cependant) par M. C. A. Walckenaer. Ainsi, le nom de Polynésie, 
que, jusqu’à ce jour, on avait étendu à plusieurs systèmes de terres aussi distantes 
que séparées par la nature, ne pouvant plus être appliqué aux îles de la mer du 
Sud, demeure donc aux îles de PAsie, que la formation primitive, les productions, 
les races qui les habitent, permettent de grouper par des caractères très-caracté- 
ristiques. Peut-être serait-il préférable de le remplacer par un nom neuf, dont le sens 
fût sans équivoque, tel que pourrait être le mot de Malaisie? 

? «Les Alphouréens où Alfoures sont vraisemblablement les premiers et les plus 
«anciens habitants des Moluques : aujourd’hui même ils ne se confondent pas avec 
«les autres habitants; mais ils se tiennent renfermés dans les montagnes de Bouro 
«et de Céram.» (STAVORINUS, Joy. aux Indes, t.T, p. 259.) 

3 C’est peut-être à tort qu'on indique, comme appartenant à ces races mal connues, 
les Laos et les Miaotsé de l’intérieur de la Cochinchine, qu'on nomme aussi kommes 
à queue dans le pays. BARROW les regarde comme des Cochinchinois encore 
plongés dans une grossière barbarie. ( Voy. à la Cochinchine, t. I, p. 226.) 

& Ainsi nommés, dit MEARES , à cause de leur ressemblance avec les Noirs d’A- 
frique, tant au physique qu'au moral ( Voy. a la côte N.-0. d'Amérique, t. T, 
p. 287). Il est probable que ces Vegros sont des Papouas. 


104 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Les Alfourous-Endamènes vivent de la manière la plus sau- 
vage et la plus misérable. Toujours en guerre avec leurs voisins, 
ils ne sont occupés que des moyens de se préserver de leurs em- 
büches et d'échapper aux piéges qu'on leur tend sans cesse. L'ha- 
bitude qu'ont les Papouas des côtes de les mettre à mort et 
d'ériger en trophées leurs dépouilles, rend compte de la difficulté 
qu'on éprouve à les observer, même à la Nouvelle-Guinée; et 
deux ou trois de ces hommes, réduits en esclavage, que nous 
vimes à Doréry, sont tout ce que nous en connaissons. Les Pa- 
pouas nous les peignirent comme d'un caractère féroce, cruel 
et sombre, n'ayant aucun art, et dont toute la vie s'écoule à 
chercher leur subsistance dans les forêts. Mais ce tableau hideux, 
que chaque tribu ne manque point de faire de la tribu voisine, 
ne peut être regardé comme authentique. Les Endamènes que 
nous vimes avaient une physionomie repoussante, un nez aplati, 
des pommettes saillantes, de gros yeux, des dents proclives, des 
extrémités longues et grèles, une chevelure très-noire, très- 
fournie, rude et comme lisse, sans être longue. La barbe était 
très-dure et très-épaisse. Une profonde stupidité était empreinte 
sur leurs traits; peut-être était-elle due à l'esclavage. Ces Nègres, 
dont la peau est d'un noir-brun sale, assez foncé, vont nus. Ils 
se font des incisions sur les bras et sur la poitrine, et portent 
dans la cloison du nez un bâtonnet, long de près de six pouces. 
Leur caractère est silencieux, et leur physionomie farouche; 
leurs mouvements sont irrésolus et s'exécutent avec lenteur. Les 
habitants des côtes nous donnèrent quelques détails sur ces 
Endamènes; mais, comme ils nous parurent dictés par la haine, 
et que les versions ne s'accordaient point entre elles, soit que le 
sens de ce qu'ils nous exprimaient füt mal compris, soit qu'eux- 
mêmes nous racontassent, dans l'intention de nous inspirer de 
la frayeur, des habitudes auxquelles ils ne croyaient point, nous 
pensons qu'il est inutile de faire connaitre, par des renseigne- 


ZOOLOGIE. 10 


ments faux ou inexacts, une espèce d'hommes dont l'histoire est 
encore entourée d'épaisses ténèbres ‘. 

Nous nous bornerons à tracer la description des cranes d’Al- 
fourous-Endaménes, que nous trouvames à Doréry, où ils ser- 
vaient de trophées, et de les comparer avec ceux de Papous 
décrits par MM. Quoy et Gaimard, et aussi avec les crânes de 
Nègre-Mozambique , de Nouveau-Zélandais et d'Européen. La 
figure que nous en donnons, pl. 1", est le résultat de la com- 
paraison de plusieurs têtes; mais elle a été plus particulièrement 
faite sur un crâne conservé avec soin dans une cabane, et en- 
chässé dans une idole grossièrement sculptée en bois, que l'un 
de nous ne put jamais obtenir des naturels, même en offrant 
des présents susceptibles de les tenter, et qu'il se décida à aller 
enlever, pendant la nuit, la veille du départ de la corvette. Cette 
idole, assez remarquable et qui est déposée maintenant au 
Muséum d'histoire naturelle de Paris, représente un homme 
assis, dont le cou supportait un plateau sur lequel reposait le 
crane d'un Alfourous, solidement enchâssé. Les orbites étaient 
remplies par des rondelles de nacre, simulant des yeux, et fixées 
par un mastic noir; tandis que les arcades dentaires étaient 
recouvertes de deux lèvres en bois très-proéminentes. D’autres 
crânes d'Alfourous étaient disposés par rangées et attachés aux 
parois de la cabane qui servait de temple à ces débris, que les 
Papouas conservaient avec d'autant plus de satisfaction, qu'ils 
se complaisaient dans l'idée de faire subir un pareil sort à tout 
ennemi qui tomberait dans leurs mains. 


1 Les Endamèënes, retirés dans l’intérieur de la Nouvelle-Guinée, doivent être 
possesseurs paisibles des côtes méridionales; et ce sont eux, érès-probablement, 
qui habitent exclusivement les bords du détroit de Torrès. Les expéditions futures 


peuvent seules ou détruire ou confirmer nos doutes. 


Voyage de la Coquille. — %. Tom. 1. 14 


106 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


7. DES AUSTRALIENS. 


Toutes les peuplades de race noirâtre qui habitent l'Australie 
présentent entre elles les rapports les plus évidents, d'après les 
descriptions des voyageurs Phillip, Collins, White, d'Entre- 
casteaux, Péron’, Flinders, Grant, King, etc. Ces Nègres aus- 
traux ont toujours montré une profonde ignorance, une grande 
misère et une sorte d'abrutissement moral. Ils sont réunis par 
tribus peu nombreuses qui n'ont point de communications 
entre elles, d'où résulte l’état de barbarie profond dans lequel 
elles croupissent, et dont rien ne semble devoir les retirer. 

Les habitants de la Nouvelle-Galles du Sud, qui ont particu- 
lièrement fixé notre attention, sont disséminés, dans cette partie 
du monde, par familles éparses sur le bord des rivières ou dans 
les baies peu nombreuses, qui morcellent les côtes orientales 
de la Nouvelle-Hollande. Leur intelligence a du naturellement 
se ressentir de l’infertilité du sol et des misères auxquelles ils 
sont soumis : aussi une sorte d'instinct très-développé, pour con- 
quérir une nourriture toujours difficile à obtenir, semble avoir 
remplacé, chez eux, plusieurs des facultés morales de l'homme. 


! Les distinctions qui existent entre les Tasmaniens et les Australiens ont été net- 
tement exprimées par Péron, qui dit (t. IV, p. 212 ) : « De toutes les observations 
«qu’on peut faire en passant de la terre de Diémen à la Nouvelle-Hollande, la plus 
« facile, la plus importante, et peut-être aussi la plus inexplicable, c’est la différence 
«absolue des races qui peuplent chacune de ces deux terres. Ces deux peuples n’ont 
« presque rien de commun, ni dans leurs mœurs, leurs usages, leurs arts grossiers, 
«ni dans leurs instruments de chasse ou de pêche, leurs habitations , leurs pirogues, 
« leurs armes, ni dans leur langue, ni dans l’ensemble de leur constitution physique, 
«la forme du crâne, les proportions de la face, etc. Cette dissemblance absolue se 
«trouve dans la couleur; les indigènes de la terre de Diémen sont beaucoup plus 
«bruns que ceux de la Nouvelle-Hollande : les premiers ont des cheveux courts, 
« laineux et crépus; les derniers les ont droits, longs et lisses. » 


x 


ZOOLOGTE. 107 


La peuplade qui vit au milieu des buissons et des rochers des 
alentours de Sydney-Cove, et qui a pour chef Boongaree, est 
plongée dans un tel état d'abrutissement, qu'en vain on a essayé 
d'améliorer sa position, en bâtissant pour elle des maisons et 
des sortes de villages, ou en lui fournissant des moyens de sub- 
sistance plus agréables. Elle s’est refusée à l'adoption de ces 
premières idées de civilisation ; et de toutes les habitudes so- 
ciales que lui montrent, chaque jour, les Européens, au milieu 
des villes populeuses et imposantes de la Nouvelle-Galles du 
Sud, elle n'en a pris que des vices dégoütants et un gout dés- 
ordonné pour les liqueurs fortes. Ces peuples n'ont senti la 


nécessité de recevoir des vêtements de laine que pour se garantir 


5 
la poitrine. Aucune idée de pudeur ne les à jamais portés à voiler 
les parties naturelles; et l'immodestie native de cette race fait 
un contraste d'autant plus grand, que, chaque jour, elle brave, 
au sein mème d'une colonie européenne qui a fait d'immenses 
progrès, les lois de l'honnèteté publique. La liberté semble pour 
ces Noirs ‘ un besoin de première nécessité : aussi sont-ils soi- 
gneux de conserver leur indépendance, au milieu des cantons 
rocailleux où ils habitent en plein air, autour de grands feux, 
et protégés de la pluie par quelques branches négligemment 
jetées du côté où le vent souffle; ou bien, tous les efforts de leur 
génie se bornent, pour les garantir des intempéries du climat, 
à détacher une large écorce d'eucalyptus, qui fournit le toit 
naturel qui les abrite. 


La taille des Australiens est médiocre, et souvent au-dessous 


‘ Le mot noir ou nègre n’a ici qu'une valeur relative. Nous n'employons ce nom, 
en effet, que pour éviter des périphrases. Mais, pour qu'il n’y ait point de doutes 
à ce sujet, nous devons dire qu’il n’y a point d’analogie à établir entre un Nègre afri- 
cain et un Alfourous australien, et que, si nous les nommons parfois Noirs ou Nègres, 

à ak ae : 
c’est parce que la teinte de leur peau affecte une couleur noirâtre, fuligineuse, qui 
approche plus de la teinte des véritables Nègres que de toute autre. 


14. 


108 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
de la moyenne. Plusieurs tribus ont les membres gréles, peu 
fournis, et, en apparence, de longueur démesurée; tandis 
que certains individus, au contraire, ont ces mêmes parties 
fortes et très-bien proportionnées, et surtout les muscles ju- 
meaux et soléaires trèes-prononcés. Leur chevelure n'est point 
laineuse ; elle est dure, très-noire et abondamment fournie. Ils 
la portent flottante et sans ordre, le plus souvent courte, en 
mèches très-frisées. La barbe participe de la nature des cheveux ; 
elle est le plus ordinairement rude et touffue sur les côtés du 
visage. Leur face est aplatie; le nez très-élargi, a des narines 
presque transversales. Des lèvres épaisses, une bouche déme- 
surément fendue, des dents un peu proclives, mais du plus bel 
émail, des oreilles à conque très-développée ', des yeux à demi 
voilés par la laxité des paupières supérieures, donnent à leur 
physionomie sauvage un aspect repoussant. La couleur peu dé- 
cidée de leur peau, qui affecte communément une teinte noire 
fuligineuse, varie en intensité, mais n'est jamais très-foncée. 
Plus laides encore que les hommes, les femmes australiennes 
ont des formes flétries et dégoutantes ; et la distance qui les 
sépare du beau idéal de la Vénus de Médicis parait immense aux 
yeux d'un Européen. 

Les mariages chez les Australiens se font par rapt, et l'usage 
a consacré l'habitude d'arracher une dent incisive aux hommes 
à certaine époque de la vie, et de couper une phalange aux 
femmes. Ils aiment se couvrir la tête et la poitrine de matières 
colorantes rouges, et cet ornement est de première nécessité 


GRANT ( Voy. à la Nouvelle- Galles méridionale ) peint de cette manière 
les habitants de la baie Jervis, peu éloignée du détroit de Bass : « Ces sauvages étaient 
«Jeunes, grands et vigoureux. Ils avaient des cheveux plus longs que ceux des autres 
« naturels que j'avais vus jusque-là : ils les avaient bouclés, mais point laineux comme 
« ceux des Nègres d'Afrique. » 


ZOOLOGIE. 109 
dans leurs coroborts, ou grandes cérémonies. Ils ont tous l'ha- 
bitude de se peindre le nez et les joues avec les mêmes fards 
grossiers, en y joignant des raies blanches, qui sillonnent le 
front et les tempes. Sur les bras et sur les côtés du thorax, ils 
font élever ces tubercules de forme conique, qui semblent être 
l'apanage du rameau nègre. Enfin, cette race, qui semble ignorer 
l'usage de tout vêtement, sous le rapport de la pudeur, se borne 
à sé couvrir parfois les épaules avec une peau de kangourou ou 
d'opossum, et à s'entourer le front avec des filaments tissés en 
réseau. Un grand nombre de familles se placent dans la cloison 
du nez des bâtonnets arrondis, et longs de quatre à six pouces, 
qui donnent à leur physionomie un aspect farouche; et cet 
usage nous le retrouvons chez tous les Papouas. 

Superstitieuses à l'excès, ces peuplades ont, cependant, con- 
servé l'usage de punir les sortiléges et d'avoir des jongleurs. 
Leurs différends se décident par des sortes de duels à nombre 
égal ou à armes égales, et des juges de camp établissent les règles 
du combat. La forme des armes dont ils se servent varie. A la 
Nouvelle-Galles, ils emploient la sagaie, sorte de javeline effilée, 
qu'ils lancent, par le moyen d'un bâton faconné pour cet usage, 
avec une grande vigueur et beaucoup de justesse. Ils s’attaquent 
le plus souvent avec une sorte de sabre de bois recourbé, que 
Lesueur à nommé sabre à ricochets (pl. 30, n° 6, atlas de 
Péron ), et que les naturels de Sydney désignent sous le nom de 
boumerang ou tatanamang. Cette arme caractéristique est éga- 
lement usitée au port Bowen et à l'ile Goulburn : et la manière 
de s'en servir est fort remarquable ; car c'est en lui imprimant 
des mouvements de rotation en l'air qu'ils frappent souvent le 
but à plus de quarante pas de distance. Leur dernier instrument 
de guerre, et en même temps d'utilité domestique, est le casse- 
tête ou woudah, avec lequel, dans leurs duels, chaque naturel 
assène alternativement sur la tête de son ennemi un coup que 


110 | VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


la dureté inouie du crâne rend moins dangereux qu'on ne de- 
vrait le supposer. Nous retrouvons chez tous ces peuples l'usage 
du bouclier. Celui qui leur sert à parer les coups de sagaie avec 
une grande adresse, est de forme ovalaire, oblongue, ou quel- 
quefois disposé en croissant; et nous avons vu un de ces na- 
turels condamné à servir de but aux coups d’une tribu qu'il 
avait offensée, parer avec une habileté peu commune plus de 
cinquante traits lancés avec vigueur, lorsque enfin une sagaie de 
xanthorœa, traversant son bouclier, vint lui percer la poitrine. 
Quant à l'emploi de l'arc et des flèches ‘, il est complétement 
inconnu sur le continent entier de la Nouvelle-Hollande. 

De toutes les peuplades de l'Australie, celles du port du roi 
George ont plus particulièrement senti la nécessité de se vêtir, 
à cause du froid intense de l'hiver, et elles ont assemblé, sous 
forme de petits manteaux, des peaux de kangourous : celles des 
alentours de Sydney et de Bathurst préparent les peaux de pé- 
tauristes, tandis qu'entre les tropiques les Australiens vivent 
dans un état de nudité parfaite. Les objets d'ornement se res- 
sentent du rétrécissement des idées de ces peuples. Ils se dé- 
corent, cependant, de colliers faits avec des chaumes de gramen; 
mais combien leur forme sauvage contraste avec l'élégance des 


S 
mêmes objets chez les naturels de la terre de Diémen! 


: Le capitaine King, qui a groupé quelques-unes des légères observations qu'il 
nous a données sur les peuples du pourtour entier de la Nouvelle-Hollande, remarque 
que la sagaie semble être d’un usage général parmi les habitants de l'Australie. Le 
bâton qui sert à la lancer n’existe pas à la Tasmanie, ni à la baie Moreton, si on doit 
s'en rapporter à un court séjour sur ce point. Il n’a reconnu que quelques différences 
peu sensibles dans cette arme, soit au port Jackson; soit à la côte S.-E., à la rivière 
Endeavour ; au N.-E., aux baies d'Hanovre et de Vansittart ; au N.-O., à la baie du roi 
George. Sur les côtes méridionales, cette sagaie est faite avec les tiges du xantho- 
rœa hastilis; ailleurs, avec des branches de manglier durcies au feu ( Bull. géogra- 
phique, i. V, p.251). 


ZOOLOGIE. ÿ III 

Les cabanes des Australiens se composent, autour du port 
Jackson , d'abris en rameaux ou en écorces d'arbres. Ailleurs, 
ce sont des sortes de nids, formés de branches entrelacées, ou 
parfois disposées en huttes grossières, recouvertes d'écorces. 

Les soins qu'ils prennent de leurs tombeaux annoncent qu'ils 
ont l'idée d’une autre vie. On a généralement observé qu'ils 
brülaient leurs morts, et qu'ils en enterraient les cendres avec 
une religieuse sollicitude. M. Oxley a même vu de ces tom- 
beaux, dont les arbres des alentours portaient des sortes d’at- 
tributs funéraires. Des observations positives semblent encore 
prouver qu'ils lèvent la peau des cadavres, afin que la com- 
bustion puisse s’opérer avec plus de rapidité. 

L'ensemble des habitudes des peuplades de la Nouvelle-Hol- 
lande , ainsi que leur genre de vie, ne présente point d'analogie 
bien démontrée. Leur industrie se réduit à la fabrication des 
filets pour la chasse et pour la pêche, dont on mange le produit 
sur le lieu même, en le faisant rôtir sur des charbons. Ces na- 
turels portent toujours du feu avec eux, dédaignent leurs femmes, 
auxquelles les travaux les plus rudes sont dévolus, tels que 
ceux de préparer la nourriture, dont elles et leur famille ne 
recoivent que les débris rejetés par leurs époux, ou de porter 
les ustensiles du ménage et leurs enfants sur le dos, tandis que 
l'homme chemine, n'ayant qu'une légère javeline à la main. Ce 
sont elles qui récoltent et préparent la racine de fougère, nom- 
mée dingoua, qui leur sert d’aliment journalier, et dont les 
hommes ne mangent que dans les moments de disette, ou lors- 
que la chasse vient à manquer. 

La manière de construire les pirogues varie presque autant 
que les tribus. Elles sont faites, au port Jackson, avec une longue 
écorce d’eucalyptus, solidement liée aux extrémités, tel qu'on 
en voit un bon dessin, pl. 34 de l'atlas de Lesueur et Petit. 
Dans la région intertropicale, un tronc d'arbre creusé en tient 


112 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

lieu. Plus à l'Ouest, dit King, à la baie d'Hanovre, c'est un 
radeau formé de tiges vieilles et légères de manglier. Ailleurs, 
dans l'archipel de Dampier, par exemple, leur intelligence n’a 
pu s'élever, pour passer les rivières, au-dessus du simple tronc 
d'arbre flottant. 

Chez ces peuplades, on a retrouvé des idées de dessin, qui, 
toutes grossières qu'elles paraissent être, indiquent, cependant, 
une certaine réflexion ; et l’on reconnait encore dans ces linéa- 
ments graphiques les êtres qu'ils sont destinés à représenter, 
tels que le casoar, le squale de Phillip, divers poissons, etc. 
Quant à leur chant, ce n'est qu'une modification informe de 
leur langage, et leur danse se borne aux mouvements lourds et 
ridicules qui imitent le saut du kangourou. Les beaux-arts, en- 
fants du repos et des doux loisirs, pourraient-ils germer chez 
des hommes toujours en quête de leur subsistance ? 

Le langage des Australiens diffère de tribu à tribu. Nulle part, 
on ne peut y reconnaitre la moindre analogie; mais il est vrai 
de dire aussi qu'il n’y a pas de langue moins connue. Cependant, 
il paraît que les naturels d'un endroit, transportés dans un autre, 
comme les Anglais l'ont fait très-souvent, ne peuvent se com- 
prendre. Les seuls mots qui nous ont présenté quelques rapports 
sont les suivants, usités d'une part par les naturels de Sydney, 
et de l’autre par ceux de Bathurst, au-delà des montagnes 
Bleues. L'orthographe des premiers est écrite d'après le génie 
de notre langue, et nous avons conservé pour les seconds celle 
de M. Oxley. Ainsi, nez se dit à Sydney Nougouro, et morro à 
la rivière Lachlan; les dents, nandarra, dans le premier lieu, et 
erra dans le second; cou, ouro et oro; poitrine, beren et bening ; 
cuisse, darra et dhana, etc. 

Ici se termine ce que nous avions à dire sur les variétés hu- 
maines qui peuplent les terres de la mer du Sud. De plus longs 
développements auraient peut-être été nécessaires pour rendre 


ZOOLOGTIE. 113 


clair et sensible l’enchainement des idées émises dans ce travail: 
mais nous ne pouvions ni les présenter, ni les discuter, sans 
outrepasser les bornes que la nature de cet ouvrage nous pres- 
crivait impérieusement. Les détails répandus dans l'historique 


viendront, d'ailleurs, suppléer à ce que nous avons dû passer 
sous silence. 


DÉTAILS ANATOMIQUES RELATIFS AUX CRANES DE QUELQUES-UNS DES PEUPLES 
DONT IL EST QUESTION DANS LE CHAPITRE PRÉCÉDENT. 


Nous donnons dans la planche 1° de notre atlas, le crâne, vu sous trois faces, 
d’une espèce d'hommes, que les Papouas nomment Alfourous-Endamêne. Nous nous 
en procurâmes plusieurs têtes à la Nouvelle-Guinée; les renseignements que nous 
avons obtenus indiquent qu’elles appartenaient aux tribus sauvages de l'intérieur , 
bien différentes de celles qui vivent sur les côtes et dans les îles méridionales de ce 
système de terres; ce que prouve leur conformation anatomique. Les crânes d’Al- 
fourous ont été examinés et comparés avec les têtes recueillies par nous à Waigiou, 
et avec celles rapportées du même lieu par MM. Quoy et Gaimard , et qui ont servi 
de types à leurs Papous ( Vegro-Malais Hybrides ). Nous avons aussi présenté les 
caractères qui les distinguent des boîtes osseuses cräniennes des Nouveaux-Zélan- 
dais du rameau océanien, du Nègre mozambique d'Afrique et du Français. 

Le crdne des Papous ‘ est remarquable par un aplatissement considérable à sa 
partie postérieure : cet aplatissement est tel, qu'il forme une surface carrée, dont 
les angles seraient arrondis. Cette disposition ne rend pas pour cela le diamètre 
occipito-frontal beaucoup plus petit comparativement aux têtes d'Européens , d’Al- 
fourous et de Mozambiques : mais il n’en est pas de même du diamètre bi-pariétal, 
qui est beaucoup plus grand; ce qui est dû au développement plus considérable des 
bosses pariétales. Le coronal, quoique un peu plus large que celui d'un Européen, 
ne présente point de différences assez tranchées pour qu’on puisse les indiquer. La 
face a également plus de largeur; ce qui provient de la plus grande étendue du 
diamètre transversal de la cavité orbitaire, et d’un léger aplatissement de la voûte 
nasale. L'ouverture des fosses nasales est, en tout, semblable à celle d’un Européen; 
mais la distance d’une apophyse mastoïde d’un côté, à celle du côté opposé, est 


r Ces crânes ont été recueillis sur les tombeaux des naturels de Waigiou, et sont analogues à ceux décrits 


dans la Partie Zoologique du voyage de l'Uranie. 


Foyage de la Coquille. —Z. Tome 1. 15 


114 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


plus grande. Le diamètre vertical est assez identique avec celui qui est propre aux 
têtes d’4{fourous ou d'Européen ( Voy. les planches 1 et 2 de l’atlas zoologique de 
MM. Quoy et Gaimard ). 

Le crâne des Alfourous se rapproche davantage de celui des Nègres d'Afrique, 
c’est-à-dire, des Mozambiques. Les différences que nous remarquämes, sont : 1° un 
aplatissement des parois latérales de la voûte cränienne, disposition qui fait faire une 
saillie en dos-d’âne au sommet de la voûte; 2° le diamètre occipito-frontal est un 
peu plus allongé dans le premier; 3° la coupe de la face offre un peu moins d’obli- 
quité que celle du Mozambique, de sorte que l’angle facial est plus ouvert dans 
les têtes d’Alfourous, d’où il résulte que la voûte nasale est plus verticale. Les. 
fosses nasales sont un peu moins larges. Si nous examinons les pommettes, nous 
trouvons qu'elles sont moins saillantes chez l’Alfourous que chez le Mozambique. 
Mais cette saillie des pommettes est plus considérable que chez le Papou et que 
sur la tête d’un Européen, et cela est dû à la profondeur des fosses sous-orbitaires. 
Les mâchoires de l’Alfourous, quoique moins proéminentes que celles du Mozam- 
bique , le sont encore beaucoup comparativement à celles du Papou et de l’Eu- 
ropéen. 

Les têtes d’Alfourous tiennent le milieu, pour la forme générale, entre les crânes 
des Nouveaux-Zélandais et ceux des Nègres mozambiques. Comme chez ces derniers, 
les deux mâchoires forment un prolongement assez avancé pour qu'on puisse les 
comparer à la face d’un orang. La mâchoire inférieure de l’Alfourous a le même 
développement que celle du Mozambique; mais elle est plus rétrécie que celle du 
Papou. Comparées toutes les trois à la mâchoire inférieure de l'Européen, elles en 
diffèrent , par la forme de l'os, par la base ou bord inférieur, et enfin par la 
symphyse. 

19 La partie antérieure du corps de l'os, au lieu d’être inclinée en arrière, 
comme dans l’Européen et le Nouveau-Zélandais, est coupée perpendiculairement ; 
ce qui contribue à faire saillir davantage les arcades dentaires. La base de la mà- 
choire est plus arrondie, et se relève un peu en avant, chez l'Alfourous, le Mozam- 
bique, le Papou, et même le Nouveau-Zélandais. La courbure est toutefois moins 
sensible chez les Papous. Posés sur un plan horizontal, les bords inférieurs de ces 
mâchoires ne s'y appliquent point dans tous les sens, comme le fait celle de l’Eu- 
ropéen : les angles latéraux de la symphyse sont par conséquent plus arrondis que 
dans ce dernier. 

L'os coronal d’un Nouveau-Zélandais est moins bombé que celui d’un Euro- 
péen; les angles orbitaires externes sont beaucoup plus épais, et la ligne courbe qui 
en part est aussi plus saillante. Le sommet de la tête se prolonge un peu en pain de 
sucre, comme dans celle de l’Alfourous. La voûte nasale n'offre rien de particulier. 
La partie antérieure du corps de la mâchoire inférieure est à-peu-près disposée 


ZOOLOGIE. 115 


comme dans l’Européen, et elle n’en diffère que légèrement par la rondeur des 
angles et par la faible courbure de la base. Les arcades alvéolaires ont un peu plus 
de développement. L’angle facial ne s'éloigne guère de celui de l'Européen, et seu- 
lement la protubérance occipitale externe se prononce avec plus de force. Enfin, 
les os du crâne des Nouveaux-Zélandais sont remarquables par une grande épais- 


seur. 


TABLEAU COMPARATIF DES PROPORTIONS 


QUE PRÉSENTENT LES DIVERSES PARTIES DES CRANES, DE 


_ WAT-|NOUV.-GUINÉE. 

k NEGRE GIOU LE 

FRANCAIS. Tr . NOUV.-ZELANDAIS, 
? MOZAMBIQUE.| — 


PAPOU. ALFOUROUS. 


mètres, inètres. mètres. mètres. mètres. 
Diamètre antéro-postérieur ou occipito-frontal 0,185 0,171 0,176 0,183 0,180 
— transverse ou bi-pariétal 0,131 0,124 0,144 0,126 0,131 

— perpendiculaire ou sphéno-bregmatique . . .| 0,135 0,122 0,142 0,135 0,142 
Distance de la protubérance occipitale à la symphyse 
du menton 0,185 0,201 0,217 0,198 

du sommet de la tête à la symphyse 0,221 0,221 0,217 0,223 

——— d’une arcade zygomatique à celle opposée. .| 0,137 0,122 0,138 0,133 
——— d’un angle de la mâchoire à celui du côté op- 
osé 0,104 0,090 0,095 0,099 


dyloïde 0,063 0,061 0,068 : 0,065 


— d’une apophyse mastoïde à celle du côté op- 
Hs Qulos bé oledio noie oboles Doi ic 0,104 0,099 9,099 0,106 
——— de l'angle orbitaire externe à celui du côté 
opposé 0,104 0,099 0,111 0,111 
0,038 0,050 0,043 
= 0,036 0,041 0,038 
Largeur des fosses nasales 0,025 0,027 0,025 
Diamètre antéro-postérieur du trou occipital 0,034 0,034 0,054 
——— d'une tubérosité molaire de los maxillaire 
supérieur à l’autre 0,045 L 0,054 » 
Angle formé par une ligne partant de la symphyse du 
menton à la protubérance occipitale, et par une 

autre ligne partant de la symphyse à la bosse 
frontale 70 degrés.| 58 degrés.|(r) » 67 degrés. 67 degrés. 


(:) Les têtes qui ont été comparées entre elles n’étant pas 
parfaitement entières, nous avons été forcés de négliger quel- 
ques-unes de leurs dimensions. 


TABLEAU DE LA TAILLE DE QUELQUES-UNS DES NATURELS MENTIONNÉS DANS LE 
MÉMOIRE PRÉCÉDENT. 


; PAPOUS DES AUTEURS OU AUSTRALIENS. 
OCÉANIENS. Ua BAM QUE RAR US 
2 OU NEGRO-MALAIS HYBRIDES. 

ee 7 HABITANTS 
É û HABITANTS de la AnGze |[OBSERVATIONS. 
TAITI ET BORABORA HABITANTS ANGLE de la EE NOUV.-GALLES|TAILLE 


. San n de at TAILLE, 
( archipel de la Société ).|TAELE- Qi anges NS racar,| du Sud. FACIAL. 


WAIGIOU. ‘| (Port-Praslin.) (Sydnex. ) 


7 - 
_—_ | | 


mètres, | numéros. mètres. | degrés. numéros. mètres. és. numéros. mètres. 
Totoe ( Taïti). 1,773 1,626 | 64 (x) 1 1,678 
Vaeié. 1,787 1,983 | 67 1,097 
Aïma. 1,787 1,970 | 67 1,669 
Upaparou. 1,827 1,556 64 1,678 
Faïta. 1,854 1,658 | 66 1,651 
» (Borabora). | 1,868 1,658 | 65 1,597 
» 1,841 1,611 68 1,674 AS ee 
> 1,732 1,611 | 69 1,647 1,543 ae 
Plusieurs. 1,705 1,502 66 1,629 .| 1,624 partant des dents inci- 
Le roi Tefaora. 1,841 1,529 | 69 1,692 Sives supérieures, et se 
1,543 65 1,678 posant, l’une 2e ra-|} 
es 1,168 | 65 1,787 Be CU 
Teimo. 1,678 1,502 65 (2) Dimensions dela 
Matihé. 1,678 1,489 65 tête, du front à l'occi- F 
Ouaira. 1,678 1,509 | 66 Pa 1 01895 n° 2, |l 
Teimamo. 1,692 ) 1,583 | 63 FA 
1,678 66 
1,502 
1,543 | 65 
1597 | 65 


# 


1,502 Les mesures que nous 
1,516 donnons ici ontété pri-|E 
5 ses pendant la campa- 
170 gne : nous nous dispen- 
1,651 sons d’y ajouter celles |K 
| 1,692 données par les autres 
1 732 voyageurs. 
2 , » 
1). L'angle que nous|k 
1,705 (x) L'angle q 


mn 


SI D OrF Co D 
GI DEF & N 


© DU Door & N 


ZOOLOGIE. 117 


CHAPITRE IT. 


CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR QUELQUES MAMMIFERES. 


Lx nombre des animaux mammifères diminue à mesure qu'on 
s'éloigne des continents et des grandes terres des archipels 
d'Asie, et se réduit à quelques petites espèces, isolées sur les 
iles de la mer du Sud. Quoique nous ayons séjourné sur quatre 
points très-éloignés de l'Amérique; que nous ayons visité la 
Nouvelle - Hollande, la Nouvelle-Zélande, les iles de Java, de 
Bourou, d'Amboine, et surtout la Nouvelle-Guinée, nous n'a- 
vons rapporté en Europe que quinze espèces. Ce petit nombre 
ne doit point étonner, lorsqu'on se rappelle que les expéditions 
nautiques ne font que des apparitions temporaires et toujours 
très-courtes sur les rivages des contrées qu'elles doivent explorer 
principalement sous le rapport géographique. 

Malgré nos courses nombreuses dans les forèts vierges du 
Brésil, nous ne renconträmes point les tatous, les agoutis, que 
les habitants nous indiquèrent comme très-abondants. Nous 
vimes seulement sur les montagnes que traverse la route de 
l'Armaçao un grand nombre de singes, qui paraissent être le 
sajou saï ( cebus capucinus, Desm. Mamm., 73 esp. ). 

Les iles Malouines, placées dans les hautes latitudes australes, 
battues des vents, dépourvues de tout végétal ligneux, n'offrant 
aucun refuge aux mammifères terrestres, nous permirent, ce- 
pendant, de faire quelques remarques intéressantes. Les ani- 
maux domestiques que les Européens y portèrent, lorsqu'ils 
s’établirent à la Soledad, abandonnés à eux-mêmes sur ces terres 
dégarnies, et qui ne forment qu'une longue prairie rase, tantôt 
uniformément plate et tantôt montueuse, s’y sont parfaitement 


118 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

naturalisés. Aussi n'est-il pas rare de voir des troupes de che- 
vaux, vivant, par bandes de trente ou quarante, dans des can- 
tons que chacune d'elles semble s'être réservés. Nous eùmes 
occasion d'observer plusieurs traits de l'intelligence instinctive 
perfectionnée de ce noble animal, qui conserve encore, au mi- 
lieu de ses mœurs redevenues sauvages par l'état de liberté, 
quelques-unes des généreuses qualités qui en font le plus docile 
compagnon de l’homme. L'hiver doit détruire, chaque année, 
aux iles Malouines, un grand nombre de jeunes individus, avant 
qu'ils se soient endurcis à sa rigueur, et que la nature leur ait 
donné, pour s'en garantir, le poil long et épais qui les revêt, 
sans pour cela en enlaidir la race, qui s’est encore conservée 
remarquablement belle. Nous ne vimes qu'un petit nombre de 
bœufs, et leur espèce a dù souffrir des chasses fréquentes que 
les baleiniers en relâche ne manquent point de faire, pour pro- 
curer des vivres frais à leurs équipages. Leur chair n’est point 
agréable à manger, parce que sa saveur n'a point été modifiée 
par la castration. On assure que les Espagnols déposèrent sur 
ces iles, en 1780, jusqu à huit cents têtes de bétail; mais ce 
nombre nous parait certainement exagéré. Les cochons se sont 
également propagés sur les îles Malouines, et principalement 
sur un ilot, qui est à l'entrée de la baie Française. Leur nour- 
riture n'est ni succulente, ni même abondante : aussi leur chair 
maigre, quoique possédant un fumet agréable, n'a aucun rap- 
port avec celle de nos cochons domestiques, et encore moins 
avec celle des sangliers. Leurs poils d'une rudesse extrême sont 
généralement de couleur rouge de brique. Les lapins, que les 
chasseurs n'inquiètent que passagèrement, ont établi de nom- 
breuses garennes très-peuplées. Elles sont généralement placées, 
près des ruisseaux, au fond des vallons resserrés; et les terriers 
sont creusés profondément sous les touffes du seul et frêle ar- 


brisseau de ce coin du monde, l'amnellus diffusus de Wildenow 


ZOOLOGIE. 119 


(D'Urvizze, fl des Malouines, n° 80), quon observe prin- 
cipalement à l'anse Chabot. Il se pourrait que ces animaux aient 
été portés par les premiers colons, quoique les anciens naviga- 
teurs, et Magellan entre autres, les aient vus sur l'extrémité 
australe de l'Amérique. Ce n'est toutefois qu'avec réserve que 
nous décrivons comme espèce le /epus magellanicus. Parmi les 
animaux qu'on peut véritablement regarder comme indigènes 
des iles Malouines, sont les phoques et le chien antarctique. 
Nous donnons quelques détails sur les premiers dans la descrip- 
tion de l'espèce nouvelle, que nous avons nommés ofaria mo- 
lossina ; et quant au chien antarctique, nous ne l'avons entrevu 
qu'une fois. Il est décrit dans la Mammalogie de Desmarest 
(298°), d'après Shaw ( Gen. zool. v. I, part. ÎT, p. 331 ), sous 
le nom de cants antarcticus, auquel on donne pour synonyme 
le culpeu de Molina ( Hést. nat. du Chili, p. 274 ). 

Sur les côtes de l'Amérique méridionale, que baigne le Grand- 
Océan, au Chili et au Pérou, où nous ne séjournàmes que 
quelques jours, nous ne nous procuràmes point de mammifères. 
Cependant, les attérages de la Concepcion et l'immense baïe de 
Talcaguana étaient remplis de cétacées et de phoques, qui na- 
geaient au milieu des prairies flottantes du fucus pyriferus et du 
d'Urvillæa utilis, le porro des Chiliens. C'était surtout près de la 
petite ile de Quiriquine que ces derniers animaux étaient réunis 
en plus grand nombre, et qu'ils étaient groupés sur les rochers 
qui la bordent du côté de la mer. L'un d'eux, qui nageait très- 
près de la corvette, se saisit devant nous d’une sterne qui volait 
au-dessus de l'eau en compagnie d'un tres-grand nombre de 
mouettes. Ces oiseaux maritimes rasaient la mer, et se préci- 
pitaient les uns sur les autres pour saisir les débris des poissons, 
qui étaient dévorés par le phoque, lorsque celui-ci, sortant vi- 
vement sa tête hors de l’eau, s'efforcait à chaque fois de saisir 
un des oiseaux, et y parvint en notre présence. Le chien qui 


120 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

habite le Chili paraïitrait former une espèce bien distincte: sa forte 
taille, son poil long et hérissé, ses oreilles droites et grandes, 
son museau allongé, lui donnent une physionomie hideuse et 
repoussante, et le placent dans la section des chiens loups. 

Molina, dans son histoire naturelle du Chili, indique trente- 
six espèces de mammifères. : 

Nous ne vimes guere que le coati roux, qu'on dit être com- 
mun aux alentours de Penco, quelques tatous et une sorte de 
chat, peut-être le yaguarundi de D'Azara, que nous ne pumes 
nous procurer; mais il est vrai que nos excursions se bornèrent 
au cercle étroit de la presqu'ile de Talcaguana. Combien, ce- 
pendant, le Chili serait intéressant à visiter sous le rapport des 
sciences naturelles! C’est une des contrées qui doit un jour le 
plus enrichir la zoologie. Que d'espèces, peut-être aussi inté- 
ressantes que le chlamyphorus truncatus de Harlan , sont cachées 
dans les forêts épaisses de l'extrémité méridionale des Andes, 
du pays des Puelches ou des Araucanos! 

Au Pérou, nous ne vimes, près de Callao, qu'un petit cam- 
pagmol, à pelage gris, qui est commun dans les champs : nous 
n'en rencontrames point à Colan et à Payta. Les sables frappés 
de stérilité, qui couvrent cette étendue de pays, et qui s’avan- 
cent assez avant dans l'intérieur, ne paraissent point propres à 
nourrir aucun quadrupède de certaine taille. Des squelettes de 
phoques, épars cà et là sur les grèves, annoncent que ces ani- 
maux vont jusque sous la ligne. Des gens du pays nous indi- 
querent une espèce de gerboise, qu'on trouve assez commu- 
nément dans les dunes sablonneuses des environs de Piura, et 
sur l'existence de laquelle nous n'avons obtenu aucun rensei- 
gnement positif. Nous observämes que la plupart des chiens de 
Payta appartenaient à la race des chiens sans poils ( canis ægyp- 
us ), le chien ture de Buffon, qui est originaire d'Afrique, sui- 
vant les auteurs. 


ZOOLOGIE. T21 


Les iles de la mer du Sud n'ont point de quadrupèdes indi- 
gènes autres que le rat, qui s’est propagé partout où l’homme 
existe; un mulot :, et le chien et le cochon, qui y sont élevés 
en domesticité. Cependant, ces deux animaux ne se trouvent 
point répandus sur toutes ces terres indifféremment. Ainsi, le 
chien, nommé ouri, dont on mange la chair dans les jours de 
fête, n’existe point sur plusieurs des iles océaniennes ; et le co- 
chon qui appartient à la race dite de Siam, n'est observé que 
sur les iles habitées par les vrais Océaniens, et ne se trouve 
point sur aucune de celles dont les peuplades de notre rameau 
mongol-pélagien sont en possession. 

Les cochons, nommés bouaa aux iles de la Société, sont l'ali- 
ment des chefs : c'est le mets d'apparat de toutes les cérémonies; 
et la maniere de les faire cuire dans des fours souterrains, et de 
les servir entiers, comme le faisaient les héros d'Homère, est 
connue de tout le monde; tant les voyageurs se sont plu à en 
répéter les moindres détails. Cette espèce est de petite taille; son 
pelage , souvent frisé et dur comme de la bourre, est mélangé 
de roux, ou parfois est entièrement noir. Elle vit fréquemment 
dans les bois, où les Taitiens l'abandonnent à elle-même : c’est 
alors que les défenses se développent dans les mâles, et four- 
nissent à ces naturels un genre d'ornement qu'ils recherchent. 
Enfin, les missionnaires anglais ont essayé de naturaliser quel- 
ques animaux domestiques; car tous ceux qui ont été portés par 
les premiers navigateurs n'ont jamais prospéré; mais leurs ef- 
forts, mal dirigés, n'ont point eu de succès. Un gramen coupant, 
nommé périptri, a toujours fait périr les brebis, que plusieurs fois 
on y a introduites. Seulement, de nombreux troupeaux de cabris 


* Nommé ioré à Taiti. Ce mulot, dont le pelage est d’un gris-roux et la queue 
presque nue, vit en abondance, autour des habitations, des racines et des fruits qui 
jonchent le sol. 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 16 


122 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

attestent que ces animaux, utiles, et peu difficiles dans le choix 
de leur nourriture, sont les seuls qu'avec peu de soins, on puisse 
acclimater partout entre les Tropiques. 

En remontant au Nord et à l'Ouest, notre séjour sur l'ile 
d'Oualan ne nous a permis d'y remarquer que deux espèces qui 
y soient vraiment indigènes. L'une est la roussette Kéraudren, 
que les naturalistes de l'Uranie trouvèrent aux Mariannes, et 
qui est propre aux archipels compris entre les Philippines et 
Oualan : elle existe aux iles de Palaos , suivant Wilson, qui la 
mentionne sous le nom d'oleek. Cette roussette, que les naturels 
nomment qguoy, vole aussi bien le jour que la nuit : ses habi- 
tudes sont sociales; et nous en rencontrames souvent de réunies 
en grand nombre, et accrochées, près les unes des autres, aux 
branches desséchées des arbres. Le surmulot commun (nus 
decumanus, Mamm. Des. 473), nommé kousique, pullule prin- 
cipalement autour du grand village de Lélé, où il semble pros- 
pérer en paix, protégé par l'indifférence des naturels. 

Les Papouas qui habitent la grande ile nommée Nouvelle- 
Irlande par Carteret nous apportèrent souvent des dents ca- 
nines de cochon, recourbées sur elles-mêmes et très-longues, 
ressemblant à celles du babi-russa. Les descriptions que nous 
firent ces naturels, toutes grossières qu'elles fussent, semblent 
nous autoriser à dire que cet animal, rare dans quelques-unes 
des Moluques orientales, se serait avancé sur ces terres que 
nous regardons comme le prolongement naturel de la Polynésie. 
Il trouverait, d'ailleurs, dans les immenses forêts vierges de la 
Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-[rlande, les mêmes éléments 
d'existence qu'aux Moluques. Toutefois, le cochon, que les na- 
turels du Port-Praslin nomment boureé,, et qu'ils apportaient à 
bord de notre corvette, est de petite taille, et, par l'ensemble 
de ses formes corporelles, se rapproche de l'espèce dite de Siam : 
il n'y est pas commun; car nous n'en vimes qu'un très-petit 


ZOOLOGIE. 123 
nombre, et les naturels paraissaient y attacher la plus grande 
valeur. 

Le phalanger blanc (p. cavifrons, Temm.), nommé kapoune 
par les Nègres de la Nouvelle-Irlande , est multiplié dans cette 
contrée. Ce joli animal, aux mouvements lents, à la démarche 
irrésolue, parait offrir plusieurs variétés : nous en donnons une 
bonne figure et une description étendue. Les chiens, nommés 
poull, sont de petite taille; leur museau est pointu, et leurs 
oreilles sont dressées. Ils nous parurent en tout semblables à 
ceux de la Nouvelle-Hollande. Courageux et très-carnassiers, ils 
vivent de tout ce qu'ils rencontrent, et notamment de poissons et 
de crabes, qu'ils vont pêcher sur les récifs. Les naturels se nour- 
rissent de leur chair, qu'ils trouvent très-délicate : ils pensaient 
que nous faisions le même usage de ceux que nous achetàmes 
vivants, et que nous fümes obligés d'abandonner au Port-Jack- 
son. Nous observames aussi au Port-Praslin une très-petite 
espèce de vespertilion. 

L'ile de Waigiou, que nous visitâmes après la Nouvelle-Ir- 
lande , fait partie du groupe nommé terre des Papous. Là, nous 
retrouvames les productions animales des Moluques et du Port- 
Praslin, et les naturels nous y indiquèrent encore l'existence 
du babi-russa, sur lequel nous ne pümes nous procurer aucun 
renseignement positif. Nous croyons devoir y indiquer un petit 
quadrupède", nommé kalubu par les habitants, à pelage gris, à 


1 Nous retrouvons dans nos notes les renseignements suivants, relatifs à cette espèce, 
à laquelle nous conservons le nom spécifique de kalubu, sans lui assigner une dé- 
nomination générique. 

« Cet animal , de la famille des marsupiaux , est voisin, par l’ensemble de ses ca- 
« ractères, du z7icouré nain de d’Azara. Le pelage est d’un gris fauve; la queue 
«nue, longue de 18 lignes; le corps de la grosseur d’un mulot ; il y a cinq doigts 
«aux pieds antérieurs, dont les deux externes sont très-courts, tandis que les autres 
« sonttrès-allongés et munis d’ongles forts; les pieds de derrière ont également cinqdoigts, 
« dont un pouce petit et sans ongle; les doigts du milieu sont réunis comme dans 


«les phalangers, et l’externe est très-long ; la poche marsupiale est peu apparente. » 
16. 


12/ VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


museau très-effilé, qui fut perdu dans le naufrage de l'un de 
nous au cap de Bonne-Espérance. Le grand phalanger tacheté 
(cuscus maculatus, major ) est très-commun dans cette île, où 
les naturels le nomment scham-scham. Remarquable par son 
épaisse fourrure laineuse, blanchätre, que recouvrent des taches 
arrondies d'un noir vif; par sa face rouge, ses yeux carminés, 
enveloppés d’un rebord palpébral lâche; cet animal , qui n’a 
point une physionomie agréable, voit à peine pendant le jour, 
tandis, au contraire, que sa pupille, contractéert verticale sous 
l'influence de la lumière, se dilate au soir et pendant la nuit. 
Les phalangers de cette espèce conservés au Muséum n'étant 
point complétement adultes, et les couleurs de leur pelage 
n'étant pas aussi prononcées que celles de l'individu que nous 
avons rapporté, nous l'avons fait peindre, en ajoutant quelques 
détails à son histoire. 

Quelques jours après notre départ de Waigiou, nous attei- 
gnimes Bourou, une des Moluques. Cette ile, vaste et belle, sur 
laquelle les Européens n'ont encore formé qu'un établissement 
sans importance , est située non loin de Céram, et nourrit les 
animaux les plus intéressants pour le zoologiste qui pourrait y 
faire un séjour de quelque durée. Une grande espèce de cerf s'y 
est multipliée de manière à fournir des vivres frais en abon- 
dance aux soldats de la garnison de Cajéli; et la roussette des 
Moluques ( pteropus edulis), dont la chair délicate est recher- 
chée par les habitants de l'ile, se trouve communément dans les 
bois. 

Le mammifere le plus remarquable de Bourou, et qui manque 
encore à nos musées, est le babi-russa ou cochon- cerf; et nous 
eumes le regret de partir de cette ile après avoir infructueuse- 
ment essayé de nous procurer ce précieux animal, quoique le 
radjah malais de Cajéli nous eût bien promis de nous en vendre 
deux, qu'il devait faire venir du centre de l'ile, et qui durent 


ZOOLOGIE. 125 
arriver quelques jours après notre départ. Les habitants nous 
dirent que le babi-russa est très-multiplié, dans l'intérieur, sur 
le territoire des Alfourous, et qu'il se plait au milieu des jones 
et des plantes aquatiques. L'un de nous, étant à Java vers la fin 
du voyage de la Coquille, eut occasion d'observer un babi-russa 
male adulte, un jeune et deux femelles, qui appartenaient au 
gouverneur général des Indes, Van der Cappellen, et qui étaient 
destinés pour la Hollande : nous avons appris depuis qu'ils 
avaient péri dans le voyage, et que leurs dépouilles n'avaient 
même pas été conservées. Le babri-russa male avait deux pieds 
et demi de hauteur environ. Ses formes, quoique robustes et 
massives, n'étaient pas sans élégance, et s’éloignaient, par leur 
ensemble, de celles qui appartiennent aux cochons en général. 
Les jambes étaient grosses et proportionnées, très-droites et 
non gréles, comme on les décrit ordinairement. Le corps était 
plein et régulier dans ses contours, d’ailleurs bien dessinés et 
arrondis. La tête était allongée, à chanfrein bombé. La queue, 
assez grosse à son origine, se terminait par une pointe déliée ; 
elle était presque complétement nue. La peau du corps, de cou- 
leur noire, sillonnée de rides et de plis, portant seulement quel- 
ques poils rares, imitait un peu, par sa dureté et son aspect, 
celle du tapir. La portion qui entourait la base des deux dé- 
fenses fortement recourbées de la mâchoire supérieure était dé- 
chirée et saignante; ce qui était dû à la manière dont s'accrois- 
sent, en perforant la peau, ces mêmes dents. Les cils manquaient 
aux paupières. L'iris était jaunatre. Les deux orteils antérieurs 
des pieds étaient allongés, plus séparés que dans les autres 
espèces du même genre, et à sabots un peu convexes en 
dessous. Les dimensions des femelles, qui n'avaient point de 
défenses, étaient beaucoup plus petites. Cette espèce de cochon 
nous semble véritablement organisée pour vivre dans les ma- 


5 
récages. Ceux que nous vimes en captivité se nourrissaient ex- 


120 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

clusivement de maïs, et manifestaient une humeur farouche et 
une inquiétude qui ne leur permettaient point de rester quel- 
ques secondes en repos. La figure que Siavorinus à donnée du 
babi-russa est très-mauvaise : elle est copiée de Valentyn; et, 
par une erreur grossière, on a donné des ongles crochus, au 
lieu de sabots, aux doigts de cet animal pachyderme :. 

À Amboine , que le séjour de Rumphius a rendue si célèbre, 
on ne trouve que peu de productions propres à cette ile. La 
plupart des animaux décrits comme provenant de cette loca- 
lité, appartiennent, en effet, à d’autres iles Moluques, et 
notamment à Céram et à Bourou; tels sont le tarsier, le che- 
yrotain pygmé et le pélandoc. Ce dernier, nommé podin par les 
naturels de la Nouvelle-Guinée, n’est point rare dans les grandes 
forêts équatoriales des Papouas, où un grand nombre d'animaux 
trouvent sans cesse toutes les conditions favorables pour une 
multiplication paisible. Notre commis aux revues acheta, des 
naturels de Doréry, un pélandoc en vie ( dédelphis Bruni ); mais 
cet animal, que nous nous réservions de lui demander pour nos 
musées, se jeta à la mer dans le courant du voyage, et fut perdu. 
Nommé kangourou d'Aroë, parce qu'il fut trouvé sur l'ile de ce 
nom, voisine des Moluques, il est le premier animal qui, par 
son organisation et la brièveté des membres supérieurs, présenta 
tous les caractères extérieurs qu'on a retrouvés depuis dans les 
kangourous de la Nouvelle-Hollande. Cependant, il est plus ra- 
massé dans ses formes ; et peut-être, lorsqu'il sera mieux connu, 
et que son système dentaire et ses viscères auront été étudiés, 
formera-t-il un nouveau genre. Sa taille est celle du lapin, 
et le gris-brun est la couleur de son pelage. Il se nourrit de vé- 
sétaux; et, cependant, malgré son organisation viscérale et 


? Stavorinus, ’oy. aux Indes Orientales, t. Il, pag. 254. — Muséum de Grew, 
pl. 1, pag. 27. — Séba, t. I, pl. bo. 


ZOOLOGIE. 127 


dentaire, il aime de préférence la viande. Ses mœurs sont douces 
et paisibles, et le rendent aisément familier. 

Nous ne quitterons point les forêts vierges et gigantesques de 
cette Nouvelle-Guinée, si peu connue, et si féconde en animaux 
rares et précieux, sans indiquer que tout porte à croire à l'exis- 
tence du babi-russa sur ces terres peu distantes des Moluques, 
et présentant, comme elles, l'ensemble des mêmes productions. 
Chacun de nous, en parcourant les alentours du havre de Do- 
réry, eut fréquemment occasion de rencontrer l'espèce de co- 
chon que nous décrivons sous le nom de sus papuensts. 

Les naturels de la Nouvelle-Guinée apportaient journellement 
à bord l'espèce de chien qui vit dans leurs huttes, et qu'ils nom- 
ment nafe. Elle ne différait point du chien de la Nouvelle-Ir- 
lande, et très-peu de celui de la Nouvelle-Hollande ( c. Æustra- 
lasiæ ). Comme dans ce dernier, le pelage est ras, fauve ou noir, 
le museau effilé; les oreilles sont droites et courtes, les habi- 
tudes hardies, et l'aboiement nul. 

Une seule fois, nous vimes une sorte de grand écureuil volant 
ou de galéopithèque gravir sur un muscadier sauvage , et dispa- 
raitre au milieu de son feuillage verdoyant et de ses fruits aro- 
matiques. Les rats, dont l'espèce semble avoir envahi les deux 
hémisphères, sont abondants autour des villages de Manasouary 
et de Masmapy. 

Le mammifere sur lequel nous nous arrèterons un instant 
est la roussette édule ( pteropus edulis), qu'on rencontre à peu 
près également sur toutes les iles Moluques et Papoues. Cet 
animal, que les Malais nomment bourung-tthous , s'apprivoise 
assez volontiers. Les froids du Sud de la terre de Diémen nous 
en firent périr un, que nous devions à l'obligeance du docteur 
hollandais Æarloff, et qui était devenu très-familier. Sa nour- 
riture principale consistait en fruits sucrés, et particulièrement 
en bananes. La position habituelle de cette roussette était la tète 


12e VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


en bas et suspendue par les pieds. Elle conservait parfois sa 
nourriture dans des sortes d’abajoues, et, lorsqu'elle satisfaisait 
à ses besoins, elle se dressait, et se tenait accrochée par l’ongle 
recourbé du pouce des ailes . 


1 Cette espèce, que nous étudiâmes à bord aussi bien qu’il est possible de le faire 
sur un navire, nous présenta les détails suivants : 


pouces lignes m. 

Enyeroure. = 0: FA A NE AR Ne 34 D 00,920 
Longueur du museau à l’anus.............. DMC RON 
ide Ha tetes MEN 2 AROMMO 00 
de IQ UMEUS EE EAU SONO 000 
———— des extrémités postérieures. . ...... DHMONMO 1710 
Circonférence du corps......... A tbe TANGO 0209 


La langue de cette roussette est épaisse , Charnue, et comme parquetée ou rugueuse 
à sa partie moyenne. Un sillon assez fortement creusé existe entre les narines. Les 
yeux sont distants de 8 lignes l’un de l’autre; l'iris est de couleur brune. Le foie est 
volumineux, et occupe toute la région épigastrique : il est divisé en quatre lobes, 
dont deux plus petits. La vésicule biliaire correspond à la face inférieure du second 
lobe , qui est échancré. La rate est petite, mince et allongée. Les reins ont la forme 
de fèves. Les ovaires sont très-peu prononcés, arrondis, et logés dans l’espace que 
laissent entre eux les ligaments de la matrice, dont les cornes se prolongent et croisent 
la direction des uretères. En dedans des reins et sur la colonne vertébrale, on ob- 
serve deux corps blanchâtres, gros comme un pois, qui semblent communiquer avec 
les reins par un petit conduit. L’œsophage s’élargit pour s'unir à l'estomac : celui-ci 
est placé horizontalement au bas de la région hypogastrique, et occupe tout l’hy- 
pocondre droit. Le duodenum a trois courbures. La longueur totale des intestins est 
de 2 mètres 619 millimètres. Diverses colonnes charnues, dans l’intérieur de l’organe 
gastrique , se portent vers les deux ouvertures pylorique et œsophagienne. Les 
troncs artériels du foie se distribuent principalement dans les deux lobes les plus 
volumineux. Le diaphragme est mince. Les poumons sont petits, rougeûtres : le droit 
est divisé en trois lobes, tandis que le gauche n’en a que deux. Le cœur, assez volu- 
mineux, n’a rien de particulier. Le sternum est très-étroit, et présente une saillie ou 
crête assez considérable sur sa face externe. Très-fréquemment, nous observämes, pen- 
dant plusieurs jours, une exsudation sanguine abondante sur le pourtour extérieur des 
organes de la génération de cette roussette, exsudation qu’on ne peut se dispenser de 


regarder comme l’analogue du flux menstruel de certaines espèces de singes et de 
la femme. 


ZOOLOGIE. 129 


Nous ne quitterons point cet archipel sans mentionner Java. 
Ce n'est point que nous ayons à indiquer des quadrupèdes de 
cette ile ; cette tâche a été trop bien remplie par un naturaliste 
anglais estimable, le docteur Horsfield : mais nous ne pouvons 
nous dispenser de dire un mot de la panthère noire (fels melas, 
Péron et Lesueur. Desm. 344 Mamm. ), qui y est commune, et 
que nous vimes chez l'obligeant sous-résident, M. Smolders. Cet 
animal, de la taille de l'ocelot, et ressemblant par l'aspect de 
son corps à la panthère commune, a son pelage d'un noir uni- 
forme et lustré; par certains reflets, des ondes, ou sortes de 
taches plus apparentes, se dessinent, à la manière des moirés, 
sur le fond de la teinte générale. Féroce et redoutable, ce chat 
habite principalement les solitudes des profondes forêts du 
district de Banjou-wandgi; et jamais les Javanais ne l’attaquent 
sans qu'il ait commencé les hostilités en dévorant quelques- 
uns de leurs animaux domestiques : ils lui tendent divers 
piéges dans lesquels ils placent des oiseaux vivants, qui ne 
manquent point de l'y attirer. La panthère noire servait, à la 
cour des sultans de Java et de l'empereur de Solo, à exécuter 
une cérémonie dont le peuple était avide, et qu'on nommait 
Rampok, de mème qu'à punir de mort les esclaves coupables de 
certains crimes. Voici les renseignements que l'un de nous ob- 
tint, sur cette grande fête, d'un témoin oculaire, employé su- 
périeur de la colonie. 

Au milieu d'un amphithéâtre préparé sur un terrain uni pour 
le grand spectacle du Rampok', est placée une cage dans la- 
quelle est captif le #igre nor, ou l'arimaou ; car c'est ainsi qu’on 
nomme cet animal à Java. Autour de lui, formant un cercle 
épais, sont placés en haie serrée deux rangs de Javanais armés 


1 Des détails analogues se trouvent également consignés dans l’histoire de Java 


par sir Raffles, page 55 de la traduction de M. Marchal. 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 17 


130 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

de piques. Deux ou trois hommes, chargés d'aller ouvrir la porte 
de la prison à la panthère, se détachent alors du cercle, sa- 
vancent en cadence, et, après avoir rempli leur dangereuse mis- 
sion, retournent à leur place en mesure et avec lenteur. Les 
Javanais sont dans la ferme persuasion que, s'ils se retiraient 
brusquement après avoir ouvert la porte à l'animal, il s'élan- 
cerait infailhiblement sur eux, et les mettrait en pièces. La pan- 
thère noire ne se décide pas toujours à sortir immédiatement 
de sa prison. Il faut souvent lagacer, la harceler avec de longues 
lances, ou bruler de la paille autour d’elle pour la forcer à entrer 
dans l'arène. Irritée et furieuse alors, elle mesure de l'œil la 
distance qui la sépare de ses ennemis, et s’élance au plus épais 
des piques, y trouve la mort, mais non sans se venger sur un 
grand nombre de misérables, que le despotisme des sultans 
sacrifie ainsi à sa férocité. On nous assura, en outre, que le 
sousouhounan actuel de Vugyu-Kerta se plaisait à faire com- 
battre la panthère noire par des esclaves, n'ayant pour armes 
que des kris ou poignards malais à lames de plomb. Enfin , une 
fête, encore très-aimée par les Javanais, est le combat de cette 
panthère avec des buffles. 

Les mammiferes, à la Nouvelle-Zélande, se bornent à trois 
ou quatre espèces seulement : le cochon, que Cook n'y trouva 
point, et qui y aurait été introduit depuis par les Européens ; le 
chien austral, et le rat. Les côtes méridionales de ces deux iles 
sont peuplées de phoques, objets de chasses lucratives aux- 
quelles se livrent les Anglais. 

Les animaux de la Nouvelle-Galles du Sud ont été le sujet de 
recherches nombreuses et suivies; mais, malgré cela ,une grande 
obscurité règne encore sur l'histoire de la plupart d'entre eux; 
et des naturalistes, vivant sur les lieux, pourront seuls un jour 
donner des renseignements sur leurs habitudes et leurs mœurs. 
Déja, les alentours de Sydney sont dépeuplés des espèces qu'y 


ZOOLOGIE,. 131 


trouverent les premiers voyageurs : la civilisation et les défri- 
chements les refoulent dans l'intérieur; et l'époque n'est pas 
éloignée où les kangourous :, les ornithorhynques, seront ex- 
cessivement rares. Ce n'est qu'en domesticité que nous vimes 
les grands kangourous(#. labratus,Geoff.), paissant en liberté dans 
le vaste parc de Aose-hill, à Parramatta ; se relevant sur leurs 
longues jambes postérieures, pour examiner ce qui se passait 
autour d'eux; et fuyant par bonds en s’élancant sur leurs courtes 
jambes de devant, lorsqu'ils sont inquiétés. Cet animal, dont la 
chair dure et coriace est peu estimée, s’apprivoise aisément; et 
nous en vimes un à Sydney, qu'un militaire avait élevé, et ap- 
pris à boxer, en même temps qu'il était soumis et docile à ses 
volontés. Ce kangourou était courageux, ne redoutait point les 
chiens, et cherchait à frapper avec ses pieds ceux qu'il voulait 
combattre, en s'élançant sur eux par un bond instantané, tandis 
qu'il jouait nonchalamment avec le maitre qui le nourrissait. 

Les colons apportent en abondance dans les marchés un kan- 
gourou de taille moyenne ( 4. ualabatus, N. ), que les naturels 
nomment oualabat, et parfois le potourou de White ( Aypst- 
prymnus White, Quoy et Gaim. ), qui vit dans les lieux rocail- 
leux et peu fréquentés. Notre maitre canonnier, Roland, tua un 
individu de cette espèce, qui différait un peu de celui qui est dé- 
crit dans la Zoologie de l'Uranie ; mais il fut perdu dans le nau- 
frage de l'un de nous. On nous indiqua, sous le nom de bandicout, 
des animaux qui paraissent être des péramèles, peut-être le p. 
nasutus de M. Geoffroy, et qui vivent aux environs de Liverpool. 

Nous ne vimes des dasyures qu'en captivité: ils appartenaient 


: Les habitants de la rivière £ndeavour nomment les kangourous mén-4-&h, 
suivant M. Cunningham ( Varr. of a survey of the inter. et west. coasts of" Austra- 
lasia, by Parker King.) La première figure du kangourou a été donnée par Cook, 
EN Oy it EN Ip 2/1 une 

17. 


- 132 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
à l'espèce dite de Maugé ( dasyurus Maugeï, Geoff. ), fig. atl. de 


l’'Uranie. Les naturels détruisent une grande quantité de pha- 
langers volants ( petaurtsta taguanotdes, Desm. ), dont ils font 
sécher les peaux pour en faire de petits manteaux, qui leur 
couvrent les épaules pendant l'hiver. Plusieurs de ces animaux 
avaient le pelage entièrement blanc. 

L'espèce de chien sauvage (canis australasiæ, Desm.) que 
White a décrit dans son histoire de la Nouvelle-Galles ressemble 
au chien de berger. Son poil est rude; ses oreilles sont droites, 
et 1l appartient à la même espèce que celui de la Nouvelle-fr- 
lande, des iles Bouka et de Bougainville. Ce chien est courageux, 
et vit le plus ordinairement de ce que la mer rejette sur son 
rivage. Il est bien figuré dans l'ouvrage sur les mammifères 
de MM. Frédéric Cuvier, et Geoffroy Saint-Hilaire. 

Nous ne vimes au Port-Jackson qu'une seule peau de wombat, 
ou phascolome (dédelphis ursina, Shaw.; phascolomys wombat, 
Pér. et Les. ), et il paraît qu'on ne le trouve qu'a la terre de 
Diémen, et dans les petites îles du détroit de Bass. M. Cunnin- 
gham mentionne une roussette ( pteropus), celle des Moluques 
sans doute, dans la partie intertropicale de la Nouvelle -Hol- 
lande. 

Les ornithorhynques, que les colons nomment water-mole, 
ou taupes d’eau, et les naturels mouflengong, habitent assez 
communément encore les rives de Fish-river, tandis qu'on n’en 
voit que rarement aujourd'hui dans le Nepean. Le paradoxe, 
ainsi nomma-t-on ce singulier animal, dont Shaw fit son genre 


! Consultez Péron, Joy. aux Terres australes; Desmarest, Mamm.; Vander- 
hoeven, Nov. act. Acad. Cæs. Leop. Car., t. XI; Knox, Mém. de la Soc. werné- 
rienne ; Everard-Home; de Blainville, etc., etc., figuré dans les Misc. de Shaw, t. X, 
pl. 385, sous le nom de Duck-billed or platypus; et par Leach, Misc., tom. IT, 
pl. 111, page 136. 


ZOOLOGTE. 133 


platypus, et Blumenbach le genre orntthorhynchus , est encore 
assezcommun , dans la saison opportune, à New-Castle, et dans 
les rivières Campbell et Macquarie. Le docteur Palmeter, lorsque 
M. Knox annonca sa belle découverte de la glande crurale et 
de son conduit, aboutissant à l’ergot, après avoir nié ces or- 
ganes , affirma qu'on ne connaissait, dans la Nouvelle-Galles, 
aucun exemple de blessure, suivie d'accidents dus à la présence 
d'un venin quelconque. Il conclut, à la fin d'un petit mémoire 
qu'il publia dans la Gazette de Sydney, que ces ergots, dont les 
femelles sont toujours privées, servaient aux mâles à tenir 
celles-ei immobiles pendant l'acte de la copulation. Les colons 
assurent que les ornithorhynques sont ovipares : et M. Murdock, 
surintendant de la ferme d'Emiou-plains, nous affirma positi- 
vement avoir vu des œufs de la grosseur de ceux d’une poule, 
et au nombre de deux. Mais les dissections de Meckel, qui trouva 
sur des femelles des glandes mammaires très-développées, ne 
permettent point de douter que cet animal ne soit vivipare ; et 
c'est aussi l'opinion du savant anatomiste de Blainville. Cepen- 
dant , l'organisation singulière des deux mächoires aplaties en 
bec de canard de cet animal rend difficile la succion, et l’on ne 
se fait pas une idée bien juste de la manière dont les jeunes 
peuvent saisir le mamelon de la mère. Le pelage de l'ornitho- 
rhynque adulte est ordinairement d'un brun noir; parfois des 
variétés l'ont de couleur fauve-rougeatre. Ce fut en vain que l'un 
de nous attendit, pendant plusieurs heures, s'il verrait paraitre 
quelques ornithorhynques sur les petits rochers à fleur d'eau de 
Fish-river, où ils vont se placer lorsqu'ils sortent de leurs trous. 
Nous apprimes, depuis, qu'à cette époque de l’année ( janvier 
et février ), ils restaient blottis dans leur gite, et qu'ils ne pa- 


raissaient qu'a l'époque des grandes pluies, qui, en faisant 


5 
déborder les rivières qu'ils habitent, les forçaient à se tenir 


sur la surface de l’eau et dans les jones qui en couvrent les 


13/4 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
bords. Les peaux qu'on peut se procurer dans le pays, non en- 
duites de préservatifs, se détériorent aisément. . 

L'échidné épineux © (echidna hystriz, Cuv.) habite principa- 
lement le mont York : par l’ensemble de ses formes corporelles, 
il ressemble au hérisson, et c'est à cause de cette similitude que 
les colons lui ont appliqué le nom de Ledge-hog. Il se creuse des 
terriers, et n'aime point à sortir dans les temps secs : aussi est-il 
difficile de se le procurer pendant plusieurs mois de l’année. 
Il vit d'insectes, principalement de fourmis, qu'il ramasse avec 
sa langue à la manière des fourmiliers: l'on dit aussi qu'il mange 
des légumes. Il fait entendre un petit grognement lorsqu'on l'in- 
quiète, et ses habitudes à l’état de liberté sont peu connues. Un 
échidné, que nous nous procuràmes en vie, a donné l’occasion 
à l’un de nous de publier { Bulletin de la Société philomatigque) 
les observations suivantes : «Cet animal, nourri depuis deux 
mois avec des végétaux par un ancien convict de Sydney, fut 
enfermé dans une cage avec de la terre, d'après l'avis qui avait 
été donné. En vain lui présentait-on des légumes, des insectes, 
de la viande, des sucs substantiels, l'échidné les flairait seulement 
sans y toucher; mais il buvait avec avidité l'eau que chaque jour 
on avait le soin de lui offrir, en tirant sa langue extensible et 
filiforme , longue de deux à trois pouces, et en lapant. C'est ainsi 
qu'il vécut, pendant trois mois, sans avoir pris autre chose. 

« Après une traversée assez tempétueuse, le premier soin, en 
arrivant à l'ile de France, fut celui de ramasser des fourmis et 
des vers, qu'on lui présenta, sans quil parüt s'en soucier. En 
revanche, il buvait du lait de coco avec un vif sentiment de 


: Figure dans Shaw, sous le nom de porcupine ant-eater, t. NII des Misc. , f. 109. 

Nous en avons apporté trois individus : lun servit à faire un squelette au labo- 
ratoire du Muséum, et les deux autres nous furent remis par le général Brisbane pour 
M. Cuvier. 


ZOOLOGTE. 139 
plaisir; et tout semblait alors promettre qu'après avoir résisté 
aux froides latitudes du Sud de la Nouvelle-Hollande, il serait 
possible de lapporter en Europe. Mais, un matin, l'échidné 
n'existait plus, et la seule cause présumable de sa mort doit 
_ être imputée à du savon arsenical, laissé dans une gibecière où 
il se cacha pendant toute une nuit. 

« C'est avec une satisfaction toute particulière que j'aimais à 
suivre, dit M. Garnot, les habitudes, jusqu'alors inconnues, de 
ce petit animal. J'en épiais les moindres particularités, bien per- 
suadé qu'elles seraient intéressantes aux yeux des naturalistes. 
J'avais reconnu que la prison dans laquelle je le tenais enfermé 
ne lui convenait point : aussi m'empressais-je de lui donner une 
liberté entière dans la chambre que j'occupais à bord du navire, 
et pendant mon séjour à Maurice. Chaque jour, je l'observais 
dans ses promenades régulières, et rarement il employait moins 
de quatre heures sur vingt-quatre à parcourir en tout sens 
l'espace que nous occupions ensemble; et s'il trouvait un ob- 
stacle, il cherchait à le surmonter, et ne rebroussait chemin 
que lorsqu'il avait épuisé ses moyens pour y parvenir. C'était dans 
un coin obscur de ma chambre, entre une cloison et des caisses, 
qu'il se rendait pour dormir. Sa démarche, lourde et genée en 
apparence, lui permettait, cependant, de parcourir, en une mi- 
nute, un espace d'environ trente à trente-neuf pieds. Il se ca- 
chait mystérieusement dans un angle de l'appartement pour 
faire ses ordures; et ses excréments, peu consistants et noirs, 
exhalaient une odeur infecte. 

« Un jour, je retirai mon échidné dans un état d'engourdisse- 
ment tel, que je le crus rendu au terme de sa vie. Je le ranimai 
en le portant au soleil, en le réchauffant par des frictions avec 
un linge chaud : peu à peu il reprit son activité habituelle ; mais, 
souvent depuis, il resta sans mouvement l’espace de 48, 72, 78, 
et même 80 heures de suite. Il se promenait fréquemment dans 


136 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

la nuit, et se roulait en boule au moindre bruit, à la manière 
des hérissons. Du reste, timide et craintif, cet échidné se laissait 
caresser volontiers. La conque de l'oreille s’apercevait aisément 
lorsqu'il écoutait, et ressemblait à celle d’un hibou. Les yeux 
sont très-petits, et le long nez, immobile et solide, me semble 
être un organe où le sens du toucher réside à son extrémité, 
qui est molle, et avec laquelle l’échidné tâte ce qui lenvironne, 
surtout pendant la nuit. » 

Enfin, pour achever de présenter le tableau des mammiferes 
que nous avons été à même d'observer dans le voyage, il ne 
nous reste plus qu'à indiquer notre dernière relàche à l'ile de 
France. Les animaux qu'on y remarque y ont été importés; tels 
sont les cerfs, qui vivent dans les grands bois, les cochons mar- 
rons ou sauvages, les lièvres, les rats, qui infestent aujourd'hui 
cette ile, et les tenrecs. Ces derniers, venus de Madagascar, 
vivent dans les champs de cannes à sucre, tandis que le singe 
(macacus sinicus, Desm. 32 ), originaire de Java, occupe les 
sommets escarpés de la montagne du Pouce, et descend mar- 
rauder dans les vergers des alentours, où les dégats qu'il occa- 
sione le font redouter. Nous nous y procuràmes, en vie, deux 
makis de Madagascar; le vari ( lemur macaco, L.), et le maki 
rouge (lemur ruber, Pér.), qui moururent, dans la traversée, à 
notre arrivée sur les attérages de France. Ce dernier est figuré 
tome I de l'histoire des Mammifères de M. F. Cuvier. Les makis 
s'apprivoisent aisément : ils deviennent bientôt familiers, et 
même caressants. Ils aiment à dormir dans le milieu du jour, en 
s'enveloppant la tête avec les pates et la queue. Leur nourriture 
est entièrement frugivore, et tout autre aliment les fait bientôt 
dépérir. : 


—— ss 1 00——— 


ZOOLOGIE. 137 


CHAPITRE II. 


DESCRIPTION DES MAMMIFÈRES. 


COcere020e0e0ec20e0@000e0000000008000000120010 005001000010 0000c0100e0001e00 1016000000 16060606090002020@0 


& 


GENRE VESPERTILION, J’espertilio, Cuv., Geoff., Desm. 


Sous-fam. VESPERTILIONINA , Gray ( Zool. journ.). 


VESPERTILION DE BUENOS-AYRES, Z’espertilio bonariensis. N. 


PLANCHE. II, fig. 1°° 


Auriculis brevibus et ovalibus : membranis rubro-nigris; interfemorali 


supra villosä, infra nudä : pilis tergi luteis, HHRNENEE abdominis 
(tes luteis ,- rostri croceis. 


Form. dent. Incisives +, Canines =, Molaires +. ToraL :. 30. 


Cerre espèce de chauve-souris, remarquable par les nuances 
agréables de-son pelage, parait avoir été inconnue à D’Azara, 
qui a décrit les animaux du Paraguay ; et qui ne la mentionne 
. pont. Elle est privée de deux dents incisives à la machoire su- 
périeüre, et se rapproche, par ce “caractère, du v. nigrita de 
Gmelin. 

La tête a'six lignes de longueur totale, sur quatre d’épais- 
seur, du crâne au bord postérieur du de à inférieur: Les 
deux. incisives supérieures sont terminées en pointe et séparées 


l'une de l’autre; les six inférieures sont très-peu apparentes et 
Voyage de la Coquille. —Z. Tom. 1. 18 


138 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

serrées, et ont leur sommet bilobé. Les canines sont aiguës, 
recourbées et proéminentes. Les molaires antérieures sont co- 
niques; les suivantes ont leur couronne hérissée de pointes 
acérées, sinuées sur la partie extérieure, et disposées intérieu- 
rement comme en biseau ( Voyez pl. IT, fig. 1, L. B et.C, une 
dent grossie ). 


lignes. mètres. 


Longueur totale, dela naissance de la queue au bout du museau. 20 © 04) 


(de a queue ee MR NA er RENTREE 16 CON OI 
——— des oreilles. .........,..2., DE GE R RE ONCE ELU SO 007 
TE NT AL O On AN A A ST te EE NO AS 6 o oi 
2 le MAN c'e 01610 o-dlolt lola do/0io galop Dot aluio ae 16 No 050 
——— du pouce, dont la phalange est aplatie.........:. 3 M0 007 
——— des membres postérieurs. .........4........... 10 GO 023 
Pouce! 
TNVORSTRE. 0 0 5019 bo 106 0 nlo:6 0 aid v010 din 010 0/61 0/16 0 0 HIBÉ e 0 do EL ON MENT 


Le museau est court, conique. La bouche est fendue et 
les lèvres sont simples. La face est revêtue de poils ras. Les 
oreilles sont minces, arrondies, nues, éloignées l’une de l’autre. 
Des poils soyeux et serrés recouvrent la tête et le corps, et sont 
plus fournis sur le ventre et le dos. Dans la flexion de l'aile, le 
carpe est plus élevé que le museau. Les membranes en dedans 
et à leur bord postérieur sont nues, striées et comme réticulées, 
de couleur brune-rougeûtre, entièrement lisses en dehors. Les 
parties internes contre le.corps sont très-velues, et des poils 
fauves et abondants se continuent sur le bras et l’avant-bras. 
La queue est complétement engagée dans la membrane inter- 
fémorale : celle-ci part de l'articulation tibio-tarsienne, et se 
termine en pointe à son sommet, ayant de chaque côté une 
nervure apparente sur les deux tiers de sa longueur totale; sa 
surface interne est nue, striée ou comme réticulée, tandis que 
la face dorsale est entièrement recouverte de poils épais. 

La couleur du pelage du vespertilion de Buenos-Ayres est 


ZOOLOGIE. 139 
d'un rouge aurore sur le museau, d'un fauve clair ou jaune sur 
le dos ; chaque poil étant terminé par du noir surmonté d'un 
peu de blanc, ce qui leur donne un aspect pruineux, assez 
semblable à celui de quelques petites phalènes. Les poils du 
dessus de la membrane interfémorale, moins doux et moins 
soyeux que les précédents, sont d'un rouge-noir foncé, qui 
tranche avec la teinte répandue sur le dos. La gorge, la poitrine 
et l'abdomen sont d’un fauve-clair mélé de brunûtre. 

Notre espèce a de grands rapports avec le vespertilo lasiurus, 
dont M. Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire a bien voulu nous com- 
muniquer un bel individu rapporté de New-York par M. Milbert: 
elle en diffère toutefois par les particularités suivantes. Dans le 
vespertilio bonariensis, les dimensions sont plus fortes, l'enver- 
gure plus prononcée, les membres plus développés par rapport 
au corps, la queue de moitié plus longue proportionnellement. 
Dans le v. lasiurus, les membranes sont moins réticulées, les 
couleurs du corps sont plus uniformes, et partout d’un rouge- 
brun vif, tandis que l'ensemble des autres caractères est par- 
faitement analogue dans les deux espèces. 

Ces vespertilions vivent à une égale distance de l'équateur, 
dans les zones tempérées des deux hémisphères du continent 
américain. Celui de Buenos-Ayres nous fut remis par l’un de 
nos officiers, M. de Blosseville, qui le prit sur un vaisseau 
mouillé dans la rivière de la Plata. Sa patrie est donc par les 
35° de lat. S. dans l'Amérique méridionale, tandis que le v. /a- 
sturus le remplace par les mêmes latitudes dans l'Amérique sep- 
tentrionale. 


140 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


GENRE PHOQUE, Phoca, L., Cuv., Desm. 


Sous-genre OTARIE, Otaria, Péron. 
Genre PLATYRHYNQUE, F. Cuv. 


OTARIE MOLOSSE (mâle), Ofaria molossina. N. 


PHOQUE À crin, des Pêcheurs anglais. 

Loup MARIN, Pagès, Voy. aut. du monde, t. IT, p. 32 et suiv. 

Lion DE MER, Pernetty, Voy. aux Malouines, t. 11, pag. 38 et suiv., pl. VIIT, 
Fee 


PLANCHE III. 


Pilis brunneo-fuscis concoloribus, omnind brevibus; membrorum ex- 
tremus nigris : unguibus anterioribus nullis, tribus extensis, necnon ro- 
bustis posterioribus. Segmentis membranaceis .et lobatis quinque.wPilrs 
superioris labri, rigidis, lævigatis, transversè complanatis. 


Lss phoques étrangers n'ont généralement été décrits que 
d'après les récits des voyageurs; et leurs noms mêmes ont été 
si souvent confondus, que ce n'est qu'avec la plus grande diff- 
culté qu'on peut entamer l'étude de cé genre, que les zoologistes 
modernes seuls ont éclaircie en plusieurs points, malgré quil 
yait encore beaucoup à faire pour distinguer les espèces entre 
elles. Les bonnes figures manquent complétement ; et c'est en- 
richir l’iconologie zoologique, que de donner un dessin rigou- 
reusement exact d'un otarie des mers australes. Ce n'est même 
que par le secours des figures, et lorsqu'on en possédera un 
grand nômbre, qu'on pourra reconnaitre *et distingüer spécifi- 
quement les phoques; « car ces animaux, a dit judicieusement 


ZOOLOGIE. 141 
«M. Frédéric Cuvier ( Mammuf., 41° liv.), avaient été, jusqu'à 
«ces derniers temps, l'objet de si peu de recherches, et tant 
« d'obscurité régnait sur leur développement, qu'on n'avait au- 
«cune règle pour en déterminer les espèces : l'âge, d’ailleurs, 
« fait éprouver de grands changements aux couleurs de leur pe- 
« lage. » 

L'otarie molosse, male, se rapproche beaucoup de l’otarie à 
crinière (otaria jubata, Desm., 380 ) ‘, dont il diffère toutefois 
par le manque absolu de poils allongés sur le cou; son pelage 
étant uniformément ras, comme collé sur la peau et d’une seule 
sorte. Les autres différences, plus tranchées, se trouvent dans 
la taille et les proportions des diverses parties, et surtout dans 
les ongles. L'espèce que nous décrivons adulte diffère également 
de l’otarie Guérin (otaria Guerin, Quoy et Gaimard ), indiqué 
dans une note, page 71, de la Zoologie du Yoyage de l'U- 
rante; autant qu'il est possible d'en juger par une courte des- 
cription faite sur les lieux et non accompagnée d'une figure. 

L'otaria molossina est élancé dans ses formes, et bien pro- 
portionné dans toutes ses parties. Sa tête est assez petite, ar- 
rondie , comme tronquée en avant, et présentant assez exacte- 
ment le museau d’un chien.dogue. Le nez est peu proéminent, 
et séparé au centre par une rainure, se rétrécissant inférieure- 


‘ En lisant attentivement les descriptions incomplètes mais exactes de Pernetty, 
on voit que son loup marin est le phoca Ansonii où phoca leonina de Timné, voisin 
de l'éléphant marin ou phoca proboscidea de Péron et Lesueur, t. IT, pag. 34, et 
pl. XXXII de l'Atlas, et des auteurs modernes; que sa première espèce de lion marin 
est notre ofaria molossina, et qu'enfin, il établit assez bien encore les caractères 
qui la séparent de-sa deuxième.espèce-de lion de mer, le phoca ou l’otaria jubata. 
Pernetty dit, en effet, pag. 47, t. IT, de son Hist. nat. des Malouines : « Il est bon 
« d’avertir que le nom:de lion marin convient moins aux’ animaux que nous venons 
« de décrire, qu'à une autre espèce dont le poil, qui couvre le derrière de la tête, 
« le col et les épaules, estau moins aussi long que le poil d’une chèvre, et donne à 
« cet amphibie un air de ressemblance ävec le lion ordinaire des forêts. » 


142 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
ment au point de l'ouverture des narines. La lèvre supérieure 
déborde l'inférieure, et toutes les deux sont garnies, sur leur 
rebord, de poils courts et serrés. Les moustaches, qui couvrent 
la face, sont disposées sur quatre à six rangs : elles se composent 
de poils d'autant plus allongés, qu'ils sont plus extérieurs, et dont 
la plus grande longueur est de quatre pouces. Ces poils sont 
lisses, très-rudes, aplatis transversalement, et de couleur fauve- 
clair. L'oeil, à iris verdâtre, est placé à deux pouces de la com- 
missure des lèvres. Les oreilles sont très-petites, épaisses, poin- 
tues et roulées sur elles-mêmes, à deux pouces et demi de l’angle 
de la bouche. Leur surface extérieure est revêtue d'un poil ras 
et serré; la face inférieure est nue; les paupières sont longues 
d'un pouce, entourées de poils roux et courts. Les membres 
antérieurs sont aplatis en nageoires, que termine une membrane 
épaisse, sinueuse en son bord, d'un noir vif, et complétement 
lisse. Les phalanges sont empâtées dans cette portion membra- 
neuse, et sont indiquées par trois stries principales et profondes; 
sur leur partie moyenne, on observe quatre rudiments d'ongles. 
Les membres postérieurs sont rapprochés, aplatis, terminés 
par des phalanges d'égale longueur. Les trois doigts du milieu 
sont munis chacun d'un ongle fort, noir, long d’un pouce, ar- 
rondi, convexe supérieurement, aplati inférieurement, et ter- 
miné par un bord taillé obliquement à la partie externe de la 
phalange externe, et au bord interne des deux phalanges in- 
ternes. On remarque seulement deux rudiments d'ongles aux 
doigts externe et interne. La membrane qui unit les doigts est 
large, et les engage Jusqu'à un pouce au-delà des ongles, en 
formant un rebord. Cette portion, garnie de nervures tendi- 
neuses, qui partent de la dernière phalange, se divise en cinq 
festons étroits, arrondis à leur sommet, où ils sont plus larges 
qu'à la base, et d'autant plus développés, qu'ils sont plus exté- 
rieurs. La surface externe des membres est couverte, comme 


ZOOLOGIE. 143 
toutes les autres parties du corps ,-d'un poil abondant, court et 
serré, tandis que les aisselles, les aines et le dessous des mem- 
bres sont complétement nus. Les membranes n'ont aucune 
trace de poils; leur coloration est d'un noir vif. La queue est 
courte , aplatie, pointue à son extrémité. 

Cet otarie est par tout le corps, sur la tête, comme sur le dos, 
ou sous le ventre, recouvert d’un poil ras, couché, et long au plus 
de quatre lignes, qui est serré et lustré, et qui revêt également 
les membres et les phalanges jusques aux ongles. La couleur 
générale du pelage est d’un roux brun, sans aucune autre teinte, 
sur toutes les parties du corps : seulement, dans l’état de vie, 
elle est plus vive et comme satinée. 

Le système dentaire de l’otarie que nous décrivons présente : 


Incisives +, Canines =, et Molaires =. ToraL : 36. 


1 5-5 


Mächoire superieure : Quatre éncisiwes, longues de cinq lignes, 
C [e 
aplaties transversalement, séparées en deux lobes par un sillon 
profond :. De chaque,côté, est placée une dent conique, longue 
de neuf lignes, qui est arrondie, pointue, analogue compléte- 
ment à la canine, et qui est logée dañs une alvéole creusée dans 
los incisif. Cantnes coniques, enfoncées profondément, de même 
forme que la précédente. Six molaires à couronne, entourées 
d'un rebord, à pointe bifaciée ou parfois triangulaire, terminées 
2) le] y 
par une pointe mousse, et munies de deux tubercules, l'un en 
avant, l’autre en arrière. Mächorre inférieure : Quatre incisives ; 
les deux antérieures plus courtes, à couronne tronquée, et 
taillée en biseau ; les deux externes concaves en dedans, pyra- 


! Ce caractère éloignerait notre phoque du genre platyrhynque de M. F. Cuvier, 
pour le reporter dans celui qu'il a nommé arctocéphale ; mais les caractères de ces 
deux genres sont donnés avec doute, et leur séparation n’est point nette, de sorte 


que l’ensemble des caractères du genre platyrhynque lui convient assez exactement. 


14 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
midales, et plus longues que les deux précédentes. Canines 
fortés, coniques, entièrement lisses, arrondies » à pointe, un peu 
mousse. La première molarre est.la ne petite : toutes, comme 
celles de la mâchoire supérieure, sont aplaties transversalement, 
à trois faces; l'extérieure convexe a sa couronne surmontée d'uñ 
tubercule en avant et en‘arrière, plus po sur lés dernières 
molaires. 3 

Les dents de l'otarie sont organisées-c comme celles du ca- 
chälot; c'est-à-dire, qu'elles n'ont pas de racines; ES leur base 
est cylindrique, et creusée d un canal terminé én cône, dont : 
rebord est mince. S ni , 

Dimensions de l'individu sur lequel nous avons fait notre 
description, et soie nous aviôns dessiné sur:les lieux : 


w ! F7 # ne 8 
© pouces. : és inètres. à 
Longueur totale, him nez à l’origine de la queue. 55 .»» . mt “489 : 
Circonférence vis-à-vis l’aisselle. ........ RES 33 : »:..0.4 5% 4 
Distante des, deux bras... 1... 0rcnr ri. T8 Do: : 487 
Longueur des membres antérieurs. Re. 15 D NON O0 
22: des membres postérieurs jusqu'a aux on- ; 
alerts ne RAR A A ÉRER AME Te AOC ENRORME 7 
+ dela téten ee JA UE RU Re FAO REC OA 272 
+ dela verge........ A Aa SUR RG 024-005 
—— de la queue. »,.:....5....... 0.0 DD O0 Lo 
URSS des DTOESÉ SE. AE Men neRe »M AGO or 
———. des ongles... AAA re At TP > ED ee 7 
Dents du bout du museau à’ L'aisselle. DER TA RO OS Ge) 
= du nombrilau museau. #%4 (524.142) > 1 2137 
Rs membre, viril à le. DE RES MS 6:.»> o  r62 
. —=— de l'oreille à l'angle postérieur de l'œil. 3 6 -o 068 
le l'angle antérieur de l'œil au HU EU SUN TO 090 
des deux yeux #0 nier 3116. .0 2 , 


Les iles Malouines sont ie patrie de l'otaria molossina; et sans 
doute qu'onle retrouve Sur tous lesrivages que baignent les mers 


ZOOLOGIE. 145 
australes, sur la terre des États, dans les détroits de Lemaire 
ou de Magellan, et sur les côtes de Patagonie. Nous ne vimes 
que quelques individus isolés, à l'époque de notre séjour, sur 
ces îles ; et celui dont nous donnons la figure fut tué sur la 
grève, dans le Port-Louis, au fond de la baie de la Soledad. 
Souvent des pêcheurs anglais visitent les Malouines, et expé- 
dient des embarcations armées, ou même une ou deux goëlettes, 
au milieu des rochers, dans les criques nombreuses qui mor- 
cellent la côte, afin d'y surprendre les phoques qui s'y tiennent 
pendant un certain temps de l’année. Cet otarie remonte sur 
les côtes du Chili, jusque vers Valdivia et la Concepcion, où 
nous en avons vu un certain nombre. C'est très-probablement 
le même que Frezier indique sous le nom de veau marin, 
pag. 75 de son Voyage à la mer du Sud; et ce doit être l'es- 
pèce que mentionne Bougainville, en décrivant les produc- 
tions des iles Malouines, pag. 72, in-4°, lorsqu'il dit : Le loup 
marin n'a nt crinière nt trompe. Pernetty, sous le nom de lion 
marin, en donne un très-mauvais dessin, pl. VIIL et X de son 
Voyage aux les Malouines. La pl. IX, représentant l'éléphant 
marin ou phoque à trompe, ne vaut pas mieux. L'otarie se tient 
de préférence au milieu des glaïeuls ( /estuca flabellata, Lamk.), 
qui couvrent l'ile aux Manchots, ou sur les rochers des côtes. | 
A la vue de l'homme, il s'élance à la mer, en roulant avec rapi- 
dité et se précipitant quelquefois à des hauteurs assez consi- 
dérables sans se blesser. L'huile qui sert d’atmosphere épaisse 
aux parties molles, les protége par une enveloppe en quelque 
sorte ballonnée, et il est très-rare de parvenir à tuer ces animaux 
à coups de fusil, à moins de frapper un viscère principal. 

Les phoques ne se trouvent nulle part en plus grand nombre 
que dans les hautes latitudes du Sud, principalement aux Ma- 
louines, à la terre de Feu et des États, aux nouvelles Shetland, 
et par suite sur la côte méridionale de la Nouvelle-Zélande, de 


Voyage de la Coquille. —Z. Tome I. 19 


146 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


la Tasmanie, et aux iles Campbell et Macquarie. Nous pensons 
qu'il peut être utile de généraliser quelques-uns des renseigne- 
ments que nous avons reçus des marins occupés à ce genre de 
chasse. 

L’éléphant marin (phoca Ansonit, Desm., 369 ) ', mâle, est 
plus développé dans ses proportions que la femelle, et la couche 
huileuse qui enveloppe le système musculaïre a jusqu'à neuf 
pouces d'épaisseur. Sa nourriture principale paraît se composer 
de céphalopodes, et ce sont les grèves sablonneuses qu'il pré- 
fère pour se reposer, au milieu des lits épais de fucus, rejetés 
par les flots. En février, mars, avril et mai, ces animaux se 
tiennent à la mer; et, dans les autres mois, ils vont alternati- 
vement à terre ou vivent dans l’eau: Ils recherchent les baies 
paisibles, ou qui sont rarement agitées, quoique parfois, mais 
accidentellement, on les rencontre sur les côtes où la mer est très- 
houleuse, telles que celles de l'ile du prince Édouard. Des milliers 
de ces animaux se tiennent sous le vent des iles Campbell et 
Macquarie. Leur naturel est doux, paisible, indolent même, et 
ils se laissent volontiers approcher par l'homme. Les chasseurs 
tuent ces phocacées, en les frappant au cœur ou au palais avec 
une lance ; mais leur agonie est très-longue, si le coup n'inté- 
resse point profondément ces deux parties. Un mâle a commur- 
nément autour de lui trois ou quatre femelles, et chacune de 
celles-ci a deux petits. La chair de ces derniers est estimée 
des pêcheurs de phoques, qui la préparent en la salant ou la 
desséchant à la fumée. La peau de l'éléphant marin, impropre 
aux arts, a généralement un pouce d'épaisseur. Les jeunes tettent 


1 Lisez Molina, qui en parle sous le nom chilien de lame, pag. 260 : le nom que 
les habitants de la Concepeion nous donnèrent est /obo. Cest le loup de mer, cochon de 
mer, figuré et décrit par Pernetty, t. II, pag. 37 et suiv., et figuré et mentionné à 
l'île de Juan Fernandez par Anson, pag. 101 de son Voyage autour du monde, 
sous le nom de on marin. 


ZOOLOGIE. 147 
pendant deux ou trois mois, depuis leur naissance qui a lieu 
en juillet et aout. 

Les marins employés à la pêche des phoques connaissent 
trois espèces principales, très-recherchées par le commerce, et 
qu'ils nomment lions de mer, phoques à crin et phoques à four- 
rure. Le premier (phoca proboscidea, Pér.), qui est l'éléphant 
de mer des naturalistes, et le Zon marin des Anglais et des 
Américains, habite plus particulièrement la terre des États, au 
milieu des rochers, et séjourne moins à la mer que les autres 
espèces. Cet animal est plus courageux et moins impassible que 
le phoque d’'Anson, et la chasse en est aussi beaucoup plus difficile. 

Les phoques à crin (otaria molossina et jubata) ont le museau 
moins pointu que les phoques à fourrure, et se tiennent volontiers 
sur les grèves sablonneuses, et parfois dans les broussailles, assez 
loin des rivages, particulièrement aux iles Campbell et Auckland. 
Là, ces espèces de phoques existaient naguère par milliers d’in- 
dividus. Les femelles parturent en novembre et décembre, et 
il n'est pas rare de trouver leurs petits à moitié cachés dans le 
sable. Ils se défient moins de l'homme que les phoques à four- 
rure, et le laissent approcher davantage : leur agilité sur un 
terrain uni est encore très-remarquable. Les chasseurs les tuent 
en les frappant sur le nez. Leurs peaux sont employées à faire 
d'excellents cuirs. 

Les phoques à fourrure , dont les peaux sont recherchées 
dans le commerce, se trouvent presque constamment dans les 
hautes latitudes. Ils remontent, cependant, le long des côtes 
d'Amérique, jusqu a Masafuero et aux Gallapagos : mais leur 
patrie sont les iles du cap Horn, les côtes de la Patagonie et celles 
de la Nouvelle-Zélande. La couleur du pelage de cette espèce 


* Otaria ursina, Desm., 381°., l'urigne, Molina, p. 255, ours de mer de Forster, 
t. IV, pag. 208 et suiv. du deuxième voyage de Cook. 


19. 


148 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

est d'un brun-rougeûtre, et les poils sont très-grossiers sur le 
dos, tandis qu'ils sont fins et moelleux sous.le ventre. On re- 
marque d'ailleurs deux sortes de poils. D'abord une fourrure 
de la douceur de celle de la loutre, puis des poils longs et rudes, 
quon arrache aisément en chauffant la peau. Ces phoques 
sont ainsi en possession de fournir des fourrures très-estimées, 
et l’objet d’un commerce actif et avantageux. Les animaux 
de cette espèce se tiennent sur les rochers, dans les endroits 
où les lames brisent avec le plus de force. Jamais on ne les trouve 
sur les plages de sables. Mais il faut avouer que, sous ce nom 
de phoque à fourrure, les pécheurs confondent plusieurs es- 
pèces encore inconnues : et c'est ainsi quils indiquent une 
proéminence derrière la tête de celui de Patagonie; une grande 
taille à celui de la Californie; des proportions très-petites à 
espèce nommée wpland seal, où phoque du haut de la terre, 
parce que généralement il se tient sur les éminences isolées, 
assez loin du rivage, aux iles Macquarie et Penantipodes. Ceux 
de la Nouvelle-Zélande sont de taille moyenne et d'un caractère 
très-sauvage. On voit de quelle importance il serait, pour l’avan- 
cement de l'étude de ces animaux, qu'un deuxième Scoresby 
voulut bien entreprendre leur histoire. 

C'est en mai, juin et juillet, et une partie d'août, que les 
phoques à fourrure fréquentent la terre. Ils y reviennent en- 
core en novembre, décembre et janvier, époque à laquelle 
les femelles mettent bas. Les petits tettent pendant cinq ou six 
mois, et peut-être davantage. Un fait notoire parmi les pêcheurs, 
est l'usage constant qu'ont ces animaux de se lester en quelque 
sorte avec des cailloux, dont ils se chargent pour aller dans 
l'eau, et qu'ils revomissent en revenant au rivage. On voit beau- 
coup de ces tas de pierres dans les lieux qu'ils habitent : et peut- 
être ne faut-il pas croire aveuglément à ce fait ; car il est certain 
qu'ils nagent parfaitement bien sans cet accessoire. 


ZOOLOGTE. 149 


Leur nourriture principale se compose de sèches et de pois- 
sons ; mais ils peuvent aisément faire une longue abstinence, 
soit lorsqu'ils restent à terre à l'époque du rut, soit lorsqu'ils 
sont entraînés à de grandes distances au large. 

Les Anglais et les Américains ont fait des gains énormes avec 
ces fourrures; et des armements considérables ont été, pendant 
plusieurs années, dirigés vers cette branche d'industrie, qui 
commence à s'épuiser ‘. 

Aux Orcades australes, qui sont situées par 60°, 37° de lati- 
tude Sud, parait habiter spécialement l'espèce décrite impar- 
faitement par le capitaine Weddell sous le nom de sea leopard, 
et à laquelle nous avons imposé le nom d’otaria W'eddellir. Cette 
espèce, encore fort peu connue , est remarquable par sa teinte 
générale grise, parsemée de taches d'un blanc pur, et par son 
port élancé. ( Voyez la description que nous avons donnée, 


Dullisc nat, \ CNIL p: 4982) 


‘ Nous supprimons une foule.de détails qui nous paraissent peu authentiques, ou 
qui ont déja été rapportés par MM. Quoy et Gaimard dans leurs observations sur les 
phoques ( chap. IV, sect. 1°, Zool. de l’Uranie, p. 68 à 76). 


150 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Genre COUSCOUS, Cuscus, Lacép. 


Sous-genre (Temmincx) : Queue prenante, mais en grande partie nue et couverte 
de rugosités ; les oreilles courtes. 


G. PHALANGER DES AUTEURS FRANGAIS, Didelphrs, L. 


PHALANGISTA, Geoff.; Cuv., Règne anim., tom. I, pag. 178; Desm., Mamm., 
J° genre. 


7 


CEowyx et PHALANGISTA , Temm., Monog. 


$ L® ÆAuriculis brevibus, non distincts, intus pilosts. 


GRAND COUSCOUS TACHETÉ, Cuscus maculatus. N. 


PHALANGISTA MACULATA, Desm., Nouv. Dict. d’hist. natur., vol. 25; Temm., 
Monog., pag. 14; Geoff., Vel. du Muséum, t. IV, n° 0. 
Cuscus AMBoINENSISs, Lacépède. 


ScHam-scmam, dans la langue des Papous de Waigiou. 
CHAT sAUVAGE, Forrest, Voyage à la Nouvelle-Guinée. 


Mâle en pelage complet : PLANCHE IV. 


Cuscus major, corpore lanuginoso sub albido, supra maculis ater- 
rimis sparso. Caudä& prehensili rubr&, tuberculosä. Faciei pilis, aureo- 
Julvis : extremitatibus suprà brunneo-fuscis. 


La ligne de démarcation qui isole la plupart des espèces de 
phalangers à queue prenante, est encore à tracer; et, dans l'état 
actuel de nos connaissances, nous ne savons guère quelle est 
l'influence qu'exercent sur le pelage de ces animaux les cli- 
mats, l’âge et les sexes. «C’est un des inconvénients, mais une 


«des nécessités de l’histoire naturelle, dit M. Frédéric Cuvier 


ZOOLOGIE. 1b1 
«(47° liv., Mammif.), que d'étudier et de faire représenter les 
«animaux aux diverses époques de leur vie. Les différences de 
« formes ou de couleurs, dans le jeune âge et dans la vieillesse, 
«sont quelquefois telles, qu'il serait impossible de reconnaitre 
«le même individu dans les caractères qui lui sont propres à 
«ces deux âges.» Et d’ailleurs, comme l'a dit avec raison un 
des grands naturalistes de nos jours, On ne rend pas un moindre 
service à la zoologie en débrouillant l'histoire des espèces impar- 
faitement connues, qu'en faisant connaïtre des espèces nouvelles 
(G. Cuvier, Ann. du Muséum, t. 1, p. 1). Cependant, ce n'est 
qu'avec doute que nous rapportons au phalanger tacheté l’'es- 
pèce que nous décrivons ici; car sa grande taille, son pelage 
presque entièrement lanugineux, les couleurs de sa robe, une 
légère addition dans la formule dentaire, pourraient servir à en 
constituer une espèce ayant des caractères autres que ceux assi- 
gnés aux individus adultes, décrits par M. Temminck, dans sa 
Monographie ‘. D'un autre côté, cependant, comme rien d’es- 
sentiel dans l'organisation ne pourrait servir à établir solide- 
ment une telle distinction, nous préférons considérer notre 
animal comme le phalanger tacheté dans son entier dévelop- 
pement et dans son pelage complet, et négliger la dénomina- 
tion spécifique de cuscus chrysocephalus, que nous lui avions 
primitivement donnée. L'ancien nom de didelphis orientalis, de 
Linnæus et de Gmelin, le phalanger mäle de Buffon, a long- 
temps renfermé toutes les espèces ou variétés connues de cet 
animal. Les zoologistes modernes, M. Geoffroy-Saint-Hilaire - 
entre autres, en ont séparé avec justesse le phalanger roux 
(ph. rufa, Geoff.), (ph. cavifrons de Temminck ), qui a des ca- 


ractères précis; mais il n’en est pas de même ensuite pour ces 


‘ Monog. de Mammalogie ; premier monog. sur le genre PHALANGER ( Pha- 
langista, Geoffroy ), Fasc., in-/4°, avec fig. anat. 


152 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

variétés nombreuses, décrites sous le nom de ph. maculata et 
à des âges différents, et dont on trouve l’histoire confuse, et 
souvent embarrassante , dans les divers ouvrages modernes. Il 
est probable que c’est encore à cette espèce qu'appartient le 
phalanger Quoy, trouvé à Waïigiou comme le nôtre, et figuré 
pl. VI de l'Atlas zoologique du voyage de l’Uranie. 

Le couscous tacheté : est très-allongé, et de la taille d’un fort 
chat. Sa tête est arrondie, à chanfrein légèrement concave et 
à museau conique et court. 

Les parties osseuses présentent les modifications suivantes : 
Longueur totale de la tête, trois pouces neuf lignes. Largeur 
prise de l’écartement des deux arcades zygomatiques, deux pouces 
quatre lignes. Largeur des deux branches du maxillaire infé- 
rieur, deux pouces et six lignes. Coronal légèrement bombé, 
terminé par deux embranchements qui rendent saillante la crète 
pariétale formée par un rebord des deux os, et qui est moins 
élevée que la région frontale. Fosses temporales, convexes au 
centre, profondément circonserites. Sutures peu apparentes. 


Formule dentaire : Yncisives ©, Canines =, Molaires =, — 32. 


6-6 ? 


-2 


Fausses molaires : =. ToraL : 40. 


3 


Mâächoire superieure : Six incisives. Les deux de devant plus 
longues que les quatre latérales, qui sont très-courtes et tron- 
quées au sommet. Première canine de chaque côté, logée dans 
une alvéole à moitié creusée dans l'os incisif, et séparée de la 
deuxième canine, qui est plus petite. Toutes les deux sont re- 
courbées, à pointe mousse, et aplaties transversalement. Entre 


© Le nom de Coescoes se trouve employé, comme étant propre aux habitants 
d’Amboine, par Valentyn, dans son Hist. des Moluques. I donne de cet animal une 
figure peu reconnaissable sans doute, mais qui, par sa queue prenante, indique un 


phalanger. F. D., p. 292, t. III, 1726. 


ZOOLOGIE. 153 


la dernière et la première molaire, existe un étroit espace libre 
où se fait remarquer une très-petite dent, placée à la base de 
la première molaire, qui a sa couronne saillante, aiguë, à deux 
faces. Les quatre dernières molaires sont égales, à couronne à 
quatre pointes, séparées par un sillon profond. 

Mâchotre inférieure : Deux incisives très-longues, très-fortes, 
taillées en biseau. Trois fausses molaires rudimentaires de chaque 
côté, à sommet arrondi. Première molaire, ainsi que les quatre 
suivantes, analogues à celles de la machoire supérieure. 

L'espèce de grand couscous tacheté, que nous figurons, pré- 
sente les dimensions suivantes : 


pouces lignes mètres. 


Longueur du bout du museau à l’origine de la queue.. 25 » o 677 


——— de la queue enlière..................... 20 » Oo  D4r 

de la partie nue de la queue..." 0. ÉTRD  NO 200 

——— dela tête........... RAR relate HN OMOS 

ii desr oreilles Fe Me Ce Are Go 62 

———  del’avant-bras, depuis le coude jusqu’au poignet. 4 6  o 122 

depuis le poignet jusqu’au bout des ongles... 2 » _o 054 

——— de la jambe, depuis le genou jusqu’au talon.. 4 » Oo 108 
depuis le talon jusqu’au bout de l’ongle du doigt 

UML RE MERE CEERRERERE ER ITENSE ON O NOTE 


La tête de l'individu que nous décrivons a une forme arron- 
die, ce qu'augmente encore le manque apparent d'oreilles ex- 
térieures; car le cartilage de celles-ci est, en effet, très-court, et 
recouvert de poils, formant à peine deux petites touffes plus 
élevées que le reste du pelage. Le chanfrein est légèrement 
concave, et le museau est obtus. Quelques poils longs et rares 
sont implantés sur le nez et sur le rebord supérieur de l'œil. 
Les voiles palpébraux sont épais, rougeûtres, et forment un 
bourrelet autour de l'œil, qui est saillant hors de l'orbite, rou- 
geàtre, à pupille verticale, comme chez les squales. La queue, 


nue dans plus de la moitié de sa longueur, est chargée de 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 20 


154 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

verrues rugueuses en dessous, et d’un rouge carmin assez vif. 
Le poil cesse au üers supérieur de la queue, pour se conti- 
nuer, en pointe étroite longue de trois pouces, sur la partie su- 
périeure seulement. Les ongles, de couleur jaune, sont forts, 
aplatis transversalement, recourbés, terminés en pointe mousse, 
plus forts aux deux doigts externes postérieurs, plus petits et 
de même forme aux deux doigts internes; celui du pouce est 
mince et aplati. 

Le pelage de ce phalanger est complétement lanugineux, 
ou, de toute part, une laine courte et épaisse revêt d’une ma- 
nière serrée toutes les parties de l'animal, dont chaque poil 
flexueux a au plus six lignes, Quelques poils très-rares, minces, 
de même couleur que la laine, sortent cà et là, mais en très- 
petit nombre, et sont peu apparents : ceux de la face sont ras 
et jaunes dorés. 

La couleur générale de la robe de l'animal est d’un blanc lé- 
gèrement jaunâtre, uniforme à peu près partout, et sur laquelle 
tranchent , par la netteté de leur teinte, les taches arrondies et 
communément séparées, d'un noir foncé, éparses principalement 
sur le dos et sur les flancs. Des taches plus confuses et non 
distinctes, d’un roux-brun, se trouvent sur les bras et les mains, 
ainsi que sur la queue et les lombes. Les parties inférieures sont 
d'un blanc-jaunâtre sans taches. Le scrotum est long de dix-huit 
lignes, et très-velu. La face et la partie antérieure du crâne sont 
d'un jaune assez vif. Deux taches rondes, de même couleur, 
sont placées sur les oreilles. Les parties nues des maïns et des 
pieds sont rougeàtres, ainsi que les narines et les lèvres. 

On pourrait croire que le pelage, dans le jeune âge, est beau- 
coup plus garni de poils longs, mols et flexueux, et qu'à mesure 
que l'animal vieillit, la bourre se transforme en laine dense et 
serrée , tandis que le poil disparait et tombe. De tous les corps, 
la laine étant le plus mauvais conducteur du calorique, cette 


ZOOLOGTE. 155 


sorte de pelage est alors la plus appropriée à l'existence d'animaux 
qui vivent essentiellement dans les climats les plus chauds des 
brülantes Moluques. Cependant, les poils, même chez les adultes, 
dans le phalangista cavifrons, Temm., sont toujours très-abon- 
dants au milieu du feutre qui revêt le corps. 

Ces phalangers habitent la terre des Papouas dans l'ile de Waï- 
giou, où plusieurs individus nous furent vendus par les naturels de 
ces contrées, qui les nomment scham-scham : nous essayàmes de 
les conserver en vie, mais ce fut sans succès. Leurs habitudes 
étaient lentes et taciturnes. Ils léchaient sans cesse la partie dé- 
nudée de leur queue, et les mains, avec lesquelles ils se frot- 
taient presque continuellement la face. Leurs grands yeux rouges, 
surmontés d'un épais rebord formé par les paupières, donnaient 
à ces animaux une physionomie stupide. Ils buvaient beaucoup, 
mangeaient du pain, qu'ils prenaient avec leurs mains, préfé- 
raient la viande, se battaient avec fureur lorsqu'on en mettait 
deux ensemble, grognaient comme des chats pour peu qu'on 
les inquiétät, et cherchaient à mordre, en saisissant avec les 
mains ceux qui les agacaient. 

L'examen anatomique des divers organes nous présenta les 
particularités suivantes : 


Langue, charnue, légèrement rugueuse sur sa face supérieure, ayant un espace 
quadrilatère noir à la base, long de sept lignes, et à six lignes de l'épiglotte. Deux 
ouvertures des canaux excréteurs, béantes, à la base de la langue. 

Thorax, étroit en avant, s’élargissant inférieurement , de la forme d’un cône tron- 
qué, dont le sommet très-rétréci présente une ouverture cordiforme; treize côtes de 
chaque côté. La poitrine a cinq pouces et demi dans sa plus grande dimension, d’un 
côté à l’autre. Sa longueur, y compris l’appendice xiphoiïde, est de trois pouces 
quatre lignes. Le sternum extraordinairement étroit, n’est, à bien dire, qu'une ban- 
delette, sur laquelle viennent se fixer les cartilages des côtes. 

Abdomen, ample, plus large à sa partie moyenne qu’à ses deux extrémités, l’in- 
férieure surtout étant très-rétrécie. L’estomac occupe toute la région épigastrique, 
et s'étend un peu dans l’hypocondre gauche. Il est réniforme. Le foie est divisé en 

20. 


156 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


cinq lobes inégaux, dont deux beaucoup plus grands, sont échancrés. La vésicule du 
fiel est grande, très-distendue, en forme de poche allongée, logée entre le grand lobe 
droit et le troisième ( par le volume ), et cachée par eux. La rate est petite, allongée, 
rétrécie à une de ses extrémités, qui forme le sommet d’un triangle, dont la base 
serait échancrée. 

Les zntestins forment de nombreuses circonvolutions. Le duodenum ne présente 
qu'une seule courbure, s'étendant devant la colonne vertébrale. Les intestins gréles 
se réunissent au rectum perpendiculairement. Le cœæcum est ample, et terminé par 
un appendice vermiforme. Il est long de dix-sept à dix-huit pouces, tandis que les 
intestins grêles ont de cent douze à cent quinze pouces de longueur, et présentent de 
distance en distance des rétrécissements où se moulent les matières fécales, qui ont 
et la forme et la grosseur d’une olive. Les substances digérées dans l’estomac étaient 
vertes, et ressemblaient à des débris de végétaux. La valvule pylorique est épaisse et 
charnue, et nous ne pûmes découvrir aucune trace du pancréas. 

Les reins sont peu volumineux, placés sur les parties latérales de la colonne ver- 
tébrale, au-devant des dernières fausses-côtes. Ils ont de quinze à seize lignes de lon- 
gueur, et leur forme est, en petit, celle des reins de l’homme. Les vretères ont cinq 
pouces à peu près de longueur. La vessie est allongée et pyriforme, saillante hors 
du bassin. La verge est placée derrière le scrotum , et présente un gland que termine 


un prolon gement pointu. 


COUSCOUS A GROSSE QUEUE, Cuscus macrourus. N. 


Corpore griseo, cum pülis longioribus nigris, et maculis sparsis brun- 
neis. Capite fulvo, gulo auriculisque albis. Caudä robust&, longiord, 
cinered. Abdomine albido. Manibus pedibusque nigrescentibus. 


PLANCHE V. ( Femelle.) 


VÉRITABLE protée quant aux couleurs du pelage, le phalanger 
tacheté parait recevoir, des âges, du climat ou des sexes, des 
modifications nombreuses, qui le rendent très-difficile à distin- 
guer, et notre c. rnacrourus s'en rapprocherait singulièrement 
par son pelage, ou plutôt du phalanger Quoy(phalangista Quor, 
Zoologie de l'Uranie, p. 58, pl. VD), si sa petite taille, la forme de 


ZOOLOGIE. 157 


sa tête et le développement de sa queue, comparés aux autres 
proportions du corps, ne nous autorisaient à l'en séparer. 

Le couscous à grosse queue, en effet, n’a que douze pouces 
huit lignes du bout du museau à l'origine de la queue, et celle-ci 
a de longueur dix-sept pouces : elle est revètue de poils très- 
abondants et très-fournis à son origine, dans une longueur de 
dix pouces et quelques lignes. La tête a trois pouces moins 
quatre lignes de l'occiput au bout du museau. Ramassé dans 
ses formes, mais d’ailleurs bien proportionné, ce phalanger, de 
deux tiers plus petit que l'espèce précédente, est généralement 
recouvert d'un feutre épais et grossier, d'où sortent abondam- 
ment des poils soyeux et noirs, qui le dépassent de beaucoup. 
Les dents ne diffèrent point de celles du phalanger tacheté, dont 
elles ont la forme. Seulement, les deux incisives supérieures 
sont plus rapprochées : celles d’en-bas, plus élargies, sont plus 
obliques en avant. Enfin, au lieu des trois fausses molaires de 
chaque côté de la mâchoire inférieure, il n’y en a que deux. 

Les oreilles de cette espèce sont plus saillantes que dans le 
couscous tacheté; elles sont également poilues au dedans comme 
au dehors. Le front et le chanfrein sont tout d'une venue, le 
museau, pointu, effilé, donnant à la tête la forme de celle d'un 
maki. Le poil qui les revêt est court, roussâtre ; le tour des yeux 
est brun; les poils des oreilles sont blancs, ainsi que la gorge 
et le dessous du cou. Tout le corps et la partie extérieure des 
membres sont d'un gris-cendré, ondé de brunâtre. Les poils de 
la queue sont cendrés, roussàtres, plus noirs à l'endroit où ils 
cessent sur la queue. Le ventre et le dedans des cuisses sont 
blanchâtres. Les poils qui recouvrent les doigts sont noirs, les 
ongles jaunes. La partie dénudée de la queue, comme carénée 
en dessous, est rougeätre. 

Cette espèce, dont nous n'avons possédé qu'un individu , ha- 
bite le havre d'Offack, sur la grande île de Waigiou. 


158 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Ç IT. ÆAuriculs disténctis, intûs nudis. 


COUSCOUS BLANC, Cuscus albus, N. 


PHaLANGISTA ALBA ct PH. RUFA, Geoff., J’élins du Muséum, t. IV, n° 7 et 8; 
Desm., 412° Mamm.; Cuv., Règne anim., t. 1, pag. 178. 

DipEcpHis ORIENTALIS, Lin.; Gm. 

PHALANGER FEMELLE, Buff., t. XIII, pl. X. 

PHALANGISTA CAVIFRONS, Temm., Monog. 17. 

Kapoune DES NÈGRES DU PoRT-PRASLIN, à la Nouvelle-Irlande. 


PLANCHE VI. ( Mâle.) 


Cuscus ; pilis in universum sub albis : vittä dorsali longitudinalique 
fulvä. Auribus intùs nudis, extra pilosis. 


Nous ne dirons que peu de choses sur cette espèce, distinguée, 
dans ces derniers temps, par les auteurs dont nous avons cité 
la synonymie, et qui parait être l'espèce que Valentyn a désignée 
sous le nom de coescoes, et qui est très-mal figurée dans Seba, 
t. 1, pl. XXXIX, mais qui est beaucoup mieux décrite dans le 
texte. Plusieurs individus âgés, que nous nous procuràmes au 
Port-Praslin de la Nouvelle-Irlande, par 3° 50° de lat. Sud, et 
150° de long. Est ,annoncent que le couscous blanc, qui constitue 
une espèce nette et distincte, s'ayance également au Sud-Est de 
la Nouvelle-Guinée, et qu'on doit le rencontrer sur toutes les 
iles de la Louisiade, de Santa-Cruz, de Bouka, qui forment des 
archipels étendus à lorient de la grande terre des Papous. 
M. Temminck indique Banda et Amboine pour sa patrie; et 
M. Labillardière dit également avoir vu des phalangers dans 
cette dernière ile, où nous n'en rencontrâmes point. 


ZOOLOGIE. 159 


L'individu que nous nous procuràmes est mâle, adulte et 
parvenu à toute sa croissance. Sa taille est beaucoup moins 
développée que dans le c. maculatus. Les membres et la queue 
sont également, et toutes proportions gardées, plus courts. 
La queue est velue jusqu'à moitié de sa longueur, terminée en 
pointe poilue sur sa face dorsale. On remarque, enfin, une légère 
modification dans le système dentaire; mais ce qui caractérise 
plus particulièrement cette espèce sont les oreilles, dont le car- 
tilage est ovalaire, pointu supérieurement, complétement nu 
à l’intérieur, et velu à l'extérieur. La tête est plus petite, le mu- 
seau plus élargi, mais moins concave que dans le couscous 
tacheté. Les mains et les pieds sont moins forts; la queue est 
également rugueuse et verrugueuse en dessous. Le pelage est 
très-épais, très-cotonneux, maïs en même temps abondamment 
garni de poils plus longs, grèles, très-fins et brunâtres. Les doigts 
sont légèrement velus, et les ongles sont bruns. 

La couleur du phalanger que nous décrivons est partout 
d'un blanc uniforme, sale, auquel se mêle une légère teinte 
fauve sur le dos, qui, en s'épaississant, forme, depuis la crète 
occipitale jusqu'aux lombes, et sur la rangée épineuse, une ligne 
dorsale, rousse, très-apparente. Le scrotum a la forme d'un sac 
volumineux, long de dix-huit lignes, revétu de poils blancs et 
courts. Le bout du museau est brun. Toutes les parties infé- 
rieures sont blanches, et la poitrine et les épaules ont une teinte 
jaunâtre prononcée. 

Sa longueur, du bout du nez à la naissance de la queue, est 
de vingt pouces six lignes : celle de la queue, treize pouces et 
demi ; celle de la tête, quatre pouces; des oreilles, sept lignes; 
du poignet au bout des ongles, dix-huit lignes ; de la plante des 
pieds, deux pouces et demi. 

Nommé #apoune par les Nègres insulaires de la Nouvelle- 
Irlande, ce couscous y parait extraordinairement commun; car 


160 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

les naturels nous en apportaient chaque jour un grand nombre. 
Il vit sur les arbres; et, malgré le soin avec lequel il s’y cache, 
une odeur fétide, fragrante et très-expansible, le décèle au loin ‘. 
Souvent, en parcourant les forêts séculaires de cette île im- 
mense, l'odorat était vivement affecté par ce singulier animal. 
M. Cuvier dit qu'en le fixant avec plus ou moins de constance 
sur la branche où il est cramponné par sa queue, il finit par 
tomber. Ce serait donc de cette manière que les habitants du 
Port-Praslin prenaient ceux qu'ils nous apportaient journelle- 
ment à bord, et qu'ils nous vendaient en vie, après leur avoir 
brisé les jambes, et passé dans la bouche un morceau de bois, 
afin sans doute de les empêcher de mordre. Les naturels de ce 
point du monde aiment passionnément la chair très-grasse du 
couscous blanc; c'est pour eux un régal délicieux dont ils sont 
friands, et ils se bornent à faire rôtir l'animal dans sa peau, avec 
le poil et sur les charbons ardents, après en avoir ôté seulement 
les intestins. Mais telle est son abondance, qu'ils faconnent avec 
ses dents de longs chapelets, qui servent à la décoration de leurs 
armes ; ou ils s’en font des colliers et des ceintures, longues de 
plusieurs brasses. 


 Mentionnée, dès 1951, par le voyageur Barchewitz, qui indique des couscous 
dans l'ile de Léthy. 


ZOOLOGTE. 161r 


GENRE KANGUROO, Kangurus, Geoff. 


Diverpris, Gmn. 
Macropus, Shaw. 
Hazmarurus, Illig. 


>  — ——— 


KANGOUROU OUALABAT, Kangurus ualabatus. N. 


KanGURUS BICOLOR, /’élins du Muséum, et Nouv. Dict. d’hist. nat., 1° éd. 
KAnGuROO D'AROÉË, Kangurus Bruni, Desm., Mamm. /20. 

Non le Dinecpais Brunn *, de Gm. et de Valentyn. 

OuALABAT, des naturels des environs de Sydney. 


PLANCHE VII. 


Pilis insuper brunneis, fulvis infra. Caudé longissimä, ore, manibus, 
pedibus, et caudæ parte superiore, aterrimis. Genis grisers; auricularum 
pilis inferioribus crocets. 


Nous conservons à cet animal le nom qu'il porte chez les 
naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. On en trouve dans les 
Vélins du Muséum (tom. IV, n° 18) une figure inédite, peinte 
d'après une peau en mauvais état, qui provient du cabinet du 
Stathouder. Mais nous pensons que c'est par erreur qu'on lui a 
donné, dans plusieurs ouvrages francais, le nom de kangourou 
d'Aroé, en lui appliquant à tort les courtes descriptions du f- 
lander de Valentyn( Amb., t. III, p. 272), et de Lebruyn (Por. 
aux Indes). Le kangourou d'Aroë, habitant des climats placés 


! La phrase spécifique du Systema naturæ est : Caud& brevi, calvä, vedibus 
posticis longioribus tridactylis. 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 21 


6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

sous l'équateur, diffère notablement du kangourou oualabat, 
qui est très-commun dans le district de Cumberland, à la 
Nouvelle-Galles du Sud, et par des latitudes assez éloignées du 
tropique du Capricorne. Chaque jour, on observe cette espèce 
en abondance au marché de Sydney, où elle est connue sous le 
nom de kangourou de buisson, que lui donnent les colons anglais. 

Le kangourou oualabat est à peine de la moitié de la taille 
du 4. labiatus où macropus major de Shaw. Il a le même aspect 
et les mêmes formes que les autres kangourous de l'Australie. 
Cependant, son mufle est moins prononcé que dans les grandes 
espèces : ses extrémités antérieures sont minces; les oreilles sont 
allongées, le museau est plus effilé, les membres postérieurs sont 
robustes , et la queue est forte et longue. 

Les poils du museau en dessus sont courts et noirs; ceux du 
front sont gris; des poils plus fins et plus longs bordent la lèvre 
supérieure et le dessous de l'inférieure. Les joues sont assez ve- 
lues, grises, ainsi que la gorge. Les”oreilles sont ovalaires, 
pointues, nues en dedans, garnies extérieurement d’un poil ras, 
de couleur noire au sommet, et d’un roux vif à la base. Les 
deux dents incisives supérieures sont un peu plus longues que 
les latérales : celles d'en-bas, courbées en avant et séparées l'une 
de l’autre, se terminent en pointe mousse. L'occiput est lége- 
rement fauve. Les membres et le dessus du corps sont revêtus 
de poils longs, droits, mous, gris à leur racine, blancs-jau- 
nâtres à leur pointe, et comme annelés de noir et de blanc. La 
teinte des flancs est claire, tandis que celle des lombes et du 
dessus de la queue est d’un brun-foncé. Cette dernière partie 
est abondamment recouverte de poils très-noirs et plus fournis 
en dessus, et à son extrémité où ils forment une touffe de cou- 
leur roussàtre. Deux taches d'un gris-brun uniforme occupent 
le dessous des épaules. Tout l'abdomen, la poitrine et la gorge 
sont recouverts d’un poil plus épais, plus grossier, tirant sur le 


ZOOLOGIE. 163 


Jjaune-roux. Le feutre est d'un gris-cendré; les poils des mains 


et des pieds, ainsi que les ongles, sont d'un noir intense. 
Les dimensions de l'individu figuré sont les suivantes : 


pieds pouces lignes mètres. 

Longueur totale du bout du museau à l’origine de la 
QUE AGE en ee ab da Ne 2F TT TO ONCE 
mm mn Lo tale de li QUEUC. ne 02011160 45 
et denlaLTétE ne ARE AN ec IE ON PROMO 
——— des oreilles........................... ONTARIO 00 
——— du bout des ongles jusqu’au coude........ OCTO RMEON2 07 
——— de la cuisse jusqu’au talon............... CO MONO NME A) 
——— du talon à l’extrémité de l’ongle du milieu.. o 7 6 o 203 
mr des Onolesiteslatmain "PP APRES ELEETE OMMONNTMOMIGTO 
——— des ongles du doigt du milieu du pied..... ON OT OMION2 


Tels sont les caractères spécifiques du kangourou oualabat, 
qui est parfaitement décrit, dans la Mammalogie de M. Des- 
marest, sous le nom kanguroo d’Aroë (n° 429; et tom. XVII, 
pag. 42, Nouv. Dict. d'hist. nat., 2° édit. }; mais, comme il est 
extraordinairement abondant aux alentours du Port-Jackson, et 
par conséquent dans une zone assez froide de la Nouvelle-Hol- 
lande, on conçoit qu'il ne peut être le pélandoc * ou lapin 
d'Aroë, propre au climat brülant des Moluques et du Nord 
de la Nouvelle-Guinée. C’est très-probablement ce dernier, en- 
core inédit, que notre commis aux revues, M. Gabert, se 
procura, pendant notre relâche, à la Nouvelle-Guinée. Cet 
animal, que cet officier acheta à des Papous, fut conservé 
en vie, pendant quelques semaines, à bord de notre navire, et 


© Le nom de Pélandor est une faute typographique, copiée par tous les naturalistes 
successivement. Valentyn dit : « Le f#/ander est nommé pélandoc aroé par les Ma- 
« lais, et chat d’Arou par les Hollandais, et aÿir par les naturels d’Arou. » Quant 
au nom de chat d’Arou, il est à présumer que Valentyn ici confond le phalanger avec 
le filander (Valentyn, 4mboine, 1. III, p. 272). 


21. 


164 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


disparut un jour, sans que personne püt savoir ce qu'il était de- 
venu; probablement qu'il tomba à la mer. I! eût été d'un haut 
intérét à faire connaître et eut levé tous les doutes sur la véri- 
table espèce décrite par Valentyn et par Lebruyn, comme le re- 
présentant naturel et le premier type, sous l'équateur et dans 
les iles Moluques, d'un genre nombreux en espèces sur les terres 
de la Nouvelle-Hollande. 

Ainsi donc l'animal que nous nommons provisoirement kan- 
sourou d'Aroë ( kangurus veterum, N.), est appelé podin par les 
Papouas du havre de Doréry à la Nouvelle-Guinée. IL présente 
tous les caractères extérieurs des kangourous australiens, quoi- 
qu'il en diffère par les dimensions des membres. Sa taille est celle 
du lièvre commun : ses oreilles sont proportionnellement plus 
courtes que dans les autres espèces connues. Sa tête est arrondie, 
à museau plus conique ét moins rétréci que dans le oualabat. 
Le cou est moins grêle. Les membres antérieurs sont plus allon- 
gés, plus forts et plus robustes; ceux de derrière sont moins 
longs et plus gros. La queue est d’un tiers plus courte. Son pe- 
lage est uniformément brun sur les parties supérieures du corps, 
passant au gris sur les parties inférieures. Le caractère de l'indi- 
vidu qui vécut à bord était très-doux et très-paisible. Il aimait la 
viande, quoique ce genre de nourriture ne füt pas approprié à 
son organisation. Îl flairait les aliments qu'on lui présentait à la 
manière des autres kangourous, et,commeeux,illessaisissait avec 
ses deux mains. Nous éprouvons le regret de ne pouvoir fournir de 
plus complets renseignements sur une espèce inconnue des z00- 
logistes, et qu'il eüt été si intéressant d'ajouter à nos collections. 

Nul doute que Valentyn, en parlant d'un animal de Banda 
et des iles d’Ærou, placées presque sur les côtes de la Nouvelle- 
Guinée, n'ait eu en vue le kangourou dont nous parlons ici, 
et que c'est à tort qu'on a pris pour lui le 4. oualabat, qui vit 
exclusivement dans des latitudes plus élevées. 


ZOOLOGIE. 165 
Quant au filander décrit par Lebruyn ‘(t. I, p. 347, fig. 213), 


et dont ce voyageur donne une assez médiocre figure, il serait 
possible que ce fut encore le pélandoc; et voici textuellement 
ce qu'il en dit : 

« Étant à la maison de campagne de notre général (ile de 
« Bantam ), je vis un certain animal, qu'on nomme f{{ander, le- 
«quel a quelque chose de fort singulier. Il ÿ en avait plusieurs 
«qui couraient en toute liberté avec des lapins, et qui avaient 
« leurs tanières sous une petite colline, entourée d’une balus- 
«trade. Les jambes de derrière sont beaucoup plus longues que 
«celles de devant; et cet animal est à peu près de la grandeur 
«et du poil d'un gros lièvre, et a la tête approchant celle d'un 
«renard, et la queue pointue. Mais ce qu'il y a de plus extra- 
«ordinaire, c'est qu'il a une ouverture sous le ventre, en forme 
«de sac, dans laquelle ses petits entrent et ressortent, même 
«lorsqu'ils sont assez gros. On leur voit assez souvent la tête et 
«le col hors de ce sac; mais lorsque la mère court, ils ne pa- 
«raissent pas, et se tiennent au fond, parce qu'elle s'élance fort 
«en courant. » 


‘ Voyages de Corneille Le Brun (Lebruyn }, par la Moscovie, en Perse et aux 
* Indes orientales, 1718, in-4°. 


re 0 ——— 


166 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


GENRE ORYCTÈRE, F. Cuv., Bathyereus, llig. 


RAT-TAUPE HOTTENTOT, Bathyergus hottentotus. N. 
PLANCHE II, fig. 2, de grand. nat. 


B. minor; pilis insuper brunneo-griseis concoloribus, subter cinereis : 
caud& brevi, planä, pilis ciliatis accinctd. 


Les oryctères ou rats-taupes, dont on ne connaissait que 
deux espèces (les bathyergus maritimus, Desm., 519, et D. ca- 
pensis, Mamm. 520 ), n'ont été observés, jusqu'à ce jour, qu'à 
l'extrémité australe de l'Afrique, où ils vivent dans les dunes 
des environs de la ville du Cap. C'est dans la même contrée 
que l’un de nous, après son naufrage (M. Garnot), rencontra 
la troisième espèce que nous décrivons ici, et qui se distingue 
des deux précédentes par sa petite taille et par la teinte uniforme 
et sombre de son pelage. Elle semblerait être une variété minor 
du georychus d'Illiger, ou bathyergus capensts ; mais les dimen- * 
sions plus faibles de toutes ses parties et sa couleur doivent au- 
toriser à la considérer comme formant une espèce assez dis- 
tincte. 

L'oryctère hottentot a quatre pouces six lignes de longueur 
totale, depuis la naissance de la queue jusqu'au bout du mu- 
seau. La tête a quatorze lignes : la queue a cinq lignes, sans 
y comprendre les poils qui la dépassent de six lignes. Les bras 
et l'avant-bras n’ont de longueur que six lignes : la main, de la 
face palmaire au bout des ongles, a six lignes; les doigts du 
milieu en ont trois, et les ongles ont moins d’une ligne. La face 


ZOOLOGIE. 167 
plantaire a neuf lignes : les doigts du milieu, trois lignes; sa 
circonférence dans la partie la plus large est de quatre pouces. 

Le corps est cylindrique ; la tête est courte, arrondie, conique, 
à museau obtus et comme tronqué. Les yeux sont extremement 
petits et très-peu visibles. On ne peut apercevoir aucune trace 
d'oreilles extérieures. Les membres sont courts et grèles. Les deux 
doigts du milieu sont réunis jusqu'à près de la moitié de leur 
longueur. Le pouce et l'index sont les plus courts et d'égale 
longueur à peu près. Les ongles sont très-petits et très-faibles. 
La queue est aplatie, très-courte, et comme ciliée par des poils 
peu fournis, allongés, qui partent des bords et de son extrémité. 
Le bout du museau est nu, et de couleur de chair, garni de 
barbes fines à la mâchoire supérieure. L'oryctère hottentot est 
recouvert de poils très-fournis, très-courts et très-soyeux. Toutes 
les parties supérieures du corps sont d’une teinte gris-brun uni- 
forme, et comme lustrée, se fondant sur les côtés avec la cou- 
leur grisàtre des parties inférieures et des mains et des pieds. 
Cette espèce n’a aucune tache blanche, ni près de l'oreille, près 
de l'œil ou sur le vertex, comme on en voit sur ces parties, 
chez l'oryctère cricet (D. capensis, mus capensis de Pallas, Gm.). 
Le pelage est généralement de couleur brune à la naissance de 
chaque poil, et ce n’est qu'à sa pointe qu'il prend l'aspect ou 
gris-brun ou grisätre que nous avons indiqué. 

Ce petit rongeur, par la faiblesse de ses ongles, doit prinei- 
palement se servir de son museau pour se creuser des galeries 
dans le sable. Celui que nous décrivons à été tué à vingt lieues 
de la ville du Cap, près le village de la Pearl, non loin des mon- 
tagnes de Drackenstein. C'est indubitablement de cette espèce 
dont Allamand ( Suppléments à l'histoire des Quadrupèdes de 
Buffon) veut parler, lorsqu'il dit : «M. Gordon a vu, fort 
«avant dans l'intérieur du pays, une espèce beaucoup plus pe- 
«tite et de couleur d'acier : aussi lui en donne-t-on le nom 


«au Cap.» (Buffon, t. XX, p. 185.) 


168 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Gevre LIÈVRE, Lepus, Linn. 


LAPIN DE MAGELLANIE, Lepus magellanicus. N. 


Pilis omninôd atro-wiolaceis, albis passim sparsis : auriculis fuscis, ca- 
> 1e Je 

pite brevioribus ; macul& alb& naso, interstitio narium, mento, gulæ, 

frontique. 


La nature, en créant les animaux, a donné à plusieurs d’entre 
eux des caractères généraux, qui nous permettent d'en former 
des genres, et des caractères particuliers, qui servent à isoler 
les espèces entre elles. Mais les nuances qui peuvent servir à 
distinguer ces espèces dans quelques familles sont si peu pré- 
cises, et sont si évasives, qu'il est presque impossible de les 
rendre sensibles par une description. Soumettant ensuite à la 
domesticité plusieurs des animaux utiles, l'homme est venu ap- 
porter parmi eux des causes nombreuses de variations, qu'on 
ve remarque point chez les individus sauvages; et c'est ainsi 
que des croisements de races, ou l'éducation, ou l'influence du 
climat, ont donné à la même espèce des couleurs différentes 
ou une livrée étrangère. Si, par exemple, des caractères zoolo- 
giques, nets et précis, manquent pour isoler le lièvre de nos 
contrées d'avec le lapin, on conçoit combien il est plus difficile 
encore de tracer la différence de ce dernier avec les espèces qui 
vivent sur divers points du globe, où elles sembleraient, en 
émigrant avec l'homme, avoir subi de profondes altérations. 
Quoi qu'il en soit, il se peut que le lapin des terres magella- 
niques, que nous décrivons, ne soit qu'une variété du /epus 
cuniculus de Linné, portée sur les iles Malouines par les Fran- 


ZOOLOGIE. 169 


çais qui y tentèrent un établissement en février 1764, et qui y 
déposèrent des chevaux et des bêtes à cornes, prises à Monte- 
Video, et qui y vivent encore. Mais cependant, après un examen 
attentif, et forts surtout de l'opinion du baron Cuvier, nous ne 
balancons pas à la resarder comme une espèce distincte, dont 
la souche provient indubitablement de la Patagonie. Les anciens 
navigateurs nous apprennent, d'ailleurs, que les lapins sont tres- 
abondants sur les bords du détroit de Magellan, et il n'est pas 
improbable que l'espèce qu'ils indiquent ne soit celle que nous 
décrivons *. 

Le lapin magellanique est de la taille du lapin sauvage de 
France, et a iles mêmes formes. Son pelage est très-fourni, 
soyeux, et entremélé de poils bruns, formant un épais duvet 
lanugineux en dessous. Destiné à vivre dans les hautes latitudes 
australes, la nature a pourvu à le préserver de ces climats froids 
et tempétueux. Il est entièrement, surtout le corps sans excep- 
tion , de couleur noire, mélée de violâtre, et parsemé d'un grand 
nombre de poils blancs. Quatre taches, blanches, arrondies, 
qui se dessinent nettement sur le fond noir de la robe de l’ani- 
mal, occupent le milieu de la poitrine, la moitié de la lèvre in- 
férieure, l'extrémité du nez et le sommet de la tête. Les jambes 
sont assez courtes et minces; les doigts sont munis d'ongles 
forts et robustes, cachés dans des poils abondants, grossiers, 
d'un noir-roussàtre foncé, garnissant les mains et la plante des 
pieds. La tête est un peu obtuse, arrondie, à front convexe. Les 
oreilles sont plus courtes que la tête, caractere opposé à toutes 


* Magellan, le premier Européen qui ait abordé dans la partie Sud de l'Amérique 
en 1520, en décrivant les animaux du port Saint-Julien, sur les bords du détroit qui 
porte son nom, dit formellement : «On y trouve des autruches (randou), des renards 
«(chien antarctique), et des lapins plus petits que les nôtres. » Desbrosses, t. I, 
pag. 133. Ce même fait est consigné pag. 38 de la 7raduction francaise du Journal 
de Pigafetta ( 1 vol. in-8°, Paris, an 1x ). 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 22 


170 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

les variétés domestiques du lapin, chez lesquelles ces parties se 
développent considérablement. La queue, également noire, est 
courte et recourbée en haut. Les oreilles sont brunes-rou- 


geàtres. 
pouces lignes mètres. 
Longueur du corps entier, du bout du museau à l’anus.... 16 8 o 41 
Hauteur du train de devant... ............ MIRE 6 6/10 176 
——— du train de derrière.......... gore... OMS MONT 
Longueur de la tête, du nez à l’occiput................. HAN E NO 122 
à EL EE LE LE EU AE EN ACIER Ts DHRDINO NON 
——— du tronçon de la queue...................... » 18 O O41 
——— de lavant-bras, depuis le coude jusqu’au poignet.. 2 6 o 068 
——— depuis le poignet jusqu’au bout des ongles... ..... » 14 Oo 032 
——— de la jambe, depuis le genou jusqu’au talon... .... 2 6 o 068 
——— du pied, depuis le talon jusqu’au bout des ongles. 2 6 o 068 


Le lapin des terres magellaniques vit, par petites troupes, dans 
les terriers qu'il se creuse dans les vallons rétrécis ou dans 
les dunes des bords de la baie Française aux iles Malouines, près 
l'anse Chabot, et aux alentours du camp de l’Uranie. Il s'établit 
près des ruisseaux et sous les bouquets du seul et frèle arbris- 
seau de ces climats, le chrliotrichum amelloides , Cass., au milieu 
d'un grand nombre de lapins, dont le pelage est, au premier 
coup d'œil, celui de l'espèce sauvage européenne. Il ne nous a 
paru différer en rien, par ses habitudes, autant que nous avons 
pu l’observer dans nos diverses excursions, des lapins qu'on 
trouve en France. 


ZOOLOGIE. 171 


GENRE COCHON, Sus, Linn., Cuv., Desm. 


COCHON DES PAPOUS, Sus papuensis. N. 


BÈNE, dans la langue des Papous de Dorérry. 


PLANCIIE VIII, + de grand. nat. 


Corpore gracile; sacculo molli sub oculis destituto : dentibus caninis 
non alis longioribus. Setis subtus brunneo-fuscis, infra albis, atro annu- 
latis. Caudä brevissima. 


À l'examen des formes extérieures de ce cochon adulte, on 
serait tenté de le rapprocher du cochon de Siam, dont il a le 
port et un peu la physionomie générale. Cependant, lorsqu'on 
descend dans les détails, il s'en éloigne trop par les caractères 
qui lui sont propres, pour ne pas constituer une espèce, fondée 
principalement sur la disposition des dents. 

La tête osseuse de cet animal est beaucoup moins longue 
que dans le cochon ordinaire, toutes proportions égales d’ail- 
leurs. Les côtés du museau sont moins concaves, et sont sans 
enfoncement sur la mâchoire supérieure : ils sont droits, et 
le rebord des alvéoles destinés à loger les défenses est légère- 
ment élevé, mais non déjeté en dehors comme dans l'espèce 
commune. 

La formule dentaire est celle-ci : 


Incisives +, Canines —, Molaires =. Au ToTaAL : 36 :. 


* Les parties osseuses présentent une ouverture en arrière de chaque dernière grosse 
F5) 


172 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

La longueur de la crête occipitale à l'os du boutoir est de neuf 
pouces et demi; celle du frontal au rebord du maxillaire in- 
férieur est de quatre pouces trois lignes. Le maxillaire inférieur 
a six pouces de longueur; et trois pouces d'écartement entre ses 
branches, dans l'endroit le plus large : il y a, de l’arcade zygo- 
matique aux incisives de la mâchoire supérieure, quatre pouces 
et demi. Les deux incisives de devant de la mâchoire supérieure 
sont rapprochées, épaisses et tronquées au sommet. Les deux 
extérieures sont plus courtes et dirigées obliquement en avant. 
À quelques lignes des quatre incisives, est placée, de chaque 
côté, une dent étroite, logée obliquement d'avant en arrière 
dans un alvéole de l'os incisif, et qu'on ne peut se dispenser 
de regarder comme une incisive, quoiqu'elle s'éloigne de la forme 
des quatre antérieures, et qu'elle ressemble à la canine. Celle-ci, 
mince, peu apparente, se dirige d'arrière en avant, et occupe un 
espace vide de chaque côté de la mâchoire. Les, molaires anté- 
rieures sont transverses, à pointe unique, tandis que les trois 
dernières présentent-à leur couronne quatre pointes mousses, 
séparées par des sillons profonds. Les dents de la méchotre infe- 
rieure sont à peu près d'égale longueur dans les quatre incisives 
projetées en avant. Les deux autres incisives externes, plus 
courtes, ont leur sommet à trois pointes peu apparentes et 
aplaties latéralement. La canine, de chaque côté, est mince, 
pyramidaie, très-étroite et peu élevée. Un léger intervalle la sé- 
pare de la première molaire, isolée elle-même des quatre autres. 
Les trois premières molaires sont donc aplaties transvérsalement 
et à pointe mousse. La quatrième a six pointes parallèles, sé- 
parées par deux sillons ; et la dernière en a quatre régulières, 
et une cinquième plus petite en arrière. 


molaire des deux côtés et aux deux mâchoires; ce qui semble prouver que les germes 

, " Ô ô ; . ou. 
d’une sixième molaire étaient encore renfermés dans l’alvéole, et ce qui porterait à 
quarante le nombre des dents de cette espèce. 


ZOOLOGIE. 173 


Nous avons observé à bord et à la Nouvelle-Guinée un assez 
grand nombre de ces cochons parvenus à l’âge adulte : tous à 
peu près nous présentèrent les caractères que nous allons rap- 
porter. 

La taille moyenne de cette espèce est élevée de dix-huit à 
vingt pouces au plus; et ses formes sont, en général, élancées 
et sveltes. La tête s'allonge en un groin effilé, et la mâchoire 
inférieure est un peu plus courte que la supérieure. Le chan- 
frein est droit, et non convexe comme dans quelques espèces. 
L’œil est petit : les oreilles sont très-courtes proportionnelle- 
ment à la tête; elles sont droites, roides et minces sur le bord 
externe. Le corps est arrondi dans ses formes : les membres sont 
courts et assez gros. Les pieds sont petits, à sabots peu pro- 
noncés et courts. La queue est grèle, terminée par une petite 
touffe. 

Les poils de ce cochon sont médiocrement fournis. Les soies 
sont assez roides, espacées, plus nombreuses que dans le co- 
chon de Siam et le babi-russa, mais moins que dans les espèces 
ordinaires. La peau est brune et rugueuse, nue et rougeàtre 
derrière les oreilles, sur les joues et sur plusieurs endroits de l'ab- 
domen. L'extrémité du museau est garnie de poils noirs, longs, 
plus abondants sur la mâchoire inférieure et autour des yeux. 
Deux bandes noires s’avancent sur les branches du maxillaire 
inférieur. 

Les soies, plus fournies, plus denses et plus longues sur le 
rachis, et particulièrement sur la nuque, sont très-noires. Les 
poils des oreilles sont ras à l'extérieur, allongés et blancs à l'in- 
térieur : ceux des parties supérieures du corps et des flancs sont 
couchés, alternativement noirs et rougeàtres, et plus foncés en 
brun sur les membres, à leur portion externe. Les poils des 
joues, de la gorge, des flancs et de dessous le ventre, sont blancs, 
mélés de quelques poils noirs, ou blancs à leur naissance et 


174 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


terminés par du noir : ceux des côtés du cou sont courts, épais et 
roides; et nulle part on n’en remarque de frisés. Le tour des yeux 
est brun : on compte huit mamelles abdominales. 

Les marcassins, dans leur premier âge, ont une livrée comme 
les petits du sanglier. Leur pelage est communément d’un brun 
plus où moins foncé, ayant sur le dos de deux à cinq raies lon- 
gitudinales d’un fauve assez vif. 

Ce cochon, nommé Béne par les Papous du havre de Doréry, 
est excessivement commun dans les forèts de la Nouvelle-Gui- 
née, où nous en rencontrames fréquemment. Les Papous en 
conservent quelques-uns en une sorte de domesticité, en attra- 
pant les jeunes dans les bois, et les renfermant dans des parcs, 
au-dessous de leurs cabanes. Mais ils ne cherchent point à ap- 
privoiser cet animal, qui retient parmi eux la plupart de ses 
mœurs sauvages et farouches. Ceux que nous conservames à 
bord se faisaient remarquer par leur courage, et se disposaient 
souvent à résister lorsqu'on les agaçait; et, quoique bien plus 
petits que le cochon de Siam, ils le battaient avec un acharne- 
ment peu ordinaire. Au bout d'un certain temps, cependant, ils 
devinrent assez dociles. Les individus que nous observames 
étaient solitaires; mais il paraît qu'à certaine époque ils vont 
par files nombreuses. C'est du moins ce qu'assure le navigateur 
Forrest, qui les représente ainsi dans les pl. IT et IT de son 
ouvrage, et qui rapporte que les Papous les chassent à coups de 
flèches. «Les cochons sauvages, nommés Ben, dit Forrest ( or. 
« à la Nouvelle-Guinée), passent souvent à la nage, en file, d'une 
«ile à une autre : le cochon de derrière appuyant son groin sur 
« la croupe de celui qui le précède. 

Les proportions des diverses parties de celui que nous repré- 


à 


sentons sont les suivantes : 


pieds pouces lignes mètres. 


Longueur totale du corps, du bout du museau à l'anus... 3 » » o 975 


ZOOLOGIE. 175 


pieds pouces lignes mètres: 


Hauteur 'durtraimde devant." ceriecee MEMONMONMONTOT 
= tdercelutder derniere te PRE RER 1 8 » o 54x 
Loncuéunide lartéte MAP RE RE EE POELE ER ORC RES »h On NON 271 
————  desioreilles... 0. EL es AIO) LAON 
de QUEUE. het mel eee ie DAUN E IONIOS 
——— de lavant-bras, depuis le coude jusqu’au poignet. » 5 6 o 149 
——— du poignet jusqu’au bout des sabots. ......... DO MONTS 
——— de la jambe, depuis le genou jusqu’au talon.... » 5 6 o 149 
——— depuis le talon jusqu'au bout des sabots... ..... De ONE CS 
Circonterencerde lairéte- NP AP ONE A ER TA NON 190 
————— denlatportnme sr PR Eee 2 Ne ON 077 
———— ce lelcmemo ose cioieedeenr eC rof: 
Longueur des sabots postérieurs .................... D EN O1 020 

des: sabotsiantérieurs:. 4.102 NE ent ATOS OA 


La chair du cochon des Papous est très-délicate. Cet animal 
se nourrit principalement des fruits abondants qui jonchent le 
sol des forêts de cette contrée, tels que l'évy, la muscade, la 
moelle des vieux sagoutiers, et les racines nutritives qu'on y 
rencontre à chaque pas. Cette espèce, par l'ensemble de ses 
formes, le manque de défenses, et sa queue réduite à un état 
presque rudimentaire, semble former le passage du genre cochon 
à celui des pécaris ( Dicotyles, Cuv. ), qui vivent dans les régions 
chaudes et tempérées du continent d'Amérique. Les grandes iles 
nombreuses de la terre des Papous, si riches et si peu connues, 
fourniraient ainsi la nuance qui réunit ces deux genres; mais 
nul organe, analogue à la glande des pécaris, n'existe sur notre 
espèce, qui n'exhale point d'odeur alliacée ou fétide, dont la 
chair est savoureuse, et qui a quatre sabots à chaque pied. Le co- 
chon ordinaire a douze mamelles : celui des Papous ne nous en 
a présenté que huit, nombre qui le rapproche encore, par ce 
caractère, du pécari; car M. F. Cuvier n’a pu en trouver que 
deux chez l'individu qu'il a figuré. Plusieurs de ces animaux, 


176 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

que nous conservâmes à bord de notre corvette, se familiari- 
sèrent à la longue, recherchaient les caresses, et se montraient 
jaloux de celles que l'objet de leur amitié prodiguait à d’autres; 
et c'est principalement sur un jeune chien que se portait toute 
leur sollicitude. Ils se couchaient à son approche, se laissaient 
agacer par lui, et chacun d'eux paraissait mécontent lorsqu'il 
l'abandonnait pour Jouer avec quelque autre animal. 


ZOOLOGIE. 177 


CHAPITRE IV. 
OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR QUELQUES CÉTACÉES. 


Les navigateurs ont chaque jour sous les yeux des troupes 
nombreuses de cétacées, dont les rapides évolutions ne per- 
mettent point de considérer leurs formes à loisir; et ce n'est 
jamais que d’une manière très-rapide qu'ils peuvent s'en former 
une idée. Cette famille serait toutefois bien intéressante à étu- 
dier; elle fournirait un grand nombre d'individus à décrire, si 
des obstacles presque insurmontables ne s'y opposaient ; mais, 
pendant long-temps encore, il faudra nous borner à des apercus. 
Écrivant pour ceux qui nous suivront un Jour sur ces espaces 
immenses de mer où les tribus nombreuses de dauphins errent 
sous les latitudes qui leur conviennent, nous rapporterons 
quelques-unes des remarques que nous avons faites dans ces 
journées si longues, où le voyageur, flottant entre le ciel et 
l'eau, n'a, pour récréer ses regards, qu'un horizon sans bornes, 
ou parfois la vue de quelques êtres qui viennent animer un 
instant ces vastes solitudes. 

En général, les dauphins, quelle que soit leur espèce, pa- 
raissent se plaire à lutter de vitesse avec les navires qu'ils ren- 
contrent, lorsqu'un vent favorable fait faire à ceux-c1 un sillage 
rapide, et que l’étrave brise les vagues qui rejaillissent en 
nappes écumeuses, parfois étincelantes par une vive phospho- 
rescence. Leurs prompts mouvements, leurs sauts hors de la 
mer, leur manière de nager en fendant l'eau avec la rapidité 
d'une flèche, contribuent à former de leur existence un tableau 
auquel le matelot, même le plus grossier, n’est jamais indiffé- 
rent. Après avoir suivi un instant le navire, avoir formé mille 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 23 


178 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


cercles à l'entour, il est rare que tous les dauphins ne dis- 
paraissent point à la fois, en prenant une autre direction. Les 
marins croient qu'ils sont les précurseurs des mauvais temps, 
et qu'ils ont pour habitude de se diriger du côté d’où vient le 
vent. 

Dans l'Océan Atlantique, sous la ligne, nos matelots harpon- 
nèrent le marsouin gris, à teinte bleuatre ou plombée ;, à ventre 
blanchätre , à peau lisse, mais recouverte ca et là de cicatrices 
qui annonçaient d'anciennes et profondes blessures. 

Dans les mers orageuses du cap Horn, en allant aux Ma- 
louines, à cent quarante lieues de ces iles, nous observames un 
dauphin, qui différait notablement de ceux dont Commerson et 
le docteur Quoy ont fait mention. Le dauphin à bandes ( de/phr- 
nus bivittatus, N., pl. IX, fig. 3.) suivit quelque temps notre 
navire en grande troupe, quoique la mer füt très-grosse. Il 
s'élançait fréquemment au-dessus des houles, et semblait jouir 
de la résistance qu'il trouvait dans l'eau, ainsi bouleversée. Sa 
oueur sur dix 


5 
pouces à peu près d'épaisseur. Il est court, mais svelte, dans 


taille est d'environ deux pieds et demi de lon 


l'ensemble de ses formes. La moitié supérieure du corps est 
d'un noir lustré et foncé : le ventre est blanc, ainsi que la mà- 
choire inférieure. Ce qu'il offre de remarquable est une large 
bande d’un blanc satiné, disposée longitudinalement sur chaque 
geoire 
dorsale, où les deux portions de cette bande ainsi séparée 


côté du corps, et interrompue au milieu vis-à-vis la na 
s'élargissent. Cette disposition lui donnerait quelque analogie 


! Ses dimensions étaient les suivantes : Longueur totale, huit pieds; du bout du 
museau à la nageoïre dorsale, trois pieds six pouces ; du même point à l'œil, un 
pied. Longueur de la bouche, dix pouces. Longueur des nageoires pectorales, qua- 
torze pouces; de la caudale, dix-huit pouces; de l'anus au bout de la queue, deux 
pieds six pouces. Largeur de la tête vis-à-vis les yeux, un pied; près de [a queue, 
deux pouces 


ZOOLOGIE. 179 


avec le d. cruciger des docteurs Quoy et Gaimard, si ce dernier 
n'avait pas le corps noir supérieurement, blanc inférieurement, 
avec une large bande noire sur l'abdomen. Le museau de cette 
espèce est court et conique; la nageoire dorsale est médiocre- 
ment élevée, noire, placée au milieu du corps. La caudale est 
échancrée au milieu, brune; les pectorales sont minces, blanches, 
noirâtres seulement sur leur bord antérieur. 

Les hautes latitudes du Sud sont encore la patrie du dauphin 
de Péron, qui fréquente les attérages des iles Malouines, même 
jusqu'au fond de la baie de la Soledad. Le célèbre historien du 
voyage de Baudin le rencontra au Sud de la terre de Diémen; 
le docteur Quoy le vit par deux degrés de latitude, pres de la 
Nouvelle-Guinée;et nous, nous l’'observames diverses fois par 52° 
de latitude Sud , vis-à-vis le détroit de Magellan, près du eap 
Pillar, et par 45°, lorsque nous contournames la Nouvelle- 
Hollande. Plusieurs centaines de ces dauphins entourèrent la 
corvette, le 12 janvier 1823, à notre entrée dans la mer du 
Sud. Nous ne pümes en saisir ce jour-là : mais une autre fois 
nous y parvinmes; et l'individu que nos matelots harponnèrent 
nous mettra à même de donner de cette espèce une idée autre 
que celle qu'on trouve consignée dans les auteurs qui en ont 
parlé. Ce dauphin, mentionné dans le voyage du capitaine 
Kotzebue, sous le nom de dauphin du Chili, est décrit sous le 
nom de delphinus Perontü dans Lacépède et dans la Mamma- 
logie de M. Desmarest ( 771°). C'est le delphinus leucoramphus 
de Péron ( Hist. voy. terres Australes, p. 217, édit. in-4°); mais 
comme ce cétacée n'a point de nageoire dorsale, il doit appar- 
tenir au genre delphinaptère, pour y prendre place à côté du 
beluga, dont il se distingue spécifiquement par son museau 
disposé en bec efflé. Nous le désignerons sous le nom de del- 
phinapterus Peront (pl. IX, fig. 1.) 


Ce delphinaptère avait trente-neuf dents de chaque côté de la 
23. 


180 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


mâchoire supérieure, et un égal nombre de chaque côté de 
l'inférieure. Il pesait soixante-cinq kilogrammes. 


pieds pouces ligues. 


Tonsueuritotale AR he ESA ete 5 8 
Circonférence du corps vis-à-vis l'appareil génital..... » 24 
————— de la tête en passant sur les yeux...... » 27 
Honsueuridelaliquene EPP PPT ETAPE CECErEPPES 0 16 
——— du bout du museau à la pectorale..... RAT 0) 29 
———— de la commissure de la bouche à l’œil...... » 2 
——— de l’œil à la nageoire pectorale........... » 9 6 
——— de la nageoire pectorale. . . .....:...... » 1r 6 
———— du bout du museau à la commissure de la 

Douche serre ee pee PAT one » 10 
——— de la queue...... RU A EN A SA EEE RE 5.6 
CON NO EEE PROMOS » 8 
de LE A A REA RAR ER » 1 
——— de l’anus à l’extrémité de la queue......... » 16 6 
de l'ouverture dellannus- METRE » o 8 


L'évent est placé au milieu de la tête entre les yeux. 


Arrondi dans ses contours, gracieux dans ses formes, lisse dans 
toutes ses parties, ce cétacée est d'autant plus remarquable, 
qu'il semble recouvert d'un camail noir. Son museau jusqu'à 
l'œil est d'un blanc soyeux ou argentin. Il en est de même des 
côtés du corps, des nageoires pectorales, du ventre et d'une 
partie de la queue. Un large scapulaire, d’un bleu-noir foncé, 
prenant naissance aux yeux où le blanc décrit un croissant, se 
dessine et se recourbe sur les flancs, pour recouvrir seulement 
la partie supérieure du dos. Le bord antérieur des nageoires 
pectorales et caudales est brun. Le museau est allongé, séparé 
du crane par un sillon profond. L'iris est d’un vert d'émeraude. 

Nous ne vimes que deux fois, par 45 et 43 degrés Sud, après 
avoir doublé le cap Horn, des individus que nous primes pour 
le dauphin que MM. Quoy et Gaimard ont nommé dauphin 


ZOOLOGIE. 181 


albigène (d. albigena), et qu'ils soupconnaïent être une variété 
de leur d. cruciger. Cest véritablement une espèce distincte : 
que nous nommons delplunus superciliosus, N., pl. IX, fig. 2, 
et qu'un de nous a dessiné d’après un individu harponné à bord 
du Castle-Forbes. Cette espèce a beaucoup d’analogie avec le 
dauphin de Bory (4. Boryü, Desm., 757 ); mais elle en diffère, 
cependant, d’une manière assez remarquable. 

Nous n'observames qu'une fois, dans la baie de la Soledad 
aux Malouines, le dauphin noir et blanc de MM. Quoy et Gai- 
mard; et tout nous autorise à penser que c'est le delphinus Com- 
mersoni, ou le jacobite, dont parle Commerson dans ses manu- 
scrits. 

M. de Lacépède mentionne, d'après le capitaine Colnett, la 
quantité prodigieuse de cachalots qui fréquentent les côtes du 
Chili et les attérages des iles de la Motcha. Le jour que nous 
entrames dans la baie de la Concepcion, nous pumes nous as- 
surer de la justesse de cette assertion : la baie en était remplie. 
Ce cétacée, qui fournit le blanc de baleine ou sperma ceté, est 
quelquefois harponné par les baleiniers qui se préparent à effec- 
tuer leur retour en Europe. On le reconnait seulement en le 
voyant nager, lors même que sa tête tronquée ne sort point de 
l'eau, parce que sa nageoire ressemble à une bosse; ce qui le 
distingue, de prime abord, du gibbar ou finn-back des Anglo- 
Américains, qui a une nageoire aiguë et prolongée, et de la 
baleine franche, qui n’en a point. 


._ ? Cet individu, observé par 44° lat. Sud, en doublant le cap Diémen, avait quatre 
pieds deux pouces de longueur, trente dents de chaque côté à la mâchoire supérieure, 
et vingt-neuf à l'inférieure. Tout le dos, ainsi que la tête et le museau qui est co- 
nique, étaient de couleur noire. La dorsale, placée un peu au-delà du milieu du 
corps, la pectorale et la caudale étaient brunes : les côtés et le ventre d’un blanc 
satiné; une bande blanche passait au-dessus de l'œil et se rendait au front; une 
tache blanche se dessinait près de la queue. - 


182 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Le physeter macrocephalus, hump-back des baleiniers anglais, 
nage avec lenteur, en ne sortant hors de l'eau que la partie su- 
périeure du dos. Parfois sa grosse tête cubique, ou coupée en 
devant carrément, apparait un instant à la surface. L'évent 
forme sur la tête une sorte d'éminence arrondie et volumineuse, 
mamelonnée, d'ou jaillit une colonne d’eau simple, se divisant, 
à une faible hauteur, en large nappe; tandis que, chez les baleines, 
l'évent refoule l'eau en colonne serrée et très-élevée. La couleur 
de la peau est d'un noir-bleu foncé; mais comme divers testacées 
s'y attachent de la même manière qu'ils le font sur les rochers, 
il en résulte çà et là, et plus particulièrement sur la tête, de 
larges taches blanches. 

Les cachalots fournissent le sperma ceti; mais, chassés par 
les Européens de la plupart des mers, ces animaux diminuent 
chaque jour. Il parait qu'ils étaient très-communs autrefois près 
de Madagascar, si on en Juge par cette indication de Marco- 
Polo : Z{s ont anbre asez, por ce ge en cel mer a balene en grant 
abondance ; et encore hi a cap doille asez, et por ce ge il prenent 
de ceste balene e de cestt cap dol asez, ont de l'anbre en grant 
quantité, et vos saves que la balene fait l'anbre ( pag. 232). 

Les dents des cachalots, employées dans les arts, servent 
aussi d'objet d'échange avantageux chez plusieurs peuplades du 
Grand-Océan. Ces dents sont pour quelques insulaires l'objet 
d'une grande vénération, et acquièrent chez quelques autres 
la valeur des pierres précieuses. Telles sont les idées que se sont 
formées sur cette matière les habitants de Rotouma, qui pensent 
que le cachalot est le roi de la mer, et que ses dents, possédant 
les vertus les plus miraculeuses, protégent ceux qui les portent 
de tout accident, et les préservent de tout danger. 

L'immense baie de la Concepcion nourrit un grand nombre 
de dauphins, dont nous ne pumes tuer aucun individu. Cette 
espèce, nommée funenas dans le pays, est ramassée dans ses 


ZOOLOGIE. 183 
formes, longue de trois pieds au plus, à museau effilé, à dorsale 
arrondie vers son sommet. La couleur du dos est d'un brun 
fauve-clair, qui se fond insensiblement avec le blanc de la partie 
inférieure. Un croissant brun occupe le dos, vis-à-vis les na- 
geoires pectorales, en avant de la dorsale. Ce dauphin, que 
nous nommons delphinus lunatus (pl. IX, fig. 4 ‘), est un destruc- 
teur actif de poissons. Tous les matins, au lever du soleil, des 
troupes nombreuses s’occupaient à pêcher; et ce n’est qu'au 
moment où 1ls étaient repus, vers dix heures, qu'ils jouaient en 
s'élançant hors de l'eau, par des bonds rapides et pleins de force. 

Le 19 avril 1823, par 18° de lat. Sud et 137° de long. O. La 
veille du jour que nous découvrimes l'ile de Clermont-Tonnerre, 
au milieu des iles de corail de la mer Mauvaise, nous fümes 
suivis par une nombreuse troupe de dauphins, que nous exa- 
minämes fort long-temps sous la proue, où ils passaient et re- 
passaient sans cesse. Leur tête était effilée, terminée par un 
long museau; leur corps était mince par rapport à sa longueur, 
qui semblait être de six pieds. La nageoire de la queue était 
forte et prononcée. Celle du dos, placée au milieu du corps, 
était presque chez tous bifurquée légèrement au sommet. Ce 
cétacée, que nous nommerons delphinus maculatus, semblait 
d'un vert clair dans l’eau ; mais hors de ce liquide, la teinte du 
dos était glauque ou bleuàtre. Le ventre était de couleur grise, 
parsemée de taches blanches, arrondies, légèrement bordées 
de roussàtre. Les rebords des mâchoires, et surtout de la su- 
périeure, étaient d'un blanc pur. L'évent occupait l'espace in- 
termédiaire aux yeux, et ce dauphin soufflait souvent avec 
force; bien que sa natation füt très-rapide, nous n’en obser- 
vames pas moins avec attention le mécanisme. C'est par un 


* La figure est faite sur l'animal vu en mer de très-près; mais, par cela même, 
elle ne mérite pas une confiance explicite. 


184 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

mouvement vif et alternatif de droite et de gauche de la queue, 
mouvement analogue à celui qui s'opère lorsque les marins 
goudillent, que ce cétacée, roulant ainsi, tantôt sur un côté 
et tantôt sur l’autre, se pousse en avant, et acquiert une vé- 
locité peu commune. Dans le même archipel, sur les attérages 
de l'ile d'Augier, par la même latitude, nous vimes une douzaine 
de dauphins, appartenant à la section des marsouins. Malheu- 
reusement ils ne restèrent qu'un instant, et tout ce que nous 
pümes en voir se réduit à fort peu de chose. Cette espèce avait 
environ six pieds. La nageoire dorsale était prononcée, très- 
étroite et aigué au sommet. La couleur du corps était d’un gris 
foncé, tandis que la tête et le cou étaient d'un blanc éblouis- 
sant : la tête, d’ailleurs, était courte, ramassée et plus conique 
encore que dans le marsouin ordinaire. Nous le nommerons 
delphinus leucocephalus. 

Une autre espèce de dauphin que nous avons à mentionner, 
est celle que nous primes entre Java et Bornéo, dans les canaux 
étroits où la mer a peu de profondeur, et où elle est générale- 
ment calme et réchauffée par les chaleurs d'un ciel équatorial. 
Ce dauphin (delphinus malayanus, N., pl. IX, fig. 5, d'après un 
individu harponné) avait cinq pieds onze pouces de longueur 
totale, et d'épaisseur, vis-à-vis les nageoires, quinze pouces. La 
hauteur de la dorsale, placée au milieu du corps et échancrée 
au sommet, était de huit pouces; la longueur de la pectorale, de 
treize pouces. La tête était longue de seize pouces sur dix de 
largeur; la nageoïre de la queue avait vingt-trois pouces. La lar- 
geur de la queue à la base était de cinq pouces. Une forte ca- 
réne , comme celle de certains scombres, occupait les parties 
latérales et postérieures du corps. L'évent, en croissant, était 
placé un peu en arrière des yeux, qui étaient très-petits. La tête, 
grosse et arrondie, très-convexe sur le front qui s'abaisse su- 
bitement, présentait à la base du museau une forte rainure. 


ZOOLOGTIE. 185 
Celui-ci, mince et allongé, garni de dents nombreuses, offrait plus 
de longueur dans la mâchoire inférieure. La couleur de ce dau- 
phin était uniformément cendrée. La chair de cette espèce, 
qui fut mangée à bord, comme celle des précédentes, est noire, 
huileuse, et désagréable pour tout autre que pour des marins 
avides de viande fraiche. La couche de graisse dense, qui lu 
sert d'enveloppe, est revêtue d’une peau parfaitement lisse, sur 
laquelle seulement paraissent parfois quelques cicatrices de 
plaies antérieures. 

Dans les mers chaudes des iles fabuleuses de Salomon, au 
milieu de ces terres qui se rapprochent de la constitution des 
Moluques, nous fumes entourés (2 et 10 août 1823) par des 
milliers de dauphins (delphinus minimus, N.), à museau effilé, 
dont la taille chez les plus grands ne dépassait pas deux pieds. 
Leur couleur générale était brune, et on remarquait une tache 
blanche seulement au bout du museau. Ils sautaient hors de 
l'eau à la manière des scombres, et suivaient une direction 
constante , tous formant deux lignes disposées en échiquier. 

Nous rencontrames, dans ce vaste espace de mer qui existe 
hors du tropique entre les îles des Amis et la Nouvelle-Hol- 
lande , ainsi que près des iles de Bouka et de Santa-Cruz, le cé- 
tacée nommé par les pêcheurs anglais b/ack-fish ou poisson 
noir. Tout porte à croire que c'est une espèce de physétère non 
décrite, dont la taille est à peine le double du marsouim ordi- 
naire, et dont la tête est tronquée et la nageoire dorsale falci- 
forme. Ce cétacée est très-agile, et redouté des pécheurs, qui 
recherchent cependant une matière analogue au sperma -cett 
contenue dans le crâne. Sa couleur est d’un brun-noir uniforme. 

Tels sont les détails que nous pouvons fournir sur les cé- 
tacées : ils ne sont ni nombreux, ni importants; mais, nous le 
répétons, ces animaux échapperont long-temps encore à l'exa- 


men rigoureux des naturalistes, et ces détails donneront du 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 24 


186 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

moins l'éveil sur plusieurs espèces. Il en est beaucoup d’autres 
que nous croyons inutile d'indiquer, n'ayant pu jeter sur elles 
qu'un regard furtif. Par la même raison, nous ne parlerons 
point non plus des baleines, que souvent nous rencontrâmes 
dans divers parages; ce que nous en dirions n'avancerait en 


rien la science. 


ZOOLOGIE. ; 187 


CHAPITRE V. 


OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR L HISTOIRE NATURELLE DES DIVERSES 
CONTRÉES VISITÉES PAR LA CORVETTE ZA COQUILLE, ET PLUS PAR- 
TICULIÈREMENT SUR L'ORNITHOLOGIE DE CHACUNE D ELLES. 


La connaissance des différents pays se lie à l'histoire des étres 
qui les habitent : aussi devons-nous donner quelques détails 
sur ceux que l'expédition a explorés, afin de dresser des aperçus 
de géographie zoologique, utiles pour les voyageurs et pour ceux 
qui en Europe s'occupent plus particulièrement de cette partie 
de la science. On sait, au reste, que les navigateurs n'ont à 
parcourir que quelques points rétrécis des côtes sans s'éloigner 
le moindrement du littoral, et qu'ils ne peuvent offrir qu'une 
sorte de catalogue des récoltes qu'ils y ont formées. Ils ne doivent 
donc prétendre qu'à jalonner la route pour les naturalistes à 
venir, et assigner la localité précise de certaines espèces, en 
circonscrivant les limites qui leur conviennent par rapport à 
leur organisation et à leurs habitudes. 

Nous exprimerons ici notre reconnaissance envers quelques 
personnes de l'expédition , qui voulurent bien nous seconder et 
accroître nos collections ornithologiques, avec un zèle d'autant 
plus louable, qu'il était plus désintéressé. MM. Bérard, de Blois 
de la Calande et Lottin, officiers de a Coquille, nous furent, 
en effet, très-utiles sous ce rapport; et le premier surtout, qui 
avait rendu de pareils services dans le voyage autour du monde 
du capitaine de Freycinet sur /'Uranre , ainsi que notre estimable 
maitre canonnier, M. Rolland, furent toujours empressés de 
nous remettre chaque jour le résultat de leurs chasses pénibles 
et souvent dangereuses. 

24. 


188 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
Les relâches que la corvette /4 Coquille a faites durant son 
voyage seront décrites dans l'ordre de l'itinéraire de l'expédi- 
tion, et comprendront ainsi, 1° Sainte-Catherine( côte du Brésil ); 
2° les iles Malouines ; 3° la province de Concepcion, au Chili; 
4° Callao, près Lima, et Payta, sur la côte du Pérou; 5° Taiti et 
Borabora, dans l'archipel de la Société; 6° Port-Praslin, à la 
Nouvelle-Irlande; 7° la baie d'Offak, dans l'ile de Waigiou ; 
8° Bourou et Amboine, aux Moluques; 9° Port-Jackson, à la 
Nouvelle-Galles du Sud; 10° la Bate des iles, à la Nouvelle-Zé- 
lande; 11° Oualan, dans l'archipel des Carolines; 12° Dorery, à 
la Nouvelle-Guinée; 13° Sourabaya, dans la grande ile de Java; 
14° le Maurice ; 15° Sainte-Hélène, et 16° l'ile de l'Ascension. 


K Ie 
SAINTE-CATHERINE DU BRÉSIL. 


Sans chercher à reproduire les tableaux imposants que les 
divers voyageurs ont faits du Brésil, le naturaliste qui touche 
sur ces bords, après une courte absence des contrées euro- 
péennes, ne peut se dispenser d'éprouver, à la vue des produc- 
tions de l'Amérique méridionale, une émotion d’autant plus 
forte, qu'elle surpasse encore ce que son imagination lui pro- 
mettait d'après le récit des voyageurs. Les premiers jours, il 
a peine à se familiariser avec cette pompe et cette grandeur 
que partout la nature étale à sa vue. Ce n'est qu'à la longue qu'il 
peut s’habituer à ce luxe de végétation et à l'éclatante parure 
des oiseaux ou des reptiles qui pullulent dans ces riches climats. 

Le Brésil a été, dans ces derniers temps, exploré par un grand 
nombre de naturalistes éminemment distingués, Link, Hof- 
mansech, Spix et Martius, Langsdorff, Prince de Neuwied, 
Auguste de Saint-Hilaire; mais il est loin d'être connu, et, 


ZOOLOGIE. 189 


tous les jours, il fournit encore une mine précieuse à exploiter 
dans tous les genres. Malheureusement le point que nous visi- 
tâmes, étudié par de Chamisso et Eschscholtz, déja appauvri 
d’ailleurs par son éloignement de la ligne équinoxiale, ne pro- 
met point de récoltes abondantes et variées. 

L'ile de Sainte-Catherine, située par 27° de lat. Sud, n'est 
séparée de la terre-ferme que par un bras de mer, formant un 
havre spacieux. Les côtes sont fortement ravinées, et des col- 
lines élevées, ou des chaines de montagnes, en bornent le pour- 
tour, et d'immenses marécages en occupent plusieurs points. 
Une riche verdure, produite par d'épaisses fourrées, s'étend à 
l'horizon, comme un vaste tapis, malgré que l’ossuaire des 
montagnes ne soit recouvert que d’une faible épaisseur de terre 
végétale. Le granite forme entièrement la croûte minérale de 
l'ile de Sainte-Catherine et du continent voisin : parfois il est 
sillonné par de larges veines de quartz; mais ce n'est guère 
que sur les rocs du rivage, que frappent et usent les vagues, 
qu'on peut distinguer la nature des roches. Partout ailleurs 
leur surface est voilée par une masse de végétaux ; et c'est ainsi 
que les revêtent des orchidées de toutes les formes, des pothos, 
des Bromeliées et des cactus. 

Le sol de ce point du Brésil est entièrement primitif; et 
partout où il est possible d'en examiner les roches, on trouve 
uniquement un beau granite ordinaire, parfois hérissé sur sa 
surface de cristaux de quartz. Le carbonate de chaux parait 
manquer complétement , et les habitants le retirent pour leur 
usage de la calcination des coquilles marines. 

Le Brésil est depuis long-temps célèbre par la profusion des 
végétaux splendides qui couvrent son sol. La richesse des fleurs 
ou des fruits, leurs teintes diverses et variées, le large feuillage 
de quelques plantes, opposé aux folioles légères et découpées 
de quelques autres, des arbres gigantesques, des cierges épi- 


190 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


neux, des lianes suspendues en longues arcades de verdure, 
forment l'ensemble le plus imposant et le plus pittoresque que 
puisse offrir la nature dans son luxe sauvage. Les vieux arbres, 
malgré la vigueur de leur croissance, sont peuplés de plantes 
parasites : des touffes de Bromeliées , à longues feuilles acérées, 
se placent sur les rameaux. Le #{landsia, barbe espagnole, pend 
jusqu'à terre par flocons blancs et effilés; et des bolets, de cou- 
leur de cinabre, cachent sous leur rouge fulgide les troncs et 
les bois morts en décomposition. Le chou caraïbe, le cotonnier, 
la canne à sucre, le caféver, le citronnier, forment des massifs 
délicieux, sur lesquels s'élèvent les colonnes roides du Papayer 
et du Coquero (cocos Romanzoffiana, Cham. ). 

Mais nous ne pouvons résister au plaisir de citer un passage 
du voyage du prince Maximilien de Neuwied. Il peint exacte- 
ment les forêts des environs de Sainte-Catherine, et 1l se fait 
lire avec plaisir, malgré tout ce qu'on a déja écrit sur cette 
contrée ‘. 

« La vie, la végétation la plus abondante, sont répandues 
«partout : on n'apercoit pas le plus petit espace dépourvu de 
«plantes. Le long de tous les troncs d'arbres, on voit fleurir, 
«grimper, sentortiller, s'attacher les grenadilles, les caladium, 
«les dracontium, les piper, les Begonia , les vanilles, diverses 
« fougères, des lichens, des mousses d'espèces variées. Les pal- 
«miers, les mélastomes, les Bignonia, les rhexia, les mimosa, 
«les inga, les fromagers, les houx, les lauriers, les myrtes, 
«les Eugenia, les jacaranda, les jatropha, les vismia, les qua- 
«telés, les figuiers, se montrent partout : la terre est jonchée 
«de leurs corolles, et l'on est embarrassé de deviner de quel 
«arbre elles sont tombées. Quelques-unes des tiges gigantesques, 
«chargées de fleurs, paraissent de loin blanches, jaune foncé, 


? Voyage au Brésil, de 1815 à 1817, 3 vol. in-8°. Paris, 1822. 


ZOOLOGIE. 19! 


«rouge éclatant, roses, violettes, bleu de ciel. Dans les endroits 
«marécageux, s'élèvent en groupes serrés sur de longs pétioles 
«les grandes et belles feuilles elliptiques des heliconia, qui ont 
« quelquefois huit à dix pieds de haut, et sont ornées de fleurs 
«bizarres, rouge foncé et couleur de feu. Sur le point de di- 
«vision des branches des plus grands arbres croissent des Bro- 
«melia énormes, à fleurs en épis ou en panicules de couleur 
« écarlate ou à teintes également belles. Il en descend de grosses 
«iouffes de racines semblables à des cordes, qui tombent jus- 
«qu'à terre, et causent de nouveaux embarras aux voyageurs. 
« Ces tiges de Bromelia couvrent les arbres jusqu'à ce qu'elles 
«meurent, après bien des années d'existence, et, déracinées par 
« le vent, elles tombent à terre avec un grand bruit. Des milliers 
«de plantes grimpantes, de toutes les dimensions, depuis la plus 
«mince jusqu'à la grosseur de la cuisse d'un homme, et dont le 
«bois est dur et compacte, des Bauhinia, des Banisteria, des 
« Paullinia, et d’autres, s’entrelacent autour des arbres, s'élèvent 
« jusqu'à leurs cimes, où elles fleurissent et portent leurs fruits, 
«sans que l'homme puisse les y apercevoir. Quelques-uns de ces 
«végétaux ont une forme si singulière, par exemple, certains 
«Banisteria, qu'on ne peut pas les regarder sans étonnement. 
« Quelquefois le tronc, autour duquel ces plantes se sont en- 
«tortillées, meurt et tombe en poussière. L'on voit alors des 
«tiges colossales soutenues par un lacis qui les maintient de- 
« bout, et l’on devine aisément la cause de ce phénomène. Il 
« serait bien difficile de présenter fidèlement le tableau de ces 
«forêts; car l’art sera toujours insuffisant pour les peindre.» 

Les eaux verdàtres de l'immense baie de Sainte-Catherine 
nourrissent beaucoup de poissons, et des troupes nombreuses 
d'oiseaux maraudeurs sont sans cesse occupées à faire une péche 
active : telles sont les frégates ( pelecanus aquilus, L.), les fous; 
tandis que les rivages sont infestés du vultur aura, oiseau lâche 


192 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

et vorace, qui ne vit que de cadavres et de débris. Au milieu 
des petits bois taillis et des terrains unis de Sainte-Catherine, 
derrière Punta Grossa, nous observâämes l’'émérillon de Saint- 
Domingue, la pie-grièche tachot, des perroquets et des tourte- 
relles. 

La petite ile d’'Ænatomirhime est tellement couverte de ver- 
dure, que la végétation s'étend sur les roches jusqu'à l'eau. Au 
milieu des massifs d’arbrisseaux divers et des aristoloches et des 
Banisteria, apparaissent les cactus et les opuntia, dont les can- 
délabres hérissés s'élèvent au milieu des longs chaumes des 
bambous. Elle est peuplée de benteveo (lanius pitangua, Gm. )', 
et de garlus ( lanius sulfuraceus), oiseaux insectivores, peu dé- 
fiants, criards, et aussi communs sur ce point du Brésil que 
les moineaux en France. 

Les fourrées épaisses qui occupent les sommets des hautes 
collines, où serpente le chemin de l’'Armacao, solitaires et for- 
mées d'arbres élevés, servent de retraite à un grand nombre 
d'oiseaux , qui se cachent dans leur épaisseur. De profondes cre- 
vasses , des roches éboulées, d’où Jaillissent des sources, et que 
tapissent de larges scolopendres ou les brillantes Strelitzia, sont 
l'asile de la fauvette brésilienne et de la moucherolle rubis. Les 
tangaras, surtout le tricolor et le septicolor, l'écarlate et la 
houpette , animent, vivifient le feuillage des arbres de moyenne 
taille de la lisière des bois. Sans cesse en mouvement, il est 
rare de les voir rester quelques instants immobiles. Les tjes 
(tanagra brasilia ), les singuliers couroucous, appelés ainsi 
d'après leur cri, se plaisent également dans les lieux solitaires, 
où les lianes s'unissent aux arbres, où les corypha se joignent 
à d’autres végétaux pour former d'épais massifs, sous lesquels 


! Figuré dans les dessins de Commerson, avec cette note : Sic Hispanis dictus, 
quia perpetud vociferatur ben-te-veo. 


ZOOLOGIE. 193 
se réfugient le marail, dont les mœurs sont très-farouches, et 
les tinamous. 

Les perroquets, les toucans (ramphastos dicolorus ), et les 
aracaris (7. aracart, L.), dont le vol assez lourd se compose de 
battements d'ailes alternatifs, se tiennent de préférence sur la 
sommité des grands arbres, non loin des habitations et des 
lieux cultivés, où ils trouvent leur nourriture, qui consiste 
principalement en fruits butireux et succulents du bananier. 

Les bois des alentours de San-Miguel et de Sainte-Catherine 
étaient agréablement animés par un grand nombre d'oiseaux, 
aujourd'hui très-répandus dans tous nos musées, mais qui sont 
peut-être les plus remarquables par la variété infinie de leurs 
couleurs. Tels sont les charmants guits-guits noirs et bleus, les 
pitpits verts, l’évêque, le guivrou, le ramphocèle scarlate, 
l’euphone à ventre marron, le moineau noir à tête rouge, des 
pipra, etc. 

Mais les oiseaux les plus communs, pendant notre séjour, se 
trouvaient être ces volatiles délicats, revêtus de pierres pré- 
cieuses, que la petitesse de leur taille a fait nommer oiseaux- 
mouches. Les Indiens, dit-on, les désignaient par l'expression 
métaphorique de cheveux du soleil. Les colons portugais leur 
donnent celui de chupañflores ou suce-fleurs, dénomination qui 
leur convient parfaitement. Bourdonnant comme les sphinx, 
dont ils ont la taille et la manière de voler, chaque jour, à l'in- 
stant où le soleil devenait ardent, les oiseaux-mouches, voletant 
sans interruption et sans se reposer, becquetaient toutes les 
fleurs , et plus rarement celles des lantana et des melastômes, 
qui forment des haies, non loin des cabanes des créoles. Nous 
en tuàmes un grand nombre, en nous placant près des vieux 
orangers en fleurs, ou au pied d'un grand erythrina à fleurs 
écarlates, qu'ils aimaient de prédilection. Des corolles de cet 


arbre exsude en abondance un suc miellé qui les attire; et, 
Voyage de la Coquille. —%. Tome I. 25 


194 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


chaque jour, nous étions assurés d'y trouver réunis l’orverd, le 
hupecol, le saphir, le vert-et-gris, le gaubine, le brun, le 
rubis, la tête-bleue, etc. 

Ces oiseaux-mouches, si attrayants dans nos collections, sont 
bien plus séduisants encore lorsqu'on les voit animés par le 
soleil radieux des tropiques, lui renvoyant les feux qu'ils en 
recoivent. /n summé& splendet ut sol, a dit Marcorave, en pei- 
gnant d'un trait ce que le génie de Buffon a si bien rendu en 
d'autres termes. On ne peut se lasser, en effet, d'admirer la 
vigueur du coloris, et cependant la vérité des descriptions de 
ce grand peintre de la nature. « De tous les êtres animés, dit-1l, 
«voici le plus élégant par la forme et le plus brillant par les 
«couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art ne sont 
«pas comparables à ce bijou de la nature. Elle l'a comblé de 
«tous les dons, qu'elle n’a fait que partager aux autres Oiseaux : 
«légèreté, rapidité, prestesse, grace et riche parure, tout ap- 
«partient à ce petit favori. L'émeraude, le rubis, la topaze 
«brillent sur ses habits : il ne les souille jamais de la pous- 
«sière de la terre; et, dans sa vie toute aérienne, il est toujours 
«en l'air, volant de fleurs en fleurs : il a leur fraicheur, comme 
«il a leur éclat; il vit de leur nectar :, et n'habite que les cli- 
«mats où sans cesse elles se renouvellent. » Buffon, tom. IT, 
pag. 150. 

De vastes savannes s'étendent à de grandes distances dans 
l'intérieur, vis-à-vis l’île d'Anatomirhime : leur surface fraiche 
et herbeuse nous présenta souvent des bandes d’anis (crota- 
phaga ani), oiseau peu défiant, qui se laisse approcher vo- 
lontiers, et se perche sur les arbres des clarières. Décelée par 
un petit cri aigu, la pie-grièche ponctuée habite assez com- 


© Image poétique, peut-être trop forcée, ainsi que l’a dit dans une de ses lecons 
un savant professeur, M. de Blainville. 


ZOOLOGIE. 195 
munément les bois qui bordent ces marécages, ainsi que la jolie 
moucherolle à longue queue et à tête grise, et les martins-pé- 
cheurs ( alcedo bicolor, L. ); tandis que les savannes, recouvertes 
d'eau, ou qui forment des étangs, sur lesquels s'élèvent des 
joncs, sont les lieux que fréquentent le jacana aux longs pieds, 
les vanneaux ( vanellus cayanensis ), et la belle spatule aux ailes 
roses (platalea aiaïa ). 

En parcourant assidument les nombreuses criques afin d’ac- 
croître nos collections, nous ne renconträmes qu'un petit 
nombre de productions marines. Les crustacés se bornèrent à 
quelques penées fort grosses, au grapse peint et à une lygie. 
Parmi les testacés, les plus communs étaient une bulle, la 
tonne, un buccin, et l'huitre du Brésil, qui est fort bonne, 
quoique petite : elle tapisse les rochers, ainsi qu'une actinie 
d'un beau rouge. Le bulime à bouche rose, grosse coquille ter- 
restre, est extraordinairement commun sur les arbres près de 
nostra Señora do dextero. Une méduse, que nous figurons, et 
la renille américaine ( Ætlas de zool. de l'Urante, pl. LXXX VI, 
fig. 5), furent les seuls zoophytes qui se présentèrent à notre 
examen. Quant aux insectes, la saison n'était point favorable, 
ou du moins, ils étaient rares; et, à part quelques coléoptères 
tres-répandus dans les collections, nous ne vimes que des 
phasmes et un grand nombre de lépidoptères, ornés eux-mêmes 
de vives couleurs. La chique (pulex penetrans), insecte qui 
occasione des plaies douloureuses, attaqua les pieds de plusieurs 
des hommes de notre équipage, et paraît y être singulièrement 
multipliée. Les elater ne lancent leur lumière que pendant les 
nuits d'été; et, dès le soir, les buissons scintillent par la pré- 
sence de ces insectes. 


25. 


196 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


6, IT. 
ÎLE DE LA SOLEDAD, UNE DES ÎLES MALOUINES. 


Les deux expéditions francaises qui se sont présentées, dans 
ces derniers temps, sur les iles désertes des Malouines, semblent 
avoir épuisé tout ce qu'il est possible de dire relativement aux 
êtres qui y vivent; et c'est ainsi qu'on doit à MM. Quoy et 
Gaimard : d'excellents renseignements sur leur zoologie; que 
MM. Gaudichaud * et d'Urville * en ont complété la Flore; que 
M. Garnot “ en a esquissé les productions animales, sous le 
rapport de l'ornithologie. Mais la nature, dans ces hautes la- 
titudes, revêt un caractère si étranger aux productions des 
tropiques , et même des zones tempérées, et la transition est si 
brusque, qu'on nous saura gré d'ajouter quelqu'autre rensei- 
gnement sur tout ce qu'elle produit dans ces climats. 

Les iles Malouines, tour-à-tour nommées iles de la Vierge, 
d'Hawkins, Falkland ou de la Soledad, se trouvent être placées, 
non loin de la terre des États, et à 140 lieues du cap Horn, 
entre les 52 à 53 degrés de lat. S. Leur étendue est assez consi- 
dérable, et n’a pas moins de 40 lieues de longueur. Leur sur- 
face, formée de montagnes peu élevées, de collines onduleuses, 
ou de plaines immenses, est entièrement rase, et nul arbrisseau, 
dans celle de la Soledad du moins, ne vient en récréer la vue, 
ou en détruire la triste monotonie. Partout règne une effrayante 


1 Zoorocie du Voyage autour du monde, du capitaine de Freycinet; in-4°, p.48 
à 5o. 

? Annales des sciences naturelles, 1825. 

$ Mémoires de la Société Linnéenne de Paris, t. IV, 1825. 

* Annales des sciences naturelles , janvier 1826. 


ZOOLOGIE. 197 
solitude. L'homme a déserté ces bords, ou ne s'y présente que 
passagèrement. Aussi quelques espèces d'animaux, paisibles 
possesseurs de-ces iles australes, ont-elles accru en paix, et, 
pendant une longue suite d'années, leurs nombreuses tribus. 
Les bestiaux portés par les Européens, redevenus sauvages, 
des oiseaux innombrables, des rivières poissonneuses, en font 
une excellente relâche pour les navigateurs ; et l'intérêt est en- 
core accru, lorsqu'on se rappelle les efforts généreux, mais non 
couronnés de succès, qui essayèrent un instant de porter sur 
ces terres l'industrie de l'homme. 

La température habituelle de ces iles doit naturellement être 
variable, Bougainville assure, cependant, que ceux qui y pas- 
sèrent plusieurs années n'eurent point occasion d'y remarquer 
des changements brusques, et que l'hiver différait peu de l'été. 
Lorsque nous y arrivames, à la fin du printemps et au com- 
mencement de la saison estivale (novembre et décembre), le 
froid était assez vif le matin et le soir, et il gelait même sur le 
mont Châtellux. Pendant un séjour d'un mois entier, nous 
avons pu voir ce qu'on appelle belle saison aux Malouines, et 
nous eùmes des jours assez chauds, lorsqu'on était à terre, pro- 
tégés du vent par quelque colline; mais aucun d'eux ne s’écoula 
sans que des nuages sombres ne voilassent le ciel pendant plu- 
sieurs heures, ou ne fussent marqués par de grands vents, de 
la pluie, ou même parfois de la grêle. C'est avec une extrême 
rapidité que ces grains se forment et se dissipent ; mais souvent 
on en comptait une dizaine, occupant divers points de l'hori- 
zon; et tel endroit de la baie était éclairé par le soleil, tandis 
qu'à dix pas la pluie tombait par torrents. Nous n'avons jamais 
vu, sur les bords de la baie de la Soledad, un jour pur et com- 
plétement serein. 


Le relief du pays n'est pas moins remarquable. Les côtes de 
cette ile ( {4 Soledad) sont, pour la plupart, basses et bordées 


198 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

de rochers; des baies ou havres spacieux en morcellent le con- 
tour. Des prairies immenses, tourbeuses, couvertes d'herbes, 
sont interrompues par des collines et par des montagnes, dont 
la chaine court de l'Est-à l'Ouest. Leur pente est peu rapide; 
leur croupe est arrondie; leurs sommets sont couronnés de 
roches, parfois à nu sur leurs flancs. Dans ces montagnes, nais- 
sent des sources d’une eau très-limpide, très-bonne, lorsqu'elle 
coule sur des galets, mais qui prend une amertume prononcée 
lorsqu'elle court dans des lits creusés dans la tourbe. Ces sources 
alimentent diverses rivières, qui vont, après un cours de peu 
détendue, se répandre dans la baie. Quelques-unes s'égarent 
et vont se perdre dans des prairies basses, où elles forment des 
mares ou des étangs ; et il n'est pas rare de rencontrer sur les 
côtes des terrains crevassés, d'où suintent sans cesse des filets 
d'eau douce qui s’échappent de ces réservoirs, même à d'assez 
grandes distances. Enfin, quelques-unes de ces mares, placées 
près des rivages et communiquant avec la mer, conservent des 
eaux saumätres. Mais le nombre des petits ruisseaux que nous 
indiquons est si grand, et les prairies si humides , que le plus 
souvent leur surface entière ne se compose que de flaques 
d'eaux, revêtues et cachées sous les plantes graminées et autres 
qui s'y pressent. 

L'ossuaire des Malouines appartient à la série des terrains 
intermédiaires anciens. Il se compose d’une couche inférieure 
et épaisse de phyllade, recouverte par un grès très-quartzeux, 
qui forme les montagnes ; tandis que les terrains unis sont in- 
férieurement de phyllade, passant à une argile schisteuse. 

La phyllade des iles Malouines parait appartenir à cette espèce 
orossière, décrite par M. Daubuisson sous le nom de phyllade 
térénite. Sa couleur est grise, plus ou moins foncée en noirâtre; 
sa cassure est terne et friable. Les couches se composent de feuil- 
lets fendillés dans tous les sens, dont la direction, au lieu d'être 


ZOOLOGIE. 109 


horizontale,est presque verticale, et forme particulièrement sur 
le pourtour de la baie un angle de 45 degrés : ceux de la grande 
terre se dirigent à l'Est, et ceux des ilots aux pingoins à l'Ouest, 
de sorte que la rupture et la séparation de ces iles sont at- 
testées par cette circonstance. Sur plusieurs lieux de cette mème 
côte, la roche qui les forme offre des impressions nombreuses 
de spirifères. Ce fait n'avait point échappé à Bougainville, qui 
le mentionne, page 58 de son Voyage autour du monde. 

Cette phyllade supporte un grès schisteux, ou, se séparant 
par larges plaques, donne lieu au passage presque insensible de 
ces deux roches. Mais ilarrive, cependant, que la phyllade, au 
lieu d'être recouverte par le grès, qu'on ne trouve que dans 
certaines localités, perd graduellement sa couleur noire et ses 
propriétés, et se fond, pour ainsi dire, en une argile rougeûtre, 
mêlée de quelques faibles proportions de sables quartzeux. Cette 
argile se détache par larges plaques plus ou moins épaisses, et 
la tourbe sèche, qui compose le sol, s'y applique immédiate- 
ment. Cette argile, triturée et mêlée à quelques débris de plantes, 
constitue ce que les premiers colons et Bougainville appelèrent 
si improprement terre franche. 

La tourbe revêt la surface entière des Malouines, sous les 
deux seules modifications de tourbe sèche et de tourbe mareca- 
geuse. La première couvre les coteaux ; elle est le résultat im- 
médiat de la conversion en terre des racines et des plantes 
rampantes et sèches, qui forment un lacis inextricable sur le 
sol : la végétation est très-propre pour lui donner naissance, 
et les arbutus, les empetrum, ajoutent sans cesse à son accrois- 
sement. La tourbe marécageuse ne se rencontre que dans les 
marais ou les prairies humides, qui constituent la plus grande 
partie de ces iles : elle est de couleur noire très-foncée et limo- 
neuse, et on n y découvre nuls débris de végétaux ; et, dans leur 
décomposition, ceux-ci semblent être réduits en pulpe. L'ac- 


200 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


croissement de cette sorte de terrain peut être suivi, pour ainsi 
dire, chaque jour : on voit les plantes qui le forment, telles 
que des graminées, des asplenium, des mousses, des lichens, 
se convertir en tourbe à mesure qu'elles vieillissent et que 
d’autres leur succèdent. Ces prairies, formées de plantes aqua- 
tiques, de caltha sagittata, de Gunnera magellanica, présentent 
toujours cette tourbe homogène, grasse, et sans racines de 
végétaux apparentes, tandis que la première acquiert parfois, 
par certaines proportions de parcelles arenacées, les qualités 
et l’aspect d’une vraie terre de bruyère. 

Les montagnes, au contraire, sont formées de strates épaisses, 
d'un grès très-quartzeux, que Pernetty appelle grès porphyrise 
L'élévation du mont Châtellux n’est que de 350 toises environ, 
d'après les mesures de MM. Bérard et Jacquinot. Leurs flancs 
sont assez escarpés, souvent recouverts de tapis de verdure, ou 
parfois représentant des éboulements considérables, absolu- 
ment dénudés. Le sommet de plusieurs de ces petites chaines 
qui courent de lorient vers l'occident est recouvert de masses 
considérables de grès, stratifiées avec une telle régularité, 
qu'elles forment des murailles verticales, qu'on prendrait pour 
l'ouvrage des hommes, si la réflexion ne montrait aussitôt que 
de telles masses n'auraient pu être élevées par la faiblesse hu- 
maine, armée des appareils ingénieux avec lesquels elle sait 
suppléer à la force qui lui manque, ou plutôt s'en créer une. 
Cette disposition si remarquable avait déja frappé le P. Per- 
netty, qui, page 2, tome ÎI de sa Description des iles Malouines, 
l'indique plus particulièrement en parlant de la montagne des 
Ruines, dont il a donné une très-bonne figure, fig. 1 et 2 de la 
planche XIIT. Quelques-unes des gorges qui séparent ces petites 
chaînes offrent le plus singulier contraste avec ce qui les en- 
toure : partout la verdure se presse en un tapis serré dans les 
environs , tandis que ces ravins, frappés de mort, ne présentent 


ZOOLOGIE. 201 
que des blocs énormes du même grès, entassés péle-méle, ayant 
leurs angles vifs, et sous lesquels on entend murmurer à une 
certaine profondeur des chutes d’eau, qui s'engouffrent dans les 
interstices des rangées inférieures. Ces ravins, que nous ne 
traversämes pas en moins de cinquante nfinutes, nous ont pré- 
senté seulement des fougères (le /omaria magellanica), ou le 
Nassawia, distribués par petits groupes, qui ne ressemblent pas 
mal à des oasis dans le désert. : 

L'ile aux Loups marins offre des couches assez épaisses d’ar- 
gile unie à une grande proportion d'ocre rouge. 

On ne trouve point de carbonate de chaux sur les iles Ma- 
louines : seulement des polypiers nullipores encroûtent fré- 
quemment les récifs baignés par la mer, et sont jetés à la côte, 
après avoir été détachés de leur base. Ces polypiers, d'abord 
rougeàtres , puis blancs lorsqu'ils sont dépouillés de leur croûte 
animalisée, ressemblent assez à ceux qui vivent dans les eaux 
de Terre-Neuve, et tous les deux paraitraient jouer le même 
rôle dans les deux hémisphères et par de hautes latitudes. 

Les Malouines ont été évidemment détachées de la côte 
d'Amérique ; car elles présentent la même composition géolo- 
gique et les mêmes productions végétales et animales. D'ailleurs, 
la sonde annonce généralement la connexion qui les unit en- 
core dans ce qu'on nomme canal de Patagonie. La catastrophe 
puissante qui a brisé la portion australe de l'Amérique, détaché 
la terre des Etats, la terre de Feu, et morcelé en ilots in- 
nombrables sa pointe méridionale, a dù agir dans le même sens 
sur les Malouines, et peut-être même sur les nouvelles Shetland 
et la Géorgie du Sud. Nous avons dit d’ailleurs que la roche 
qui forme l'ossuaire des Malouines est une sorte d'ardoise 
grossière et feuilletée, recouverte de grès. Forster ‘ nous ap- 


! Deuxième Voyage de Cook, 1772 à 1995,t. IV, p. 171, in-8°, et p.210 et 258. 
Voyage de la Coquille. — 7. Tom. I. 26 


Pos 0 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

prend que les rochers qui bordent le havre de Noël sont 
formés d'une espèce d’ardoise jaunâtre, placee en couches hort- 
zontales ; et Cook dit : Le sol qui est une espèce de tourbe notre 
et pourrte a été évidemment forme par des végétaux tombés en 
putréfaction. La terre des États est composée, suivant le natu- 
raliste allemand, d’une pierre jaunâtre, argileuse, et quelque- 
fois d’une ardoise grise. Enfin, les mêmes roches se représentent 
sur l'ile de Jules. 

Sur deux cent trente plantes qui sont propres au sol des iles 
qui nous occupent, plus de quatre-vingts sont décrites par les au- 
teurs sous le nom de magellaniques. Ëlles ont aussi été recueillies 
sur la terre de Feu, ou sur les bords du détroit de Magellan, 
par Banks, Solander, Forster et Commerson : telles sont, en 
prenant au hasard, l’ancistrum lucidum , le plantago patagonica, 
l'empetrum rubrum, le juncus grandiflorus, le caltha sagittata , 
le perdicium, etc., etc. Enfin, les productions animales sont, 
comme on le conçoit bien plus aisément encore, entièrement 
identiques. 

C'est au milieu de leur été (décembre) que nous séjournèmes 
sur ces iles. La plupart des plantes étaient en fleurs; et ces im- 
menses prairies, où rien n’arrêtait la vue, si ce n'était les ondu- 
lations du sol, offraient, par leur végétation presque alpine, un 
charme particulier. Partout, en effet, même sur les roches, des 
colonies gazonnantes s’avancent graduellement. Dix ou douze 
graminées au plus couvrent les plaines : leurs pelouses sont 
remplies par des fougères courtes et le lichen des rennes. Le 
misandra dioica tapisse le bord des eaux, que recouvre le 
caltha indiqué par Bougainville sous le nom de nénuphar. Les 
sommets gréseux des petites chaines environnantes, que battent 
les vents furieux de cette partie du monde, ne présentent qu'une 
plante, toujours couchée dans le sens où ils soufflent le plus 
ordinairement : c'est un lichen fruticuleux, à larges cupules 


ZOOLOGIE, 203 


noires (usnea melaxantha, Ach.). Les ilots semés dans la baie 
Soledad sont revêtus de la singulière graminée, nommée par 
Forster dactyls cespitosa ( festuca flabellata , Lamk.), dont le 
port affecte celui de certains palmiers; à quelque distance en 
mer, ces ilots semblent être revétus de bois épais et verdoyants. 

Les collines et les coteaux secs sont garnis de touffes d'emn- 
petrum, d'arbutus, qui retracent, dans la partie australe de 
l'Amérique, la distribution de végétaux de même famille, qu'on 
retrouve si abondamment dans sa partie boréale. Au pied des 
montagnes s'élève comme un romarin, dont il à la teinte et 
presque le port, le seul végétal ligneux de la Soledad, à fleurs 
blanches et radiées, l'amellus diffusus de Wildenow. 

Les prairies de tourbe sèche sont émaillées par des plantes 
d'un aspect plein de charmes : telles sont principalement la 
jolie calcéolaire de Fothergill, l'eppactis Lessoni, d'Urville, la 
primevère farineuse, l’oxalide ennéaphylle, le sésyrénchium fili- 
folium, Gaud., les violettes, les perdicium, le lucet (myrtus 
nummularia ), Vancistrum, le jonc grandiflore, une luzule, etc. 

Dans les fentes des roches de grès, qui gisent cà et là, ébou- 
lées des montagnes qui les supportaient, croissent la muüre ou 
fraisier de Bougainville ( Dal:barda geoides, Smith), la cacalie 
blanchatre, la Nassauvia Gaudichaudii, Cass., ete. Mais la plante 
la plus singulière et la plus remarquable est sans contredit le 
bolax (glebaria ), dont les immenses demi-sphères couvrent le 
sol d'un pâté de verdure, décrit avec vérité par Pernetty, par 
Bougainville, et dont parlent Forster et Commerson. 

Mais sur ce sol, foulé très-rarement par les pas de l'homme, 
on ne trouve que des fruits insignifiants et sans consistance, 
aliment ordinaire de quelques oiseaux. Le plus parfumé d’entre 
eux et le plus délicat est fourni par un myrte rampant. Les 
grives recherchent les baies d'empetrum. L'ache, dont So- 


lander fit son aptum antarcticum, est un aliment agréable en 
26. 


20/4 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

salade, ainsi que les jeunes pousses du dactyle gloméré. La 
plante à bière de Bougainville est le baccharts tridenta. L'oxa- 
lide (oxalis enneaphytlla ) peut fournir ses feuilles acéteuses 
comme un anti-scorbutique précieux. Il serait possible peut- 
ètre de découvrir quelques propriétés utiles dans la gomme 
qui suinte des rosettes florales du bolax ou gommier de Per- 
netty. 

La baie Française et ses nombreux embranchements sem- 
blent, dans plusieurs milles d'étendue, former un immense 
marécage herbeux, tant les frondes du laminarta pyrifera se 
pressent sur la surface de la mer, et viennent opposer une 
barrière puissante au sillage des embarcations. Ces fucacées 
tant multiphiées, ces d'Urvillea utilis, ces Lessonia flavicans, 
Bory, ces ulves qui tapissent les rochers et servent de lit aux 
phoques si communs sur ces côtes, recèlent des myriades 
d'animaux mous, du plus haut intérèt pour la science. C'est là 
que nous observämes ces nombreuses ascidies, ces élégantes 
holothuries, ces vers serpulaires, ces moilusques, dont chaque 
fronde de fucus sert à l'habitation de quelques espèces. Leurs 
crampons, parfois roulés en boules, et jetés sur le sable des ri- 
vases par les tempêtes si fréquentes dans ces latitudes, re- 
tiennent encore ces belles moules de Magellan, ornées d'une 
nacre si pure et si brillante, des vénus, des fissurelles, et di- 
verses autres coquilles propres à ces mers. 

Mais nous devons nous borner à cette esquisse, faite à grands 
traits, de la physionomie générale des iles Malouines, pour in- 
diquer quels sont les êtres qui les habitent, et ceux que nous 
avons eu l’occasion d'y observer. 

Dans un autre article, nous avons dit un mot des Mamnui- 
feres ; ce seront les oiseaux qui nous intéresseront plus parti- 
culièrement dans celui-ci. 

Les premiers détails qu'on ait eus sur l’ornithologie des iles 


ZOOLOGIE. 205 


Malouines sont dus à M. de Nerville ‘, gouverneur de la colonie, 
qu'on essaya d'y établir; et l'indication des oiseaux apercus 
pendant le séjour des Français est consignée dans le Voyage 
autour du monde de Bougainville, et dans la relation de dom 
Pernetty *, ouvrage plein d'observations exactes, quoiqu'en 
général superficielles. 

Ces rivages déserts sont principalement peuplés d'oiseaux 
palmipèdes , dont les légions nombreuses se multiplient en paix 
depuis des siècles, quoiqu'elles aient des ennemis actifs et vo- 
races. Les oiseaux terrestres sont beaucoup moins communs; et, 
en effet, l'isolement de ces iles, leur sol dépourvu d'arbres, le peu 
de ressources que ces êtres pourraient y trouver, ont restreint 
singulièrement le nombre des espèces, et même des individus. 
Les palmipèdes et les échassiers, au contraire, trouvent sans 
cesse, dans les immenses baies qui morcèlent les côtes, dans les 
étangs disséminés sur la surface du terrain, ou dans les rivières 
qui y serpentent, des moyens d'existence appropriés à leur orga- 
nisation; et, d’ailleurs, la plupart émigrent pendant plusieurs 
mois de l’année, pour habiter la haute mer, ou bien d'autres es- 
pèces sont de passage, et ne se rendent annuellement aux Ma- 
louines qu'après avoir séjourné à la terre de Feu ou à celle des 
États, où elles retournent à des époques déterminées. Ainsi, nous 
ne connaissons que neuf oiseaux terrestres sur ces iles solitaires 
antarctiques, huit échassiers , et environ vingt-deux palmipèdes. 

Dans nulle contrée, peut-être, les oiseaux de proie ne mon- 
trent une plus grande et plus confiante rapacité. On n'en 
compte que quatre espèces; mais les individus en sont ex- 


! BOUGAINVILLE, J’oyage autour du monde, de 1766 à 1769, 1 vol. in-4?°, 
Paris, 1771. 

? Histoire d’un voyage aux iles Malouines, fait en 1763 et 1764, 2 vol. in-8°, 
Paris, 1770. 


508 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


cessivement nombreux. Sans cesse affamés, ces oiseaux suivent 
avec audace tout être animé, dans l'espérance d'en arracher 
quelque pâture. Chaque fois que nous allions à la chasse, ils 
épiaient nos mouvements, fondaient sur la proie abattue, ne 
lâchaient prise qu'à la dernière extrémité, et nous donnaient 
peut-être l'unique exemple de venir disputer le gibier jusque dans 
les mains du chasseur. Fréquemment la buse poliosome, corps 
gris ( falco poliosoma, Quoy et Gaimard ), réunie aux caracaras 
( falco novæ-zelandiæ), dévoraient en un clin-d'œil le canard ou 
l'oie que quelque homme de l'équipage avait laissé derrière lui, 
dans l'espoir de l'y retrouver peu d'instants après; et leur appétit 
glouton était si grossier et si insatiable, que les piéges les plus 
simples suffisaient pour en prendre un grand nombre chaque 
jour : nos marins en estimaient la chair, et en faisaient des soupes 
qu'ils trouvaient fort bonnes. 

Le vultur aura, Vieiïll., ou percnoptère aura, Cuv., est un 
oiseau de toute l'Amérique méridionale, qu'on retrouve aussi 
bien aux Malouines et au Brésil , qu'au Chili et au Pérou. L’odeur 
qu'il exhale est horriblement infecte, et atteste la dépravation 
de son gout pour les cadavres. Il plane souvent sur les mon- 
tagnes, et, dans son vol, il est facile à reconnaitre aux sortes de 
digitations qui terminent ses ailes déployées. Le busard bariolé 
(falco histrionicus, Quoy et Gaiïmard ), sans doute l’'émouchet 
de Bougainville, nous parut habiter plus particulièrement les 
dunes sablonneuses du bord de la mer. Sans cesse au guet, son 
regard perçant lui décele bientôt quelque jeune oiseau, un 
instant éloigné de sa mère, ou les œufs récemment pondus par 
les mouettes. Il se précipite avec la rapidité d’un trait, s'empare 
le plus souvent de sa proie, ou trouve, dans la défense coura- 
geuse des père et mère, un obstacle à ses habitudes destruc- 
trices. Enfin, nous ne vimies qu'une seule chouette à huppe courte, 
dont le plumage ressemblait à celui du moyen duc de France. 


ZOOLOGTE. 207 

Les omnivores passereaux, avons-nous dit, n’ont guère que 
neuf espèces sur les iles Malouines; encore deux ou trois d'entre 
elles sont-elles de passage. Ce qu'il y a de particulier, c’est que 
plusieurs de ces oiseaux, qui sans doute vivent sur les terres 
des alentours du cap Horn, se retrouvent sur les iles Shetland 
méridionales , par 60 degrés de latitude. Sur ces vastes surfaces 
rases et herbeuses, le zoologiste rencontre plus ordinairement 
la prive des Malouines (turdus falklandit, Quoy et Gaimard, 
Zool., pag. 104), qui habite les lieux abondamment fournis 
d'empetrum, petits arbrisseaux sous lesquels elle niche, et dont 
les baies servent à sa nourriture. Cette grive et une autre es- 
pèce, voisine du guivrou du Brésil, ne passent que l'été aux iles 
Malouines, et paraissent retourner en Amérique pendant l'hiver 
et remonter vers le détroit de Magellan. Peu défiants, ces oiseaux 
ne fuient point à l'approche de l'homme, mais vont sans crainte 
se percher, à quelques pas de luï, sur les buissons de gommiers. 
Les environs de l’ancien établissement français du Port-Louis 
sont peuplés par deux fauvettes, dont l’une est nouvelle, et sera 
décrite sous le nom de Ssybia macloviana, N., tandis que la 
deuxième est très-voisine de la sybia cisticola de la Sicile et de 
la Sardaigne. Le bruant à gorge noire, décrit dans la Zoologie 
de l'Üranie, pag. 109, sous le nom d'emberiza melanodera, vit 
par troupes de quinze à vingt individus, dont la nourriture 


principale parait être les oraines des petites plantes qu'ils Ta- 


5 
massent sur les lieux secs et où les herbes sont courtes. Un 
autre petit passereau , que nous ne vimes que dans deux ou trois 
circonstances , est d'un gris-pale, avec quelques stries plus fon- 
cées sur les plumes. C'est sans doute l'oiseau que quelques na- 


vigateurs appellent le serin des Malouines, ou le chardonneret 


1 Mémoire sur une espèce inédite de Goëland ( Zarus), par Stewart Traill, Hem. 
of the Wernerian society, t. IV, part. IL, pag. 514. 


208 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
mentionné par les zoologistes de l'Uranie. Un petit troglodite , 
assez voisin du nôtre, et ayant les mêmes mœurs, vit principale- 
ment sous les grosses touffes de glayeuls, tandis que, sur les 
schistes du bord de la mer, se tient presque constamment un 
oiseau (mentionné sans doute par Pernetty, t. Il, pag. 20), dont 
les rapports d'organisation semblent forcer à le classer parmi les 
grimpereaux, quoique ses mœurs et ses habitudes l'en éloignent. 
Le certhia antarctica, Garn., vit en effet sur les rivages; et ses 
mœurs , Jointes à ce que ce grimpereau ne grimpe Jamais, nous 
autorisent à le placer dans le genre furnarius de Vieillot : nous 
le décrirons sous le nom de furnarius fulisirosus, voisin, au reste, 
de l’Aornero de la Plata, ou fournier proprement dit de D'Azara. 
Enfin , le dernier oiseau terrestre que nous ayons à mentionner 
est l'étourneau des terres magellaniques, ou blanche-raie de 
Buffon (le sturnus militaris de Gm., Syst., pag. 803). Nommé 
oiseau rouge par Bougainville et Pernetty , cet étourneau n'a- 
bandonne point les Maloumes, et remonte sur l'Amérique 
australe, d'une part jusqu'aux Pampas de Buenos-Ayres, et de 
l'autre jusqu'au Chili, et même au Pérou. Le rouge éclatant des 
plumes du male s’efface chez la femelle; et ce quil y a de re- 
marquable, plus cet oiseau est rapproché des latitudes tempé- 
rées, plus ses couleurs s’affaiblissent : un grand nombre d'in- 
dividus mäles et adultes du Chili ne nous présentèrent plus que 
des teintes d'un rouge ocracé et brunatre, là où brillait aux 
Malouines le rouge le plus pur. 

Les premiers colons détruisirent un grand nombre de ces 
étourneaux , dont ils séchèrent les parties inférieures des peaux 


1 PI. VIT, fig. 5, t. IL, de son Voyage. Commerson a figuré cet oiseau, dans ses 
dessins inédits , sous le nom d’étourneau à palatine rouge de Monte-Video et des 
iles Malouines, et aussi sous celui de picho o guanchaco , usité sans doute à Buenos- 
Ayres. 


ZOOLOGIE. | 209 
pour en faire des garnitures de robes en plumes rouges, alors 
fort à la mode en France; car on sait que les habitants de la 
Louisiane ÿ envoyaient les épaulettes du troupiale comman- 
deur, qui vit en Amérique par grandes troupes, et dont ils fai- 
saient une grande destruction. Telle parure de bal avait peut- 
étre couté la vie à plusieurs milliers de ces oiseaux! 

Le nombre des espèces dans l’ordre des échassiers est à peu 
près égal à celui des passereaux; mais il n’en est pas de même 
relativement aux individus. Ceux-là trouvent constamment, sur 
les rochers que la marée abandonne et recouvre chaque jour, 
une nourriture abondante. Des milliers de petits crustacés, de 
vers, de mollusques nus, engagés dans les frondes du gigantesque 
Jucus pyriferus, assurent leur subsistance et celle de leur famille. 
Tranquilles possesseurs de ces terres lointaines et désertes, la 
plupart, sans défiance, semblent montrer envers l’homme une 
indifférence apathique, qui leur est presque toujours funeste. 
Le genre pluvier nous a fourni une petite espèce nouvelle, voi- 
sine du pluvier à collier. Elle sera décrite sous le nom de cha- 
radrius pyrocephalus, ainsi que le joli vanneau inédit, nommé 
vanellus cinctus ’, qui court sur les côtes avec une extrême ra- 
pidité, sans cesse occupé à chercher quelques mollusques, en 
poussant un petit cri plaintif. 

Deux espèces d'huitriers , indiquées sous le nom de pres-de- 
mer dans Bougainville, vivent par bandes et ne se mélent 
point entre elles : leurs mœurs sont les mêmes. Elles se nour- 
rissent de moules et de patelles, qui couvrent abondamment 
les roches d’ardoise brisées qui forment les côtes. Leurs rangs 
toujours serrés permettent d'en tuer un grand nombre à la fois : 
leur œil, dont l'iris est d’un jaune brillant, est environné d'un 
cercle membraneux rose. L'huitrier noir (Læmatopus capensis, 


‘ Tringa Urvillii, Garn. Ann. des sciences naturelles, janvier 1826. 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 27 


VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


210 
Cuvier), décrit mais mal figuré par MM. Quoy et Gaimard 
(Zoo!., pl. XX XIV), sous le nom d'A. 1ger, est une espèce distincte 
et non une variété de l’huitrier commun (X. ostralegus ), qui 
n'existe point aux iles Malouines. L'espèce qu'on a confondue 
avec l'huitrier d'Europe, de même taille et de même plumage, 
plus petite que l’huitrier totalement noir, diffère de tous les 
deux par la forme du bec, qui, au lieu d'être tranchant et 
aplati sur les côtés, est au contraire arrondi. Enfin, cet oiseau 
fournit aussi un de ces nombreux exemples qui viennent in- 
firmer les noms significatifs; car ses tarses blancs impliquent 
contradiction entre les noms générique et spécifique d'hæma- 
topus *, leucopus*, que nous lui donnons dans nos descriptions. 
Cette espèce avait été mentionnée par Bougainville, qui dit, 
pag. 71 : « Cette pie-de-mer à le bec d'un rouge de corail et les 
pattes blanches. » Buffon crut que c'était une fausse indication , 
et que Bougainville s'était trompé. 

Dans les cultrirostres, le bihoreau pouacre (ardea nyct- 
corax ), oiseau solitaire et rare, nous parut parfois guettant sa 
proie sur le sommet de quelque roche à fleur d'eau. Une ca- 
lotte noire, d'où sortent deux plumes blanches, effilées, re- 
tombant sur les épaules, le firent appeler azgrette par Per- 
netty. Les sanderlings appartiennent à l'espèce européenne, et 
forment des volées de plusieurs centaines d'individus sur les 
plages du camp de l’Uranie. Une bécassine, en tout semblable à 
celle de France, mais un peu plus grosse, variété peut-être 
du scolopax longirostris, est fort multipliée. Son vol est droit 
et bas, et de très-courte durée, s'enlevant d'un lieu pour se 
reposer seulement à dix pas plus loin. La chair de cette bécas- 
sine, qui se tient dans les prairies humides, et qu'on abat faci- 


* Hæœmatopus, pieds rouges. 
? Leucopus, pieds blancs. 


ZOOLOGIE. 211 


lement, est très-délicate. Un oiseau de cette espèce, que l'un de 
nous tua, présenta la singularité d'avoir les deux jambes comme 
éléphantiasées, ou hérissées de tubercules pathologiques du sys- 
tème dermoide. 


Le dernier des échassiers que nous ayons à mentionner est 
le chionts *, oiseau unique dans son genre, dont la place est loin 
encore d'être fixée, et qui semble ne point appartenir à cet 
ordre, quoique, d'un autre côté, il soit fort difficile de lui 
assigner un rang convenable ailleurs. M. Vieillot * en a formé 
sa 9° famille, les co{eoramphes de la tribu des tetradactyles de 
ses Grallatores, et M. Temminck * l'a rangé dans ses Palmipèdes. 
Cet oiseau des hautes latitudes australes est figuré pl. XXX de 
la Zoologie de l'Uranie. Nommé chionis alba * par Forster ‘, qui 


1 On trouve sur cet oiseau une assez longue discussion par Fleurieu, tom. IV, 
page 290 du foyage de Marchand, qui prouve combien on doit être circonspect 
pour employer les notes des navigateurs, lorsqu'on n’a pas vu les objets qu’ils men- 
tionnent le plus souvent d’une manière erronée. 

? Analyse d'une nouvelle ornithologie élémentaire, in-8°, 1816, Paris. 

5 Manuel d'ornithotogie, 2° éd., Analyse, premier volume, 2 v. in-8°, Paris, 1820. 

* V'aginalis alba, Gm.; coleoramphus nivalis, Dum.; chionis novæ-hollandiæ, 
Temm. C’est le white sheath bill de Latham , Synop. 3, pag. 268, et de Shaw, Wisc., 
tom. XII, pl. CCCCLXXXI. 

5 «Ce genre, que nous rencontrâmes dans notre excursion sur la terre des États, 
«était de la grosseur d’un pigeon et parfaitement blanc; il appartient à la classe 
« des oiseaux aquatiques qui marchent à gué. Il avait les pieds à demi palmés, et ses 
« yeux ainsi que la base du bec entourés de petites glandes ou verrues blanches. II 
«exhalait une odeur si insupportable, que nous ne pûmes en manger la chair, quoi- 
«que alors les plus mauvais aliments ne nous causassent pas aisément du dégoût. » 
Forsr., 2° Joy. de Cook, tom. IV, pag. 59. 

Ce chionis avait sans doute usé de quelques aliments particuliers pour sentir mau- 
vais, comme le dit Forster : le nôtre n’avait point d’odeur, et nous trouvämes sa 
chair fort bonne et très-grasse. 

« On le trouva aussi bon que du canard », dit Axpersow, 3° V’oy. de Cook, t. I”, 
PLT19: 


27. 


212 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

le premier le découvrit sur la terre des États, il est mentionné 
par presque tous les anciens navigateurs sous le nom de prgeon 
blanc antarctique; et, dès 1739, il avait été indiqué par Lozier- 
Bouvet. Anderson (3° Joy. de Cook, t. I, p. 113) dit qu'il s'offrit 
par volées dans la baie de Noël de la terre de Kerguelen ou de 
la Désolation. Depuis, on l'a rencontré au Sud de la terre de 
Diemen , de la Nouvelle-Zélande et de la Nouvelle-Hollande ; et 
on doit le regarder comme un habitant naturel des hautes 
latitudes australes, et même des terres frappées de stérilité, 
placées sur les limites du pôle Sud. 

Le chionis vaginalis, Vieillot, est cependant moins commun 
aux iles Malouines, où nous le rencontràmes presque toujours 
solitaire sur les rochers qui bordent la plage de l'Uranie. Ses 
mœurs sont farouches; et nous ne püumes nous en procurer 
que deux individus, l’un aux Malouines, et l'autre dans la tra- 
versée. Cependant, nous en vimes, différentes fois, à des di- 
stances assez remarquables des terres les plus voisines, voler 
d'une manière lourde et peu habituelle aux oiseaux de haute 
mer. Nous ajouterons aux détails publiés par MM. Quoy et Gai- 
mard (Zoo!., p. 131 ) quelques observations sur la figure qu'ils 
en ont donnée d'après un individu desséché. La blancheur 
neigeuse et sans taches du plumage est relevée par le gris- 
bleu de l'iris qu'entoure un cercle rouge-brun près de la pupille. 
La partie moyenne des-deux mandibules est d’un vert uni- 
forme, et marquée de deux taches d'un rouge-brun; leur ex- 
trémité est d'un noir encore plus foncé sur la supérieure que 
sur l'inférieure. Le corps glanduleux qui occupe les joues et la 
base du fourreau corné, et qu'on ne peut mieux comparer qu'au 
tissu de la glande lacrymale, est de couleur de chair ‘. Nous 
trouvames dans le gésier d’un chionis un caillou et une petite 


* Nous ajouterons ici les proportions d’un individu que nous avons préparé : 


ZOOLOGTE. 213 


coquille. Deux cœcums, longs de trente-six lignes, venaient 
s'insérer à deux pouces de la terminaison de l'intestin. 

Parvenus à l'ordre des palmipèdes, nous y trouverons un 
plus grand nombre de genres, un plus grand nombre d'espèces, 
et surtout d'individus. Leur fécondité est telle, qu'elle contribue 
à rendre les Malouines un lieu de relache précieux pour les 
navigateurs. Nos chasses détruisirent une prodigieuse quantité 
d'oies, de canards, et autres oiseaux nageurs : ce fut au point que 
nos marins, classe d'hommes en général peu difficile sur le choix 
de ses aliments, préféraient les salaisons du bord, vers les derniers 
temps de notre relàche, aux oies qu'ils avaient à discrétion. 
«Il est prouvé, dit Pernétty, que, de compte fait, nos équi- 
«pages ont mangé, en deux mois à peu près, quinze cents ou- 
«tardes (ores).» Par ce seul énoncé, on peut juger de la mul- 
tiplication de ces êtres sur les Malouines. 

Les rivières ou les étangs saumâtres sont habités par deux 
grèbes de mème taille, que Pernetty et Bougainville avaient 
mentionnés sous le nom de plongeons à lunettes (t. 11, p. 15). 
L'un encore inédit est notre podiceps callipareus, qui est beau- 
coup plus rare que le second, dont on trouve une bonne figure 
et la description complète, p. 133 de la Zoologie de MM. Quoy 
et Gaimard, sous le nom de grèbe Rolland (podiceps Rolland ). 


pouces lignes mètres, 


Longueur du bout du bec à la queue............. WANRONNO NE 370 
CON NESARENSERRREERENREnE mo 2 SONORE O7 
AU DEC ER ee LU REA EURE VNOM 010 

Girconférence du Corps EP NME NA Eee 12 16 ROIS SS 

Longueur du tarse....... 0 te ol oce en De LCA EE D RO HE 1 Ce MG 

me le IaequEUR. ee lee Re HR CMNTO 122 

Ce VOIRE OCR EE CAMP AN RUE JO PNEO RE 7 

——— des rémiges (la première est la plus longue). 7 o o 189 

= du tube digestifs. 12 UHR ER 39 MONO ed 7 

D NE ARS CO CPR CO A Et PA CNE ARR EE 2e 28) 01000758 


214 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

L'iris de ces oiseaux a la couleur du carmin le plus vif, et, 
suivant l'expression de Bougainville, leurs yeux brillent de l'éclat 
des rubis. Ce navigateur ajoute aussi que leur ponte est deux 
œufs, et que la mere porte les petits sur son dos; fait dont 
M. Berard, l'un de nos officiers, fut également témoin, et que, 
dès 1519, Pigafetta avait mentionné *. 

Parmi les oiseaux les plus remarquables des iles Malouines, 
ceux dont la singularité a frappé tous les voyageurs, et dont 
sans contredit parlent toutes les relations, sont les manchots, 
improprement nommés pingoins par les marins, qui ne se pi- 
quent point d'une grande exactitude zoologique. Les manchots” 
sont aux mers du pôle austral ce que sont les pingoins aux 
mers du pôle boréal; mais cependant les premiers ne craignent 
point de s'avancer jusque vers la ligne équinoxiale, dans l'hé- 
misphère qui leur est plus particulièrement assigné. 

Lorsque la chimère d'un continent austral occupait même 
les meilleurs esprits, tous les voyageurs qui s'avançaient dans 
ce qu'on appelait alors Magellanique eurent occasion de voir et 
de décrire les manchots; et tous, frappés d'étonnement à la vue 
de cesétres dont l’organisation semblait à cette époque tout aussi 
paradoxale que celle de l’ornithorhynque dans ces derniers 
temps, consacrèrent des pages de leurs journaux à décrire les ha- 
bitudes de cet étrange oiseau, impropre au vol, mais nageur par 
excellence. La première mention des manchots se trouve dans 
le voyage de Magellan, lorsqu'il découvrit le fameux détroit 
qui porte son nom; et, depuis, ces oiseaux furent décrits par 


1? Page 13, de la traduction française du Premier oyage autour du monde, 
etc. Paris, an 1x. 

? Les Américains donnent aux trois espèces de manchots de la mer du Sud les 
noms de ing, macaroni ( ce qui répond en ce sens au mot fat ), et Jack-ass. (De- 
LANO, pag. 262), 4 narrative of voyages and travels, in the northern and sou- 
thern hemispheres, etc. Boston, 1817, 1 vol. in-80. 


ZOOLOGTE. 215 
Garcie de Loaisa (1525); Alfonse de Camargo (1539); Francois 
Drake (1577), qui leur imposa le premier le nom de pinguins, 
à cause de leur graisse huileuse ; Thomas Cavendish (1586), et 
Richard Hawkins (1593), qui dirent leur avoir donné le nom 
de penguin, mot qui en gallois signifie tête blanche (du celte 
pen, tête, et gwin, blanc); Sebald de Wert (1600); François 
Cauche (1651); Narborough (1670); Sharp (1680), les nomment 
demi-oiseau et demi-poisson. Depuis, ces palmipèdes ayant été 
observés avec plus de soin, leur histoire fut dégagée de contes 
populaires par Carteret, Byron, Wallis, Pernetty, Bougainville, 
et enfin par Pagès (1773), Cook et Forster, et notamment par 
Fleurieu, dans le Voyage de Marchand, (tom. IV, pag. 296 et 
suiv., édit. in-8°). L'habitude du corps des manchots est, en 
effet, très-peu en harmonie avec celle qui a été départie aux 
autres oiseaux; et ajoutez à cela une lourdeur dans la démarche, 
une gêne dans les mouvements, des ailerons propres à la na- 
tation seulement, une marche verticale sur le talon, des plumes 
qui approchent par leur texture d'un poil soyeux, on aura des 
manchots l’idée d'un assemblage bizarre, qu'on pourrait consi- 
dérer comme étant plutôt le résultat des caprices que des vues 
sages de la nature. Sans rechercher tout ce qui a été dit sur 
les manchots, nous présenterons ici sommairement nos obser- 
vations sur leurs mœurs, en élaguant la plupart des faits indiqués 
récemment par MM. Quoy et Gaimard, ou par les naturalistes, 
nos devanciers. 

Les iles Malouines sont habitées par trois espèces de man- 
chots, qui sont : le grand manchot (aptenodytes patagonica, 
Gm. ), le gorfou sauteur ( catarrhactes chrysocoma), et le man- 
chot à lunettes de Pernetty (spheniscus demersa ). 

Le grand manchot, nommé aussi pingoin-roi par quelques 
navigateurs, yellow ou ftng-penguin des Anglais, tres-rare aux 
îles Malouines, puisque , pendant notre séjour, nous n'en vimes 


216 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


que deux individus, vit sur les côtes les plus désertes de l'ile 
de la Soledad. Ses mœurs seraient donc solitaires, à moins qu'à 
cette époque de l’année (novembre et décembre), la plupart des 
individus ne se trouvassent encore à la mer. Cette grande et belle 
espèce, que les pècheurs de phoques recherchent, à cause de 
l'éclat des plumes citrines, bordées de noir, qui revêtent son cou, 
semble n'habiter que les hautes latitudes, telles que la terre des 
États, celle de Feu, la partie Sud de la terre de Diémen. Nulle 
part on ne l'a trouvée en plus grand nombre que sur les iles 
Shetland, de Kerguelen, de la Georgie, et récemment sur les 
Orcades australes, où la mentionne le capitaine Weddell, qui 
lui a consacré quelques pages ‘. « La beauté de cette espèce, 
«dit ce navigateur, n'est point surpassée par plusieurs oiseaux 
«cités pour cet avantage”. Pendant la mue, les individus sem- 
«blent se repousser avec dégoüt; et ce n'est que lorsque leur 
«plumage acquiert son éclat naturel, qu'ils se réunissent en 
«troupes. Ils s'apparient en janvier. Le mâle est très-attentionné 
«pendant la durée de la couvée, et prend un soin particulier 
« des petits lorsqu'ils sont éclos. Ils n'ont point de nids; et on 
« doit remarquer que la femelle porte l'œuf dans une concavité 
« disposée à cet effet entre la queue et les jambes. La mère 
«prend soin des jeunes pendant un an, temps qui suffit au 


’ A4 Voyage towards the south pole, in the years 1822-1824, by cap. James 
WepoeLr. Lond., 1 vol. in-8°, 1825, pag. 55. 

2? L’aptenodytes patagonica , en effet, a jusqu’à trois pieds de haut. Les doigts 
sont forts et robustes, et les ailerons beaucoup plus prolongés que dans les autres 
espèces. La moitié du demi-bec inférieur est rouge. Un scapulaire de plumes très- 
noires couvre la tête et la gorge. Une bande d’un jaune orangé, plus large vers l'oc- 
ciput, occupe chaque côté pour se réunir sur la poitrine, et séparer le noir de la 
gorge du gris-cendré de nuance très-douce , qui recouvre le dos de cet oiseau. Les 
plumes du ventre ont la blancheur et l'éclat du satin; et une teinte jaune, de plus 
en plus foncée, s'y mêle vers le haut de la poitrine : deux bandes d’un noir vif occu- 
pent les flanes. 


ZOOLOGIE. 217 


«changement total de leur plumage, et époque à laquelle ils 
«doivent aller à l’eau; la mère les y pousse de force lorsqu'ils 
«hésitent à s'y jeter de plein gré.» Bougainville, qui essaya, 
mais sans succès, de transporter en Europe cette espèce, dit 
également, page 69 : « Elle ne vit point en familles comme les 
«autres ; elle aime la solitude et les endroits écartés : on peut 
«l'apprivoiser aisément. Un de ces pingoins, qui mourut à 
« bord, suivait l’homme chargé de lui donner à manger. » Com- 
ment se fait-il que cette espèce se retrouve à la Nouvelle-Guinée ? 
On ne peut, cependant, douter de ce fait que rapporte Son- 
nerat '; et ce qui nous étonne davantage, c'est que ce voyageur 
n’a point dépassé Guebé, et qu'il faudrait que le manchot pa- 
tagonique eût suivi toutes les côtes de la Nouvelle-Hollande, 
franchi le détroit de Torrès, et suivi toutes les terres des Papous 
jusqu'aux Moluques. Cependant, cet oiseau ne parait point 
exister sur toutes les terres qui y conduisent , telles, par exem- 
ple, que les côtes de la Nouvelle-Galles du Sud. Enfin, quoi- 
que nous ayons séjourné assez long-temps dans ces mers, où 
deux fois nous nous sommes présentés à des époques diffé- 
rentes, jamais nous ne l'avons rencontré. Ce point de géogra- 
phie ornithologique mérite bien d'être éclaireï. 

La deuxième espèce que nous avons à mentionner est le 
gorfou sauteur ( catarrhactes chrysocoma), ainsi nommé de 
Bougainville, parce qu'il s'élance hors de l’eau à la manière du 
scombre bonite*. Cet oiseau, remarquable principalement par 
deux touffes de plumes dorées, placées de chaque côté de la 
tête, ne se montra qu'une ou deux fois pendant notre séjour 
sur les îles Malouines. Mais il n'en fut pas de même à la mer, 
où nous en rencontrames plusieurs d'appariés ; et tout porte à 


’ Voyage à la Nouvelle-Guinée, pag. 178 et suiv. 
? C'est le }umping-yack des Anglais. 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom 1. 28 


218 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


croire que la saison de la ponte allait bientôt les ramener sur 
les rivages des terres magellaniques. Nous en tuâmes plusieurs 
individus ; et celui qui survivait dans chaque couple nous donna 
la preuve du vif attachement que ces oiseaux se portent; car il 
n'abandonnait point son cadavre, et semblait, en le poussant, 
vouloir lui redonner la vie quil venait de perdre. Les gorfous 
sauteurs paraissent s'éloigner de toute terre jusqu'a près de 
deux cents lieues : nous en trouvames, le 12 novembre 1822, dès 
le 43° degré de lat. S., et 56° long. O.; et, depuis cette époque jus- 
qu'à notre arrivée aux Malouines, nous en vimes de plus en plus. 
Leurs plumes porlues, si on peut s'exprimer ainsi, sans cesse lu- 
brifiées par une exsudation cutanée huileuse, sont très-favorables 
pour des habitudes toutes marines. Mais, après ce long exil de 
la terre, on a remarqué que les manchots en général y revien- 
nent maigres et sans graisse huileuse dans les mailles du tissu 
cellulaire. Ces oiseaux-poissons, au reste, nagent avec une rapi- 
dité étonnante, et se servent de leur queue, composée de qua- 
torze rectrices grèles, à peine garnies de barbes, comme d'un 
gouvernail, qui accélère leurs évolutions rapides. Elle est, en 
effet, très-propre à cet usage par la disposition des pennes qui 
augmentent de longueur, de dehors en dedans, de manière 
que les deux du milieu sont les plus grandes, et forment un 
plan aigu et en toit. Liris du gorfou sauteur est de couleur 
rouge-brun ou d'un rouge de brique peu foncé. 

La troisième et dernière espèce de manchot dont nous ayons 
à nous occuper, est le manchot à lunettes (spheniscus demersa), 
décrit assez longuement par Pernetty (t. If, pag. 17, Voyage 
aux Malouines ), et par MM. Quoy et Gaimard (Zool. de l'Ura- 
nie, pag. 162 et suiv.). Ce manchot est le plus anciennement 
connu. Il n'y à presque point de relations de voyages qui ne le 
mentionnent, et on l'a trouvé à la fois au cap de Bonne-Espé- 
rance, au Sud de la terre de Diémen, sur toutes ces terres avan- 


ZOOLOGIE. 219 
cées vers le pôle Sud, stériles, nues, pelées, nommées iles de la 
Désolation, Macquarie, Antipodes, etc., aussi bien que sur 
l'extrémité australe de l'Amérique, sur les côtes de la Patagonie, 
comme sur les Orcades et la Nouvelle-Shetland :. Partout les 
rivages sont couverts de cette espèce. Leurs innombrables lé- 
gions stupides, pressées, dans une inactivité singulière, couvrent 
les grèves, et forment de longues files, dont l'ensemble compose 
le spectacle le plus bizarre. 4 les regarder de cent pas, on les 
prendrait pour des enfants de chœur en camail, dit Pernetty. 

Le manchot à lunettes a été nommé ainsi de ce que les côtés 
de la tête sont occupés par un cercle blanc qui enveloppe les 
yeux. Il fut aussi appelé Jack-ass par les pêcheurs de phoques, 
d'après l'analogie de son cri avec le braiement d'un âne, et 
par les Espagnols paxaros ninos, ou oïseau-enfant. Ce man- 
chot se tient constamment debout sur la terre, et marche avec 
gravité et d'une manière génée , ayant la tête droite, et presque 
toujours le bec élevé. Lorsqu'il cherche à fuir pour gagner le 
rivage, et que le danger le presse, il perd l'équilibre, que n'as- 
surent point des membres placés tout-à-fait à l'arrière du 
corps : il tombe, culbute, se relève, pour tomber cent fois, et il 
se sert alors de ses ailes informes comme d’un point d'appui, 
et il fuit rapidement par ce moyen, en s'appuyant aussi sur sa 
poitrine. Parvenu sur le bord de l’eau, il s'y précipite. Mais 
là il est dans son élément. Autant sa démarche était génée 
sur la terre ferme, autant il plonge avec facilité, nage avec 
prestesse, s’élance avec force, et semble défier l'ennemi qui 
lui paraissait si dangereux quelques instants auparavant. La 
stupidité de ces oiseaux est telle, que nos marins en massa- 


sl A © g LA 

’ Cette espèce s’est propagée, le long des côtes d'Amérique que baigne l'Océan 
Pacifique, jusqu'à Lima, par 129, où nous la vimes dans la rade de Callao , soumise 
à l'influence d’une température qui est bien opposée à celle des terres Australes. . 


28. 


220 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

craient impitoyablement un grand nombre, sans que ceux qui 
étaient dans le voisinage parussent avoir la moindre crainte. 
La défiance ne leur vint qu'après des scènes répétées de des- 
truction ; et, dans les premiers moments, en les saisissant par 
le cou, on pouvait les prendre sans difficulté. Cette chasse se 
fait habituellement à coups de bâton, et détruit souvent sans 
utilité un nombre infini de ces paisibles animaux. La vie des 
manchots est excessivement tenace; et souvent nous en avons 
vu qui paraissaient assommés sur la place, y rester sans mou- 
vement plus de dix minutes, se relever ensuite, chercher à fuir, 
au moment où le mauvais génie qui avait présidé à leur des- 
truction venait recueillir sa proie, qui, de cette manière, 
échappait fort souvent. Mais surpris dans leur course mal assu- 
rée, ces oiseaux ne cherchent pas toujours à éviter le péril 
qui les menace. Ils s'arrêtent alors, et essaient de laffronter. 
Leur bec fort et robuste fait souvent de profondes blessures, et 
les manchots s'élancent le plus souvent avec beaucoup d'éner- 
gie sur leur injuste agresseur. 

Soit que ces animaux aient à redouter des ennemis, le chien 
sauvage entre autres, soit que les côtes schisteuses des grandes 
terres des Malouines ne leur conviennent point, ce n'est jamais 
que sur les ilots épars dans les grandes baies, qu'ils creusent 
leurs terriers. Un de ces ilots en a recu le nom d'#e aux Pin- 
gotns. Là leur nombre surpasse tout ce que l'imagination peut 
concevoir, et n'est pas moindre que quelques dizaines de mille. 
Ces ilots, entièrement tourbeux, sont recouverts des graminées 
singulières, nommées improprement glayeuls, s'élevant comme 
certaines monocotylédones ligneuses et couronnées par des 
faisceaux de feuilles. Des sentiers, pratiqués par les manchots 
au milieu de ces forêts herbacées, établissent des moyens de 
communications faciles avec la mer, et le pourtour entier de 
cet ilot est creusé dé galeries souterraines, qui leur servent de 


ZOOLOGIE. 221 


demeure. Le sol est tellement meuble et peu ferme, que fré- 
quemment l'observateur qui marche sur cette tourbe s'y en- 
fonce, et se sent bientôt mordu avec force par l'oiseau, étonné 
d'un tel genre de visite. À l'époque de notre séjour aux Ma- 
louines ( du 20 novembre au 20 décembre), quelques femelles 
couvaient encore, ou soignaient leurs petits. Les trous que ces 
oiseaux se creusent sont profonds et assez vastes pour loger 
toute la famille. Rien ne peut déranger les femelles de la fonc- 
tion maternelle qu'elles sont chargées de remplir; car souvent 
il nous arriva d'épier longuement leurs mouvements dans le 
nid, et elles paraissaient indifférentes ou se bornaïent à faire 
de singuliers mouvements de tète, de côté et d'autre, en ap- 
parence fort ridicules. Le manchot pond deux œufs, gros comme 
ceux de l’oie, de couleur verdàtre, maculés de brun. Les jeunes 
sont l’objet des soins les plus assidus de leurs père et mère; et 
deux petits que nous placämes dans un nid étranger, dont nous 
enlevames les vrais héritiers, furent impitoyablement tués à 
coups de bec, et jetés hors du trou par la mère, qui ne recon- 
naïssait point en eux les enfants dont elle avait couvé les germes. 
L'importante fonction de la reproduction étant accomplie, et 
les jeunes étant assez forts pour habiter la mer, les manchots 
abandonnent leur demeure terrestre , et la république entière 
va à l’eau pendant environ six mois de l'année, pour accomplir 
ainsi les vues de la nature. 

Le cri de ces oiseaux est un braiement semblable à celui de 
l’âne, tellement prolongé, surtout le soir, que l'illusion est frap- 
pante, et que le nom vulgaire donné par les Anglais est fondé 
sur cette analogie. Divers voyageurs ont mentionné ce fait. 
Mais une remarque que chacun de nous a pu faire dans les 
belles soirées de l'été des Malouines, très-rares au reste, c’est 
qu'au moment où le crépuscule apparait sur l'horizon, tous les 
manchots poussent ensemble des cris sourds et continuels, de 


229 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


manière qu'à une certaine distance du lieu qu'ils habitent, on 
éprouve une illusion parfaite, en croyant entendre le mélange 
de voix et de mouvements d'une masse de peuple assemblé 
pour une fête publique, et dont l'atmosphère porte au loin, 
dans le calme, les sons confus et mélangés. 

La chair des manchots est noire, compacte, indigeste, baï- 
gnée par une graisse huileuse, et entourée d'une couche de 
tissu cellulaire, formant sur le corps une enveloppe épaisse et 
abondamment gorgée d'huile. La peau est d'une extrême soli- 
dité : aussi faut-il écorcher ces oiseaux, pour les manger; et cet 
aliment, analogue à la chair des phoques, est très-désagréable. 
Cependant les marins, que la vie dure et agitée de la mer rend 
très-inconstants dans leurs goûts, le trouvaient fort bon, et en 
mangeaient quelquefois avec plaisir. 

MM. Quoy et Gaïmard observèrent que le départ des man- 
chots eut lieu, pendant leur séjour forcé sur les Malouines, du 
20 au 25 avril; ces oiseaux y retourneraient donc vers le mois 
d'octobre pour y pondre et couver. Ceux que nous avons rencon- 
trés en mer et qui étaient appariés légitimeraient cette idée, et 
feraient croire que le manchot est monogame, ou du moins qu'il 
n'abandonne point sa femelle, et vit avec elle, au hasard, sur l'im- 
mense surface des mers qui baignent les terres antarctiques *. 


* Nous ajouterons à l'histoire de ces oiseaux quelques détails anatomiques sur le 
manchot à lunettes, mâle. 

Cœur , alongé, conique et assez volumineux. APPAREIL DIGESTIF : La langue et 
ie voile du palais sont recouverts de papilles alongées, mucronées. L’æsophage est 
très-dilatable, tapissé à l’intérieur par une membrane muqueuse, plissée longitudi- 
nalement, et dont les plis se confondent avec ceux que présente l’estomac : cet or- 
gane , dans son état de vacuité, a quatre pouces de longueur; il est alongé, et forme 
un coude à la naissance du tube intestinal. Sa surface intérieure est tapissée d’une 
foule de cryptes muqueuses, terminées par une ouverture béante. Ces corps sont prin- 
cipalement situés vers la terminaison de l’œsophage. Les intestins forment plusieurs 
circonvolutions ; leur longueur est de six mètres vingt centimètres, et ceux du gor/fou 


ZOOLOGIE. 223 


Parmi les oiseaux marins que nous eùmes souvent occasion 
d'observer, les pétrels sont les plus nombreux en individus et 
en espèces. Ce genre parait en général ne point fréquenter 
d'habitude les terres, et il ne sy rend sans doute que pour 
remplir le but de la reproduction. On aurait tort toutefois de 
croire que ces oiseaux, auxquels on réserve plus particulière- 
ment , en y comprenant les albatros, le nom de pélagiens, puis- 
sent séjourner des mois, des années même, sur la surface de 
l'Océan. Ils s’y rendent fréquemment au contraire, et leur vol 
rapide leur permet d’ailleurs de franchir aisément l'espace qui 
les en sépare. 

Parmi les pétrels que nous observames dans la baie de la 
Soledad, nous mentionnerons le petrel Bérard, fig., pl. n° 37, 
de la Zoologie de l'Uranie ; le pélagique, différent de celui des 
mers d'Europe, et qui est probablement le stormy petrel de 
Latham, Syn., tom. VE, n° 18; le procellaria oceanica de Forster. 
Le pétrel géant, qu'au premier aspect on peut confondre avec 
l'albatrosse, lorsqu'il vole, vient assez fréquemment auprès des 
terres faire dégorger les poissons que les cormorans viennent 
de pècher, et sen emparer par suite. C'est de cette habitude 
que lui est venu des Espagnols l’affreux nom de quebrante uessos, 
ou briseur d'os’. Dans ces latitudes, nous observames encore le 


sauteur ont huit mètres. Le cœcum est unique, et, avec un peu d'attention, on 
s’aperçoit que l'extrémité libre est divisée en deux tubercules ; ce qui tendrait à prouver 
que les deux cœcums sont unis, dans cette espèce d'oiseau, par un tissu cellulaire 
très-serré. Cet intestin s’insère à deux pouces du cloaque. Les pancréas sont alongés 
au nombre de deux. Les reins sont à trois lobes, dont l’antérieur est ovale et plus vo- 
lumineux. La rate est petite, de couleur de lie de vin. Les testicules sont petits, 
ovales, placés au-devant des reins sur le milieu du rachis. Le foie, bilobé et volu- 
mineux, occupe toute la région épigastrique. La vésicule biliaire, dans son état de 
plénitude, était de trois pouces et demi. Les matières fécales de ces oiseaux sont 
vertes, couleur qu'on pourrait sans doute attribuer à la bile. 

‘ La tête est figurée planche VIII du tome II de Pernetty. 


. VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
pétrel bleu ( procellaria vittata, Gm.); le pétrel Lesson ( pro- 
cellaria Lessonit, Garn.; procellaria cinerea, Latham), plus 
parüculièrement fixé vers le 52° degré de lat. Sud’. Nous ne 
vimes point le procellaria falklandicus , figuré dans les dessins 
inédits de Commerson, déposés à la Bibliothèque du Muséum. 
Les goélands sont très-multipliés sur les iles Malouines. Nous 
n'y trouvames cependant que deux espèces, l’une à manteau 
noir (larus marinus et nœvtus, Gm.), et l'autre à manteau gris 
(larus glaucus et argentatus, Gm.). Nous n'avons à y indiquer 
non plus qu'une seule mouette, la rieuse ( /arus ridibundus, 
Gm.). Les Malouines sont peuplées de stercoraire cataracte 
(lestris catarrhactes, Temm.) (fig. n° 38, Zool. de l’Uranie), 
que Bougainville mentionne sous le nom de cantard, et que les 
Anglais nomment poule du Port-Egmont. C'est de ce palmi- 
pède que parle Pigafetta (1519) sous le nom de cagassela. Cet 
oiseau, dont l'iris est brun-clair, est véritablement par les 
formes un oiseau de proie à pieds palmés, que Pernetty appelle 
canard gris, et sur les mœurs duquel il donne des détails fort 
justes, page 25, tome IT de sa narration. Confiant, ou, si on 
l'aime mieux, audacieux, le stercoraire à plumage sombre, que 
relèvent deux bandes blanches qui croisent les ailes, est aux 
mouettes ce qu'est la frégate pour les fous, c'est-à-dire qu'il est 
sans cesse à les épier, à les poursuivre, pour s'emparer de leur 
proie, et exercer ainsi le tyrannique pouvoir de la force. Ce- 
pendant, le stercoraire est lui-même un pêcheur habile; et, cha- 
que jour, le long du navire même, il nous donnait des preuves 
de sa dextérité, pour saisir sa pâture sur la surface de la mer. 
Les sternes (sterna hirundo, minuta et fuliginosa de Gm.) 
couvrent parfois de leurs essaims criards, et comme des nuées, 


? Remarques sur la zoologie des îles Malouines, par M. Garnot, Ann. des sciences 


nat., cah. de janvier 1826. 


ZOOLOGIE. 295 


les ilots épars dans la baie, et pondent sur le sol même en plein 
air, sans avoir le soin d'assembler, pour construire un nid, les 
moindres büchettes. Des formes gracieuses et légères, la blan- 
cheur des plumes abdominales, le gris tendre des couvertures 
des ailes, la calotte d'un noir lustré de l’occiput, la disposition 
fourchue de la queue, le bec et les pieds d’un rouge de corail, 
font de la sterne un oiseau aussi gracieux que svelte ;. mais un 
cri aigre et discordant ne répond point aux teintes douces et 
suaves du plumage. Bougainville nomme la dernière espèce 
equerret, et Leguat, ferret. La ponte des sternes est le plus souvent 
de deux œufs, de la grosseur de ceux des pigeons, de couleur 
vert-clair, avec des taches brunes : parfois elles placent leurs 
nids dans les crevasses des rochers, et y portent quelques brins 
d'herbe. Entourées d'ennemis, qui cherchent à dévorer leurs 
œufs, les hirondelles de mer ont recu en partage un courage 
qui étonne d’après leur petite taille. Elles font lâcher prise aux 
oiseaux de proie ou aux maraudeurs des rivages, et les as- 
saillent avec une ardeur sans exemple. Ces palmipèdes semblent 
nés pour la société : on ne les trouve jamais que réunis par 
grandes troupes, et leur attachement parait s'étendre aussi bien 
sur leurs petits que sur tous les membres de la communauté. 
Souvent il arriva aux chasseurs qui tuaient quelques-uns de 
ces oiseaux de voir Les sternes se précipiter sur celles qui avaient 
été frappées, voler au-dessus en tout sens, et remplir l'air de leurs 
cris perçcants. Nous vimes, sans nous la procurer, une variété 
dont la tête est grise, au lieu d’être noire, et que nous serions 
tentés de regarder comme distincte des espèces précédentes. 
Le genre cormoran, qui renferme trois espèces et des milliers 
d'individus, est mentionné par tous les navigateurs. La stupi- 
dité des oiseaux qui le composent est devenue proverbiale parmi 
les marins; et c'est ainsi qu'on les trouve décrits dans les voya- 


ges, sous les noms de rigauds, becs-scies, shagg, par les Anglais, 
Voyage de la Coquille. —7. Tome 1. 29 


6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

et même sous un nom bien plus immodeste, que le Père Per- 
netty n'a pas craint de laisser glisser de sa plume. Les cormorans 
s'assemblent assez communément par pelotons d’une trentaine 
d'individus, et bien souvent ce nombre est beaucoup plus con- 
sidérable. [ls se perchent sur les rochers des côtes, et se déran- 
sent à peine, lorsque le chasseur, les ajustant à loisir, en a tué 
plusieurs. Leur vol est analogue à celui du canard sauvage, et 
ils ont comme lui la tête et le cou dans une rectitude parfaite. 
La première espèce ( pelecanus næœvius, Gm.) est entièrement 
brune. On remarque cependant quelques variétés, dues à l'âge 
probablement, et qui ont des taches blanches çà et là sur le corps. 
La deuxième espèce (p.cérrhatus?) a le plumage d'un bleu ardoïsé, 
le ventre et le cou blancs, la tête surmontée d'une huppe com- 
posée de plumes longues de deux pouces. L'iris est de couleur 
bleu-verdàtre, très-brillante, et la membrane, placée sur la 
mandibule inférieure, est parsemée de points comme dorés; 
deux caroncules d'un rouge vif surmontent la tête. Le cor- 
moran oreillard ( carbo leucotis, Cuv.) ne diffère du précédent 
que parce qu'il manque de huppe, et parce que le cou est bleu- 
ardoisé : peut-être ce dernier est-il la femelle, tandis que le pre- 
mier serait le mâle. On remarque d'ailleurs des variétés assez 
nombreuses entre ces deux oiseaux. 

Le cormoran nigaud ( carbo graculus, Meyer), qui se retrouve 
aux iles Malouines, ne peut être considéré comme une variété 
du pelecanus nævius : il en diffère par sa taille, qui est beaucoup 
plus forte, et par son plumage, qui est bleu-noir foncé et lustré. 

Nous n'avons point vu le cyone à cou notr velouté indiqué 
par Bougainville ; et, sur quatre espèces d'oies qu'il décrit brie- 
vement, deux s'offrirent seulement à notre examen. 

La première, nommée improprement outarde, est l’oie des 
Malouines (anas leucoptera), qui habite plus particulièrement 
les étangs, et qui pait dans les prairies environnantes ; elle 


ZOOLOGIE. ? 227 


court avec rapidité, et est plus difficile à tirer posée qu'au vol. 
La femelle, qui est plus petite que le mâle, désignée sous le 
nom d'anas magellanica, Gm., et figurée dans les planches en- 
luminées de Buffon, fig. 1006, est fauve, à poitrine maillée de 
brun, à cou et tête d'un marron vif, tandis que le mâle est 
blanc, à manteau varié de noir et de cendré : l'iris est brun. 
Pendant notre séjour aux Malouines, nous les avons constäm- 
ment rencontrées en familles de six à huit individus. Cepen- 
dant, nous en surprimes un jour plus de soixante sur un petit 
étang; les pennes de leurs ailes étaient à cette époque molles 
et impropres au vol : aussi pumes-nous les tuer toutes fort à 
notre aise. La chair de cette oïe est bonne, bien qu’un peu hui- 
leuse, et susceptible de faire un excellent approvisionnement 
de mer. 

La deuxième espèce que nous ayons à mentionner est l’ou- 
iarde de rivage de Bougainville, dont le mâle est très-bien 
décrit par les auteurs sous le nom d'anas antarctica, Gm.; la 
femelle, en revanche, l'est très-mal. Cette espèce est bien moins 
multipliée que la première. Elle ne faisait que d'arriver vers 
la fin de notre séjour, et parait ne venir aux Malouines que 
pendant l'été. Elle se nourrit d’ulva et de petits fucus, de ma- 
mère que sa chair en contracte un gout détestable, qui la fit 
rejéter par tout le monde à bord de la Corvette. Le mâle est 
complètement blanc, à pieds et bec jaunes. La femelle, que 
nous décrirons sous le nom d'anser antarcticus, Vieill., à la tête 
et le cou noirs, la poitrine et le ventre maillés de noir et de 
blanc. Comme ces deux oies étaient toujours ensemble et par 
paires, et que nos dissections sont venues nous assurer de leur 
sexe, on ne peut avoir le moindre doute sur leur identité. 

Le dernier genre de l'ordre des palmipèdes des Malouines 
est l’anas, dont nous observames quatre espèces. 

La première est le canard aux ailes courtes ( anas cinerea, 


29. 


228 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Gim.; anas brachyptera, Latham ), figuré dans la Zoologie de 
l'Uranie, pl. XXXIX. Ce canard est parfaitement décrit par 
Forster et par Cook ‘, sous le nom donné par les matelots 
anglais de race-horse ou cheval de course, que Buffon ne sut 
à quel genre rapporter. Il fut mentionné primitivement dans 
le 66° volume, partie 1°, des Transactions philosophiques, où 1l 
est nommé loogerhead-duck ou canard-lourdaud, et assez bien 
indiqué par Pernetty (t. IE, pag. 21) sous le nom d’ote grise ou 
d'ote du plain. Ce canard, en effet, ne vole point. Ses ailes, trop 
courtes pour remplir ce mouvement locomoteur, ne sont gar- 
nies que de tuyaux mous et sans consistance ; mais en revanche 
il court avec une rapidité accrue de toute l'inertie des ailes. 
Celles-ci sont munies au coude de deux tubercules, cornés et 
robustes, qui paraissent avoir pour but de servir de moyen 
de défense à cet oiseau. Ce canard vivait ou par paires ou par 
troupes considérables sur les grèves, ou plain, en terme de 
marine, du camp de l’Uranie et sur l'étang du Phoque : c'est 
du moins ce que nous observames pendant notre séjour. Sa 
chasse n'était point difficile, lorsqu'on pouvait lui couper le 
passage pour se rendre à la mer; mais sa course est tellement 
rapide, qu'il est nécessaire d'employer pour cela une grande 
vivacité. Dans l’eau, ce canard se retrouve dans son habitation 
naturelle, et son nager est facile; sa chair est mauvaise, très- 
huileuse, et sent le marécage et les fucus pourris : quoique 
peu délicats, nos matelots n'osèrent point y toucher. 

Le millouin des Malouines habite ordinairement l’embou- 
chure de la petite rivière de Bougainville. Craintif et rusé, il 
se tient toujours éloigné de tout ce qui peut l'inquiéter. Nous 
trouvames sa chair fort agréable au goût. 

Des deux dernières espèces qu'il nous reste à mentionner, et 


‘ Deuxième Voyage de Cook, tom. IV, pag. 27, édit. in-4°. 


ZOOLOGIE. 229 
qui sont toutes deux très-délicates, l'une est le canard à bec jaune 
et noir de D'Azara; et l’autre, le canard à sourcils blancs (anas 
supereiliosa , Latham), qu'on retrouve à la Nouvelle-Hollande, 
où 1l habite particulièrement les étangs. 


= S 8<——————— 


& LIL. 


ENVIRONS DE TALCAGUANA ms DE PENCO, ET DE LA CONCEPCION 
AU CHILI. 


Notre séjour au Chili, au mouillage de Talcaguana, eut lieu 
du 20 janvier 1823 jusqu'au 13 février suivant: Nous n'avons 
donc consacré que peu de jours à l'examen du littoral d'une 
contrée intéressante, et encore neuve pour la science, malgré 
les écrits de Feuillée ?, de Frezier *, de Molina ‘, et ce qu'en à 
rapporté Dombey *. 

Ainsi nous ne parlerons, dans cet article, que des côtes de 
la baie de Talcaguana, des alentours de la Motcha ou de la Con- 


1 Ce nom, emprunté à la langue arauque, est écrit de différentes. manières. On 
trouve Talcahuano, Talcaguano dans plusieurs relations de voyages. 

? Journal d'observations faites sur les côtes orientales de l'Amérique, par le 
Père Feuiliée, minime, 2 vol. in-4°, Paris, 1714. 

$ Relation du voyage de la mer du Sud aux côtes du Chily et du Pérou, fait 
pendant les années 1712, 1713 et 1714, par Frezier,.r. vol. in-4°, Paris, 1732. 

# Essai sur l'histoire naturelle du Chili, par Jean-Ignace Molina, traduit de 
l'italien par Gruvel, in-8°, Paris, 1789. 

$ Joseph Dombey, né à Mâcon le 22 février 1742, docteur en médecine de la 
Faculté de Montpellier, n’a rien écrit; mais il est un des naturalistes qui ont montré 
le plus d’ardeur pour enrichir les collections de la France. On peut le proposer pour 
modèle aux voyageurs. Instruit , tolérant, d’un commerce facile, il a laissé au Pérou 
et au Chili, où il a long-temps séjourné, une réputation très-honorable. Il mourut 


misérablement dans une prison d’Espagne, en 1794. 


230 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


cepcion, de l’ancienne Penco, de la presqu'ile de Talcaguana, 
et de l'ile de Quiriquine. 

La baie de Talcaguana, vaste et profonde, est située par 
36° 42° 00” de lat. S., et 75° 30° 41° long. O, dans la province 
de la Concepcion; elle a douze milles de longueur sur neuf de 
largeur. La bourgade de Talcaguana, qui lui donne son nom, 
est bâtie sur ses bords, et la ville de la Motcha, capitale de la 
province, n'en est éloignée que de deux lieues. Les ruines de 
l'ancienne Penco sont éparses sur les confins d’une plaine basse 
et marécageuse; et de l'autre côté, un havre profond, nommé 
port Saint-Vincent, s'avance dans les terres pour former, 
avec le fond de la baie de la Concepcion, une longue presqu'île 
de toute la côte occidentale. 

La bourgade-de Talcaguana est assise sur le versant d'un 
terrain assez élevé, qui finit à un morne, nommé cap de l'Es- 
téro, au pied duquel s'ouvre le fzo del Estero. De ce point 
jusqu à Penco, et dans une distance de neuf milles, la surface 
du terrain est très-basse, et a été indubitablement submergée 
il n'y a pas encore long-temps, et ne formait qu'un seul canal 
avec le port Saint-Vincent. Tout indique en effet que la pres- 
qu'ile de Talcaguana était naguère une ile séparée de la terre 
ferme par un bras de mer étroit, large de deux milles au plus. 
L'isthme à demi desséché qui existe aujourd'hui, présente en- 
core, dans une partie de son étendue, de profonds marais, où 
croissent des cypéracées, des roseaux , des sagittaires ,des carex, 
et la gratiole du Chili; tandis que les autres endroits sont revètus 
de salicornes, de soudes, d’éphédra, de chenopodiées, d’un me- 
sembryanthemum, plantes maritimes, qui se plaisent plus par- 
ticulièrement sous l'influence d’une atmosphère toute marine. 
Enfin les hautes collines qui leur servent de limites au Nord et 
au Sud sont terminées verticalement et usées, comme le sont 
d'ordinaire les rivages. Ces collines sont élevées au-dessus du 


ZOOLOGIE. 231 
niveau de la mer, dans la baie, de trois cents pieds environ. 
Leur sommité forme un plateau légèrement ondulé et très- 
boisé. Des ravins en coupent cà et là les bords, et sont arrosés 
par les eaux qui en descendent dans la saison des pluies : ce 
qui permet à la végétation d'y trouver les moyens d'y croitre 
avec vigueur. 

La formation minéralogique de la côte occidentale appartient 
aux roches talqueuses phylladiformes. La couche la plus infé- 
 rieure est formée par une sorte de*phyllade noire, compacte et 
terne; celle qui est moyenne se compose d'un mica-schiste à 
feuillets très-brillants, dont la direction est de l'Ouest à l'Est. 
Des veines nombreuses de quartz amorphe et des veinules de 
fer à l’état d'ocre serpentent verticalement dans toute l'épais- 
seur'du terrain. Vers le sommet, les feuillets schisteux, mis à 
nu, sont souvent remplacés par des masses qui offrent l'aspect 
et la texture de l’ardoise tégulaire. Plusieurs pieds d'une argile 
schisteuse, d'abord jaunâtre, puis d'un rouge assez vif, re- 
couvrent ces roches; et cette couche argileuse supporte elle- 
même une brillante végétation. En avancant vers le Nord, sur 
la même côte, on suit assez uniformément une sorte de terrain 
ajouté sur le précédent, et qui doit naissance à la mer. Il est 
plus particulièrement remarquable autour de la petite ile de 
Quiriquine, à laquelle il forme une ceinture, en présentant 
les circonstances suivantes : 

1° Au niveau de la mer, à marée basse, on observe un 
grès argileux, friable et peu consistant, formé de particules 
grenues, rougetres, égales, et agglutinées par un ciment peu 
adhérent. Divers bancs, placés au milieu de la baie et décou- 


vrant à basse mer, sont entièrement de ce grès. Les plages de 


5 
l'ile de Quiriquine sont recouvertes d’un sable micacé, noir, 
brillant, et affectant un aspect métallique. 


2° Les couches supérieures au grès dont nous parlons sont 


232 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
formées par un sable argileux, tassé et recouvert lui-même par 
des sables agglutinés et gréseux comme les premiers. 

3° Des couches de sables argileux et terreux, rougeñtres, 
dans lesquels sont incrustés des galets arrondis, d’un volume 
assez égal, et ne dépassant guère la grosseur d’une orange. 

4 Des lits de sables argileux, avec des couches alternatives 
de coquilles non pétrifiées, et seulement roulées par les vagues, 
et de même espèce que celles qui sont éparses sur les grèves. 
Ce fait avait déja été mentioñné par M. de Chamisso, qui l'ob- 
serva sur les rives du port Saint-Vincent et au-dessus du petit 
bourg de Talcaguana. Ces lits de coquilles ont été saisis, à me- 
sure que la mer les déposait, par un ciment assez solide, et se 
composent principalement de concholepas, de crépidule péru- 
vienne , de fissurelle et du mnytilus lata, espèces très-communes 
dans ces mers. 

5° Une écharpe peu épaisse, formée d’une sorte de pudding, 
que constituent des galets de toute grosseur, enchàssés con- 
fusément dans un sable fin par-un ciment assez adhérent. 

6° Argile jaunâtre, durcie. 

7° Aroile rouge, meuble, formant la couche superficielle et 
végétale du sol. 

Telle est la disposition qu'on observe dans la succession des 
petites couches que nous venons d'indiquer, en commencant 
par les plus inférieures et remontant successivement. Elle: re- 
vétent donc assez uniformément et partout la formatica tal 
queuse phylladiforme. Leur origine serait assez difficile à expli- 
quer, si l'on ne savait que les tremblements de terre fréquents, 
et les inondations énormes qui en sont la suite, ont du jouer 
le principal rôle pour leur donner naissance. Peut-être même 
leur origine ne remonte-t-elle pas à des temps bien éloignés de 
la submersion de l’ancienne Penco, dont on voit aujourd hui 
une partie des ruines au fond de la baie et dans sa partie S.-E. 


ZOOLOGIE. 233 

La côte orientale de la baie est formée par le continent; 
elle est onduleuse, très-mamelonnée, et appartient exclusive- 
ment à la formation primitive. Toutes les montagnes que nous 
avons observées, les mamelles du Biobio, comme celles qui 
dominent la Concepcion au Sud , et qui forment une chaine se 
dirigeant de l'Est à l'Ouest, nous ont offert uniquement un 
granite, variable seulement par une teinte plus ou moins noire, 
et presque jamais rosée. Le terrain, dans un rayon de trois à 
quatre lieues, n'offre qu'une ou deux plaines de date récente, 
marécageuses, occupées par les villes de Penco et de la Con- 
cepcion ; partout ailleurs les vallons et les collines se succèdent 
sans interruption. La nature du sol annonce l'existence d'un 
lambeau de terrain tertiaire, qui semblerait même se continuer 
jusque sur les côtes de Guayaquil, et qui existe sur les rivages 
du Pérou , et surtout à Payta, où il est parfaitement caractérisé. 
Près de Penco, en effet, nous observämes un gisement assez riche 
d'un lgnite stratiforme, qui affecte tous les caractères exté- 
rieurs de la houille : il fournit aux besoins des naturels et des 
navires qui visitent ce point du Chili; et comme il jette une 
flamme très-vive en brülant, il est fort estimé. Ce lignite n'est 
qu'à six ou sept pieds au-dessous de la surface du sol. Le pre- 
mier lit ou le plus inférieur n'a que deux pieds et demi à trois 
pieds d'épaisseur; c’est le seul qui soit recherché : il est com- 
posé de lignite pur. Celui qui est au-dessus est mêlé à beaucoup 
de débris terreux , et recouvert par une couche mince d'argile 
grise, feuilletée. La couche superficielle est au contraire épaisse, 
et formée en entier d'argile d'une couleur rouge très-vive. 

Sur la rive occidentale de la baie de Talcaguana, vis-à-vis 
l'ile de Quiriquine, est un petit village appelé 7umbès, où l'on 
va recueillir un salpêtre de houssage très-estimé, que fait ex- 
ploiter la république. Les gisements de sel gemme sont égale- 


ment très-nombreux et l'objet d'un grand commerce sur la côte. 
Voyage de la Coquille. —7Z. Tom. 1. 30 


23/ ; VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Le Chili est depuis long-temps célèbre par les mines de 
métaux précieux qu'il possède, et, sous ce rapport, il rivalise 
grandement avec le Pérou. La plupart de ces mines sont situées 
dans la portion aride des Cordillières, au-delà du Chili boisé, soit 
au pied des Andes, soit dans les petites Cordillières. Près de 
Saint-Yago, sont les riches mines d'or de Pétorca : celles de las 
minas de la Florida sont à vingt-quatre heures de chemin de la 
Concepcion. Les plus riches mines d'argent sont dans le Cerro 
d'Upsalallata. Les mines de cuivre, de plomb, de fer, d'étain, 
de mercure, de Coquimbd, de Copiapd, sont très-riches , mais, 
dit-on, mal exploitées. 

La végétation qui revêt le sol que nous venons d'indiquer 
a une physionomie tout européenne. Ce n'est plus la pompe 
ou le luxe des plantes largement développées et d’un vert gai 
du Brésil; mais c’est la force, la vigueur, unies au feuillage noir 
et aux formes des arbres des forêts du Midi de la France. A la 
vue de ces masses végétales, on ne se croirait pas dans l’Amé- 
rique du Sud, si une seule plante, au port aloëtique et équa- 
torial, la Pitcairnia , ne contrastait avec toutes les autres. Mais. 
cependant cette ressemblance n’est qu'extérieure; car nul pays 
ne présente peut-être un plus grand nombre de genres ou 
d'espèces qui lui soient propres. La fécondité du sol est très- 
remarquable sur tous les coteaux des bords de la baie de Talea- 
guana ; elle n’est surpassée que par la richesse des plantes qui 
s’y pressent; et il nous serait fort difficile d'en donner une juste 
idée, sans entrer dans des détails qui nous entraineraient hors 
de notre sujet. Les forêts sont formées d'arbres de toutes sortes, 
et surtout de myrtes de la taille de nos ormes moyens de France: 
leurs rameaux, chargés de fleurs blanches , embaument l’atmo- 
sphère, et supportent les larges corymbes rosés d'une plante 
grimpante syngenèse, et les cimes rouge-ponceau d'un gui 
arborescent ; la superbe Lapagerie, le cupido des Araucanos, 


ZOOLOGIE. 235 


s'appuie fréquemment sur leurs troncs dépouillés, et fait briller, 
à travers leur feuillage lustré, ses éclatantes corolles. La Sar- 
mienta charnue adhère aux écorces comme notre lierre, et ses 
cloches vermillon retombent sur le vert mat de ses feuilles. Il 
en est de même de la Lardizabala *. Des fougères s’établissent 
sur les ramifications des branches, et des bambous poussent 
leurs jets verticaux et rigides au milieu des massifs, qu'ils con- 
tribuent ainsi à rendre très-pittoresques. Les coteaux desséchés 
ont leurs pelouses ?, formées de lis des Incas (“{stroemeria), de 
tupa (Lobelia tupa) et d'amarytlis, plantes si recherchées en 
Europe par la beauté de leurs fleurs. 

Dans les lieux secs, se présentent communément la violette 
arborescente , le Teucrium du Chili, la francoa appendiculata, 
la verveine de Buenos-A yres, le galliet à fruits rouges, des acœna, 
des eryngium, etc., la jolie syngenese bleue, nommée sempre- 
viva par les créoles ( trixis spinosa), ainsi que leur yanco, qui 
est le Znum aquilinum de Molina. 

Les bois des environs de Talcaguana, de Penco et de la 
Concepcion, ne présentent point d'arbres de grande dimen- 
sion : ceux qui pourraient être réclamés par le service des con- 
structions navales ne se trouvent guère que dans les forêts de 
l'intérieur. Le feuillage est en général coriace, sec et persistant, 
et affecte surtout la forme entière. Les arbres qu'on rencontre 
le plus ordinairement sont plusieurs espèces de myrtes : le 
schinus molle, lemaqui (Aristotelia maqui), dont le fruit fournit 
un vin estimé des Chiliens ; l’avellano [gevuina avellana), dont 


‘ Cette plante a été décrite par l'abbé Ventenat. C’est la Lardizabala de la Flore 
du Pérou. La fleur mâle est figurée, Atlas, n° 6 et 7, et la fleur femelle, n° 
et 9; et la description de Ventenat se trouve dans le tome IV, page 26, édition 
in-{°, du Voyage de La Pérouse autour du monde (Paris, 1797). 

2 On voudra bien se rappeler l’époque précise de notre séjour, et les lieux que 
nous fréquentämes , pour constater l'exactitude rigoureuse de cette indication. 


30. 


236 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
l'amande remplace en Amérique la noïsette de nos contrées. Le 
thilco du Chili, le charmant Fucksia, forme presque tous les 
buissons. Les parties humides ou très-ombragées de ces mêmes 
bois nourrissent des fougères à larges feuilles ; le panke ténc- 
toria (Molina, ist. nat., p. 113), classé parmi les Gunnera 
dans la Flore du Pérou, et qui est employé en teinture; des 
bambous, précieux pour divers usages domestiques, et un grand 
nombre de végétaux très-remarquables sous le rapport de la 
beauté de leurs corolles, ou de leurs caractères botaniques. 
Les alentours de la route qui conduit de Talcaguana à la 
Concepcion présentent, au milieu des bois, des espaces sablon- 
neux assez considérables et découverts, quelques champs her- 
beux, dont la végétation est spéciale. C'est ainsi que nous y 
observames un melocactus de très-petite taille, plusieurs ona- 
gres, et notamment la belle ænothera gigantea, des mimosa, 
un geum, le cestrum parqui, et diverses autres plantes très- 


5 
intéressantes dont la nomenclature ne serait point utile à notre 


objet. ; 
Les prairies humides ont la physionomie de celles de France: 
elles sont formées principalement de menthes, de renoncules, 
de potentilles, de trèfles, d’anagallis ; mais on y trouve surtout 
le fraisier dioique du Chili, dont l'ingénieur Frezier enrichit la 
France en 1714, et qu'il a figuré dans sa relation, pl. XI, et 
décrit page 70, et la centaurée cachalouaï ( Chironia chilensis ). 

Un carduncellus couvre la petite ile de Quiriquine; et un 
ammi les champs environnant Penco. Les marais du pourtour 
du havre de Saint-Vincent ont un aspect tout européen. Ce sont 
des arundo , des sagittaires , des hydrocotyles, des scirpes, des 
joncs , une gratiole (gratiola peruviana ), qui les tapissent. 

La luzerne commune, soit qu'elle y ait été naturalisée, soit 
qu'elle doive y être regardée comme indigène, forme un ex- 
cellent pâturage pour le bétail du pays; elle est souvent détruite 


ZOOLOGIE. 237 


par la cuscute odorante de la Flore du Pérou, qui sempare quel- 
quefois de toutes les plantes de certaines localités. 

Les coteaux de Castillo-Galvès sont recouverts par une Ni- 
cotiane, un Bromelia, le coulen (psoralea), dont les feuilles 
servent à faire une boisson enivrante, le fortbundio ( datura 
arborea ), introduit dans nos serres, qu'il embellit par ses larges 
corolles infundibuliformes, et surtout par le Lobelia tupa, qui 
croit partout. 

Enfin la baie est couverte de laminaria pyrifera ( macrocystis 
communs, Bory ), et toute la côte du port Saint-Vincent et de 
la presqu'ile de Falcaguana, en dehors de la baie de la Con- 
cepcion, est jonchée des larges lanières du porro des Chiliens 
( fucus antarcticus, de Chamisso, pl. VIT du loy. pitt. de Choris, 
et Durvillæa utilis, Bory ), singulière hydrophyte, qui sert de 
nourriture aux habitants. La classe indigente, en effet, va ré- 
colter sur les rivages ce fucus, dont les frondes imitent des 
lanières de vieux cuirs, et le transporte, lié par petites bottes, 
aux marchés de la Concepcion, où il est très-recherché. 

Tel est l'aspect général d’un pays que la douceur du climat, 
une température égale, rendent délicieux sous le rapport de 
l'habitation de l'homme, mais qui n'est encore que peu connu 
par ses productions naturelles. Certes le Chili doit promettre 
de nombreuses découvertes à un zoologiste laborieux et au 
courant de la science, et l'on doit beaucoup espérer du natu- 
raliste qui l’explore en ce moment, notre compatriote et ami 
M. d'Orbigny. Nous n'avons en effet séjourné que fort peu de 
temps sur ses côtes, et, malgré cela, nous nous y sommes pro- 
curé plusieurs espèces d'oiseaux entièrement nouvelles, que 
nous décrirons d’après les doubles; car le nombre en a été di- 
minué par la perte que M. Garnot a faite de plusieurs espèces 
dont nous ne possédions que des individus uniques. On remar- 


quera que le Chili nourrit un grand nombre d'oiseaux qu'on 


238 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


retrouve dans le Tucuman et à la Plata, et plusieurs de la Pata- 
gonie et même du Brésil. 

_ Molina, dans son Histoire naturelle du Chili, a décrit seule- 
ment trente-trois espèces d'oiseaux. Plusieurs ne sont pas re- 
connaissables par la brièveté des phrases, ou le peu de caractères 
dont il a accompagné leur diagnose ; et personne, depuis lui, 
n'a retrouvé le rara dont il a fait le genre phytotoma, et qui 
cependant parait reposer sur des caractères assez précis. Les 
espèces que cet auteur décrit sont, les f’ultur jota; Falco tharus; 
Strix cunicularia ; Psittacus jaguilma,cyanalysios,chorœus; Picus 
lignartus, pitius; Trochilus cyanocephalus, galeritus ; Anas me- 
lancorypha, hybrida, regia, coscoroba ; Diomedea chilensts, 
chiloensis; Pelecanus thagus; Phæœnicopterus chilensis; Ardea 
erythrocephala, galatea, cyanocephala, thula ; Tantallus pillus ; 
Parra chilensis ; Otis chilensis; Columba melanoptera; Sturnus 
ioyca; Turdus thilius', thenca, curœus ; Fringilla barbata, diuca , 
et Phytotoma rara. Or, dans notre très-court séjour, nous 
n'avons observé que le même nombre d'espèces à peu près : 
plusieurs toutefois nous offrirent quelques particularités inté- 
ressantes à ajouter à leur histoire. 

Parmi les oiseaux de proie, plusieurs buses, autours et éper- 
viers sont communs dans les campagnes, surtout le faucon 
chimango de D’Azara, qui vole sur le dos des mulets pour les 
débarrasser des insectes qui les tourmentent ( falco crotopha- 
gus). Wied, Z£., t. IL, p. 71; D’Azara, Ze, t. IL, p. 35. Mais 
l'oiseau de rapine le plus abondamment répandu est le 2allinaze 
ou catharte, que les habitants nomment jote, le vultur jote de 
Gmelin et de Molina, le cernicalo de Commerson, et que La- 


! Suivant Molina, le nom du Chili dériverait de celui de cet oiseau, que les 
Araucanos nomment éhilé ou chili, d’après son cri, et qui est très-abondant dans 
cette partie de l'Amérique : Frezier le fait provenir, avec plus de fondement , du nom 
d’une rivière nommée Chille, qui coule dans la vallée de Guillota. 


ZOOLOGIE. 239 


tham a confondu avec l’urubu sous le nom de vultur aura 
(sp. 8). Le yote ( vultur aura) parait habiter toute l'extrémité 
méridionale de l'Amérique. Nous l'avons observé au Brésil, 
aux iles Malouines, au Chili, et même au Pérou; mais dans 
cette contrée 1l est moins commun que l'urubu ( vultur urubu, 
Vieillot), qui vit par grandes troupes protégées par les lois 
du pays. 

Nous rencontrames fréquemment une chouette qui se tient à 
terre dans les bois découverts, près des souterrains qu'elle se 
creuse. Ce doit être indubitablement.la chouette à clapier de 
Buenos-Ayres, que Commerson a figurée dans ses planches 
inédites , et que Molina à décrite sous le nom de strix cunicu- 
laria, et de pequen, mot de la langue arauque ‘. Ses œufs, au 
nombre de quatre, suivant le Père Feuillée, sont blancs ta- 
chetés de jaune. 

Diverses sortes de passereaux viennent jusque près des vil- 
lages : c'est ainsi que nous y observames une petite mésange, 
plusieurs moucherolles, et entre autres le clignot du Paraguay 
(hymenops nyctitarius, Commers., Dessins inédits ), et la mou- 
cherolle à huppe blanche ( m. albicilla, Vieïll.), dont le bec est 
plus effilé que celui de l'espèce de Cayenne; la farlouze de 
Monte-Video de Buffon, un troglodyte, la grive des Malouines, 
une hirondelle qui niche sous les toitures des maisons de Tal- 


! L'espèce qui s’en rapproche est celle décrite par le prince de Wied sous le nom 
de CHOUETTE PULSATRICE, séréx pulsatrix. Wied, 74, t. IT, p. 182. 

Mâle : long. dix-sept pouces quatre lignes ; couleur, gris-clair, brun-rougeûtre ; 
tache blanche sur la gorge; plumes scapulaires, marbrées agréablement d’une teinte 
plus foncée , de même que les ailes et la queue; rectrices traversées de bandes plus 
claires et plus foncées ; le dessous du corps, jaune-clair, passant au jaune-rougeätre 
sur la poitrine et sur le ventre. Son cri imite le battant d’une cloche. Hab,. le Chili. 

Serait-ce la chouette échasse ( strix grallaria), pl. CXLVI de M. Temminck, 
qui à pour synonyme la chouette de Coquimbo de Molina, ou strix cunicularia 
des systèmes ? 


240 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

caguana , et un synallaxe nouveau. M. Temminck ayant décrit 
dans ce genre récemment établi cinq espèces du Brésil :, celle 
que nous avons figurée pl XXIX, fig. 1, sera la sixième, et 
servira à établir la connexion qui existe entre les animaux de 
l'empire du Brésil, de la république Argentine et du Chili. Un 
fournier nouveau (furnarius Lessoni, Dum:.), voisin du four- 
nier des Malouines et de l’Aornero ou casero de D'’Azara, de 
Buenos-Ayres, et le chopr (troupiale) de D'Azara, torditos des 
Espagnols chiliens, viendront encore corroborer cette idée. 
Cependant notre synallaxe, que M. Garnot regarde comme 
inédit, nous parait être celui que Latham a figuré dans son 
Synopsis sous le nom de thorn tailed warbler de la Patagonie. 
L'etourneau blanche-raie ou des terres Magellaniques ? est ex- 
cessivement commun dans la province de la Concepcion. C’est 
le sturnus loyca de Molina *. Sa description ne laisse aucun 
doute à cet égard; et c’est donc à tort que Gmelin et Latham 
ont fait des sturnus militaris et loyca deux espèces, la dernière 
étant purement nominale. La femelle, dont le rouge dela poitrine 
est toujours pale ou plutôt ocracé, pond trois œufs gris, mar- 
qués de brun, dans un nid placé à terre négligemment. Molina 
décrit trois espèces de trochilus, dont deux seraient de passage 
au Chili. Aucune d'elles n’a de rapports avec l’oiseau-mouche 
nouveau que nous figurons pl. XXXI, fig. 2, sous le nom 
d'orthorhynchus sephaniodes. Cette belle espèce ne parut que 
quelques jours avant notre départ de la baïe de la Concepcion; 
ce qui nous porterait à croire qu'elle ne vient dans le Sud de 
l'Amérique qu'avec les chaleurs de l'été, et qu'elle se retire 


© Synallaxis tecellata , setaria , rutilans, albescens, cinarescens ( pl. col. ). 

? Le pechio-lorados. Frezier, voy. p.74. 

? Sturnus loyca, fusco, alboque maculatus , pectore coccineo ( Hist. nat. du 
Chili, p. 324 ), Troupiale à gorge ensanglantée, D’Azara, voy. t. III, p. 185. 


ZOOLOGTE. 24r 


vers le Pérou lorsque les jours se refroidissent. La croyance 
commune des habitants est cependant que, durant l'hiver, 
cet oiseau s'engourdit et se pend par le bee aux branches des 
arbres : erreur populaire que partage même Molina (page 226 
de son Histoire naturelle). Notre oëseau-mouche est nommé be- 
caflor par les créoles espagnols : il est très-commun dans les 
petits bois qui couronnent le village de Talcaguana sur la pres- 
quile, et, pendant le jour, il vole en becquetant sans cesse 
les corolles miellées d'un gui, dont les fleurs d'un rouge- 
ponceau ont l'aspect de celles de quelques chèvre-feuilles. 

Sous le nom de carpentero, les Chiliens confondent indistinc- 
tement deux espèces de pic. Le picus lignartus à huppe rouge, 
le plumage blanc, rayé de bleu, d'après la description de Mo- 
lina; nous ne l'avons pas rencontré. Mais il se peut que son 
picus pitius ® soit notre picus chilensis, figuré pl. XXXIT, quoi- 
qu'il y ait quelques traits de dissemblance. 

Une seule espèce de la famille des psittacidées s’est offerte 
à notre examen. Il est vrai de dire qu'elle est extraordinaire- 
ment commune aux alentours de Talcaguana , et que c'est de 
ce nom quelle porte chez les Araucanos, d'après son cri, 
qu'est dérivé celui de cette partie du Chili. C'est notre pstttacara 
patagonica. Azara le premier l'a décrite sous le nom de patagon 
(Por. t. IV, p. 60), mais d'une manière obscure; M. Vieillot 
ne l’a pas mieux fait connaitre ensuite sous le nom de psittacus 
patagonicus : elle n'a point été figurée; sans doute qu'on l'a 
confondue jusqu'à ces derniers temps avec la perruche-ara de 
la Guyane de Buffon. Cette grande espèce de psittacara est 


* Prous prrius, caud& brevi, corpore fusco maculis ovalibus albis guttato. 
Nommé pitico, ce pic est de la grosseur d’un pigeon, et niche, non dans les creux 
des arbres, mais dans les falaises des rivières. Sa ponte est de quatre œufs; sa chair est 
très-estimée ( p. 215). 

Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. on 


242 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


nommée caterta par les créoles : elle se réunit presque toujours 
par bandes nombreuses, et 1l n'est pas rare d'en voir chaque 
jour des volées traversant la vaste baie de la Concepcion. Son 
cri est aigre et très-fort, et ses mœurs sont sauvages. Molina 
a mentionné trois espèces de perroquets, dont deux sont de 
passage. Mais nous n'avons eu aucun renseignement sur son 
thécau (ps. cyanalysios); son choroi (ps. chorœus), et son 
jaguilma ( ps. jaguïlma * ), à moins que ce dernier ne soit notre 
pstttacara; ce dont on doit raisonnablement douter. 

Plusieurs espèces de colombes, nommées turcasa, habitent 
les bois. L'une d'elles est figurée pl. XL de notre Atlas, sous 
le nom de columba araucana; elle est voisine de la colombe 
à queue annelée (columba caribæa, Lath.), rapportée de la 
Jamaïque et de Porto-Rico par Maugé, de la colombe à 
nuque écaillée ( c. portoricensis, Temm.), et de la colombe pi- 
cazuro de Vieillot ( picazu, D'Azara ), du Paraguay, quoiqu'elle 
s'éloigne de chacune d'elles, tout en possédant plusieurs de 
leurs caractères. 

Le vanneau armé de Cayenne (Buffon, Enl. 836), parra 
cayennensts, L., est assez commun sur les plages déclives de 
Penco; les ergots qu'il porte aux ailes sont roses, et n’ont 
point les fortes proportions que leur donne Frezier, car leur 
longueur est au plus de six lignes : cest le parra chilensis de 
Molina. 

L'huitrier noir ( Aœmatopus capensis ), si commun aux iles 


Malouines, se retrouve avec la même abondance sur les rivages 


5 
de la petite ile de Quiriquine : c'est le prpeliène de Frezier. Un 
ibis à cou rougetre, à dos vert ( ébs albicollis, Vieill. ), habite 


les rives du port Saint-Vincent. Les bords de la mer sont la 


! PsITTACUS JAGUILMA, macrourus, viridis, remigibus apice fuscis, orbitis 
Jfulvis. Molina, p. 322. 


ZOOLOGIE. 243 


demeure habituelle des chevaliers, des corlieux , des alouettes 
de mer, qui ne diffèrent point de nos espèces d'Europe et de 
la maubéche australe. 

Tous les voyageurs mentionnent des flammants au Chili : et 
au Pérou : ils les appellent famingos. Mais les oiseaux que 
nous avons vus, et qu'on nomme ainsi, sont des spatules aiaïa. 
Il se peut cependant qu'on y trouve des flammants *. 

Deux espèces de grèbes non décrites et qui sont très-com- 
munes dans la baie de la Concepcion, soffrirent fréquemment 
à nos recherches : l'une est le grèbe albicoile , et l'autre le grebe 
d'Amérique, dont on voit des individus dans les galeries du 
Muséum, rapportés du Brésil par M. Auguste de Saint-Hilaire. 
Le manchot des iles Malouines, aptenodytes demersa, fréquente, 


! Latham a adopté le phænicopterus chilensis de Molina, qui a pour diagnose 
cette phrase : Awber, remigibus albis. 

? Voici quelques renseignements assez intéressants, fournis sur ces //arringos par 
Dampier ( Nouv. voyage autour du monde, 3° édit, Amst., 1711, vol. in-10, 
tom. 1°, p. 78). 

« Les flamants, fflamningos, aiment à être en troupe, et cherchent leur vie dans 
« les baïes, dans les viviers, et autres lieux où il y a peu d’eau. Ils sont extrêmement 
« sauvages, et il est bien difficile de les tuer. Ils font leur nid dans les marais où il 
«y a beaucoup de boue, qu'ils amoncèlent avec leurs pates, et en font de petites 
«hauteurs qui ressemblent à de petites iles et qui paraissent hors de l’eau. Ils font 
« le fondement de ces éminences large, et le conduisent toujours en diminuant jusques 
«au sommet, où ils laissent un petit trou pour pondre. Quand ils pondent ou qu'ils 
« couvent, ils se, tiennent debout, non sur l’'éminence , mais tout auprès ; les jambes, 
«à terre et dans l’eau, se reposant contre leur monceau de terre, et couvrant leur 
«nid de leur queue. Ils ont les jambes fort longues; et comme ils font leurs nids à 
«terre, ils ne peuvent, sans endommager leurs œufs ou leurs petits, avoir les 
« jambes dans leur nid, ni s'asseoir dessus, ni s'appuyer tout le corps qu’à la faveur 
« de cet admirable instinct que la nature leur a donné. Ils ne pondent jamais que 
« deux œufs, et rarement moins. La chair des jeunes et des vieux est maigre et 
« noire, et néanmoins très-bonne à manger. Un plat de langues de flamingos est un 
« plat à servir à la table d’un prince. » 


31. 


4h VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

en janvier et février, les côtes de l'ile de Quiriquine. Parmi les 
oiseaux marins que nous avons observés pendant notre séjour, 
il nous reste à mentionner quelques palmipèdes dont le nombre 
est prodigieusement multiplié, et qui couvrent les eaux de la 
baie. Ce sont principalement les goëlands gris et à manteau 
noir, l'hirondelle de mer à tête noire, la mouette à nuque grise, 
la sterne fuligineuse, les noddis et les becs-en-ciseaux. Il nous 
arriva fréquemment, et nous pouvons affirmer ce fait, de voir 
des bandes épaisses de ces divers oiseaux obscurcir le ciel, et 
former de longues écharpes noires et mobiles, depuis les rives 
de Penco jusqu'à l'ile de Quiriquine, dans un espace de douze 
milles. 

Le noddi (sterna stolida ) est nommé par les indigènes ga- 
viota nœvia; et le bec-en-ciseau ou coupeur d'eau (rhyncops 
nigra) a recu d'eux le nom de pescator ou de pècheur. Ce dernier 
oiseau diffère très-peu de l'espèce décrite par Buffon, qu'on 
trouve dans les mers des Antilles. Il vole avec lenteur et à de 
grandes distances des côtes de la Concepcion. Quoiqu'il semble 
défavorisé par la forme de son bec, nous acquimes la preuve 
qu'il savait s’en servir avec avantage et avec la plus grande 
adresse. Les plages sablonneuses de Penco sont en effet rem- 
plies de mactres, coquille bivalve, que la marée descendante 
laisse presque à sec dans de petites mares. Le bec-en-ciseau, 
très au fait de ce phénomène, se place auprès de ces mol- 
lusques, attend que leurs valves s'entr'ouvrent légèrement, et 
profite ausitôt de ce mouvement en enfonçant la lame infé- 
rieure et tranchante de son bec entre les valves, qui se re- 
ferment aussitôt. L'oiseau enlève alors la coquille, la frappe 
sur le sable, coupe le ligament du mollusque, et peut ensuite 
l'avaler sans obstacle. Nous fûmes plusieurs fois témoins des 
résultats d’un instinct qui nous parut très-remarquable. 

Plusieurs espèces de fous vivent aussi sur le littoral du Chili. 


ZOOLOGTE. . 245 


Une entre autres, que nous croyons être le pelecanus sula, 1. 
(sula candida , Briss.), a la tête, le cou, le ventre et la queue 
en dessous d’un blanc pur. Le bec et la membrane nue des 
joues sont d'un gris de plomb. Le dos, les couvertures des ailes 
et le dessus de la queue sont maillés de gris et de blanc; les 
pennes alaires sont noires. Nous regardons comme un état 
adulte le fou nommé manche-de-velours, dont tout le corps est 
d'un blanc très-pur, tandis que les extrémités des ailes sont 
seules d’un beau noir. Ce n'est point le fou de Bassan que les 
navigateurs nomment aussi quelquefois manche-de-velours, et 
que toutes les relations de voyages chez les Portugais men- 
tionnent sous la dénomination de mnanga de velado. 

Le dernier palmipède que nous ayons à indiquer est un cor- 
moran entièrement d'un noir lustré, à teintes d'acier bruni, 
et dont l'iris est d’un vert d’aigue-marine éclatant. 

La baie de la Concepcion est assez poissonneuse, quoiqu'elle 
soit remplie de phoques, de dauphins et d'oiseaux maritimes, 
dont l'instinct vorace est constamment tendu vers les moyens 
de détruire les poissons. Cependant nous n'observames guère 
que deux ou trois espèces très-communes. L'une de ces espèces, 
nommée caranpayère, est un muge dont les flancs sont bordés 
de deux raies argentées; l’autre est le pesce-gallo ou poisson- 
coq, décrit dans les méthodes sous le nom de chimère antarc- 
tique ou callorynchus australis. Ce poisson remarquable, qui 
parait habiter tout autour du pôle méridional, est remplacé 
dans le Nord par la chimère arctique, qui vit seulement dans 
les mers de notre hémisphère et à la suite des poissons voya- 
geurs. Nous aurons aussi à mentionner ailleurs quelques pois- 
sons, deux espèces de couleuvres, plusieurs sauriens et batra- 
ciens. Pendant notre séjour, les insectes étaient rares. Nous 
n'observames guère que des araignées, des moustiques, une 
grande espèce de phasme nommée pulpo dans le pays, une 


246 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
scolopendre, et un scorpion, que M. Adelbert de Chamisso 
décrit, dans le Voyage de Kotzebuë, sous le nom de scorpio 
chitensis. Mais nous envisagerons plus particulièrement chacun 
de ces objets lorsque nous parlerons des crustacés, des mollus- 
ques et des zoophytes qui rendent cette relâche si intéressante 
pour la zoologie de notre voyage. 


K LV. 
CÔTES DE LIMA ET DE PAYTA, AU PÉROU. 


Ce que nous aurons à dire sur les environs de Callao et de 
Lima se bornera à un simple aperçu; car notre séjour sur cette 
rade de la riche capitale du Pérou n'a été que de cinq jours 
(du 26 février au 4 mars 1823). Mais Payta, que n'avait jamais 
visité aucun naturaliste, nous dédommagera de l'insuffisance 
de nos recherches sur le premier point par des faits géologiques 
très-remarquables, et que nous eumes davantage le loisir 
d'étudier ( du 10 mars 1823 au 22 du méme mois ). 

Callao, port de Lima, dont il n'est distant que de deux 
lieues, est situé par 12° 3 20” de latitude $.; et sa baie, rendez- 
vous général des navires de toutes les nations, qu'attire l'or 
du Pérou, est vaste, et en partie fermée à son entrée par une 
ile stérile et déserte, nommée Saint-Laurent. Son fond est tres- 
bon pour l’ancrage, et composé d'une vase molle, colorée en 
vert-olive très-foncé. De la rade, l'aspect du pays est d'une 
nudité repoussante; et la plaine immense qui s'étend de Callao 
Jjusqu'’au-delà de Lima, aux montagnes nues et pelées qui for- 
ment une ceinture à cette ville, ne présente qu'une verdure 


ZOOLOGIE. 247 
rare, comme brülée. Cette plaine est unie et peu élevée au- 
dessus du niveau de la mer. Son littoral, à une distance assez 
srande , est formé en entier par des tas de galets considérables, 
qui ont du y être portés par les submersions fréquentes que 
produisent les tremblements de terre, dont les habitants con- 
sérvent de cruels souvenirs. Ces galets sont parfaitement ar- 
rondis, et assez communément de nature granitique ou quart- 
zeuse; ils doivent sans doute leur naissance aux lests des navires 
mouillés sur la rade, ou peut-être aux éboulements des petits 
caps de Callao au Sud où de Bocanegro au Nord. 

De nombreux ruisseaux et des flaques d'eau sillonnent les 
alentours de Callao : une herbe épaisse y forme des tapis ver- 
doyants; mais toutefois de larges surfaces sont recouvertes 
d'efflorescences salines, et s'étendent jusqu'a plus d’un mille 
dans l’intérieur. Les eaux de la mer, en couvrant fréquemment 
le sol, l'ont imprégné de l'hydrochlorate de soude qu'elles 
contiennent. Quelques parties de cette plaine sont livrées à la 
culture , et les propriétés sont encloses de murs en terre très- 
solides , nommés tapias.- La nature de cette terre est une 
marne productive. Les montagnes de Lima sont complétement 
dénudées, si on en excepte quelques chétives plantes charnues, 
telles qu'un solanum et un cactus, les seules qui subsistassent 
à l'époque de notre séjour. Leur base est formée par des 
roches granitiques, leur sommet est schisteux, et le schiste 
est très-souvent chargé de particules ferrugineuses. Ces mon- 
tagnes présentent quelques traces d'un sol arénacé, dü entie- 
rement à l’effritement du granite. Au-delà de cette petite chaine 
qui entoure Lima, commencent les sterra du Pérou intérieur. 

L'ile Saint-Laurent, placée à l'entrée de la baie, est complé- 
tement nue, et est en entier formée par une roche de phtanite 
gris : son aspect est celui d'un ilot d'un rouge foncé ; chaque 
fragment de roche à sa surface se sépare par feuillets minces, 


248 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


et souvent, comme les pyrites, ces fragments tombent en dé- 
liquescence. Cette ile présente à son extrémité méridionale des 
crevasses, et des aiguilles affectant diverses formes. Les rochers 
qui s'élèvent au-dessus de la mer sur toutes les côtes du Pérou 
sont recouverts d'une couche très-épaisse de matière blanche, 
nommée guana, attribuée à la fiente des oiseaux maritimes, 
qui , depuis des.siècles, s'y reproduisent en paix; c'est l'engrais 
le plus usité dans tout le Pérou. 

Plus célèbre par ses mines que par ses productions agricul- 
turielles, le Pérou est loin de rivaliser sous ce rapport avec le 
Chili, riche en métaux précieux, mais riche surtout en sub- 
stances nourricières, bien que son sol soit très-mal cultivé. La 
majeure partie des approvisionnements de la province de Lima 
est fournie par les ports de Valparaiso, de Coquimbo et de la 
Concepcion ; et la plupart des cargaisons expédiées sur les na- 
vires français consistent en farines et en vin : tout ce qui est 
nécessaire à la vie y acquiert par conséquent une valeur hors 
de toute proportign. 

La température de Lima était très-chaude en février et mars, 
époque de notre reliche. Les vents régnants soufflaient du Sud, 
variaient au Sud-Sud-Ëst, au Sud-Est, et ne restaient que peu 
d'instants au Nord. Pendant le jour les calmes étaient fréquents, 
et ce n'était même que vers onze heures du matin, qu'une légere 
brise venait agiter l'atmosphère. Une brume constante et 
épaisse apparaissait vers cinq ou six heures de la matinée, et 
ne se dissipait que vers neuf ou dix heures. Le soleil alors 
prenait une grande force. Vers quatre heures du soir, la brume 
tombait de nouveau sous forme de pluie très-fine, et persistait 
ainsi jusqu'aux approches de la nuit. Ces brouillards périodiques 
et diurnes sont nommés garua : seuls ils entretiennent la vie 
végétative sous un ciel où il ne pleut jamais. Les nuits sont 
remarquables par leur douceur et leur sérénité. Dans le jour, 


ZOOLOGIE. 209 


vers deux heures, la chaleur était très-forte, et le thermomètre 
centigrade, au soleil, s'élevait jusqu'a 45 degrés : son maximum 
d'élévation, à l'ombre, paraissait fixé entre 24 et 25 degrés, 
et la température de l’eau dans la rade était, terme moyen, 
de 21 degrés. L'hygromètre indiqua toujours une saturation 
complète. Les grandes perturbations de la nature qui agitent 
le Pérou sont les tremblements de terre, qui se répètent pres- 
que chaque année, et qui souvent renversent de fond en comble 
des cités entières, et font franchir à la mer les obstacles qui 
en resserraient les limites naturelles. Callao, en 1747, fut ainsi 
abimé, et depuis cette époque ces phénomènes se sont souvent 
reproduits. Suivant dom Hypolite Unanue, les volcans qui sont 
la source de ces commotions souterraines appartiennent au 
second groupe des monts ignivomes du Pérou, à la chaine vol- 
canique de Æyaynaputina où Quinistacas, dans la Cordillière 
des Andes proprement dite. 

Les principales productions des environs de Lima sont les 
patates douces, les papas ou pommes de terre, les pastèques, 
les melons, les arachis, les pepinos. Aux arbres à fruits importés 
d'Europe, se joignent ceux des tropiques ; et près des pruniers, 
des jujubiers, des pèchers, des figuiers, des pommiers, des 
oliviers, de la vigne, viennent se placer les orangers, les citrons 
doux, les goyaves, les avocatiers, les passiflores édules, les 
ananas. Le dattier est naturalisé à Bella-Vista. Les bananiers, 
les cannes à sucre, les cocotiers sont plantés en plusieurs en- 
droits. Mais parmi les productions estimées dans le pays sont : 
la pulpe du mimosa inga, nommé pois doux ; la pulpe aigrelette 
du tamarinier, et le fruit très-gros et d'un rouge vif, nommé 
tuna , que porte une raquette ou figuier de Barbarie. La coca, 
qui fournit une substance très-employée comme un masticatoire 
agréable, est cultivée soigneusement, ainsi que le maïs, le blé 


et la salsepareille. 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I, 32 


250 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

L'aspect de la végétation de la côte est triste et ne permet 
point d'espérer des récoltes intéressantes ; et ce n’est sans doute 
qu'après avoir dépassé la ville de Lima, que se montre plus 
riche ou plus variée la Flore péruvienne. Aucun arbre, aucun 
arbrisseau vigoureux n'ombragent les alentours de Callao ; et 
les endroits humides de la plaine, en effet, présentent seule- 
ment cà et la des haies formées par un petit arbuste de la 
famille des synanthérées, à feuillage blanchâtre, et qui croit 
le pied dans l’eau. Les fossés ou les mares sont revétus de 
sagittaires, de samoles, de calcéolaires, et notamment d'une 
petite utriculaire à peine haute d’un pouce, et surtout de pistia 
stratiotes. Les lieux un peu secs nous ont offert plusieurs plantes 
qui s y sont probablement naturalisées, telles que la luzerne 
cultivée, la verveine officinale, le datura stramontium. Non loin 
de Belle-Vue commencent des espèces de petits taillis composés 
de broussailles : là croissent quelques végétaux plus intéressants, 
deux espèces de sensitives, des héliotropes, un cestrum, des 
solanum , et surtout une graminée, nommée carapallos dans le 
pays, dont les feuilles distiques, àpres et consistantes, sont 
disposées d'une manière flabelliforme. Les bords de plusieurs 
champs sont ornés d'ipomées à grandes cloches bleues, de ca- 
pucines, que les créoles nomment mortues, de ricins palma- 
christi. Les bords des eaux, frais et herbeux, sont garnis de 
balisiers, de passiflores à très-petites fleurs vertes, de fougères, 
d'une Nicotiane. Le floribundio ( datura arborea ) et le Plumiera 
à fleurs rouges sont les arbustes d'ornement que les Péruviens 
paraissent affectionner le plus. Les côtes méridionales sont 
garnies de prairies flottantes de macrocystes pyriferes; celles 
de Callao ne nous ont présenté que le macrocystis pomifera, 
remarquable par ses frondes entières, non dentées, et par ses 
formes gréles. Tel est l'aspect d’un pays visité chaque année 
par un grand nombre d'Européens, et où, malgré un court 


ZOOLOGTE. 251 
séjour et des excursions bornées, nous nous sommes cependant 
procuré plusieurs espèces nouvelles d'oiseaux. 

Parmi les rapaces, nous mentionnerons en première ligne 
deux cathartes, que les lois du pays défendent et protégent 
contre toute agression, et dont les habitudes sont devenues 
tellement familières, qu'on les voit n'éprouver nulle crainte, et 
comme des oiseaux de basse-cour au milieu des rues et sur les 
toits de chaque maison. Leur utilité est d'autant mieux ap- 
préciée sous une température constamment élevée et sous un 
ciel où vit la race espagnole, que ces oiseaux semblent 
seuls chargés de l'exercice de la police relativement aux pré- 
ceptes de l'hygiène publique, en purgeant les alentours des 
habitations des charognes et des immondices de toute sorte 
que l'incurie des habitants sème au milieu d'eux avec une in- 
différence apathique. On nous a dit qu'une amende assez forte 
était imposée à quiconque tuait un de ces oiseaux , et le public 
en entier témoigna un assez vif mécontentement une fois que, 
cherchant à nous procurer pour nos collections un de ces 
vautours, nous tirämes sur un groupe de plusieurs individus. 
L'aura ou catharte à tète rougeûtre, que nous avons vu exister 
en abondance dans toute l'Amérique méridionale, est beaucoup 
moins commun à Lima que l'urubu ( vultur atratus, Wils., 
vol. IX, p. 75? ) ou catharte à la téte noire. L'urubu laisse exha- 
ler une odeur repoussante et nauséabonde, qui, même à une 
certaine distance, est encore très-forte, et qui atteste jusqu'à 
quel point ses goûts sont dépravés. 

La chevèche grise, qui se creuse des terriers et qui à pour 
habitude de se percher sur les mottes de terre, ést très-com- 
mune dans les champs. 

Les passereaux sont assez nombreux en espèces, et la plupart 
ont une livrée agréablement nuancée. Ainsi nous observames 


plusieurs moucherolles et gobe-mouches, et entre autres le 
32. 


252 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


rubin (muscicapa coronata, Gm.), et le tangara oriflamme; 
un chardonneret noïr et jaune, très-voisin du /ringilla xan- 
thorea de M. Charles Bonaparte ; le moineau olivarez, un loxie 
à plumage rouge, un troglodyte, etc. Proche Lima, dans des 
clarières, vit le petit bouvreuil, que nous avons nommé pyr- 


rhula Telasco; et dans les grands arbres du passeo, est assez 


e) 
commun l'ani inédit, que nous décrirons sous le nom d’ani 
de Las Casas ( crotophaga Casasi). Un fournier brun, flammé 
de fauve, habite l'ile dénudée de Saint-Laurent. Mais une des 
découvertes les plus intéressantes de notre très-court séjour 
sur la côte de Lima , alors agitée par les discordes civiles, 
est celle de plusieurs espèces d’oiseaux-mouches ; elle nous 
fait regretter vivement d'avoir été dans l'impossibilité de con- 
sacrer un temps plus long à des recherches toutes pacifiques, 
et qui auraient indubitablement augmenté le catalogue des 
êtres connus. Trois espèces d'oiseaux-mouches proprement 
dits voltigeaient alors, pendant les heures les plus chaudes 
du jour, sur les petits buissons de l’arbrisseau syngénèse, 
dont nous avons parlé. L'espèce la plus rare est celle que nous 
avons figurée pl. XXXI, fig. 4, sous le nom d'orthorynchus 
Cora, nom qui rappelle à notre esprit une touchante prétresse 
du Soleil : le corps et la tête sont d'un vert-doré brillant; la 
gorge a l'éclat de l'acier bruni avec des teintes de cuivre de 
rosette, et deux longues rectrices blanches , terminées de noir, 
dépassent de beaucoup la queue. La deuxième est l'oiseau- 
mouche Amazili, moins orné sans doute, puisque la moitié 
supérieure du corps est d'un vert-doré uniforme, et que la 
partie inférieure est d’un marron sans éclat métallique. La 
troisième espèce, très-petite, est d'un grisätre sale. 

Deux hirondelles, l'une à tête et à ventre d'un rouge ocracé 
et à plumage bleu-noir, l’autre à ventre blanc, sont les seuls 
fissirostres que nous ayons vus. Le martin-pécheur, dont Com- 


ZOOLOGIE. 253 


merson a laissé un dessin dans ses manuscrits, sous le nom de 
camaronero, a les mœurs de celui d'Europe, et fréquente les 
rives du Rimac et des eaux vives qui s'y rendent : ses couleurs 
en dessus sont d'un vert métallique, et le déssous du corps est 
blanc ; le bec et les pieds sont noirs. L'étourneau blanche-raie 
des terres Magellaniques, que nous avons vu exister aux îles 
Malouines et au Chili, se retrouve au Pérou : ses couleurs y 
sont encore beaucoup moins vives que dans les deux localités 
précédentes. 

Plusieurs colombes peuplent Les environs de Lima. Une sur- 
tout , à peine de la taille d’un moineau , à plumage d'un fauve- 
gui- 
nolentes sur les ailes, aime à courir sur la poussière, dont elle 


clair, présentant des tach®s d'un rouge-noir et comme san 


a la couleur et qui la dérobe à la vue; Commerson l'a dessinée 
sous le nom de tortolita : ce sont les colombi-gallines pygmée 
et cocotzin. 

Les échassiers ont quelques espèces analogues à celles d'Eu- 
rope : telles sont les chevalier, pélidne, et corlieu, etc. Ce 
dernier a la teinte de son plumage beaucoup moins foncée que 
le corlieu de France. Les chevaliers sont ceux aux pieds jaunes 
et aux pieds courts. Mais un oiseau de rivage plus spécialement 
propre à ces côtes est la maubèche australe. 

Les palmipèdes, comme on doit le penser, sont les oiseaux 
qui s'offrent le plus communément aux regards du navigateur: ce 
sont ceux au milieu desquels il vit, sans néanmoins pouvoir les 
étudier à son aise; car la rapidité de leur vol et leurs habitudes 
au milieu des mers leur accordent une protection puissante et 
efficace. Les côtes de Lima nous ont toutefois donné quelques 
espèces nouvelles ; et dans une course sur l'ile de Saint-Laurent, 
nous y avons tué la belle sterne, que nous avons décrite sous 
le nom de sterna inca, et un cormoran inédit, que nous avons 
dédié à notre ami et collègue Gaimard , dont l'esprit aventu- 


254 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

reux est tourmenté de la soif des voyages lointains. L'ilot de 
Saint-Laurent et ses falaises abruptes et désertes sont le séjour 
habituel de légions d'oiseaux de mer, parmi lesquelles, sans 
contredit, il nous reste plusieurs espèces à connaitre. Il nous 
suffira de citer quelques palmipèdes communs, tels que la 
mouette à tête cendrée, les sternes tschegrava et katelkaka, 
le fou blanc, le cormoran nigaud, le pélican brun, et le man- 
chot à lunettes ( aptenodytes demersa ), qui fréquente la rade; 
et n'est-il pas remarquable de voir ainsi un oiseau des latitudes 
les plus élevées et les plus froides du Sud s'avancer sous les 
latitudes les plus chaudes de l'équateur ? 

Il nous reste à mentionner un oiseau sur lequel les auteurs 
sont loin d'être d'accord. Nous voulons parler du procellaria 
urinatrix de Latham, dont feu de Lacépède a fait le type de 
son genre pélécanoïde, et qu'Illiger a adopté sous le nom 
d'haladroma. Mais les caractères de ce genre sont, suivant nous, 
itrès-mal définis, et ce mot de pélécanoïde, par exemple, ne 
nous parait pas heureux. Quant au petit sac membraneux et 
dilatable qu'on dit pendre sous la gorge du procellaria uri- 
natrix, malgré nos recherches sur un individu frais, nous n'en 
avons pas vu la moindre apparence, de sorte que nous avons 
cru devoir lui imposer le nom générique de puffinure, en pré- 
cisant très-rigoureusement les caractères du genre; et nous 
avons dédié l'unique espèce qui le compose à notre collègue 
Garnot, qui contracta sur la côte même du Pérou et au milieu 
des préparations nombreuses que nécessitaient nos chasses jour- 
nalières, la fatale dyssenterie qui, après avoir mis ses jours en 
danger, le forca de débarquer au port Jackson. Le puffinure 
de Garnot (puffinuria Garnotit) habite par grandes troupes 
assez loin des côtes, et nous le rencontrâmes à une dizaine de 
lieues en mer : un canot qu'on lança du navire par un temps 
de calme ne nous en procura qu'un seul individu. Il vole mé- 


ZOOLOGIE. 255 
diocrement bien, d'une manière précipitée et en rasant la mer; 
mais il préfère se tenir en repos sur sa surface, et plonge très- 
fréquemment à la manière des grèbes, sans doute pour atteindre 
les petits poissons qui forment sa proie. 

À ce rapide apercu des productions animées de la côte de 
Lima, nous ajouterons quelques sauriens ; deux espèces de ser- 
pents, très-venimeux, dit-on, qui furent donnés au chef de 
notre expédition , et qu'il eüt été intéressant de faire connaitre ; 
quelques insectes rares ou brillants, entre autres le melolontha 
chrysochlora, divers mollusques. Les eaux douces de tous les 
fossés environnant Callao nourrissent une petite planorbe, qui 
ne diffère en rien de l'espèce de France; tandis que sur les 
côtes existent le concholepas, la crépidule et l'oscabrion péru- 
viens, que Dombey le premier fit connaitre, un pecten rouge 
très-grand , un oursin, etc. Enfin cette partie de l'Océan Paci- 
fique qui baigne la côte de l'Amérique du Sud mérite véritable- 
ment son nom de Pacifique; car sa surface, seulement ondulée 
par des vagues sourdes et profondes, est le plus ordinairement 
calme et unie : aussi y voit-on se développer de brillants z00- 
phytes mous et fragiles, qui le disputent aux fleurs par la vi- 
vacité de leurs couleurs. Mais un phénomène qui parait se 
reproduire avec assez de fréquence sur les côtes du Pérou, 
est celui de la coloration de la mer en rouge vif et par sur- 
faces réduites à des limites plus ou moins restreintes. Nous 
en fumes dupes une fois, en mettant en panne et en sondant 
sur ce que nous primes pour un haut-fond, et qui était tout 
simplement le résultat d'une prodigieuse quantité d'animal- 
cules qui teignaient la mer en rouge-foncé. Pour nous assurer 
de leur nature, nous primes de l’eau dans l'endroit où la mer 
affectait une teinte rouge de sang, et cette eau, renfermée 
dans un verre, conserva sa couleur blanche naturelle. En 
examinant avec une forte loupe quelques gouttes de cette eau 


256 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


jetée sur du papier, nous y reconnümes des milliers de petits 
points rouges qui, imitant des crevettes d'une ténuité extrême, 
s'y agitaient avec une grande vitesse. Cette eau, filtrée, laissa 
déposés sur le papier joseph environ deux centigrammes d’une 
matière rouge, muqueuse, qui forma en se desséchant sur le 
filtre une pellicule qui passa à la couleur verte. Étaient-ce des 
œufs ? le mouvement de très-vive locomotion ne permet pas de 
le supposer : étaient-ce des zoophytes ténus, ou plutôt des 
crustacés microscopiques ? c'est ce que nous sommes portés à 
supposer. La rade de Callao est souvent rougie par des amas 
de crustacés longs d'un pouce, et ce fait a été fréquemment 
indiqué par les anciens navigateurs, et surtout d’une manière 
précise dans ce passage de la relation des officiers du Wager 
de l’escadre de l'amiral Anson ( ’oy. à la mer du Sud, in-4°; 
Lyon, 1756, p. 9) : « Ce que nous trouvames de plus remar- 
«quable au port Saint-Julien, ce fut une quantité prodigieuse 
«de petites chevrettes rouges comme des écrevisses, et qui 
«rendaient l'eau de la mer couleur de sang. » 

Payta, dont les environs ont un caractère d'étrangeté si pro- 
noncé et si opposé à tout ce que nous connaissons des diverses 
régions de l'Amérique du Sud, est une bourgade misérable 
placée à l'extrémité boréale du Pérou, par 5 degrés 6 4” de 
latitude Sud et par 83 degrés 32 28” de longitude occidentale. 
Ce point de la côte n'a qu'une faible importance militaire, et 
serait inconnu sans les ravages qu'y porta en 1741 l'amiral 
Anson, et que Jean-Jacques Rousseau a rappelés dans son 
roman le plus célèbre. C'est toutefois de Payta que Mendaña 
et Ferdinand de Quiros partirent en 1595 pour leur second 
voyage de découvertes dans la mer du Sud. La baie de Payta 
ne mérite point le nom de havre ou de port. Cest une sorte 
de petit golfe, nullement abrité au large depuis le N.-N.-O. jus- 
qu'au N.-N.-E. Mais les vents régnants soufflant du Sud et tou- 


ZOOLOGIE. 257 


jours modérément, il en résulte un mouillage sûr, dont le fond 
est composé d’une vase olive tenace : quelques navires baleiniers 
ou contrebandiers sont les seuls qui viennent ancrer sur un 
point où on ne trouve aucune ressource. La bourgade de Payta, 
composée en grande partie de cabanes en terre, occupe un 
profond ravin sur le bord de la mer dans le S.-S.-O. de la baie : 
elle est dominée de toute part par un immense plateau régulier, 
qui s'affaisse un peu, dans sa partie Nord, vers le village de 
Colan. 
L'aspect du terrain est affreux; c'est tout-à-fait celui des 
sables arides des côtes d'Afrique : encore des palmiers au moins 
s'élèvent pour y former quelques bouquets de verdure; tandis 
qu'aux alentours de Payta l'œil ne découvre qu'une vaste plaine 
brülée, où apparaissent rarement sur les sables quelques herbes 
desséchées, ou, vers Colan seulement, quelques mimeuses tor- 
dues et rabougries. A l'horizon, au Sud, se dessine une chaine 
de petites montagnes, complètement nues, et au pied de la- 
quelle on se dirige pour se frayer une route jusqu'à Piura, ville 
distante de Payta de quatorze lieues, dont l'intervalle est en 
entier occupé par les sables dont nous aurons à parler par la 
suite. Payta enfin n'a ni végétaux ni eau douce, et c'est prin- 
cipalement de Colan, peuplé de descendants des anciens Pé- 
ruviens, qu'ils retirent ces deux objets de première nécessité. 
Ce village de Colan ne se compose que de cabanes bâties en 
terre ou en bambous, à environ deux lieues de Payta au Nord, 
et non loin de la mer. Une petite rivière ,.le Rio del Chira, qui 
prend sa source dans les montagnes de Guanguabanba, va se 
perdre dans des marécages qui rendent cet endroit malsain; 
car les Indiens eux-mêmes sont fréquemment atteints par les 
fièvres pernicieuses que leurs effluves font éclore. L'eau de la 
rivière de Colan est donc la seule qui serve à une grande 


distance pour la boisson des Péruviens : elle est renfermée dans 
Voyage de la Coquille. —7. Tome I. 33 


258 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
de grandes calebasses, et portée sur de petits ânes à Payta et 
aux alentours. Mais cette eau contient beaucoup de sels ter- 
reux en dissolution, et elle ne contribue pas peu à l'insalubrité 
qui règne sur ce point de la côte, bien que beaucoup d'habi- 
tants se servent, pour la filtrer, de vases poreux, d’un grès qui 
se laisse traverser aisément. On nous assura que le lit, peu pro- 
fond et étroit à l'embouchure de cette petite rivière, était habité 
par des caïimans, dont l'espèce est probablement différente de 
celle qu'on connait dans les rivières de la Guyane et du Brésil. 
La température de la baie de Payta pendant notre séjour 
( du 10 au 22 mars 1823) fut constamment chaude. Les vents 
régnants débutaient dans la matinée par des calmes, ou quel- 
quefois par de légères brises inégales de la partie du S.-S.-E. ou 
de l'E-S.-E. Vers midi, le vent prenait de la consistance, et 
rafraichissait alors l'atmosphère embrasée. Pour l'ordinaire, 
chaque soir vers six heures, l'air cessait d'être agité, et le calme 
le plus parfait accompagnait la disparition du soleil. La mer 
sur la rade était unie, à peine la moindre ride en ondulait la 
surface, et un seul jour (le 14) elle devint clapoteuse : très- 
souvent, le phénomène qui s'était présenté devant Callao de 
ses eaux teintes en rouge S'offrit à notre vue, et pendant la nuit 
elle scintillait par la phosphorescence la plus vive. Le ciel était 
remarquable par sa sérénité, quoique sa voûte d'azur, émaillée 
d'étoiles, füt toutes les nuits obscurcie par des nuages gris et 
détachés, qui s'opposaient aux observations astronomiques. La 
pluie tombe rarement sur la côte; mais lorsqu'il y pleut, ce 
sont des averses subites et abondantes, qui sillonnent le terrain 
par de profondes ravines. Les tremblements de terre se repro- 
duisent avec une constance qui atteste dans tout le Pérou le 
nombre des crevasses souterraines où leur cause productrice 
s'agite et fait effort. Nos observations physiques furent assez 
uniformément fixées à 28 pouces pour le baromètre, de 26 à 


ZOOLOGIE. 259 


28 degrés centigrades pour le thermomètre à midi : la cha- 
leur répandue dans l'atmosphère le maintenait encore à 23-25 
à minuit; tandis qu'exposé au soleil, à trois heures du soir, le 
mercure atteignait 48 degrés centigrades. La température 
de l'eau de la rade fut assez uniformément de 20 à 23 degrés 
à midi, et de 18 à 21 degrés à minuit. Tel est l'ensemble de la 
climature d'un pays que nous devons étudier maintenant sous 
le rapport de l’histoire naturelle. 

Toute la côte, depuis Payta jusqu'à Colan, ne se compose 
que d'une falaise abruptement coupée du côté de la mer, et 
dont le sommet forme un long plateau régulier, élevé de 37 à 
4o toises à peu près, et qui s'abaisse seulement aux marécages 
dans lesquels se perd le Rio de Colan. Cette falaise littorale est 
ainsi la bordure naturelle d’une vaste plaine parfaitement unie, 
entièrement composée de sables marins stériles, qui s'étendent 
dans l'intérieur jusqu'à la ville de Pyura, distante de quatorze 
lieues de Payta, et jusqu'à la Sélla, petite chaine de montagnes 
schisteuses, situées à cinq ou six lieues seulement de ce dernier 
bourg et dans sa partié méridionale. Cette plaine ne se com- 
pose que de sables et de détritus de coquilles : nulles traces de 
sentiers ne demeurent long-temps sur un sol arénacé que les 
vents bouleversent fréquemment; nulles plantes n'y croissent 
pour le fixer par leurs racines, ou pour en détruire par leur 
feuillage l'aspect desséché et triste. Quelques éboulements ou 
des enfoncements du sol offrent seuls cà et là quelques arbustes 
brülés et rachitiques, croissant au pied des petites dunes qui 
les abritent. 

La base de tout le terrain est de formation primordiale et 
se compose de roches talqueuses phylladiformes. Ces roches se 
trouvent former en entier les côtes et les rivages du Sud-Ouest 
de Payta, ainsi que les montagnes de la Silla. Mais le plateau, 


au Sud de Payta, sur lequel on avait placé un fort, et qui est 
33. 


260 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

élevé d'environ 35 toises au-dessus de l'Océan, et entièrement de 
cette nature de roche, s'affaisse au Nord de ce bourg; car ce 
terrain de phyllade ne se trouve plus dans cette partie qu’au 
niveau des eaux de la mer, et supporte entièrement le vaste 
lambeau de sol tertiaire dont nous aurons à parler par la suite. 
Cette roche talqueuse phylladiforme est la réunion de feuillets 
dirigés de l'Est à l'Ouest, assez minces, d'un bleu-noirtre, 
friables à leur surface supérieure , durs et consistants dans leur 
portion la plus inférieure, et sillonnés dans le sens vertical par 
des veines inégales de quartz amorphe. La surface de ce terrain 
est extérieurement composée d'un schiste argileux, d'autant 
plus terreux et plus friable , qu'il est plus supérieur. 

Entre la formation primordiale et le terrain tertiaire existe 
une large crevasse ravinée : c'est là qu'est bâtie la bourgade 
de Payta. Les collines schisteuses sont au Sud, le terrain ter- 
tiaire commence aussitôt au Nord, et repose sur les roches 
primitives affaissées. C’est ce terrain de récente formation qu'il 
est surtout intéressant de faire connaitre, et dont la decouverte 
est aussi curieuse qu'importante, ainsi que l'a dit, avec bien- 
veillance, dans son rapport à l'Institut, le savant professeur 
Cordier. Mais ce qu'il y a de plus remarquable est l’analogie 
la plus grande que présentent plusieurs espèces de calcaires 
grossiers de Payta avec ceux des environs de Paris. 

Le lambeau de sol tertiaire se compose de couches ou bancs 
alternatifs, dont voici l’'énumération, en commencant par la 
formation de phyllade qui le supporte. 


1° Roches talqueuses phylladiformes, terrain primordial. 
2° Argiles plastiques. 
— Sable argileux, schisteux , traversé par des veines entrecroisées de gypse 
fibreux. 


— Grès quartzeux, ferrugineux. 


ZOOLOGIE. 261 


— Sable argileux, schisteux ou compacte, avec des rognons et des pyrites 
martiales, des géodes quartzeuses. 
— Argile sablonneuse, grise, feuilletée ou parfois compacte. 
3° Calcaire grossier. 
— Couche mince de débris de coquilles tassés et réduits en petits fragments, 
de consistance friable et de couleur très-blanche. 
— Couche calcaire, mince et sablonneuse, avec coquilles solidifiées, et de 


couleur jaune. 

— Couche épaisse d'environ un pied de carbonate de chaux mêlé de sables et 
renfermant encore des coquilles brisées, mais non décomposées. 

— Calcaire disposé par lits et renfermant un grand nombre de moules de 
coquilles; chaque lit étant séparé par des couches très-minces d’un calcaire 
sablonneux, friable, ou dont les molécules sont unies par un ciment très-peu 


tenace. 


De cette énumération pure et simple, on doit tirer cette 
conséquence géologique intéressante, que ce territoire dont 
nous avons assigné les limites dans les dépendances de Payta 
n'est sorti du sein des eaux que récemment. Ce sol tertiaire 
parait exister par lambeaux sur toutes les côtes du Pérou et du 
Chili. Les bancs épais de débris fossiles dont il est composé 
seraient des dépôts successifs précipités par la mer avec calme 
par lits réguliers et dans un temps assez court. Mais ces débris, 
presque. exclusivement formés de coquilles marines, ne mé- 
ritent pas le nom de fossiles proprement dits, puisque ce ne 
sont que des infiltrations calcaires dans des coquilles qui ont 
servi de moule, et dont les tests décomposés ou altérés ne 
subsistent plus. Quelques-uns de ces types intérieurs sont tou- 
tefois enveloppés d'un réseau calcaire, seule trace qui atteste 
la désorganisation graduelle de la coquille. Ces moules sont 
tellement multipliés, qu'ils composent presque en entier le 
calcaire de Payta : ils se rapportent tous à des coquilles encore 
vivantes sur les rivages, et qui sont des peignes, des vis, des 
vénus; ce qui rend remarquables les divers dépôts par assises 


262 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


de ces mollusques, est la régularité avec laquelle chaque espèce 
semble, dans les couches les plus inférieures, composer uni- 
quement chacune d'elles. Mais à mesure qu'on s'élève, cette 
disposition uniforme disparait pour faire place à un tassement 
irrégulier de plusieurs espèces très-différentes, et c'est dans 
ces couches superficielles que se montrent les corbules, les 
arches, les huitres, les murex, et, tout-à-fait à la surface du 
sol, les balanes et quelques fragments d’ossements triturés. 
La hauteur moyenne de ces diverses assises, du sol primitif à 
la surface arénacée, est d'environ 150 pieds. Le calcaire gros- 
sier forme une écharpe dont les diverses couches peuvent avoir 
environ 22 pieds, et sont tout-à-fait supérieures. 

La mer a naguère recouvert le sol de Payta, et l'époque ne 
peut en être très-reculée. Bien qu'on ne puisse émettre sur ce 
sujet que des suppositions, on doit remarquer cependant que 
par toute la terre le dernier niveau des eaux parait avoir été 
fixé environ à 200 pieds. Les côtes de grès de la Nouvelle- 
Galles du Sud dans l'Australie; les calcaires madréporiques 
qui flanquent les terrains primitifs ou volcaniques des iles de 
l'Océanie et de la Polynésie; les attérissements de la Méditer- 
ranée dans le golfe de Nice, suivant M. Risso ‘; les observations 
de M. Brongniart dans le Nord de l'Europe : tous ces faits ne 
semblent-ils pas témoigner qu'à cette élévation fut long-temps 
maintenu le dernier niveau de l’eau? Que deviendrait alors 
l'opinion qui adopte des cataclysmes partiels ? 

Sur des sables que les rayons d'un soleil ardent atteignent 
sans être affaiblis, que les pluies n’humectent presque jamais, 
il ne doit rien croître. Ces deux principes de vie végétale, l’eau 


‘ Histoire naturelle des principales productions de l’Europe méridionale, et 
plus particulièrement de Nice et des Alpes maritimes, par Risso; 5 vol. in-8°, 
1826, tom. I, p. 146. 


ZOOLOGIE. 263 


et la chaleur, n'agissent que simultanément. La chaleur sans 
eau dessèche les germes, l’eau sans chaleur les énerve et arrète 
leur développement. Cet état de choses est celui qu'on observe 
à Payta. Les sables qui environnent cette bourgade sont brü- 
lants comme ceux du Sénégal et du Sahara. Nulle rosée bien- 
faisante, analogue au garua des côtes de Lima, ne rafraichit 
leur surface; et les brumes épaisses qui s'élèvent de la mer et 
qui sont vaporisées , passent au-dessus sans s’y arrêter, et ne 
sont précipitées en pluie que sur les forêts des Andes. L'atmo- 
sphère de Payta est trop raréfiée pour permettre à l'humidité, 
maintenue dans ses couches supérieures, de se faire ressentir 
aux couches les plus inférieures, et par suite pour aider la vé- 
gétation à s'établir et à se propager. On nous a dit toutefois 
ces 


Do 
inférieurs, chargés d’eau et venant du large, procuraient des 


que, pendant l'hivernage de quelques années rares , les nua 


pluies abondantes, mais de peu de durée, et que, pendant ce 
court espace de temps, la surface du pays se couvrait, comme 
par enchantement , de graminées et de plantes charnues. Mais 
à peine ces pluies ont-elles cessé, que ces pelouses, magiques 
et nées de la veille, disparaissent pour ne plus renaître , ou du 
moins pour ne plus reparaitre que lorsque les mêmes circon- 
stances viennent à se reproduire. 

Dans nos herborisations réitérées, nous ne rencontrâmes 
jamais qu'un très-petit nombre de plantes; M. d'Urville n'en 
a recueilh au plus qu'une vingtaine d'espèces : encore la 
plupart de celles-ci proviennent-elles des bords cultivés du Rio 
de Chira. Un mimosa que les Péruviens nomment argoroba 
est assez commun dans les sables, où il n’atteint guère plus de 
trois à quatre pieds. Un autre arbuste, très-utile aux gens du 
peuple par la belle et solide teinture noire que ses gousses leur 
fournissent, est le mimosa chiaran, qui croit dans les mon- 
tagnes. Un autre mimosa, que les femmes aiment passionné- 


264 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

ment, à cause de la douce odeur de ses fleurs réunies en tête, 
et qu'elles nomment aroma de Castilla, est l'acacie de Farnèse, 
et a été indubitablement importé d'Espagne. Dans les éboule- 
ments des dunes littorales, se plait un petit arbrisseau à feuilles 
très-longues et d'un vert foncé, qui est peut-être le capparis 
lénearis, et qu'on nomme sapota dans le pays. Dans les sables 
des bords de la mer, végètent une sorte de salicorne, appelée 
nacoupilla, une linaire à fleurs rouges, et une tetragona, 
nommée vulgairement lxra. Sans doute que l'akaco ou ocy- 
mum odorant de nos jardins, que nous rencontrâmes souvent 
auprès des cabanes de Colan, y a été naturalisé. Il en est de 
même d'un bon nombre de plantes et d'arbres à fruits, que les 
habitants cultivent dans les environs de ce village, et qui con- 
stituent des bosquets d'un verdure épaisse, et d'autant plus 
agréable, qu'elle forme un contraste plus frappant avec l'air 
nu et triste de tout ce qui les entoure. 

Par le tableau que nous avons tracé de la végétation des 
environs de Payta, il sera facile de concevoir que les animaux 
dont les végétaux assurent l'existence n'y sont pas nombreux. 
Les oiseaux terrestres en effet, et notamment les granivores , 
manquent complètement, à l'exception d'un seul, qui parait 
être un motteux. Cet oiseau , qui est peu commun, se tient sur 
les sables les plus secs et les plus arides, et son plumage, de 
couleur jaune terreuse, l'y dérobe aisément à la vue. Les prin- 
cipales espèces que nous observames appartiennent à l'ordre 
des palmipèdes ou des échassiers, qui s'ébattent par nombreuses 
tribus sur des côtes où pullulent les mollusques, ou aux acci- 
pitres, qui vivent de chairs animales, près des demeures des ha- 
bitants. Ainsi nous aurons encore à mentionner les deux cathar- 
tes aura et urubu, qui semblent régner sur toute l'Amérique. 
Le dernier, de la taille d'un petit dindon, nous présenta quel- 
ques particularités locales dans son genre de vie. Privé des 


ZOOLOGIE. 265 
charognes, dont il fait ses délices ailleurs, son gout dépravé se 
rabat sur les matières que vomissent les flots sur les rivages; et 
là, fouillant les tas de fucus roulés et les débris de toute sorte, 
il trouve des aplysies, des poulpes, qu'il ne dédaigne nullement. 
Jouissant, comme à Lima, du privilége de ne jamais être in- 
quiété, 1l se perche sur les toits des maisons et se dérange à 
peine dans les rues pour laisser passer les habitants. L’urubu, 
malgré la grossièreté de ses penchants voraces, aime à se réunir 
aux oiseaux de son espèce. On en voit des troupes séjourner 
sur les petits bateaux de cabotage mouillés sur la rade et dont 
les matelots sont à terre, sy promener gravement et sans in- 
terruption à la manière des marins qui font le quart. Nous en- 
trevimes, sur les hautes collines qui bordent la mer, un petit 
épervier, une chouette, et surtout un oiseau de proie de forte 
taille, et dont la tête était recouverte d'une large huppe, que 
nous primes pour l'aigle destructeur de Daudin , type du genre 
harpie des naturalistes actuels. 

La rade est couverte de cormorans entièrement noirs, de la 
mème espèce que ceux du Chili et de Lima, et qu'on retrouve 
aussi sur toute la côte occidentale de l'Amérique. Nous avons 
déja dit combien était grande leur stupidité, ou plutôt leur 
confiance envers l'homme; car les voyageurs qu'on expédie pour 
accroitre le domaine de la philosophie, rapportant tout à leurs 
préjugés, ont nommé stupidité ce que d’autres nommeraient 
confiance et bon naturel. 

Après les cormorans, les oiseaux les plus nombreux sont 
sans contredit les pélicans, qui ne différent point du pelecanus 
Jfuscus de Gmelin, des îles Antilles. Les marins les nomment 
grands gosters, et les créoles espagnols alcataraz. Ces oiseaux se 
réunissent par tribus d’une vingtaine d'individus, et séjournent 
sur la surface de la mer pendant des heures entières sans se 


déplacer. Mais il ne faut pas croire qu'ils y restent dans une 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I, 34 


266 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


molle indolence. Bien au contraire, leur activité pour remplir 
leur poche sous-rostrale de poissons est des plus vives, et la 
quantité qu'ils en prennent est considérable. Ces pélicans vont 
jusqu'à dix et quinze lieues au large des côtes, et se rencon- 
trent communément depuis Lima jusqu'à Payta. Leur plumage 
est d'un gris-brun assez foncé dessus comme dessous le corps. 
Le cou en devant est grisätre, et bordé sur les côtés de deux 
lignes blanches, qui partent de dessous les yeux. Les plumes de 
_ l'occiput sont noires, ainsi que celles du derrière du cou jus- 
qu'aux épaules; ce qui forme une calotte brune terminée par 
un prolongement de même couleur. La portion membraneuse 
du gosier est jaunâtre , et le bec est couleur de plomb. 

Le fou gris; le noddi; deux sternes ‘ ou hirondelles de mer , 
l’une à tête, bec et pieds noirs, nommée zoz/nco dans le pays, 
et l'autre rayador ; la mouette à tête cendrée, sont les palmi- 
pèdes les plus communs. La frégate fréquente beaucoup les côtes 
_ dans un rayon d'une vingtaine de lieues. Elle est remarquable 

au haut du ciel, où elle plane avec aisance , par la blancheur des 
plumes de l'abdomen, qui relève la couleur noir-foncée de 
toutes les autres parties du corps. À ces diverses espèces vul- 
gaires nous ajouterons quelques échassiers tels qu'une barge, 
un corlieu nominé perdix , une maubèche, et surtout un œdie- 
nème, que nous ne pumes nous procurer, et que les Péruviens 


? On remarquera que, dans les Dictionnaires relatifs à l’histoire naturelle, la 
plupart des ornithologistes ont fait le mot sterne masculin. Le nom latin séterra ne 
doit-il pas porter les Français à le rendre féminin? Quel contre-sens d’ailleurs de 
dire une hirondelle de mer ou un sterne, en parlant du même oiseau? On objectera 
à cela que le nom vulgaire terr, usité dans les langues du Nord, et donné aux 
oiseaux de mer, est masculin : pourquoi alors n’en avoir pas latinisé le nom au 
masculin par le mot de sternus ? M. Vieillot nous paraît être le premier propagateur 
de cette manière de voir, qui rend le nom de sterne dur et mal sonore, de doux et 
de facile à prononcer qu'il est en le mettant au féminin. 


ZOOLOGTIE. 267 
désignent sous le nom de quaréquec. Cet oiseau, de la taille d’un 
pluvier doré, avait le corps gris; deux cercles de plumes noires, 
contournant le dessus des yeux, se réunissaient sur l'occiput ; 
la couleur des pieds était verdätre. Nous tuàmes plusieurs tan- 
tale (tantalus loculator , L. ) à plumage blanc, à ailes et queues 
noires et à peau nue et écailleuse autour du cou. 

Les Espagnols de Payta appellent famingos la belle spatule 
rose { platalea aiaia). Nous observames des bandes nombreuses 
de cet oiseau agitant leurs ailes couleur de feu sur les petits lacs 
d'eau salée situés entre Payta et Colan ; et dans ce lieu solitaire, 
sur quelque roche à fleur d’eau, s'offrit à notre vue une aigrette 
à plumage d’une blancheur éblouissante , que les habitants nom- 
ment garca, et dont les formes grèles et gracieuses rappellent 
parfaitement celles de l'ardea alba, quoiïqu'on dise que cette es- 
pèce d'Europe ne se trouve point en Amérique. 

La baie de Payta n'est pas très-poissonneuse ; et quoique ses 
longues plages déclives soient très-propres pour senner, nous 
ne réussimes à prendre qu'une très-petite espèce de poisson, 
dont on aurait pu charger nos embarcations, mais qui est fort 
mauvaise. La rhinobate thouin, des pastenagues, des tetraodons, 
que les habitants nomment pepons, et la fistulaire petimbe 
(fistularia tabacaria, Bloch ), nommée anfa dans le pays, sont 
les objets les plus ordinaires que nous procura la pêche. 

Les rivages sont jonchés de débris de coquillages, que les 
flots accumulent sur les grèves ; ce qui atteste la fécondité 
de ces mers en ce genre. La plupart des testacés vivants sont 
identiques avec ceux dont on retrouve les dépouilles fossiles, 
du moins autant quil est permis d'en juger par les caractères 
extérieurs et malgré l'altération que les uns et les autres ont 
subie. Nous trouvames, non loin du village péruvien de Colan , 


une grande quantité de venus dione , grande et belle espèce de 


5 
bivalve très-estimée dans les collections, et que le rescac déta- 


34. 


268 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

che du fond de la mer et apporte sur le sable encore vivante. 
Les habitants nomment cette élégante coquille #rana do Colan, 
et l'emploient comme un moyen superstitieux de faire dispa- 
raître le gonflement des glandes parotides. Un bulle, la natice 
blanche , une colombelle , une volute , une tonne, la pyrule et 
des vis vinrent accroitre nos collections. Mais nous ne devons 
pas oublier la rare et belle natica glauca, observée par de Hum- 
boldt { natica patula, Sowerb., Zool. Journ., pl. V, fig. 4)’, 
dont nous avons rapporté plusieurs individus. Les bivalves ne 
nous offrirent guère qu'une huitre arrondie, recouvrant quel- 
ques rochers de schistes, les huitres feuille et plicatule, une 
telline, un solen, une assez grande pholade. Un pollicipes à 
pieds rouges et verruqueux se faisait remarquer sur les poteaux 
destinés à supporter le pont. 

Les crustacés sont abondants, surtout dans les genres maïa, 
cancre, squille. Les rivages sont émaillés par un ocypode, qui 
y est très-abondant, et dont les trous sont à se toucher. Les 
habitants appellent unias de la mar une espèce d'hippe, et mata- 
rakin un bernard l'ermite. 

Nous n'avons vu en insectes que la blatte d'Amérique, un 
scorpion petit et blanchatre , et plusieurs lépidoptères. Plusieurs 
astéries, plusieurs ophiures sont laissées à sec par la marée des- 
cendante; maisl'asterias helianthus , dont on ignorait la patrie, 
et qui est remarquable par son disque arrondi et couvert de 
verrues blanches pédicellées, et par ses bords divisés en un grand 
nombre de lobes, couvre les rochers entre Payta et Colan. 


Des holothuries, une grande aplysie, des actinies nécessite- 


! Elle est aplatie, orbiculaire, largement ombiliquée en entonnotr; une callosité 
simple, grande, d’un brun foncé, se contourne en spirale en descendant dans 
l’ombilic : l'ouverture est grande, très-oblique; elle est en dehors d’une couleur fauve, 
cendrée ou brunâtre; en dedans, elle est d’un brun foncé. 


ZOOLOGIE. 269 


ront de notre part, et dans d'autres parties de cet ouvrage, une 
description plus détaillée. 


KE 
ILE DO-TAÏTI ( ARCHIPEL DE LA SOCIÉTÉ ). 


(Du 3 mai au 22 du même mois.) 


Le 22 mars 1823, la corvette {a Coquille abandonna les côtes 
du Pérou pour cingler à travers le grand Océan Pacifique, vers 
les iles océaniennes, vantées par tous les anciens navigateurs, 
et se diriger vers O-taiti, à jamais célèbre en France par les 
récits naïfs et pleins de charmes de Bougainville. Bientôt elle 
s'engagea dans les iles basses coralligènes des Pomotous, con- 
nues en Europe sous le nom d'archipel de la mer Mauvaise ; 
et ces iles basses, que ne recouvrent que quelques parcelles de 
sol, que les vagues sembleraient devoir engloutir à chaque 
tempête qui les bouleverse, ces iles supportées par des plateaux 
de corail, ombragées par des forêts de cocotiers, rafraichies 
par les brises de l'Est, forment un problème de géographie phy- 
sique on ne peut plus intéressant, et auquel nous consacrerons 
un long examen dans un travail qui leur sera spécialement con- 
sacré. Le 2 mai, l'ile de Maïtea, ou le Pic de la Boudeuse de Bou- 
gainville nous apparut au loin comme l'annonce du voisinage 
d'O-taiti, dont nous eumes en effet connaissance le lendemain. 
Dans la partie historique de notre voyage, cette ile sera sans 
doute envisagée sous tous ses rapports moraux et physiques ; 


270 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
mais nous ne devons présenter ici qu'un tableau rapide de son 
ensemble, et l’étudier par conséquent sous le seul point de 
vue de ses productions et de sa constitution géologique. 

Taïti, ainsi nommée par ses habitants, nom que les Francais 
ont l'habitude d'écrire O-taitr, et les Anglais Oraheite et Tahiti, 
est située ( pornte Venus) par 17° 29 21°S., et 151° 49 18” de 
long. O., par conséquent dans une zone dont la température 
n'est pas trop échauffée, et qui est fréquemment rafraichie par 
des pluies condensées et attirées par les épaisses forêts qui en 
recouvrent les hautes montagnes. 

L'aspet d'O-taiti est enchanteur : ses pics volcaniques, qui 
s'élèvent dansles nues, s'abaissent graduellement à leur base pour 
se perdre à la mer ; des gorges profondes , des vallées sinueuses, 
des colonnades de basalte, des rivières qui en descendent, 
coupent en divers sens les chaines des principales montagnes: 
les bords de l'ile sont formés par un plateau horizontal et bas, 
constamment frais et humide et couvert de cocotiers. Tout le 
reste de l'ile ne forme qu'une masse de verdure, où les plantes 
nourricières mêlées aux arbustes sauvages , entrelacées par des 
lianes vivaces, forment un lacis inextricable. 

La température, pendant notre séjour, n'a jamais dépassé 
30° du thermomètre centigrade à midi et à l'ombre, et n'a pas 
été au-dessous de 27° ; son terme moyen était de 29°; à minuit, 
le maximum indiquait 27°, le minimum 24°. Le baromètre s’est 
maintenu à 28 pouces. La température des eaux de la mer était 
généralement de 27°; la nuit, elle était d'un degré inférieur 
seulement. L'hygromètre à cheveux indiquait toujours une sa- 
turation complète. 

La température de Taïti est chaude et en même temps hu- 
mide ; l'atmosphère tient sans cesse en suspension une grande 
quantité d'eau : aussi est-il rare de voir un jour s'écouler 
sans nuage et sans que des averses se manifestent de temps à 


ZOOLOGIE. 271 


autre. Les pitons élevés de l'Oroena se découvrent rarement 
dans leur entier, et le plus ordinairement ils sont voilés par 
d'épaisses écharpes de nuages noirs. Il pleut fréquemment dans 
les gorges des moutagnes lorsque le plus beau temps règne sur la 
côte. Pendant notre séjour, la presque totalité des journées fu- 
rent pluvieuses : aussi l'humidité et la chaleur, ces deux sources 
de vie, rendent-elles la végétation d'O-taïti extrémement bril- 
lante et active. Souvent, dans les beaux jours, un calme par- 
fait règne dans l'atmosphère ; mais, lorsque le vent s'élève, il 
souffle par grains , auquels succèdent et du calme et de petites 
brises. Les vents de la partie de l'Est règnent plus ordinairement 
dans le mois de mai. 

L'ile d'O-taïti est le résultat d'une agglomération de monta- 
gnes volcaniques, dont les cimes sont élevées et les pieds bordés 
par une lisière de terres plates, produites par le détritus du sol 
accumulé dans les parties les plus inférieures. Cette lisière est 
aussi la partie fertile et productive de l'ile, et celle que les ha- 
bitants ont choisie pour établir leurs demeures. Les montagnes 
d'O-taiti semblent ne constituer qu'un seul plateau, dont le 
mont Oroena ‘est le point culminant. Fous les autres pitons ne 
sont que des sommets de monts secondaires qui s'irradient vers 
le pourtour de l'ile : ils sont séparés par de profondes crevasses, 
par des précipices, par des vallées où serpentent de petites ri- 
vières. Souvent les flancs brusquement coupés de ces montagnes 
sont colorés en rouge vif par une sorte d'argile ; tantôt de hautes 
murailles basaltiques les terminent brusquement , et tranchent 
par le noir de leurs colonnades , dans les interstices desquelles se 
cramponnent quelques arbustes, avec la teinte verdoyante et 
fraiche des masses végétales, qui partout ailleurs en voilent les 


surfaces. 


1 On lui donne 3,323 mètres d’élévation. 


272 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Ainsi cette ile si séduisante par la riche végétation , que l'œil 
suit partout sans interruption; cette île dont le sol de la côte 
est tellement fertile, que les arbres nourriciers des O-taïtiens 
viennent sans soins fournir à ces insulaires la base de leur exis- 
tence , O-taiti n’est que le résultat de déjections volcaniques, et 
son sol est empreint partout des traces du feu qui lui donna 
naissance. Les laves, les ponces, les matières vitrifiées qu'on 
rencontre communément, réunies aux dolérites et au basalte 
qui forment son ossature, viennent partout affirmer cette ori- 
gine, et nous savons qu'elle est commune à toutes les iles hautes 
de la mer du Sud. O-taïti, Eymeo, Huahène , Taa , Borabora et 
Maupiti, qui sont les terres les plus considérables de l'archipel 
de la Société , forment une chaine d'iles volcaniques qui s’'avance 
à l'Est vers les Pomotous, et s'arrête à Maïtea ou pic de la Bou- 
deuse, puis se continue à l'Ouest, par divers petits groupes, 
avec les archipels de Tonga et des Navigateurs. 

Les coteaux élevés qui terminent le rivage entre le district de 
Pari et la baie de Matavai sont en entier d'une belleespèce de dolé- 
rite. Les galets que roulent les petites rivières et qui forment 
leurs lits, sont des fragments de trachytes ou de laves poreuses, 
dans les vacuoles desquelles se trouvent encore des fragments de 
matières vitrifiées; des portions de laves soumises à l’action de 
l'air extérieur se délitent et se désagrègent en un sable terreux. 
Les Taitiens nomment le basalte oreate , et totoaié une belle es- 
pèce d'obsidienne avec laquelle ils fabriquaient leurs haches et 
leurs instruments sacrés, et qu'ils vont chercher sur une mon- 
tagne appelée Papeïda , couronnée par un large cratère, aujour- 
d'hui remplacé par un lac d'eau douce. Le fer à l'état d'oxide est 
abondamment répandu dans cet ancien terrain igné; les mis- 
sionnaires nous ont même assuré qu'ils avaient découvert, dans 
la partieSud d'O-taiti, une mine facile à exploiter de cet utile mé- 
tal. Quant au basalte, nous avons dit qu'il constituait d’épaisses 


ZOOLOGIE. 273 


murailles dont les colonnades étaient mises à nu dans quelques 
gorges profondes de l'intérieur de l'ile; et à ce sujet, nous 
croyons devoir décrire celle qui est regardée par les naturels 
comme une grande curiosité d'O-taiti , et qu'ils nomment Pya. 
Banks ne parait l'avoir décrite que d’après le récit des habitants ; 
et Forster, à notre connaissance, est le seul qui l'ait visitée. Nous 
extrairons de notre Journal le récit de cette excursion, dont la 
fidélité donnera de ces climats une peinture exacte. 

Le 4 mai 1823, nous nous dirigeàmes vers le Pya ; les hauts 
pitons de l'Oroena n'étaient point enveloppés de ces ceintures 
de nuages qui les recouvrent ordinairement : tout nous semblait 
promettre un jour pur et serein. Nous suivimes le cours de la 
rivière de Matavai , dont les sinuosités nous forcèrent à la tra- 
verser plusieurs fois. Les naturels la nomment Æ/aonou ; partout 
elle est guéable, et souvent encombrée par d'énormes quartiers 
de rochers. La vallée s'enfonce et se rétrécit; plus on s'avance 
vers l'intérieur, plus les eaux sont embarrassées et forment des 
chutes ou des rapides de médiocre hauteur ; la vallée se resser- 
rant toujours, devient ensuite une gorge étroite et presque im- 
pénétrable, au fond de laquelle coulent les sources de la rivière, 
dont les bords sont rendus impénétrables par des masses de vé- 
gétaux entre-croisés et pressés; le seul sentier frayé est donc le 
milieu du Haonou , encore faut-il gravir sans cesse des ébou- 
lements considérables et franchir d'énormes blocs de rochers. 
Le soleil ne réchauffait point cette gorge étroite; les monta- 
gnes qui en formaient les parois latérales et rapprochées étaient 
couronnées de tant de végétaux, qu’à peine un jour triste et 
sombre pouvait y pénétrer. Cette grande fraicheur, unie à une 
humidité perpétuelle, parait singulièrement convenir à la 
famille des fougères : aussi nulle part on ne trouve en plus 
grande abondance les cyathées arborescentes, les scolopendres 


à larges feuilles, les aroïdes et les pandanées. 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 35 


274 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

La coulée basaltique, connue sous le nom de Pya , occupe le 
revers oriental du mont Oroena ; elle est distante d'environ six 
milles de la pointe Vénus. Son étendue du Nord au Sud est 
d'environ deux cents pas, sur une élévation qu'on peut estimer 
à cent cinquante pieds au plus; sa surface se compose de prismes 
régulièrement accolés les uns aux autres; tous ces prismes ont 
cinq faces, et chaque face a huit pouces de largeur. Ses colonnes 
pentagonales sont brisées en beaucoup de points, et surtout dans 
la partie Nord. La portion supérieure de la muraille qu'elles con- 
courent à former est recouverte d'une masse d'arbustes d’entre 
lesquels tombe une épaisse nappe d'eau, qui est une des sources 
du Æaonou. Cette petite rivière, en ce lieu, a peu de largeur, 
et elle filtre à travers des masses de roches tellement considé- 
rables , qu'il est impossible de pénétrer plus avant. La grande 
humidité de ces lieux solitaires permet à des forêts de bananiers 
sauvages de croître, même sous la roche nue, en pelouses ser- 
rées. 

La portion vraiment solide de l'ile, si je puis m'exprimer 
ainsi, est constamment enveloppée, dans toutes les autres iles 
de l'archipel de la Société, de petites iles basses appelées motous, 
ilots dont la formation toute spéciale est le résultat du travail 
des polypiers madréporiques. Comme l'ile de Taïti n'a que fort 
peu de ces ilots de corail, mais qu'elle est au contraire entourée 
d'une ceinture de récifs à fleur d'eau, destinés un jour à former 
eux-mêmes des motous, nous parlerons plus spécialement de 
ces créations neuves, lorsque nous aurons à décrire l'ile de 
Borabora et ses annexes, très-intéressantes sous ce rapport, 
et qui peut servir de type pour expliquer cette sorte de créa- 
üon géologique. | 

Presque partout, l'eau des nuages, condensée, s'échappe en 
gerbes, et jaillit au milieu des masses de plantes les plus touf- 
fues. Nulle part, en effet, la végétation n'est plus variée que 


ZOOLOGIE. 275 


sur les sommets des montagnes, et c'est même là seulement 
que le botaniste peut espérer aujourd'hui trouver des plantes 
rares et nouvelles. Avant de s'enfoncer dans les sentiers ardus 
de ces cimes escarpées, il est nécessaire d'avoir un guide, et 
encore plusieurs des montagnes ne peuvent être visitées. C'est 
la patrie des fougères, surtout des élégantes cyathées. Cette 
famille est très-variée à O-taïti, et nul doute qu'elle ne puisse 
offrir des découvertes à faire à un explorateur intrépide. C'est 
là que se trouvent de hautes fougères arborescentes, imitant le 
port des palmiers, des arbres nombreux et variés, tels que des 
figuiers, un vaquois sans épines, un bananier , et des bambous 
de formes tres-diverses. La partie moyenne des montagnes est 
couverte de trois espèces de fougères : une entre autres, appelée 
erimou, Sert aux naturels à imprimer des dessins sur leurs 
étoffes ; la canne à sucre y croit à l’état sauvage, et y forme des 
sortes de champs remarquables par la hauteur de leur chaume, 
qui atteint plus de six pieds. Un indigotier frutescent, et le char- 
mant mnetrosyderos à sommités velues, et à fleurs d'un rouge- 
ponceau éclatant, nommé pou-a-rata, y sont les arbustes les plus 
ordinaires. 

La Botanique de Taïti présente un bon nombre de plantes 
qui se retrouvent sur toutes les iles du Grand-Océan, entre les 
tropiques, et qu'on observe communément dans les Moluques 
et jusqu'aux iles de la Sonde. 

La végétation rivulaire de la rivière de Matavai, et de la vallée 
étroite qu'elle arrose, est très-active, quoique peu variée. Les 
bords de cette rivière sont occupés par des prairies ou plutôt des 
lisières formées par un gramen appelé matice ( paspalum ? ., 
qui y est touffu et génant pour la marche : des marchanties et 
des jungermannia couvrent les rochers humides, sur lesquels 
filtre sans cesse une eau limpide. Une petite Ænarre, très-jolie, 


croit çà et là dans les interstices, ainsi qu'un prper rampant 
3). 


276 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

et à feuilles charnues. Une fougère très-rameuse (anouai) et 
une large scolopendre croissent dans tous les rochers et dans 
les bouquets de bois , qui bordent cette vallée {metou à boua. 
On y trouve l'erooua (urtica argentea) , dont les fibres four- 
nissent les meilleures cordes; un beau phaseolus, probable- 
ment le caracolla, qu'on nomme pubr ; et, à chaque pas, on 
est accroché par les fruits d'une graminée nommée piripire, 
très-incommode et très-mulhtipliée. 

Les plantes qui croissent dans les stations inférieures se res- 
semblent toutes. On les retrouve également dans les ravins : 
c'est un scirpe, c'est le pouroumou ( malvacée), un physalis, un 
liseron volubile ; l'Acbiscus esculentus , une persicaire, une petite 
cucurbitacée {caca , le menonot& ( verbesine ?), une graminée 
appelée moou, etc. 

Les grands arbres, tels que les rima, les cocoters, per- 
mettent, sous leur ombrage, à une végétation plus humile, de 
croitre dans un sol frais. Aussi le curcuma , appelé erea, y est-1l 
très-commun, de même que le pouar (convolvulus pes capræ) , 
un énorme liseron qui enlace plusieurs arbres à la fois, et les 
couvre de son vaste feuillage et de ses larges fleurs. C'est aussi 
dans cette localité que se trouve le tacca pinnatifida, ou pra ; le tit 
ou espèce de maranta, qui croit aussi très-bien dans les mon- 
tagnes. C'est parmi ces plantes que l'on trouve des buissons de 
nono (morinda citrifolia), de tirae (Gardenta florida), d'aoutai 
(läbiscus rosa sinensis), de piquipiouio [abrus precatorius ), un 
joli mimosa, l’Acbrscus trilobatus , une orchidée, nommée o4oë, 
à fleurs enveloppées dans des écailles pleines de mucilage et 
colorées en rouge; le te, plante qui servait à la nourriture 
dans les temps de disette, mais dont nous ne vimes point la 
fleur ni le fruit. | 

De toutes parts, des végétaux remarquables forment des 
groupes imposants. L'arbre le plus commun de l'ile, le pourao 


ZOOLOGIE. 297 


(hibiscus tiliaceus ) et le populneus du même genre, ainsi que 
le fara (pandanus), auquel toutes les expositions conviennent , 
en s’unissant aux touffes d'arbres à pain (ourou.) et de cocotiers 
(aari ), au mapé et au tiairi ( aleurites triloba), composent 
des massifs d'une rare beauté. Mais rien n'égale l'agrément des 
voutes du Baringtonia * ( houtou), opposé au feuillage filamen- 
teux de l'aeto (casuarina equisetifolia ); aux feuilles argentées 
du taanou ( Tourneforta argentea ); au vert gai et gracieux du 
toumanou ( calophyllum inophyllum ); au tarnioa ( gui ? ), qui les 
enlace; au rtnité ( papayer ) qui s'élève comme une colonne 
roide au milieu des larges feuilles déchirées du meia ( bana- 
nier ) ou du #anina. 

Tel est l'aperçu rapide qu'il nous suffit de donner de la Bota- 
nique taïtienne pour remplir notre but. Seulement il nous 
paraît plus utile d'offrir quelques renseignements sur les végé- 
taux nourriciers des insulaires. 

La nature semble avoir tout fait pour l'existence des O- 
taïtiens : elle leur a prodigué les substances alimentaires sous 
toutes sortes de formes ; elle y a joint un sol fécond et pro- 
ductif, couvert de végétaux usuels, et pour lesquels la culture 
est peu utile. Sous un ciel tempéré, entourés de fruits savoureux, 
de racines nutritives, les Taïtiens devaient contracter dans leurs 
habitudes cette mollesse et cette douceur de mœurs qu'on'a 
reconnu faire le fond de leur caractère indolent et enclin aux 
plaisirs des sens. 

Au premier rang des arbres utiles qui croissent sur ce sol 
productif, et qui reçoivent une sorte de culture, sont : l'arbre 
à pain, que l'on multiplie par la transplantation de ses raci- 
nes, et que l'on protége pendant les premières années de 


* Le Baringtonia ne croît que sur le bord de la mer, très-souvent le pied baigné 
par l'eau salée. 


278 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

sa croissance ; le cocotier , dont on enfonce les noix au moment 
de leur germination, et dont on garantit les stipes pendant 
leur jeunesse; le bananier, qui est aussi soumis à de légers 
soins, etc. Peut-être lira-t-on avec intérêt quelques détails sur 
les plantes usuelles de la Flore taïtienne. 

L'arbre à pain est nommé par les naturels ourou , et son 
fruit maiore ; les Sandwichiens l'appellent également ourou , 
qu'ils prononcent oulou : c'est le réma des iles Moluques, et le 
jaquier à feuilles découpées des auteurs { artocarpus incisa. 
Divers voyageurs ont dit que l'arbre à pain comptait un grand 
nombre de variétés : malgré tous nos soins, nous n'en avons 
rencontré que deux, que les naturels distinguent, et auxquelles 
ils ont consacré les noms de 7naïore maoui, pour désigner la 
variété à folioles moins découpées que celle qu'ils ont appelée 
maioré theoa , dont les feuilles sont déchiquetées presque jus- 
qu'aux nervures. | 

Le port de cet arbre est élégant ; son tronc est droit , sa tête 
est souvent mutilée ; mais un large feuillage d’un vert sombre, 
épars sur le sommet des rameaux, forme une sorte de large 
parasol ; les feuilles sont alternes. Celles de la première espèce 
sont très-découpées ; celles de la secoude sont effilées en lanières 
plus étroites , de sorte que la nervure n’est souvent bordée que 
d'une aile légère. Le fruit est ovalaire, terminal ou axillaire ; il 
est gros comme un boulet de 36 : sa surface extérieure est 
verte, parsemée d'aréoles. Son parenchyme est blanc. Les 
graines sont toutes avortées. Il ne se mange que rôti. 

Avec le tronc de cet arbre, on fabrique tous les ouvrages de 
charpente qui demandent de la solidité : les pirogues sont con- 
struites avec ce bois, dont l'écorce fournit des vêtements. Par 
tous ces avantages, l'arbre à pain est trop précieux pour qu'on 
ne cherche point à le renouveler et à le multiplier : aussi les 
naturels ont-ils le soin, lorsqu'ils ont planté de jeunes rejets, 


ZOOLOGIE. 279 


de leur faire un entourage protecteur, et d'arracher les mau- 
vaises herbes qui croissent au pied. Le marore ne produit point 
de graines, et l'arbre prend très-difficilement par bouture, 
de sorte qu'on est réduit à transplanter les rejets radiculaires. 
Souvent nous avons vu employer ce moyen, qui parait être le 
seul usité ; et lorsqu'on détruit un vieil arbre à pain, le sol se 
couvre bientôt de jeunes rejetons. Cet arbre précieux est très- 
long à croître, de sorte que le grand nombre de ceux que les 
missionnaires ont fait abattre pour construire leurs temples, 
ne sont pas encore remplacés, et ont de beaucoup diminué 
les ressources des habitants , qui peuvent un jour ressentir de 
cruelles disettes , résultat de cette mesure imprévoyante. 

L'arbre à pain ne produit ses fruits que pendant neuf mois ; 
il se plait sur les bords de l'ile et dans les lieux frais. Il ne croit 
que très-rarement à quelques centaines de toises au-dessus du 
niveau de la mer, et on en voit bien peu dans les bas ravins 
des montagnes : les plus grands produits de la récolte seretirent 
en mai et Juin. 

Apres le jaquier, on ne peut se dispenser de parler du coco- 
tier, Si éminemment utile , et qui emporte peut-être sur celui 
que nous avons placé avant lui. Ce précieux palmier couvre les 
iles de la mer du Sud. Son long stipe, couronné par un brillant 
faisceau de palmes, atteint jusqu'à 80 pieds et plus. Sans cesse 
il porte des fruits, les uns parvenus à maturité, les autres 
encore en fleurs et en boutons. Les Taïtiens en ont coupé un 
grand nombre , dans ces dernières années, pour jeter des ponts 
sur les ravines, par l’ordre des missionnaires. Ses feuilles ser- 
vent à faire des paniers ; son fruit présente le mets et le breu- 
vage, sous le nom de toto nadi : il est mangé en bourgeons, 
sous le nom d'eouto. Sa coque fournit leur vaisselle; sa chair, 
lorsque la germination s'effectue, est pour les Taïtiens un ali- 
ment délicieux. L'enveloppe florale sert de vase à vider l'eau des 


280 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

pirogues ; et, avec la toile qui isole les feuilles à leur base , les 
habitants de Borabora se fabriquent des vêtements qui ont la 
forme de nos habits, et qu'on nomme eua. Les Taïtiens appel- 
lent le cocotier aart, le lait émulsif de la noix pape aari : aux 
Sandwich , ce palmier est nommé riou. 

Ce végétal prête un charme particulier aux paysages de 
l'Océanie. Il s'élève généralement sur les bords de la mer, qu'il 
préfère, et où il atteint ses plus grandes dimensions. Il couvre 
les iles de corail, et les motous de Borabora , de Maurua, et de 
Raïatea. [l se rapetisse dans sa taille, à mesure qu'il monte sur 
les collines , et ceux qu’on y voit sont généralement peu élevés; 
car ce palmier s'arrête vers 150 toises au-dessus du niveau de 
la mer, et encore n'atteint-il cette ligne que sur des mon- 
tagnes favorisées ; bien rarement il dépasse ce terme. 

Le plus grand avantage qu'on puisse retirer du cocotier 
pour le commerce, est l'huile que fournit sa chair, et qu'on 
appelle, dans l’île, mort, quand elle est pour bruler, et monoë , 
lorsqu'elle sert aux frictions et à oindre les cheveux. Le pro- 
cédé que les naturels emploient pour retirer l'huile, estsimple, 
et c'est principalement à Borabora que nous l'avons vu prati- 
quer. Il consiste à conserver long-temps en tas les cocos murs, 
et à ràcler la chair en fragments minces, qu'on triture avec les 
mains dans une petite pirogue consacrée à cet usage, et quon 
élève au-dessus du sol. On a soin d’abriter la masse de la chair 
par une petite toiture à faux frais, et on laisse cette masse 
soumise à l’action de la chaleur et de la fermentation. Elle 
prend bientôt une couleur jaune foncée, à mesure que l'huile 
se dégage. Lorsque l'opération préliminaire est à point, on 
soumet à la presse cette chair de cocos broyée et fermentée, et 
l'huile s'écoule. L'instrument pour presser cette huile est égale- 
ment peu compliqué. Qu'on se figure le tronc très-vieux d'un 
Baringtonia, entaillé assez profondément en carré; une plan- 


ZOOLOGIE. 281 
che épaisse d'arbre à pain y est engagée , et son extrémité libre 
est soutenue par des pierres. Sa surface est déclive, et a 
deux rainures latérales, se réunissant pour former une rigole 
sur un des côtés. Par-dessus et dans l’entaille, on engage un 
madrier de la mème largeur que la planche épaisse du dessous. 
Son extrémité est longue pour faire levier, et, par ce moyen, 
on presse la substance du coco qu'on a renfermé dans une toile 
naturelle, qui entoure les pétioles des feuilles de ce palmier. 
Un homme se place au bout du levier , et, par le seul poids du 
madrier, uni à la force qu'il emploie, il parvient à exprimer 
toute l'huile, qui s'écoule dans les rigoles et tombe dans un 
tube de bambou destiné à la recevoir, et nommé ohe. Ces bam- 
bous sont la seule mesure de capacité employée et reconnue 
dans toutes les iles de la Société; ils sont longs de deux pieds, et 
coupés entre deux nœuds. Celui du sommet a son diaphragme 
percé; l'huile qu'on y met ne peut s'écouler, parce que c'est 
la seule ouverture, et qu'on la bouche soigneusement ; et cette 
huile est destinée à ètre échangée ou donnée en tribut, mais elle 
conserve toujours une odeur de rancidité dégoutante. 

On a calculé que vingt cocos donnaient un bambou d'huile, 
que 700 bambous formaient un tonneau; ce qui produit le 
nombre effrayant de 14,000 cocos par tonneau d'huile. 

Le bananier croit abondamment à Taïti; les naturels le nom- 
ment meia’. Les lieux qu'il préfère sont humides et dans la 
plaine, quoique ce soit le végétal qui, dans cette ile, s'élève 
à une plus grande hauteur. On trouve en effet sur les monta- 
gnes une espèce de bananier qui croit spontanément, à plus de 


$ 
600 mètres d'élévation au-dessus du niveau de la mer. Nous ne 


1. Bonne espèce , oraya. 
© Bananes-meïa { 2. Plantain de cheval , paparoa. 
3. Banane de montagne, fayi. 
Voyage de la Coquille. —7. Tom. 1. 56 


282 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

savons où on a recueilli les détails, qu'on lit dans les ouvrages, 
de dix-sept espèces de bananes existantes à Taïti. Dans les dis- 
tricts que nous avons parcourus, nous n'en AVONS Vu que trois : 
la banane gurneos (oraya), à fruits jaunes, butireux et sucrés ; 
une deuxième espèce /paparoa), à régimes très-fournis de 
fruits très-gros et très-longs ; une troisième enfin (fayt), dont 
la peau était orangée. Il y a des centaines de bananes à cha- 
cun des régimes de ces deux dernières espèces; mais leur gout 
est médiocre, et leur chair peu agréable. Peut-être cela tenait-il 
aux pluies qui inondèrent celles que l'on apportait à bord? 
Les naturels font avec ces fruits des conserves agréables. 

Le faro est la racine qu'on appelle dans nos colonies chou 
caraibe, arum esculentum (caladium)) : il s'en fait une grande 
consommation , et on en tire une belle fécule qui sert à gommer 
les étoffes, ou qu'on utilise comme aliment. 

On cultive cette plante dans des mares ou sur le bord 
des eaux, de manière à ce qu'elle ait ses tiges constamment 
baignées : elle est indigène, car les gorges profondes des 
vallées en sont remplies. 

Une autre espèce d'arum, à très-larges feuilles, nommée 
apeoa, est également comestible : elle atteint une grande taille, 
et son tubercule acquiert jusqu'à plus de dix livres de poids. 
Mais la fécule se trouve mélée à un principe àcre, qui nécessite 
de nombreux lavages avant de s'en servir. Les Taïtiens em- 
ployaient cette fécule comme le vrai pya pour gommer leurs 
étoffes de papier et les coller. Ils nomment yappi une espèce 
de taro qui croit dans les montagnes, et ils lui reconnaissent 
plusieurs variétés, entre autres les mapoura et les die. 

Les ignames, nommés eour, ainsi qu'une sorte de patate 
douce, très-volumineuse, nommée oumara, sont abondants. 
Une plante rampante, volubile et qui s'élève dans les buissons, 
porte à ses articulations des tubercules parfaitement analogues 


ZOOLOGTE. : 283 


aux pommes de terre, dont ils ont l'apparence et la couleur. 
Ses feuilles sont en cœur, et son port a quelque analogie 
avec celui du tamne. Dans les années de disette, on mangeait 
les racines d'une plante appelée téve (tacca phallifera, Rum- 
phius), dont le port est analogue au tacca, mais qui en dif- 
fère par ses tiges charnues et hérissées d'épines. Le tacca 
pinnatifida est lui-même très-employé. Son plateau radicü- 
laire fournit un aliment nourrissant, et cette plante croit sau- 
vage dans les prairies et sur les revers des montagnes abritées. 
Les naturels la nomment pya, et en retirent une abondante 
fécule à laquelle les Anglais ont donné le nom d’Æ7row-root. 

Une plante de la famille des drymyrhizées, appelée #?, qui 
végète à l'ombre des bois, a de tres-fortes racines blanches, 
qui fournissent aux habitants du sucre et une sorte de rum 
et aussi de la fécule. Ses feuilles, d’un beau vert, sont oblongues 
et larges. C'est sans doute un maranta. Autrefois les naturels 
en tiraient par la fermentation une liqueur qu'ils nommaient 
ava, aussi bien que celle obtenue du piper methysticum. Le 
gingembre couvre les lieux ombragés de l'ile; les naturels le 
récoltent pour vendre à bord des navires, et ses racines y ac- 
quièrent toute la chaleur et la vivacité du principe aromatique 
qu'elles possèdent dans l'Inde ". 

La canne à sucre, nommée foa aux iles de la Société, et 
toou aux iles Sandwich, est indigène à Taiïti: c'est le sac- 
charum spontaneum des auteurs. Cette cannamelle est cultivée 
négligemment proche des cabanes, où elle sert pour les bes- 
tiaux; elle croit dans un état sauvage en beaucoup d'endroits. 
Seulement , elle est rare à Borabora, où n'existe point l'espèce 
cultivée. Ses tiges, plemes d'une quantité notable de sève 


* L’Fhuogi est une fougère qui croît dans les montagnes, et dont la racine est 
excellente à manger. 


36. 


284 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


sucrée, atteignent en hauteur plus de huit pieds. Les es- 
paces des entre-nœuds sont grands, et l'épiderme est coloré en 
rouge. Leur circonférence est variable, mais toujours de forte 
dimension. Les naturels ne se servent nullement de la canne, 
et c'est en vain quon leur a montré qu'on pouvait en reti- 
rer un principe sucré cristallisable. | 

” Parmi les fruits que produit Taïti, nous placons au premier 
rang, par son abondance, comme par son gout, celui du spondias 
dulcis de Forster, appelé pomme de la nouvelle Cyrthère par 
Bougainville, et y par les Taïtiens. C'est à tort qu'on écrit ce 
mot dans les ouvrages botaniques Æ£wy., et plus mal encore Æe- 
vy. Ce fruit est de la grosseur d’un citron : sa pellicule est lisse 
et colorée en vert avant sa maturité, en jaune brillant lors- 
qu'il atteint sa perfection. Son noyau central est ligneux et 
filamenteux. Il suinte de cet arbre une gomme transparente, 
nommée fapou, que les Taïitiens emploient pour calfeutrer les 
joints de leurs pirogues. 

L'arbre qui produit ce fruit croit abondamment sur les co- 
teaux, dans les ravins des montagnes; il est planté autour des 
cases. Son tronc acquiert souvent une taille énorme, et il sert 
alors à faire les grosses pirogues doubles, dont il fournit la 
partie flottante. Son bois est blanc, mais dur. Les rameaux 
sont nombreux et étalés. L'écorce est crevassée. Les feuilles 
sont composées, alternes, très-longues, à neuf folioles avec 
une impaire : les folioles sont ovales, lancéolées, coriaces, et 
d'un vert lustré. Les fruits sont réunis plusieurs ensemble-aux 
sommets des branches, ou isolés; un long pédoncule les sup- 
porte. La chair est très-pulpeuse, fondante et sucrée. Une résine 
abondante remplit le réseau vasculaire qui parcourt l’épicarpe. 

Cet arbre donne un nombre prodigieux de fruits, que les 
naturels aiment passionnément. On pourrait utiliser ses feuilles, 
qui ont l'acidité agréable de l'oseille. 


ZOOLOGIE. 285 

Le ohlt, bambou si utile, et le Aou toumo, l'arec à chou, 
croissent abondamment dans les montagnes. 

L'ananas est cultivé autour des cabanes , et nous avons vu 
de nombreux carrés couverts de ce fruit délicieux à Papaoa. On 
le nomme /ara , en y ajoutant une épithète qui veut dire etran- 
ger; car le mot fara sert à désigner les vaquois ou pandanus. 

Le mapé (inocarpus eduls), arbre moyen, à feuilles très- 
entières et oblongues, produit un fruit, appelé manare ar, 
dont l’épicarpe est un brou coriace, et l'amande très-grosse 
et à deux lobes, dont la saveur, lorsqu'elle est grillée, imite 
parfaitement celle de la châtaigne. Les Taitiens aiment sin- 
gulièérement ce fruit, et l'arbre est très-multiplié, jusque sur 
les revers mêmes des montagnes peu élevées : c'est le rataa 
du capitaine Wilson. 

L'oranger ‘et le citronnier ont été apportés par Bligh , et 
plantés dans le district de Pari. De là ils se sont propagés dans 
d'autres lieux , où ils sont abandonnés au milieu des bois et sur 
le bord de la route. Leur taille prend souvent un grand déve- 
loppement. Les oranges ne sont pas très-douces, parce qu'elles 
ont un peu dégénéré par l'inculture : on les nomme parfois 
anant. Les citrons ont deux variétés bien tranchées. L'une, ap- 
pelée demene, est à gros fruits oblongs et pointus, très-rugueux 
sur leur surface. L'autre espèce est à fruits très-petits, presque 
ronds : on la nomme taporo. Ce petit citron est délicieux pour la 
mer , Où 1l se conserve bien, et il est plein de sucs. 

Les papayers, dont le fruit est nommé nénite , n'offrent rien 
de particulier. On les observe au milieu des massifs d'arbres à 
fruits, plantés dans les bois de Borabora, où il y avait sans doute 
anciennement des cabanes. Il en est de mème des pastèques, 
mérémé (poa aux Sandwich), qu'on y a introduites, ainsi que 


© Nommés ourou papaa ( fruit-à-pain étranger ) : ce sont des shaddoks. 


286 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
les giraumonts eéoué (paotént aux Sandwich), et le maïs [tou 
rina . 

Parmi les plantes utiles sous le point de vue commercial, le 
tabac croitrait parfaitement bien, et déja même il s'est natu- 
ralisé au point de couvrir de grands espaces. Les naturels lui 
ont consacré le nom de varé , et l'on se rappelle que c'est à 
Cook qu'ils en sont redevables. Les Taïtiens ont cependant eu 
le bon esprit de ne point s'habituer à cette herbe, dont ils ne 
recherchent que la fleur ; et si quelques-uns en préparent les 
feuilles, c'est pour les vendre aux Européens sous le nom d'ava- 
ava. Les Sandwichiens l'ont désigné par le mot paca. 

Parmi les végétaux textiles, le coton appelé vaiva croit spon- 
tanément : on en recueille la bourre soyeuse pour payer le 
tribut exigé par les missionnaires anglais. Le muürier à papier 
(Broussonetia papyrrifera, Lh.),nommé ouaouke par les Sand- 
wichiens, et aouta par les Taïtiens , est très-rare dans la portion 
de l'ile que nous avons visitée. On n’en voit quelques pieds que 
près de la cabane d'Opaparu, dans le district de Matavai. On 
cultive cet arbre pour obtenir de son écorce très-soyeuse les 
filaments avec lesquels on fait des chapeaux fort jolis à Bora- 
bora. Nous avons rencontré ce murier, à peine haut de trois 
pieds, renfermé dans de petits jardins environnés de pierres, 
derrière la demeure de Maria, fille du roi Maï, et quelques 
plantations imparfaites près de l'incien moraï. Le pourao ou 
hibiscus tiliaceus, si éminemment utile par le grand usage 
qu'on en fait, croit partout pour former des sortes de bois ana- 
logues à ceux du coudrier d'Europe, dont il a un peu le feuillage 
et entièrement le-port. Les fibres de l'enveloppe corticale de ce 
végétal jouissent d’une très-srande force : aussi est-ce la sub- 
stance la plus employée pour les cordages des pirogues, les 
lignes pour la pêche, etc., etc. 

Le toumanou, calophyllum inophyllum , fournit aussi une ma- 


ZOOLOGIE. 287 


tière textile, mais assez rarement usitée. Il produit une gomme 
_assez analogue à celle du tacamaque, avec laquelle les naturels 
enivrent le poisson. La noix sert à parfumer les vêtements des 
naturels. 

Le fara ou vaquois ( pandanus spiralis, Brown. ?) est remar- 
quable par son port aloetique » par ses tiges tres-rameuses, ter- 
minées par des feuilles engainées en spirales, au centre des- 
quelles sont placés des fruits agolomérés, comme ceux d'une 
pomme de pin quant à la forme superficielle. Ces fruits sont 
ligneux, et vivement colorés en rouge à leur maturité. Le tronc 
pousse des rejets de toute sa circonférence, qui vont Joindre 
le sol et s'y enraciner. Ce végétal croit partout, sur les rivages 
de la mer comme au haut des montagnes. Autrefois il était 
sacré, et ses fruits étaient déposés sur les morais funéraires. 
Ses feuilles sont employées à recouvrir les toitures des ca- 
banes. 

Une petite cucurbitacée, fort commune, enlace les taillis ; la 
coloquinte qu'elle produit est arrondie , et desséchée elle prend 
le nom d'eaca. On s'en sert alors pour y renfermer de l'huile 
de cocos, plus pure que celle ordinaire, destinée à servir de par- 
fum, et que les femmes emploient par coquetterie à se frotter 
la figure. 

Parmi les produits végétaux utiles, on pourrait tirer un grand 
parti du rouge de vermillon que fournit le maki (ficus tincto- 
ria ? Forst.). Cet arbre lactescent est abondant dans les bois des 
montagnes. Ses feuilles sont entières, ovalaires et d’un beau 
vert. Les figues sont petites et axillaires. 

Le tairi des Taitiens est le plane sauvage de Cook. Cest un 
arbre moyen, ayant le port d'un vieux poirier de France. Son 
écorce est lisse et textile; son feuillage est blanchätre; ses 
feuilles sont à trois lobes. On le trouve solitaire aupres des 
cases; ses fleurs sont remarquables en ce qu'elles sont termi- 


288 VOYAGE AUTOUR-DU MONDE. 
nales et disposées en un large corymbe blanc, auxquelles suc- 
cèdent un ou deux fruits arrondis, à épicarpe ou à brou apre. 
La noix intérieure est ligneuse et connue sous le nom de norx 
de Bancoul, et le trairi sous celui d'aleurites trilobata. La noix 
est usitée à Taïti pour faire du noir de fumée propre au ta- 
touage. L'amande agréable qui la remplit donne dans l'Inde 
une huile qu'on en exprime pour divers usages. 

Quelques végétaux fourniraient aussi à la médecine des re- 
mèdes actifs. 

Tel serait le ricin, qui croit abondamment et spontanément, 
surtout à la descente de la montagne de l'Arbre. Il serait facile 
d'en retirer en quantité une huile qu'on sait être utile dans bien 
des maladies. Le ricin porte le mème nom indigène que l'aleu- 
rites : comme lui, on le nomme #airt. Un liseron , commun sur 
toutes les prairies ou dans les lieux humides et frais, est le 
pou-ai. Ses tiges ne sont point volubiles; ses feuilles sont ova- 
laires, très-entières, mucronées, portées sur un long pédon- 
cule. Ses corolles sont purpurines et assez grandes ; on en re- 
tire une résine par la dessiccation de son suc laiteux, qui a la 
plus grande analogie avec celle de jalap , comme les rapports 
botaniques le prouvent, et qui jouit des mêmes propriétés. 
On se sert des feuilles en place de savon pour nettoyer le 
linge. ( Convolvulus pes capre.) 

La plante la plus active est celle qui fournit Fava. C'est un 
piper, nommé methysticum par les auteurs (znebrians, Virey ? ). 
Cette espèce de poivre ne grimpe point : ses tiges sont fermes, 
genouillées et hautes de cinq à huit pieds, et partent de la ra- 
cine par touffes épaisses. Les feuilles sont très-grandes en cœur. 
Les fleurs forment des épis très-courts dans l’aisselle des feuilles. 
La racine est très-volumineuse, brunâtre à l'extérieur dans 
l'état frais, se desséchant facilement au soleil, et conservant 
une couleur parfaitement blanche dans l'intérieur. Les racines 


ZOOLOGIE. 289 


représentent des souches très-fortes, d'où partent les autres 
jets radiculaires et ligneux. Cette plante se plait sur les mon- 
tagnes, dans les lieux les plus abruptes ou sur les pentes rapi- 
des. Les naturels la recueillent soigneusement pour faire quel- 
ques tonneaux de ses racines, qu'ils vendent à des navires an- 
glais qui les portent en Europe. 

Parmi les arbres véritablement remarquables par leur port et 
par leurs fleurs, on ne peut se dispenser de citer le Baringtonia, 
houtou ou téraoutou des Taïitiens ; le Gardenta florida ou tirae ; 
l'hibiscus rose de Chine ou aoutar, qui orne la chevelure des 
femmes par ses belles fleurs, dont on obtenait encore un re- 
mède pour les yeux; le calophillum inophyllum ou toumanou ; le 
metrosyderos spectabilis ? Gærtn., ou pou-a-ra-ta *. 

Le Baringtonia speciosa embellit les rivages de Taiti, à Pa- 
paca, et ceux de Borabora. Ce superbe arbre ne se trouve que 
sur les bords de mer, où il prend un grand développement en 
se ramifiant à l'infini. Les feuilles sont grandes, coriaces, d'un 
vert brillant, ovalaires, éparses , plus nombreuses aux sommités 
des rameaux. Les fleurs sont grandes, en faisceau terminal ou axil- 
laire. Les étamines sont soudées par la base; leur tiers supé- 
rieur est purpurin ; les anthères sont jaunes. Un tube inférieur 
donne passage à un long style persistant. La corolle est grande, 
composée de quatre pétales blancs. Le calice est persistant, à 
deux folioles ovalaires. Le fruit est quadrilatère, très-gros, ren- 
fermant une grosse amande arrondie. 

Le Gardenia, connu sous le nom de jasmin du Cap, fait les 
délices de nos florimanes par son parfum délicieux: mais cet 
arbuste se développe à peine dans nos serres, tandis qu'a Taïti 


1 Les Taïtiens adoraient un grand nombre de plantes dans leur ancienne religion. 
La principale était une fougère, qu'ils vénéraient au point de lui donner le nom de 
leur grand dieu Oro : ils ont aujourd’hui conservé encore quelque estime pour elle. 

Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 97 


290 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

il prend dans les bois la taille de l'aubépine, et se couvre de 
milliers de fleurs suaves, qui embaument l'air et annoncent 
de loin le voisinage du t#rae, dont les Taïtiennes se couvrent 
la chevelure et se garnissent les lobes des oreilles. Il en est 
de même de l’Aibiscus rosa sinensis, dont les corolles, d'une 
brillante nuance ponceau, servent à faire des couronnes’. 

Le toumanou est un arbre magnifique par son port et son 
feuillage. Les feuilles sont en effet d’un très-beau vert, très- 
entières, et composées de nervures serrées et rangées paralle- 
lement les unes près des autres. Des bouquets de fleurs blanches 
terminent les rameaux. Le metrosyderos est une plante des 
lieux élevés, et même des sommets des montagnes. Il forme 
un arbrisseau très-garni de branches, et à feuilles ovalaires, 
entières et coriaces. Les fleurs sont terminales, réunies plusieurs 
ensemble pour former des pompons d'un rouge éclatant. Il y 
en a beaucoup sur la pente déclive de la montagne de l'arbre, 
du côté de la mer. 

Parmi les produits commerciaux et utiles qu'un navire eu- 
ropéen trouverait à Taiti et dans les iles environnantes, on 
doit citer, 1° l'huile de cocos. Cette huile prend une odeur de 
rancidité insoutenable, due à l'imperfection des moyens qu'on 
emploie pour la fabriquer:on pourrait, en la raffinant, atténuer 
ce principe. 2° Feécule d'arrow-root. Cette fécule est principale- 
ment utilisée par les Anglais, qui en font une consommation 
prodigieuse, et qui l'emploient dans toutes les maladies con- 


‘ Plantes usuelles inconnues : Péripiri, graminée dont la paille sert à faire de 
jolies pagnes. Oracaoua : &’est un arbre dont l'écorce est textile; les feuilles sont 
entières et lancéolées : peut-être l’urtica argentea de Forster? Æpeoa, sorte d’arum 
très-grand, dont on mange les racines. 4outaraa, fruit rouge, d’un bon goût, ana- 
logue à la prune, dont les feuilles sont coriaces, ovalaires et entières (mirobolan ?) 


Moou, graminée dont la paille est très-fine, et sert à faire des chapeaux. Roa; on 
en fait d'excellentes cordes. 


ZOOLOGIE. 291 


somptives en place de salep. 3° Racine d'ava. L'usage de cette 
racine nest pas encore connu en France; mais on sen sert 
beaucoup en Angleterre comme remède stimulant. 4° La péche 
des perles. Objet lucratif, et qui ne nécessiterait que des dé- 
boursés bien faibles, puisqu'on paie les plongeurs par échanges, 
et qu'il sagit de passer dans diverses iles, indiquer le jour 
où l'on doit revenir, prendre le fruit des pêches auxquelles les 
naturels se seront livrés dans l'intervalle. La nacre des huitres 
a déja par elle-même une valeur réelle. 5° L'écaille de tortue. 
Ce reptile ovipare, nommé ehonou, est tellement commun 
dans les îles de la Société, qu'on pourrait tirer un parti 
avantageux de son écaille *. 6° Le porc sale. On pourrait ainsi 
compléter ses vivres de campagne, en même temps que les 
barils excédants seraient avantageusement vendus au profit 
de l'armateur. Il faudrait apporter le sel d'Europe, et des piè- 
ces non destinées pour la campagne, en bottes. 7° On pour- 
rait tirer quelque peu de sucre et de coton ; mais ces deux 
articles, encore insignifiants, ne doivent pas être mis en ligne 
de compte. 8° IL est permis de compter l’économie qui résul- 
tera, pendant le séjour, des vivres ou provisions de bord, 
parfaitement remplacés par les racines et les fruits du pays, 
et l'avantage qu'on aurait d'obtenir les belles fécules de taro, 
d'arrow-root, de pya, etc. 

Enfin il serait utile de s'occuper d’une neuvième branche, 
ou de la pêche des trépangs ou holothuries. L'espèce nommée 
priape marin, et qui est si recherchée en Chine et dans les iles 
soumises aux habitudes malaises, où on la nomme stala, se 
trouve en grande abondance sur les récifs de l'ile d'O-taiti. 
La préparation des trépangs est peu connue en France, et ce- 
pendant est peu difficile à pratiquer, puisqu'il s’agit simplement 


1 L'écaille se vend quinze piastres la livre aux Moluques. 


37. 


292 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


de faire dégorger les holothuries dans de l'alun en poudre ou 
dans de la chaux, d'en enlever l'épiderme, et de soumettre ce 
zoophyte ainsi écorché à une légère ébullition, puis de le des- 
sécher sur des claies à la chaleur solaire. Lorsqu'il est bien sec, 
on le tasse régulièrement dans des barils. Le prkoul de cette 
substance se vend jusqu'à 45 piastres ’. 

Dans un chapitre précédent, nous avons vu que l'ile d'O-taiti 
n'avait point de mammifères propres à son sol, autres que 
quelques animaux qui y ont été importés. Peut-être cependant 
devons-nous regarder comme y étant indigène un petit ron- 
geur d'un gris roux , à queue presque nue, qui y est fort com- 
mun , et que les habitants nomment £oré. Quant aux quadru- 
_pèdes que les Européens ont cherché à y naturaliser, nous 
avons déja eu occasion de les mentionner, et de dire que les 
chèvres seules, et surtout la variété nommée cgbré dans les 
colonies , s'y étaient propagées ; que les moutons n'avaient pu 
s'y acclimater ; et que les vaches et les chevaux , importés par 
les missionnaires, ne l'avaient été qu’en si petit nombre et dans 
un si mauvais état, qu'aucun de ces animaux n'avait sur- 
vécu. 

Il n'en est pas de même des oiseaux. Plusieurs espèces fort 
intéressantes sont propres au groupe des iles de la Société; et 
bien que le nombre n'en soit pas considérable, et que la plu- 
part aient été décrites , leur rareté dans les collections, et le 
peu de renseignements que nous possédons sur leurs habitudes, 
nous permettront d'entrer à leur sujet dans des détails pleins 
d'intérêt. 


1 Tous les peuples de race malaise, les Chinois et les habitants du Tonquin, 
font un grand usage des analeptiques, et, sous ce rapport, les érépangs, les 
nids salanganes, produits par diverses espèces d’hirondelles, les agal-agal, 
jouissent chez ces peuples d’une réputation extraordinaire. 


ZOOLOGIE. 293 


Les oiseaux qui peuplent les bois sombres et frais d'O-taiti 
sont distribués dans des stations assez limitées, et c'est ainsi 
que les espèces répandues dans les terrains plats des bords de 
l'ile ne se trouvent point sur les montagnes, et que là vivent 
des oiseaux qui ne descendent jamais dans la plaine. Depuis 
long-temps, d’ailleurs, les naturels étaient habitués à en chasser 
quelques-uns, remarquables par les vives couleurs de leur plu- 
mage , et c'est ce qui explique la grande diminution de plusieurs 
espèces autrefois très-communes, et même l'extinction totale 
de quelques races. Les vieillards nous parlèrent souvent d'un 
petit oiseau tout rouge, dont les chefs portaient les plumes 
arrangées comme en diadème , en petit manteau , ou même en 
grosses touffes passées dans les trous des oreilles ; et cet oiseau, 
aujourd'hui complètement éteint, était sans doute l’heorotaire 
de la mer du Sud, et qu'on indique aux iles Sandwich. Il en est 
de même d'une grosse perruche verte, d'une belle colombe 
bleue , mentionnées par les premiers Européens qui se présen- 
tèrent sur ces bords, et dont aujourd'hui on ne peut découvrir 
de traces. : 

Plusieurs oiseaux indiqués comme de Taïti, dont ils portent 
même le nom dans nos Species, et tel, par exemple , le cuculus 
taisensis de Sparrman, ne se présentèrent à nos recherches que 
dans l'ile de Borabora , et c'est en parlant de cette ile que nous 
les mentionnerons. Mais nous devons dire cependant que 
toutes les iles de la Société, séparées les unes des autres par 
de courtes distances, habitées par la même famille humaine, 
soumises aux mêmes influences, ont, d’une manière exclusive, 
les mêmes productions. 

Il n'est pas inutile de faire remarquer combien les auteurs 
européens se méprennent lorsqu'ils s'étayent de l'homme dit 
sauvage , pour prouver combien l'absence de toute notion des 
sciences exactes le laisse plongé dans ce qu'on appelle une 


294 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
grossière barbarie. Nous sommes bien loin de partager cette 
manière de voir , et il ne nous parait pas bien prouvé que le 
mot sauvage puisse être appliqué à aucun peuple de la mer du 
Sud ; et, pour nous renfermer dans ce qui est relatif seulement 
à l'histoire naturelle, nous devons dire que chaque insulaire 
possède avec une rare sagacité les noms de toutes les pro- 
ductions au milieu desquelles il est né ; qu'il en connaît les 
formes et les états divers , les propriétés médicales ou usuelles ; 
ou bien enfin, qu'elles deviennent pour lui, par suite d'idées 
transmises , l'objet d'un culte, dont sa raison, encore enve- 
loppée des langes de l'enfance , ne lui permet pas de se rendre 
compte. Ainsi, les Taitiens, avant l'arrivée des missionnaires, 
estimaient singulièrement les phaétons, ou oiseaux des tro- 
piques, qu'ils épiaient lorsqu'ils venaient nicher dans leurs 
montagnes escarpées, et auxquels ils arrachaient les longs 
brins qui rendent leur queue si remarquable; et ces longs brins 
rouges (le phaeton phænicurus est plus rare dans la mer du 
Sud que le phaeton leucurus) servaient à former les ornements 
de leur grand dieu Oro, le Jupiter de la mythologie taïtienne ; 
ou bien , ils étaient employés au vétement mystérieux et funé- 
raire du Paraaï, Mais si le phaéton, qui plane avec tant de 
graces au haut des airs, que Linné regardait comme le mes- 
sager du char du soleil, a paru digne aux Taïtiens de fournir 
la parure emblématique de leurs divinités, on se demande qui 
a pu les décider à offrir leurs hommages à une espèce de héron 
blanc , qui était sacré, et qu'on ne pouvait tuer sans encourir 
la colère d'Oro et celle plus redoutable de ses prêtres. Ce 
culte grossier descendrait-il de quelque analogie éloignée , soit 
de la forme , soit des habitudes riveraines de ce héron , nommé 
E-houtou, avec celles de l'ibis, également l'objet de la véné- 
ration des anciens Egyptiens ? 

Parmi les oiseaux terrestres, remarquables par leur plumage 


ZOOLOGIE. 205 


comme par leurs formes gracieuses et délicates, la perruche 
e-vini( psittacus taitensis, Gm. ),tient sans contredit le premier 
rang. lle est décrite, dans Buffon, d'après les notes de lil- 
lustre Commerson, mais sous une dénomination fautive, ré- 
sultat d'une erreur typographique; car elle y est appelée ari- 
manon, tandis qu'on devrait lire ari-manou ou manou (oiseau) 
aré (de cocotier). Cependant les naturels ont oublié cette épi- 
thète ; car le nom qu'ils nous donnèrent est e-vinr ou vini tout 
court, syllabes qui, prononcées vivement, rendent assez bien 
le cri de cette jolie perruche. Elle se tient constamment sur 
les cocotiers, et ce n’est que bien rarement qu'elle les aban- 
donne pour aller se percher sur quelques autres arbres voisins; 
et nous remarquames qu'elle a la singulière habitude de se ren- 
verser fréquemment la tête en bas. 

Grosse à peine comme le moineau de France, la perruche 
d'O-taiti a son plumage bleu d'azur; mais la gorge, les joues, 
le devant du cou sont d’un blanc pur chez les individus adultes, 
tandis que ces mêmes parties chez les jeunes sont d'un brun 
noir foncé. Sur cette teinte bleue lustrée et assez semblable à 
celle du lapis-lazuli, que présente le plumage, tranchent les 
couleurs rouge de corail du bec, et aurore des pieds. La queue 
courte et conique de cette espèce la fait placer dans le genre 
psittacule, psittacula de Kuhl. 

Mais l'e-vini, ainsi que beaucoup d’autres oiseaux de l'Océa- 
nie, et presque tous ceux de l'Australie, a la langue modifiée 
par son genre de vie, et, au lieu d'être, comme chez la plu- 
part des espèces de la grande famille des perroquets, recou- 
verte d'un épiderme lisse, elle se termine par une sorte de 
couronne qui résulte d'une grande quantité de fibres longues, 
roides , régulièrement disposées les unes à côté des autres, 
et que M. de Blainville regarde comme les papilles nerveuses 
de l'extrémité de l'organe lingual et gustateur, énormément 


2.6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
développées. L'e-vinr, en effet, ainsi que tous les oiseaux qui 
se nourrissent d'exsudations miellées, qu'ils puisent au sein 
des fleurs ou dans les bourgeons de certains arbres, ne re- 
cherche que les spathes des cocos au moment où elles s’en- 
trouvrent, pour y puiser un liquide sucré, abondant, qui s’en 
échappe à cette époque de la fleuraison. Cette perruche s'ac- 
commode cependant de fruits sucrés, et surtout de bananes, et 
nous en conservames assez long-temps en vie par ce moyen; 
mais le refroidissement des régions tempérées suffit pour la 
faire périr aussitôt qu'elle abandonne les latitudes chaudes de 
la zone intertropicale. 

Nous avons vu un dessin de l’e-virc dans les manuscrits de 
Commerson, qui la nomme perruche nonnette. Sparrman, dans le 
Museum Carlsonianum ‘, en a publié une médiocre figure 
(pl. XX VIT) sous le nom de psittacus cyaneus ; et la descrip- 
tion qu'il en donne se borne à peu près à ces mots : Cor- 
pore toto saturate et splendidè cæruleo; pedibus nigris. Shaw, 
Mise, t. 1, pl VIT, et Levaillant, ont encore donné des por- 
traits de cette perruche gracieuse, que Latham à décrite dans 
son Synopsis sous le nom de otaheitan blue parraket. 

Les naturels nous indiquèrent encore une autre espèce de 
perruche; mais comme nous ne l'avons pas vue, nous ne re- 
chercherons pas si déja elle a été observée par d'autres voya- 
geurs. Il est possible d’ailleurs que ce soit la perruche frin- 
gillaire que nous nous procuràmes à Borabora. 

Nous n'omettrons point une tourterelle que les naturels 
appellent ouba, et qui vint nous offrir encore une nouvelle 
variété de cette columba kurukuru, qui se trouve dans toutes 
les iles de la Malaisie et de l'Océanie, depuis les Moluques, 


? Museum Carlsonianum, in quo novas et selectas aves exhibet Andreas 
Sparrman. Fasc. in-4°, Holmiæ, 1786, 1787, etc. 


ZOOLOGIE. 297 
les Philippines et les Mariannes jusqu'aux: Sandwich et aux 
îles de la. Société, et qui, en tout lieu, semblable par l'en- 
semble de ses formes et les masses de couleurs de son plu- 
mage, offre partout des nuances variées qui ont déja cent 
fois torturé les naturalistes systématiques, aux définitions pré- 
cises desquels elle semble vouloir échapper. 

La colombe Æurukuru est le type du genre ptulinopus de 
M. Swainson, genre destiné à faire le passage des vraies co- 
lombes aux colombars. Elle est figurée n° 254 des pl. co- 
loriées de M. Temminck, et pl. XXXIV et XXXV de l'his- 
toire des pigeons. 

La kurukuru d'O:taïti * a la taille un peu plus forte que la 
variété de Timor dont elle se rapproche le plus. La calotte 
purpurine qui revêt le sommet de sa tête est d'un rose très- 
pale, que circonscrit une raie assez large d'un jaune peu in- 
tense. Le cou en entier jusqu'aux épaules et tout le dessous 
du corps sont d'un gris cendré uniforme , teinté de verdatre plus 
foncé sur la poitrine. Le menton, la gorge et le devant du cou 
sont blanchätres. La région anale et les couvertures inférieures 
de la queue sont d'un jaune vif. Le manteau, le dos, le croupion 
et les ailes sont d'un vert doré avec des teintes rousses. Les 
rémiges sont brunes en dedans. La queue est régulièrement 
rectiligne ; chaque rectrice est d'un vert métallique en dehors 
du rachis, brune en dedans et terminée par une large raie 
blanchätre bordée de brunâtre. Le bec est plombé et blanc à 
l'extrémité. Il est recouvert, dans l'état de vie, par deux pe- 
ütes caroncules orangées qui surmontent les narines. Les 
tarses, à. moitié emplumés, sont de couleur orangée. 

La colombe kurukuru n'habite que les endroits montueux 


1 Columba Kurukuru, var. taitensis, Less. 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 38 


298 Ë VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
et les plus sauvages de l'intérieur d’O-taïti :les habitants en 
recherchaient les plumes pour s'en parer. 

Les cocotiers ne sont pas seulement fréquentés par la perruche 
E-vint ; mais une autre espèce d'oiseau sy tient constamment, 
et se nourrit des moucherons et des petits insectes que le suc 
miellé des bourgeons florifères attire. C'est le martin-pêcheur 
sacré de Latham dont nous avons fait le type de notre nou- 
veau genre todiramphe, todéramphus, Less. ‘, et dont on 
trouvera les caractères dans la partie descriptive de l'ornitho- 
logie du voyage. Ces todiramphes jouaient un grand rôle dans 
la religion des anciens naturels. 

Les auteurs ont décrit sous deux noms différents un gobe- 
mouche que nous avons appelé muscicapa Pomarea (Atlas, 
pl. XVII), en l'honneur de Pomaré, chef des iles de la Société, 
et dont le gouvernement sauvage était empreint d'une sorte 
d'élévation. Cette espèce de gobe-mouche se trouve décrite, 
le mäle, sous le nom de muscicapa nigra , figuré planche X XIII, 
Fasc. I, du Museum Carlsonianum de Sparrman *?, tandis que 
la femelle est le type du muscicapa lutea de Latham *. Cet oi- 
seau varie singulièrement dans son plumage, non-seulement 
ges. Les Taïtiens 


DS 
le nomment 0o-mamao, et il a pour habitude de se tenir dans 


suivant les sexes, mais encore suivant les à 


’ Mémoires de la Société d'histoire naturelle de Paris, t. HI, p. 419, pl. XI 
et XII. 

2 Muscicapa nigra, Latham; corpore tolo nigro ; rostro, capite, interscapulio 
pedibusque atris; habit. in insulis Societatis oceani Pacifici. Sparrm., pl. XXII 
(figure mauvaise ). 

$ Muscicapa lutea, Vath. Cet oiseau a, suivant l'auteur anglais, &inq pouces 
et demi de longueur totale. La teinte de son plumage est jaune d’ocre, noirûtre sur 
les couvertures et les rémiges. Les rectrices sont brunes; le bec et les pieds sont 
plombés, et les ongles noirs. Il habite Taïti, et y est nommé, dit Latham, 00 ma- 
mao pooa hoa. 


ZOOLOGIE. | 209 


les buissons de Pourao fhibiscus tiliaceus ), où il trouve les 
moucherons qui forment sa nourriture et qu'attirent les larges 
feuilles de cette malvacée. 

Une sittèle nouvelle (sita otatare, N.), que les habitants 
connaissent sous le nom d'ofataré , habite avec le gobe-mouche 
précédent ; et fréquemment nous tuàmes une petite hirondelle 
très-voisine de l’hrrundo rustica de France, dont elle avait la 
taille. Son plumage était d'un brun assez foncé, excepté le 


5 
ventre qu'un gris-brun colorait. 


g 

Parmi les oiseaux de rivage, nous n'eùmes occasion d'obser- 
ver qu'un très-petit nombre d'espèces. Entre autres nous ci- 
terons deux petits hérons [ardea sans y comprendre le o-hou- 
tou dont nous avons déja parlé. La première est un petit cra- 
bier de la taille d'un râle, à bec mi-parti de noir et de jaune, 
ayant le tour des yeux et des pieds de cette dernière couleur. 
Les plumes du cou et de l'abdomen sont brunes et marquées 
au centre d'une flammette jaune ; celles des parties supérieures 
du corps ont leurs tiges blanches, et sont d'un vert lustré sur 
les barbes ; les couvertures alaires sont brunes et terminées 
par un triangle blanc. La seconde espèce est un crabier gris, 
de la taille de la petite aigrette. Son bec est en partie noir et 
rougeàtre. La tête, le cou et le dessus du corps sont d'un brun 
teinté de bleuatre. Un trait blanc naît de la mandibule infé- 
rieure, et descend comme deux rubans longs d’un pouce sur les 
parties latérales du cou. La région abdominale et les couver- 
tures inférieures de la queue sont d’un gris enfumé. Ce héron 
nous parait évidemment nouveau, et nous proposons de le nom- 
mer ardea jugularis. 
Le chevallier gris, que les habitants nomment torea , à bec 
gris et à pieds jaunes, à plumage gris-cendré foncé en dessus, 
et blanc varié de brun en dessous, est très-commun sur les 
rivages. 

38. 


300 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

Nous n'observames qu'une fois une espèce de canard , anas, 
appelée mora dans l'ile, et qui a la taille de notre grosse 
sarcelle d'Europe. Sa tête est recouverte par une calotte 
brune. Un trait marron passe au-dessus de l'œil , tandis qu'une 
bandelette noire traverse toute la région oculaire, et qu'au- 
dessous se dessine un deuxième trait marron. Le plumage du 
corps est entièrement brun; mais chaque plume est bordée de 
rougeàtre; un miroir vert métallique, encadré de noir, occupe 
le milieu des ailes. 

La classe des reptiles se compose d'un très-petit nombre 
d'espèces, et ne présente aucun ophidien, ni aucun batracten. 
La tortue franche (testudo mydas fréquente, en certain temps 
de l'année, les rivages ; et les habitants, qui en estiment la chair, 
l'élèvent dans une sorte de domesticité, en recueillant les jeunes 
avec précaution , et les renfermant dans des parcs clos par des 
murailles élevées avec des fragments de coraux, et constamment 
baignés par la mer : ils lui donnent le nom de Æ-honou. Les 
seuls autres reptiles qui s'offrirent à notre recherche sont deux 
saurtens : Vun, que les habitants nomment emo, est remarquable 
par sa très-petite taille , l'agilité de ses mouvements , son abon- 
dance dans tous les lieux exposés au soleil, et surtout par sa 
queue dont la coloration est celle de l’azur le plus pur, et 
enfin par les cinq raies longitudinales dorées qui occupent tout 
le dessus du corps; l’autre est une espèce de Jecko, que les 
habitants confondent avec le scinque, sous le nom commun 
d'emo. Cependant ils ont horreur de ce Jecko, tandis que ce 
dernier ne leur inspire aucune aversion. Ce jecko sort prinei- 
palement le soir et dans la nuit, et se tient dans le jour dans 
les troncs pourris des cocotiers, ou dans les endroits les plus 
frais et les plus humides de l'intérieur des cabanes. Il a environ 
trois pouces de longueur totale, et est nuancé de gris linéolé, 
n'imitant pas mal les teintes des papillons de nuit. 


ZOOLOGTIE. 301 


Les côtes de l'ile d’'O-taiti sont très-poissonneuses , et la plu- 
part des espèces qui y vivent sont ornées des plus brillantes 
couleurs. Nous ne connaissons pas de plus beau spectacle que 
celui quis'offre à la vue d’un naturaliste, lorsque , par une mer 
calme , il parcourt les récifs alors seulement recouverts d'un 
pied et demi d’eau. Au milieu des nuances les plus vives qui 
décorent les saxigènes et revétent leur masse pierreuse d'une 
enveloppe animalisée brillante, les poissons viennent encore 
embellir cette scène par leur parure éclatante d'or, d'argent, 
et reflétant l'éclat des pierres les plus précieuses. Notre Atlas 
viendra prouver que ce n’est point une hyperbole, et que nos 
peintures seront encore bien au-dessous de la vérité. Nous 
décrirons ailleurs ce phénomène pompeux, parce que la scène 
qui fixa notre attention à la Nouvelle-Islande renfermait 
toutes les circonstances les plus développées d’une magnifi- 
cence dont il est très-difficile qu'un lecteur européen puisse 
apprécier l'exactitude et la vérité. 

Pour en revenir aux poissons d'O-taiti, nous n'en citerons 
que quelques exemples ; ainsi on y trouve des parara ( chæto- 
don ) nombreux et variés, des ovri { balistes ), des eparat et 
eoumé (acanthures ), des girelles, dont les couleurs sont fantas- 
tiques et les espèces nombreuses : telles sont l'eapr, le pao, le 
tabeou , l'étaapé, le pareva , le mato, etc., etc. Des nurænophis 
variées sillonnent, par leur nager rampant, la surface des 
rochers, et s'enfoncent dans les trous qu'elles y rencontrent, 
en ne laissant dépasser que leur tête, afin de guetter plus 
surement les petits poissons et les autres animaux marins dont 
leur tribu vorace fait sa pature. Mais des spares, le filou, des 
syngnathes, des coffres, des lutjans, des serrans, des serpes, vien- 
nent encore apporter de la variété dans l'ichthyologie très-riche 
de cette ile ; et ces poissons dont nous avons déposé de nom- 
breux individus au Muséum sont d'autant plus intéressants, 


302 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

que plusieurs d’entre eux ont été primitivement décrits par 
Commerson et Forster, et qu'ils n'avaient jamais été déposés 
dans les collections publiques. 

Pendant notre séjour à O-taiti, nous n'eumes point occasion 
d'observer un grand nombre d'insectes. Nous ne vimes que 
deux espèces de papillons, qui sont, il est vrai, fort communes, 
et que les habitants nomment pépé; et une grosse zygène, ap- 
pelée poureoua. La mouche des chairs , erao , et les moustiques, 
fourmillent dans les bois et autour des cabanes, et là, comme 
partout ailleurs, annoncent leur présence par leur incommo- 
dité. Un truxale vert, evivi , se tient dans les herbes de prairies 
humides ; et sur les rameaux des arbustes, on rencontre fré- 

5 
et parfois Atvr. 

Lorsque la mer est calme, et que sa surface est unie, la baie 
de Matavai est couverte de velia. Les naturalistes ont donné à 
cette espèce le nom d'Oceanica, parce qu'en effet on la rencontre 
sur la surface entière du Grand-Océan, aussi bien aux envi- 
rons des iles Sandwich que de l'ile de Pâques, au milieu des 
archipels de Tonga, comme dans les mers des Carolines. 

Les iles qui sont entourées de longs récifs, que recouvrent 
à peine quelques pieds d’eau, nourrissent une grande quantité 
de crustacés ; et le nombre de ceux qu'on observe sur les rivages 
d'O-taiti est très-grand , malgré la consommation qu'en font les 
habitants, qui les recherchent avec empressement. Au premier 
rang , nous devons citer une espèce de langouste, Our-ou- 
ra-rou, remarquable par sa belle couleur marron, variée de 
blanchâtre, par son test hérissé de tubercules et d'épines, par 
ses pieds bleuâtres garnis de lignes blanches, par ses pinces 
hérissées de poils roux, épais et touffus, par sa queue bordée 
d'une large ligne de points blancs, etc. En peu de temps nous 
recueillimes pour nos collections un scyllare, des palémons, 


quemment un grand phasme, que les Taïtiens appellent evava , 


ZOOLOGTE. 303 
des ranines, des portunes, des plagusies. Les eaux douces et 
fraiches de la rivière de Matavai nourrissent une chevrette 
nommée tataraio, à enveloppe hyaline , à pinces très-longues 
et marquées de taches d’un pourpre vif. Ses bords sont creusés 
d'une grande quantité de petits trous où se tient caché un ocy- 
pode, toupa , dont le test est d’un brun foncé avec des points 
verts, et dont la pince droite, beaucoup plus forte que la 
gauche, est colorée en rouge - vermillon. Le pagure mouctheté , 
eoua, figuré dans l'Atlas zoologique de MM. Quoy et Gaimard, 
est très-commun sur les grèves sablonneuses, que recouvre 
constamment une certaine épaisseur d'eau salée, où il atteint 
une grande taille, qui lui fait choisir pour sa demeure les co- 
quilles les plus volumineuses, et principalement les tritons. Le 
genre cancer , proprement dit, compte de nombreuses espèces: 
le papa est de grande taille et de rouge vineux; son test est 
marqué de onze taches rondes, d'un rouge foncé ; son corps, 
complétement glabre, est jaune en dessous. Le wti-ereti est 
rouge de brique et très-velu ; le &t-aoouarou est ocellé de points 
blancs ; le aatea est d’un violet foncé et couvert de tubercules ; 
enfin, un grapse peint très-commun, est nommé {otoe, etc., etc. 

Si déja, dans les-animaux que nous venons d'indiquer, on 
en a reconnu plusieurs qui soient propres aux mers indiennes, 
on verra que la plupart des mollusques que nous allons men- 
tionner se trouvent à peu près vivre indifféremment sous toute 
la zone équatoriale, et aussi bien dans l'océan Atlantique que 
dans le Pacifique. De toutes les coquilles, la plus commune 
est.sans contredit le poreo, ou la porcelaine tigre [cypræa 
gris). Mais on peut encore sy procurer un grand nombre 
d’autres espèces, qui sont : la porcelaine géographique; le 
poupoutaratara ( chicorée rameuse ); le ptérocère scorpion, le 
pououpouou ( casque ); le triton trompette, coquille qui mérite 
d'autant mieux son nom, qu'elle sert chez tous les insulaires 


304 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

de la mer du Sud de signal pour courir aux armes, ou pour 
se rendre à quelques cérémonies religieuses; les volutes, les 
mitres, les harpes, le poupou [wés tigre); les rouleaux, les 
cônes, les rhombes, nommés poupouart; les cylindres, les 
trochus, les tonnes, le cadran, le bronte cuiller, etc., etc. 
Voilà pour les univalves. 

Parmi les mollusques testacés bivalves , on doit citer en pre- 
mière ligne l'aronde aux perles (mytilus margaritiferus ), que 
les habitants nomment #rana. Cette précieuse coquille n'est 
point très-commune sur les côtes d'O-taïti; mais en revanche 
elle forme des bancs épais aux milieu des iles basses de l'ar- 
chipel Dangereux. Les naturels se servaient depuis long-temps 
des perles comme objet de parure, et étaient, ainsi que les 
habitants de Ceylan, dans l'habitude de plonger pour aller les 
chercher au fond de l'eau. Des spéculateurs européens ont pro- 
fité de l'industrie des O-taitiens pour la faire tourner à lavan- 
tage de leur commerce ; et voici les données que nous nous 
sommes procurées sur les lieux, relativement à le pêche des 
perles , et qu'on lira sans doute avec intérét. 

Les Européens qui s'occupent de la pêche des huitres à 
perles sont dans l'usage de prendre, dans les iles de la Société, 
une trentaine de naturels forts et vigoureux, qu'on paie avec 
des objets manufacturés, et pour lesquels on embarque des 
vivres du pays. Le navire qu'ils montent doit etre d'un faible 
tirant d'eau, et muni de plusieurs petites embarcations. Les 
lieux où la pêche est plus abondante sont les canaux étroits 
remplis de bancs qui-séparent les innombrables iles basses des 
Pomotous. La profondeur la plus ordinaire à laquelle se trou- 
vent les huitres à perles, est de cinq brasses ; cependant elle 
varie quelquefois jusqu'à treize, Les naturels qui, dès ieur 
enfance, sont habitués à rester plus ou moins long-temps sous 
l'eau , peuvent y séjourner, dit-on, pendant trois ou quatre 


ZOOLOGTE. 305 
minutes et rapporter quatre ou cinq coquilles. Trente plon- 
geurs, répartis par le moyen de bateaux sur plusieurs points 
des hauts fonds, peuvent recueillir, en un jour, jusqu'à un 
tonneau et demi de ces testacés si estimés; et on a calculé 
que si les naturels ne volaient point une grande partie des 
perles, ce qu'ils font toujours, vingt tonneaux d'huitres donne- 
raient exactement une livre de perles, dont la valeur moyenne 
est de cent louis. Mais les perles ne sont pas la seule matière 
précieuse recherchée dans ces huitres, la nacre elle-même, 
employée dans plusieurs arts, est estimée, et, bien que sa va- 
leur soit arbitraire, le prix le plus ordinaire d'un tonneau est 
de treize louis. Les pêcheurs ont remarqué que les coquilles 
dont les valves étaient les plus lisses ne renfermaient presque 
point de perles, et que celles-ci, que l’on peut considérer comme 
un résultat maladif, ne sont jamais plus abondantes que lors- 
que l’huitre est recouverte de corps étrangers, et surtout de 
productions coralligènes , ou même que ses valves ont été en- 
dommagées par diverses causes. 

La tridacne, nommée paoua, est communément enchàssée 
dans les récifs de coraux, et, bien que sa chair soit dure et très- 
coriace, elle fournit aux naturels un aliment qui leur plait. 

A l'indication de ces deux coquilles bivalves nous joindrons 
seulement celle de quelques moules, de la pinne marine, de 
plusieurs vénéricardes et corbules. 

De toutes les coquilles terrestres , la plus commune est celle 
que les habitants nomment 004 , que l’on trouve sur le sommet 
des montagnes, et dans les aisselles des feuilles du vaquois. Ce 
petit bulime, couleur de chair, est le partula otaheitana. 
L’ehiz des Taitiens est la nérite couronne qu'on rencontre dans 
toutes les petites rivières de l'ile , avec une ancyle. 


Nous observames trois espèces d'astéries : l'eouata est l'as- 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 39 - 


306 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
terias discoidea des auteurs; la bamataï est à cinq rayons 
très-alongés et étroits. Nous ne trouvâmes qu'une ophiure. 
Le vétoué est l'oursin à baguettes, que les naturels mangent ; 
il est très-commun, ainsi que l'echinus atratus. Deux autres 
espèces plus petites ne sont pas rares sur la côte : la pre- 
mière, tra , a des baguettes rondes, petites, aciculées, blanches 
au sommet et violettes à la base ; tandis que la deuxième est 
hérissée de baguettes pointues, effilées et entièrement noires. 
Dans le deuxième volume de cet ouvrage, nous aurons 
encore à nous occuper avec plus de détails des diverses espèces 
d'holothuries, de méduses, de Béroés et de madrépores, etc. 


NA 
ILE DE BORABORA (ARCHIPEL DE LA SOCIÉTÉ ). 


(Du 26 mai 1823 au 9 juin suivant.) 


Quel charme magique ont donc ces îles de la mer du Sud 
dont les descriptions sont si longues, et qui sont cependant si 
bien connues de la plupart des Européens instruits? Wallis, 
Bougainville, Cook, Vancouver ne tarissent point sur cet ar- 
chipel de la Société, plus connu en Europe que bien des pro- 
vinces des états les plus policés; et les noms d'Eymeo, de 
Huahène, de Taha, de Raïatea, d'Uhiétéa et de Borabora se re- 
produisent à chaque instant dans les pages de leurs narrations, 
etont, malgré une surabondance de détails, et les longueurs 
minutieuses des journaux de bord, un attrait que le temps n'a 


ZOOLOGIE. 307 
point encore épuisé. Avec quelle avidité, avec quel plaisir 
na-t-on pas lu, n’a-t-on pas retenu par cœur les moindres 
détails sur les habitudes du peuple aimable et frivole qui les 
habite? Mais ce n'est point ici le sujet dont nous devions nous 
occuper. De plus sévères et de moins piquantes observations 
doivent être l'objet de notre étude , et le cercle de nos considé- 
rations ne doit pas s'étendre au-delà des descriptions purement 
physiques du sol. 

L'ile de Borabora ‘ ressemble complètement à O-Taiti. Ce 
sont les mêmes productions, les mêmes habitants, les mêmes 
circonstances atmosphériques. Tout le système d'iles qui con- 
stitue ce que nous nommons archipel de la Société présente 
en effet une parfaite identité de création. Les détails que nous 
venons de présenter sur O-Taïti sont donc applicables à Bora- 
bora ; mais comme notre séjour dans cette dernière ile a enrichi 
nos collections d'objets qui ne se sont point offerts à nos re- 
cherches dans la première, nous en tracerons dans ce paragra- 
phe une esquisse dégagée de tout ce qui a pu être déja signalé 
dans le précédent travail. 

Borabora, mal à propos nommée Bolabola par d'anciens na- 
vigateurs, est, malgré sa petite étendue, extraordinairement 
pittoresque. Ses sites, très-accidentés, sont remarquables par 
leur variété, et par la richesse de la végétation, le luxe et le 
développement du feuillage, la teinte diversement foncée de la 
verdure. Elle n'est distante d'O-Taïti que d'environ quarante 
lieues. Un immense récif qui peut avoir sept lieues de tour l’en- 
ceint d'une barrière de corail, sur laquelle s'élèvent quelques 
motous verdoyants, tels que Zoubouai, Toubouaiï-itt, Motou- 
it, et Tenahiroa. Les rivages en dedans de la chaîne extérieure 
des bancs de polypiers sont morcelés par de nombreuses baies, 


! Cette île gît par 16° 30° de lat. S., et 154° 5 56” de long. O. 
39- 


308 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

rétrécissant et découpant profondément la surface de l'ile, qui 
ne se compose, à bien dire, que d'une montagne solitaire et co- 
nique, dont les flancs se prolongent sur les côtés en arêtes dé- 
clives et sinueuses. Cette haute montagne est un volcan éteint, 
dont le cratère est en partie affaissé vers le rivage, et a formé 
une portion de la baie de Beula, seul lieu où les naturels aient. 
réuni leurs cabanes pour en composer un village. 

Pendant la durée de notre séjour (du 25 mai au 9 juin) les 
vents soufflèrent de l'Est en variant au Nord-Est et à l'Est-Sud- 
Est. Un seul jour nous eumes une brise tres- violente du Sud- 
Ouest. Les vents les plus ordinaires étaient entremélés de calmes, 
et venaient du Nord-Ouest, de l'Ouest-Nord-Ouest ou du Sud- 
Ouest, et n'avaient qu'une courte durée. Les brises de l'Est-Sud- 
Est descendaient fréquemment par raffales des flancs du mont 
Paya. Le medium du baromètre fut de 28 p. 1 pouce 6 li- 
gnes , et celui du thermomètre de 29 degrés centigrades à midi, 
et 28° à minuit. Une seule fois il marqua 24 degrés et deux fois 
25°. La température de l’eau était, à midi, de 27 à 28 degrés, 
et baissait dans la nuit suivant la force de la brise. L'hygromètre 
à cheveu ne marqua qu'une fois 95 degrés, et indiqua commu- 
nément 101°, et Jusqu'à 106 et 110° à deux fois différentes. 

La baie de Borabora, nommée Beula par les habitants, est 
vaste et bien abritée de toutes parts, excepté peut-être aux 
vents du Sud , qui soufflent avec force dans l'hivernage, et qui 
passent au-dessus des pointes de Daïly et de la petite île de 
Toubouai-tti. Une passe étroite, bordée de récifs à fleur d’eau , 
y conduit en venant du large, et est traversée par des courants 
d'autant plus forts que son étendue est plus étroite. Le mouil- 
lage se trouve être à une demi-encablure du village, sur un 
fond de corail recouvert de sables madréporiques ; il est abrité 
par la montagne centrale, ou Paya, dont les flancs s'élèvent si 
perpendiculairement, que, vus de cette partie, ils semblent être 


CD 


ZOOLOGIE. 
 taillés à pic. À ses pieds, et sur le rivage bas et au niveau de la 
mer du pourtour de la baie, sont de loin en loin établies les ca- 
banes des naturels, séparées chacune par des plantations d’'ar- 
bres à pain , et entourées de bosquets d'autant plus gracieux, 
que la nature en a fait tous les frais. Ce village peut contenir 
environ mille cinquante trois habitants, et son étendue n'a pas 
moins. d'un mille : il est composé de deux districts nommés 
Wuatéi ei T. aamoutou, et gouvernés chacun par un roi: Téfaora 


09 


possède le premier, et Maï le second. 

Ainsi Borabora se compose d'une montagne volcanique cen- 
trale, d'un terrain plat qui y est adossé, d'iles basses ou motous, 
et de récifs à peine recouverts par la surface de la mer. Le 
paysage, vu de la rade, est un des plus gracieux qu'on puisse 
imaginer ; et pour peu qu'on soit favorisé par un de ces beaux 
jours des tropiques, son aspect, résultant d’un mélange de 
pitons volcaniques nus et décharnés et de sites verdoyants, est 
enchanteur. Des forêts de cocotier, dont les parasols de verdure, 
balancés par les brises du large, servent de dôme impénétrable 
au soleil, couvrent les iles basses ou motous; des bancs de 
récifs forment sous l’eau des labyrinthes peuplés de madrépores 
et de zoophytes que teignent les plus riches couleurs. La mer 
contribue elle-même à l'ornement de ce tableau, lorsque le 
calme règne sur sa surface légèrement onduleuse, ou lors 
même qu'agitées, ses vagues viennent heurter contre les roches 
animalisées et jaillir au loin en gerbes écumeuses. La blancheur 
du sable qui couvre les grèves, la verdure sombre des Baring- 
tonia qui croissent seulement sur les rivages, les feuilles larges 
et découpées des arbres à pain, achèvent d’embellir cette scène 
d'une nature vierge et imposante. La montagne centrale de Bo- 
rabora donne naissance à de petites chaines de collines qui s'ir- 
radient sur divers points, et notamment la première au Nord- 
Nord-Est; la seconde court du Sud au Sud-Ouest, et la troisième 


ae VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


se dirige de l'Ouest à l'Ouest-Nord-Ouest, en se terminant à la 
baie de Fanoüi. Son élévation est d'environ six cent dix-sept 
toises ; ses flancs, très-abruptes, sont composés d'assises 
épaisses, d'une belle dolérite, formant des murailles hautes de 
près de cinquante pieds, et qui sont cà et là complètement nues, 
et le plus souvent à l'endroit où les assises reposent l’une sur 
l'autre , recouvertes d'une abondante végétation. Son sommet 
déchiré est couronné par deux pitons, dont l’un, d'une nudité 
repoussante, a plus de deux cents pieds d’élévation. La pyramide 
qu'il forme repose sur une base étroite, et sa surface noircie 
et fendillée présente partout le trachyte à nu. Une excursion 
que nous eùmes occasion de faire sur le sommet de la montagne 
Paya, et jusqu'au pied du haut piton dont nous venons de 
parler, donnera l'idée la plus étendue de la végétation et de la 
nature du sol de Borabora, et pourra faire passer dans l'ame de 
nos lecteurs quelques-unes des sensations qu'elle nous à fait 
éprouver. 

Le 27 mai 1623, nous partimes du bord, MM. Bérard, 
Lottin et moi, par le plus beau temps du monde, dans l'inten- 
tion de gravir la montagne et d'en escalader les arêtes ; deux in- 
sulaires nous servaient de guides. Débarqués sur le rivage, nous 
primes un étroit sentier qui se déroule, en formant des zigzags, 
sur une petite chaine de collines se dirigeant au Nord-Ouest, et 
qui descend de la portion moyenne de la montagne elle-même. 
De beaux arbres à pain, des Mape (inocarpus eduls), des Nono 
(Morinda citrifolia), bordaient ce petit chemin qu'embarras- 
saient d’ailleurs les tiges volubiles des liserons grimpant sur les 
branches et retombant en festons ; nous remarquames surtout 
parmi ces lianes un dolichos, que les naturels nomment Toutou- 
vifaraoa , dont les tiges s'étendent au loin. Bientôt on se trouve 
sur le sommet de cette petite chaine, formée entièrement de 
dolérite, recouverte d'une argile trés-rouge, et le sentier alors 


ZOOLOGTE. 311 


s’abaisse jusqu'au fond de la baie de Tipoto. Là on commence à 
s'élever sur le côté Nord-Ouest de la montagne, qui, en cet en- 
droit, est encore roide et escarpée; cà et là cependant des débris de 
cabanes temporaires attestent que les insulaires viennent y sé- 
journer passagèrement pour récolter les fruits des nombreux 
arbres à pain croissant aux alentours. La végétation est très- 
active ; et aux citronniers à fruits rugueux et aux Cratæva 
religieux se mélaient des buissons d'Arbiscus rosa sinensis, et 
de Gardenia , que l'arome suave de ses corolles décelait au loin. 
De grands arbres de y ( Spondias dulcis) nous fournissaient 
en abondance leurs pommes aqueuses et sucrées; tandis que 
nos guides, gravissant sans effort les longs stipes des coco- 
tiers, allaient en cueillir les noix pleines d’ane liqueur émul- 
sive toujours fraiche et agréable, mais dont le voyageur al- 
téré apprécie bien plus le goût savoureux. Nous nous trouvions 
en ce lieu à cinq heures du matin, au moment où l'abondante 
rosée qui couvrait les feuilles se dissipait sous l'influence des 
rayons naissants du soleil ;: un profond silence reposait l’ame 
qu'une fraicheur délicieuse disposait à jouir des beautés de 
sites si opposés à ceux des zones tempérées. De toutes nos 
excursions dans l'Océanie, celle-ci est sans contredit la 
seule qui ait laissé des traces profondes dans notre imagina- 
tion. 

À mesure que nous nous élevames sur le versant de la mon- 
tagne, par le seul côté qui soit abordable, le chemin devint 
si abrupte, qu'il fallut bien souvent nous confier à l'expérience 
et à l'adresse pratique de nos guides. Quelques jeunes bran- 
ches d'hibiscus furent écorcées, et les naturels qui nous ac- 
compagnaient en firent des cordes qu'ils allaient attacher au 
tronc des arbres pour nous aider à gravir des quartiers de 
rochers coupés presque verticalement, dont la surface était 
rendue glissante par des couches de bissus humectées sans 


312 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

cesse par des nappes d’eau filtrante. C'est au milieu des bois 
que nous eùmes occasion de nous apercevoir combien les 
indigènes, dont l'appareil locomoteur est constamment exercé, 
l'emportent sur les Européens. Leurs pieds, dont les arti- 
culations n'ont Jamais été génées par une chaussure en 
cuir, jouissent de mouvements assez étendus dans les doigts, 
et le gros orteil surtout, très-écarté des autres, peut saisir 
avec force le sol sur lequel il appuie, et servir ainsi à sou- 
tenir le corps sur une pente humectée et glissante, et seconder 
les mains dans cette fonction. Les souliers, en nous déformant 
les pieds, nous ont entièrement fait perdre cet avantage. Nous 
escaladimes donc ainsi plusieurs fois des murailles de basalte, 
hautes de douze ä quinze pieds. De chaque côté, sont d'épais 
massifs de végétaux que forment les hibiscus, des pandanus, 
des erooua , ou orties argentées, dont l'écorce textile donne des 
filaments tenaces et soyeux ; les figuiers maki. Nous remar- 
quàâmes que quelques cocotiers maigres et rachitiques s'étaient 
élevés sur les collines jusqu'à environ neuf cent trente pieds; 
mais que passé cette élévation, ce précieux palmier cessait de 
croître, qu'il ne produisait jamais davantage et que sa végé- 
tation n'était vigoureuse qu'autant qu'il se trouvait au niveau 
de la mer. Après deux heures de marche, nous parvinmes à 
l'arête terminale de la montagne : là on trouve un plateau 
circulaire assez étendu et qui supporte un haut piton de forme 
conique, nommé Ofée par les naturels. Ce morne n'a pas 
moins de deux cents pieds d'élévation, et les quatre faces qui 
en composent le corps sont complètement nues ; tandis que 
son sommet, où croissent quelques arbustes, parait beaucoup 
plus large que la base, puis est terminé par une pyramide 
aiguë. La nature de ces roches volcaniques appartient à la do- 
lérite; la facé orientale de ce mont ignivome est formée de 
murailles verticales de cette belle dolérite , et ressemble, vue 


ZOOLOGIE. 313 


du bord de la mer, à une tour gothique immense. Ces mu- 
railles toutefois sont formées de strates hautes de quarante 
à cinquante pieds; et leurs rebords, larges au plus de douze à 
quinze pieds, sont couverts de grands arbres très-pressés, et 
qui, vus du village, ressemblent à de couris arbustes formant 
à la base de chaque strate un étroit liséré vert. Assis au pied 
de FOtéé, MM. Bérard et Lottin prirent des vues, tandis que 
portant au loin nos regards, nous avions en perspective la 
haute mer et la plupart des iles de la Société. Un horizon clair 
nous permit de suivre parfaitement les sinuosités et les acci- 
dents du sol de Taha et de Raïatea au Sud, de Tupaï au Nord- 
Ouest, et de Maupiti à l'Ouest. Des pieds de la montagne partent 
trois petites chaines qui sillonnent l'ile au Nord, au Sud et 
à l'Ouest; l'une d'elles, dont la direction incline au Nord-Est, 

est couverte d'une riche verdure, du milieu de laquelle Di 
un roc décharné s'élançant d’entre les arbres, et que sa forme 
nous a fait nommer {e marteau. 

L'Otéé, où ce piton qui termine la montagne de Borabess 
d'une manière si remarquable, parait être jadccessible uni de 
nos guides nous assura, cependant, que les indigènes le gravis- 
saient parfois pour attraper les phaëtons à brins rouges, qui 
y nichent en certains temps de l’année. Ce plateau, élevé et soli- 
taire, est l'asile d'une jolie tourterelle qui descend rarement 
dans la partie inférieure'de l'ile : depuis plusieurs instants ses 
roucoulements nous annoncaient sa présence; mais son plu- 
mage vert la faisait échapper à nos regards : nous parvinmes 
pourtant à en tuer plusieurs. Cette tourterelle, que les naturels 
nomment Ouba, est la Columba kurukuru des auteurs, que 
nous avions trouvée aussi à O-Taïti : son plumage offre quel- 
quefois de légères différences. Au: vert brillant des ailes et 
du dos, succèdent un vert jaunâtre päle sur le cou, un jaune- 


serin sur la gorge, et un jaune vif sur le ventre et sur les couver- 


Voyage de la Coquille. — Z. Tome I. 4o 


314 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


tures inférieures de la queue. Une calotte, d’un violet tendre 
que borde une auréole jaune, couvre la tête de la manière la 
plus gracieuse ; les rémiges sont œillées de blanc à leur 
extrémité ; le bec est jaunâtre, et les pieds sont orangés. L'ouba 
a huit pouces de longueur totale. 

Nous recueillimes en cet endroit quelques coquilles ter- 
restres : un petit bulime, couleur de chair, y était entre autres 
très-commun. Déja nous l'avions rencontré à O-Taiti ; mais 
sur le sommet du Paya, on le trouvait abondamment dans les 
aisselles des feuilles du vaquois inerme, et sur les frondes des 
fougères : c'est l'Ooa des naturels et le partula taïtensis de 
M. de Férussac. 

Malgré le froid vif que noustressentions avec d'autant plus 
de force qu'une sueur abondante ruisselait du corps, nous 
restämes quelques heures pour prendre une vue de file et de 
l'archipel environnant. Telles sont les réflexions que leur as- 
pect fit naître dans notre esprit. Les iles de la Société reposent 
toutes sur un plateau peu enfoncé sous la surface de FOcéan, 
et qui a été tourmenté par des éruptions nombreuses. Chaque 
ile, en effet, se compose d'un noyau volcanique, plus ou 
moins élevé, dont les flancs présentent cà et là de larges cou- 
lées basaltiques, tandis que le sommet est inégalement des- 
siné et retrace l'aspect d'un ancien cratère, dont les bords sont 
hérissés de pitons en certains endroits. Or, à ce noyau pri- 
mitif et central, s’adjoint une lisière plus ou moins large, 
très-plate, peu élevée au-dessus de l’eau, qui repose sur 
une base de corail. Ce terrain récent, en se moulant ainsi sur 
les bords du noyau primitif, a recu, par l’action des pluies et 
des ravines, la plus grande partie de l'humus que la végétation 
avait successivement créé sur ses pentes. Cette lisière, aujour- 
d'hui couverte de végétaux et de culture, la seule que les 
Océaniens aiment à habiter, est donc la première formation des 


ZOOLOGIE. 315 


polypiers, et celle que depuis long-temps les animaux créateurs 
ont abandonnée pour se reporter plus au large et former une 
deuxième ceinture encore en partie cachée sous l’eau, dont les 
zigzags et les interruptions prouvent. que les zoophytes. saxi- 
gènes ont besoin, pour les établir, de trouver, au fond de la 
mer et à une certaine profondeur, des arêtes capables de 
supporter leur travail. Enfin les iles basses, ou motous, qui 
paraissent quelquefois à une distance assez notable de l'ile 
principale, ont été élevées indubitablement sur l'irradiation de 
quelques chaines du noyau volcanique central. Jamais, en effet, 
les bancs de coraux ne s'étendent au large, et toujours ils sont 
la dépendance de l'ile qu'ils entourent. On conçoit que, lorsque 
l'irruption du volcan sous-marin ne lui a pas permis de s'élever 
au-dessus des vagues et que son sommet occupe ainsi une cCer- 
taine profondeur, il en résultera que les polypiers madréporiques 
se serviront des rebords des cratères pour appuyer la base de 
leur édifice et de la chaine des récifs qu'ils formeront au moment 
d'atteindre la surface de la mer, et qu'ils présenteront des zigzags 
rubanés où même les trois quarts d'un cercle indiquant quels 
ont du être les contours des cratères : l'intérieur présentera un 
immense lagon, ainsi qu'on l'observe dans la plupart des iles 
basses ; et il sera d'autant plus profond au centre, que le cra- 
tère aura émis des déjections plus considérables, et que l'éro- 
sion qui en sera résultée aura creusé un sillon sur les flancs du 
mont ignivome, qu'on observe à l'entrée de ces lagons ; et c'est 
ce qui explique comment, dans ces passes, le plus souvent très- 
profondes, des navires européens peuvent y pénétrer et mouiller 
au centre même des iles. 

Vers midi, nous descendimes le Paya par le côté opposé à 
celui que nous avions d'abord pris. Le premier chemin occupe 
le Nord-Ouest de la montagne ; le second se dirige au Sud et 


ne peut servir qu à descendre, encore est-il hérissé de dangers: 
40. 


316 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

les naturels qui nous servaient de guides ne l'avaient jamais 
pratiqué; mais nous voyant décidés à ne pas rétrograder, ils 
ne balancèrent point à s'engager dans les épaisses broussailles 
qui nous cachaient les précipices, afin de nous diriger sans 
accident. Nous avons déja dit que l'élévation perpendiculaire du 
Paya au midi était à peu près verticale : aussi nous fallut-l, 
en quittant l'Orée, descendre une vingtaine de pieds à l’aide de 
cordes. Une fois parvenu à ce point, l'arête de la montagne 
forme une pente d'environ quarante degrés, entièrement 
recouverte de l'espèce de poivrier qui donne l'ava, dont les 
üges genouillées, mais cassantes, soutiennent le voyageur qui 
sy accroche, et dont elles assurent la marche sur une pente 
éminemment rapide. On contourne ainsi toute la face méridio- 
nale des hautes murailles nues de la montagne sur un rebord 
formé par les assises du trachyte ; et l'immense précipice qui 
est au pied est. caché par les tiges nombreuses et disposées 
comme en taillis des hrbiscus tiliaceus, de l'aleurites et d'un 
figuier à rejets nombreux ayant le port du ficus religiosa. Pour 
atteindre la face orientale, on est forcé de gravir, pendant un 
certain temps, au milieu des quartiers de roches éboulées sur 
lesquelles des lianes rampantes forment un lacis presque impé- 
nétrable, et dans les anfractuosités desquelles poussent de 
hautes fougères dont les tiges fragiles se brisent comme du 
verre dans les mains de ceux qui s’y accrochent péniblement , 
et qui emploient tous leurs efforts pour se tirer de ce dédale. 
Déja nous avions franchi de longues voûtes de rochers, des 
pics aigus, les arêtes étroites et la moitié de ces blocs de roches 


, A A . op | à à 
entassées péle-mêle, lorsque nos guides s'égarèrent. Enfin, après 


5 
de longs tâtonnements, des inquiétudes fort vives, et. des 
efforts répétés, après avoir mis nos vêtements en pièces et baï- 
gnés par la sueur, quoique l'air fut froid sur cette montagne, 


nous parvinmes au milieu du côté exposé au levant, où nous 


ZOOLOGIE. 3:17 


pümes descendre avec moins de fatigues et moins de dangers, à 
laide de mamelons en pente très-abrupte, il est vrai, mais qui 
ne nous offraient plus qu'un sentier semé de roses, au lieu de la 
dangereuse descente que nous avions jusqu'à ce moment suivie. 
Les tiges du pourao et les racines qui rampent sur le sol humide 
que ne sèchent jamais les rayons du soleil, nous furent d'une 
utilité incontestable, mais n'empéchèrent point cependant que 
nos chutes ne fussent fréquentes ; et M. Bérard surtout se blessa 
d'une manière assez grave. Vers deux heures, nous atteignimes 
avec une vraie satisfaction la région des cocotiers ; c’est alors 
que nous trouvâmes, dans la boisson fraiche et limpide que ces 
coques ligneuses protégent, un breuvage délicieux. Le pied du 
mont Paya est légèrement déclive dans sa partie Sud; et comme 
le terrain, en cet endroit, est un peu onduleux, et recouvert 
d'un terreau meuble, il en résulte que les arbres à pain ne 
sont nulle part ni plus nombreux, ni d'une plus belle venue; il 
nous fallut prolonger toute village avant de rejoindre {& Co- 
quille. Nos guides paraissaient enorgueillis de pouvoir raconter 
à leurs compatriotes l’excursion de la journée, et tous expri- 
maient le plus vif étonnement de ce que des ratiras de la pahé 
de France s'exposaient à de telles fatigues pour cueillir quelques 
herbes ou casser quelques fragments de rochers. Un mission- 
naire anglais, M. Orsmond, profita de cette circonstance pour 
dire aux naturels, dans un sermon, que nous appartenions à 
une nation pauvre et misérable, n'ayant que très- peu d'indus- 
trie, envoyant ainsi des vaisseaux pour recueillir des objets 
que son sol ne possède point, afin de les vendre aux autres 
nations. Nous étions rendus à bord à quatre heures du soir. 

À une faible distance du rivage existent encore les ruines du 
morai de Pouny , ancien roi de l'ile , et qu'ensanglantaient de 
nombreux sacrifices humains. Ce moraï n'est plus aujourd'hui 
qu'un amas informe de gros blocs d’un madrépore compacte, 


318 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

anciennement dressé en gradins. Des massifs de cocotiers , des- 
tinés à assurer l'existence des naturels, couvrent tout le terrain 
qui s'étend dans sa partie méridionale. Dans les fourrées qui 
existent sur cette partie de l'ile, nous remarquämes une espèce 
d'ahouai ( cerbera parviflora ), à corolles blanches; les habi- 
tants nomment ea l'arbre, et &pao le suc laiteux très-vénéneux 
qui s'écoule abondamment des tiges lorsqu'elles sont incisées ; 
ca et là y croissent des pieds de piments appelés obero , et que 
les naturels paraissent cultiver avec quelque soin. Aïnsi qu'à 
O-Taiti, nous rencontrames très-fréquemment, dans les aisselles 
des feuilles de cocotiers, le martin-pècheur o-fataré (todiramphus 
divinus , N. }et la perruche bleue ou e-vint (psittacus taitensts ). 
C'est en ce lieu que nous nous procuràmes pour la première 
fois une espèce de coucou que les insulaires appellent Ooea, et 
que Sparmann a décrite (mus. Carts. pl. XX XII ) sous le nom 
de cuculus taitensis. Ce coucou est de la grosseur de celui de 
France; il est en entier d'un marron brun avec des flammes 
fauves. Les rémiges et les rectrices sont également striées; la 
gorge et le ventre, de couleur blanche, ont dés flammes rousses; 
1 Lee est légèrement effilé, et les ue. sont jaunes. Dans les an- 
fractuosités du Paya ne une petite hirondelle de mer, svelte 
et gracieuse; on la voit, dans le jour et surtout le matin, voler 
sans cesse à la poursuite des insectes au-dessus des grands arbres 
d'inocarpes et de spondias. Sa taille est un peu moindre ‘que 
celle de la petite hirondelle de mer d'Europe; son plumage est 
en entier du blanc le plus pur. Seulement les tiges des plumes 
sont de couleur brune, tandis que son bec et ses pieds sont 
d'un bleu d'azur clair. Les habitants de Borabora nomment cette 
sterne itae ou ptraë. Nous pensons que c'est l'espèce figurée par 
le docteur Sparmann (pl. I du mnus. Carls.) sous le nom de 
sterna alba, bien que cet auteur lui donne indifféremment 
‘pour patrie ie cap de Bonne-Espérance et les iles de la mer du 


ZOOLOGTIE. 319 


Sud. Sur les grèves où croissent des Baringtonta et le t00 , arbre 
majestueux par son feuillage et ses fleurs de couleur orangée 


(Guettarda speciosa?), des crabiers gris et blancs guettaient de 


5 
petits poissons ; et ces oiseaux, nommés e-hotou, étaient jadis 
vénérés dans l’ancienne religion des habitants. On nous donna 
à Borabora une espèce vivante de perruche très-voisine du 
phigy de Levaillant (pl. LXIV de son Histoire des perroquets ), 
peut-être encore plus voisine de la perruche fringillaire 
(pl. LXXI du même ouvrage), et que M. Vigors a décrite récem- 
ment (Zoo!. journ., n°3, p. 412)sous le nom de psittacula Kuhlir. 
Cet oiseau, sur lequel nous fournirons de nouveaux détails 
dans la partie descriptive des espèces, a la langue terminée par 
un petit cercle de papilles nerveuses; ses habitudes sont vives 
et colériques, et son naturel sauvage. 

Pour donner une idée des récifs dont nous avons déja fré- 
quemment parlé, nous nous bornerons à raconter les observa- 
tions que nous avons pu recueillir dans une excursion que 
nous fimes sur les rnotous les plus éloignés de Borabora, dans 
le double but de faire draguer sur les côtes sablonneuses de 
quelques points de ces ilots et d'en étudier la formation. Nous 
abattimes, en traversant la baie, plusieurs frégates qui volaient 
au-dessus de nos têtes. Cette espèce, que les naturels nomment 
otaa , est de moitié plus petite que la frégate qu'on trouve 
dans l'Océan Atlantique. Son plumage est entièrement noir, et 
mème le dessous du bec et la gorge sont de cette couleur ; de 
sorte que nous ne pouvons pas supposer que ce soit le pelecanus 
minor de Linné, bien quelle paraisse former une espèce 
distincte. Le premier endroit que nous visitämes fut Motou- 
Tapou, qui n'est séparé de Toubouar que par un étroit canal 
parsemé de pâtés de coraux. Motou- Tapou n’est qu'un plateau 
madréporique récemment sorti du sein des eaux, et que la vé 


gé- 


tation à déja en grande partie envahi. On n’y compte toutefois 


320 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


que douze pieds de cocotiers qui, n'étant garantis par rien, 
sont froissés par les vents violents du large. La Flore de ce 
motou se réduit à cinq ou six plantes, qui sont les Lobelia arborea 
( Forster prodr., n° 308), l'hibiscus tiliaceus , le Tournefortia à 
feuilles soyeuses, le convobulus pes-capræ ou pouai, et un liseron 
volubile à fleurs blanches. Ses habitants étaient : un chat que 
quelque navire européen y aura laissé, réduit à manger des 
crustacés, et qui parut se délecter avec de la chair de coco 
que nous lui donnâmes; une hirondelle de mer à calotte noire, 
nommée ‘era-poupa ; des pluviers dorés et des chevaliers aux 
pieds rouges, que les habitants confondent sous le nom de 
torea. Nous abandonnâmes Motou-Tapou pour visiter le banc 
de récif sur lequel la mer déferle avec violence, et qui forme le 
côté droit de l'étroit canal dans lequel il faut s'engager pour 
pénétrer dans la vaste baie de Borabora. Cette masse de corail 
ne découvre qu'à basse mer; elle se compose de madrépores 
informes, unis entre eux comme le calcaire grossier de nos 
carrières, et dont la croûte la plus supérieure est la seule 
vivante. C’est à la surface de ces bancs qu'on voit s'élever, sous 
mille formes variées, des arbres à axes pierreux et à écorces 
animalisées, ornées des couleurs les plus vives et les plus pures. 
À ces polypiers rameux en succèdent de flabelliformes; aux 
méandrines sont opposées des caryophyllies : à côté des astrées 
vivent les disques des fongies. Joignez à cela les teintes blanches, 
rouges, bleues, les plus vives, et vous aurez une faible idée de 
ces parterres d'Amphitrite, d'autant plus variés et fantastiques, 
que le miroir de l’eau reflète de mille manières les rayons 
lumineux qui les éclairent. Une espèce de caryophyllie, assez 
rare, a ses cellules terminales disposées en soucoupes, qu'isolent 
intérieurement plusieurs cloisons minces occupées par les bras 
filiformes et courts d'un polype d’un jaune d'or brillant ; tandis 
que la matière calcaire est enveloppée par une écorce d'un 


ZOOLOGTIE. 321 
rouge de cinabre fort vif; ce sera notre caryophyllia sanguinea. 
La coquille de la tridacne bénitier est très-commune en ce lieu, 
et nous remarquämes que constamment ses valves étaient en- 
gagées complètement dans la masse des madrépores, et que le 
mollusque n'avait de place que celle qui lui était impérieusement 
nécessaire pour les entr'ouvrir: aussi doit-on supposer qu'il s'est 
ménagé cet espace étroit en ouvrant chaque jour ses valves, à 
moins quil nait, comme les saxicaves ou quelques autres 
coquilles perforantes, les moyens d'élargir sa demeure à me- 
sure que son test s'accroit. Le manteau de ce mollusque, que 
les habitants nomment paoua, est de l'azur le plus éclatant 
que relèvent encore de nombreux points brillants et dorés. 
Nulle part nous ne trouvames en plus grande abondance, dans 
les crevasses des rochers, l'espèce d'holothurie édule, que les 
Malais nomment {répang, dont la pêche occupe un grand nombre 
de navires anglais et américains de l'Union, et leur procure des 
profits considérables. Ce trepang (holothuria edulis, N.) est 
long de huit pouces environ, de forme cylindrique, et coloré 
en rouge-brun. Sa surface est recouverte de sables et de graviers 
qui s'incrustent sur la peau; et lorsqu'on le presse, 1l en jaillit 
un liquide d'un beau rouge. Plus rarement apparait sur ces 
récifs une holothurie cylindrique, longue de douze à quinze 
pouces, etremarquable par de nombreux tentacules placés sur le 
rebord de la bouche et composés chacun d'un plateau pédicellé ; 
leur couleur est jaunâtre , tandis que celle du corps de l'animal 
est d’un gris clair, sur lequel tranchent des cercles plus foncés 
et que hérissent cà et là de nombreuses éminences papillaires 
d'un beau jaune. 

Sur ces bancs de coraux, que recouvrent ordinairement un 
pied ou dix-huit pouces d’eau , se trouvent encore de nombreux 
petits bassins, assez profonds, où vivent des poissons remar- 


quables par leur splendide vestiture. Leur nager rapide au 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 41 


322 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

centre des écueils, les reflets variés de leurs écailles, jettent la 
vie et le mouvement au milieu des animaux, insensibles en 
apparence, qui joignent au port des plantes l'éclat des fleurs , 
et que l’on nomme zoophytes. Tels sont : lE-mamo bleu et 
argenté ; la baliste brune, oz; le labre, tarao, ponctué de 
rouge-brun ; le momotara , ou coffre à quatre cornes; les aleu- 
tères ; Les chétodons, etc., etc. Parmi les crustacés, nous remar- 
quàämes de nombreux crabes vivement peints, la langouste d'O- 
Taiti (palinurus versicolor ?), et une squille beaucoup plus 
grande que celle des côtes de France, et dont le corps, agréa- 
blement coloré en jaune-serin, est traversé par douze bandes 
d'un brun-marron lustré. 

De larges touffes d'une actinie dont les individus sont grou- 
pés et serrés les uns contre les autres recouvrent, en bien des 
endroits, les madrépores arrondis en tête : les habitants la 
nomment #ataimomoe, et nous pensons qu'elle constitue une 
espèce inédite du genre Zoanthe. De petites touffes de fucus 
turbinés (fucus prxidatus ) et de sargasses forment une verdure 
variable au fond de l’eau. Le premier est l’érimou des naturels, 
et est souvent entremêlé à un polypier mollasse et gélatineux, 
formé de grains arrondis, de couleur verte transparente, enfi- 
lés comme des grains de chapelet, que l'on appelle aussi , dans 
le pays, erimou, en lui ajoutant l’épithète d'onrni. Les frondes 
flabelliformes de l'ubva pavonia sont mollement balancées à 
côté des tiges comme noueuses des halimèdes voisines du {una 
de Solander et d'Ellis, et dont les articulations sont d'un vert 
gai à l’état frais, et blanchissent en desséchant, lorsque leur 
axe calcaire se trouve privé de l'écorce animalisée et colorée 
qui le revétait. L’halimède est l'érimou orou des habitants de 
Borabora. Des thétis, des ava-ei-matapé ou spatangues à pi- 
quants courts et serrés, de couleur marron; des tavouaé ou 
oursins orbiculaires à piquants roux à la base et blancs à la 


ZOOLOGIE. 323 


pointe; de gros trochus comestibles, des cônes dits piqures de 
puce, vinrent accroitre le nombre des objets que nous recueil- 
limes sur ces récifs. 

La petite ile isolée de Toubouaï , sur laquelle nous nous diri- 
geames ensuite en quittant les écueils de la passe, diffère des 
motous en ce qu'elle est de la même constitution géologique 
que Borabora, c'est-à-dire montueuse, et, nous pensons, de dolé- 
rite; mais comme elle est partout très-boisée, nous ne pümes 
nous assurer, d'une manière positive, du fait. Le pois corail 
(abrus precatorius), si commun en Amérique, couvrait la lisière 
de cet ilot; et ses gousses, alors en maturité, étaient remplies de 
ces graines rouges et noires si vivement colorées. Les mous- 


5 5 
tiques pullulaient en ce lieu et nous en chassèrent. Sur la orève 


o) 
vivaient les foupa, espèce inédite d’ocypode, l'holothurie eouarr, 
et la dolabelle téremidi,espèce nouvelle et remarquable dont nous 
avons communiqué la figure et fanimal en nature à M. Rang, 
pour faire partie de sa monographie des aplysies, et où on la 
trouve décrite page 48, et figurée planche II. 

La baie de Borabora est souvent fréquentée par des essaims 
de ces énormes raies que les marins nomment diables de mer, 
et que les naturels appellent aapiti. Cette espèce vit en troupes, 
nage avec rapidité, et vient souvent à la surface de la mer, de 
manière à simuler le sommet d'une roche à fleur d'eau. Elle a de 
douze à quinze pieds de largeur, etla queue d'unindividu que nous 
donna un pêcheur avait cinq pieds de longueur. Les habitants 
des iles de la Société s’en rendent maitres en leur lançant des 
harpons, et se servent de leur peau pour faire des ràpes avec 
lesquelles ils polissent les ouvrages en bois. 

Nous terminerons le tableau physique de Borabora par une 


esquisse historique sur le cocotier ‘. Ce palmier, si abondant 


1 Cocotier des Indes, Cocos nucifera, L.; Cocos inermis, frondibus pinnatis , 
Ar. 


324 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


sur les iles océaniennes, parait être directement lié à l'existence 
de l'homme : partout où il croit sur les iles basses, on est assuré 
que l'espèce humaine s'y est établie, et qu'elle a bâti sa cabane 
sous la protection de son parasol de verdure. Le cocotier est le 
végétal océanien par excellence ; et bien qu'il semble former 
une écharpe autour du globe dont les limites se trouvent être 
les 25 degrés de latitude, il ne se montre que d'une manière 
secondaire dans l’ancien monde et dans le nouveau. Il ne croit 
jamais que sur le littoral des contrées situées entre les tropiques : 
il a besoin, pour vivre, d'une atmosphère marine et chaude; 


foliolis replicatis ensiformibus, L., Sp. pl.; Cocos nucifer, dulci, eduli, Jacquin, 
Am, , tom. CLXVIIT; Roxb. Corom. I, p. 52, tom. LXXIIT; Labat, Voyage en 
Amérique, tom. III, pag. 266; Pyrard, Voyage aux Indes orientales, 1679, 
pag. 22; Flacourt, Hést. de Madagascar, p. 127; Nux indica, Lobel, Ie. 270; 
Palma indica, coccifera, angulosa, Bauhin, Pinax. 
Parmi le grand nombre de noms que le cocotier porte dans les diverses contrées 
où croît ce précieux végétal, nous citerons les suivants : 
Calappa, Rumphius, Amb., I, p. 1; 
Tengua, Rheède, Malab., I. 
Inaya-Guacuiba, Pison, Bras. 130? 
Coquero, au Brésil, Koster, It.  ? 
Roul ( le cocotier ), Caré (le coco ), aux Maldives; 
Narquilly, chez les Guzarates; 
Barca, dans l'Inde, Taylor, It. t. II, p. 190; 
Klapa, Kalapa, Nior, des Malais; 
Niou, aux Tonga et aux Fidjis; 
Nou, à la Nouvelle-Calédonie; 
Serail, à Waigiou, D’Entrecasteaux, It. 
Kasout, à Waigiou; Lamate (le lait), Kambi (la chair), Ouanaté (la 
coque ), Kani ( le brou }; 
Ari, à O-Taïti; 
Lamass , à la Nouvelle-Irlande; Larime (la coque ), Kaourou (le lait), 
Lamass (la chair ); 
Sera, à la Nouvelle-Guinée, havre de Doréry; Karafta (la chair), Rouria 
(le lait émulsif), Yeff£a (le brou filamenteux), Sefeia (la coque ligneuse). 


ZOOLOGIE. 325 
partout ailleurs il végète sans vigueur et sans grace. Mais dans 
les iles innombrables de la Polynésie et de l'Océanie, dans celles 
surtout qui s'élèvent à peine au-dessus des vagues, il parait être 
dans sa patrie de prédilection, et forme des forèts délicieuses 
que l'œil du navigateur contemple de loin avec une satisfaction 
que rien n'égale. 

Décrit dans presque toutes les relations des voyages nau- 
tiques , le cocotier a recu des marins le titre de ror des végétaux. 
Son utilité est immense, et tout en lui est formé pour les 
premiers besoins de l’homme. Ses longs stipes, composés de 
fibres tenaces, servent, aux Indes, de ponts sur les ravines et 
sur les petites rivières : ailleurs on en fait quelques meubles do- 
mestiques ; en Chine, 1ls constituent la charpente des cabanes 
des gens pauvres des provinces du Sud. Ses immenses feuilles 
composées sont utilisées pour faire des toitures, des paniers, des 
ouvrages variés de vannerie; parfois mème elles remplacent 
le papier, en recevant des Indiens les lettres qu'ils y incrustent 
avec un poinçon. Ces feuilles, tissées avec art aux Mariannes, 
sont employées pour faire des corbeilles gracieuses dont se 
servent les femmes. Les nervures sont réunies en balais ; enfin, 
tissées, modifiées de mille manières, on les transforme en pa- 
rasols, en éventails, en voiles de pirogues, etc. Il est rare qu'on 
cherche à obtenir du cocotier la sève, qui fournit, dans plusieurs 
autres espèces de palmiers , le vin dit de palme ou souva, tart, 
touba, etc.; sève que l’on peut concentrer en un sirop, puis en 
une sorte de sucre noir hydruré , que les Malais appellent yagra, 
Jaggart et goula itan. Avec cette matière sucrée, les habitants 
des Mariannes font des sapa, ou sortes de confitures fort 
agréables ; et unie à de la chaux et du blanc d'œuf, on s'en sert 
à Madras pour en composer un stue ou mastic tenace qui 
résiste à l'action du soleil et de la pluie, et qui, dit-on, acquiert 
un beau poli. 


326 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

La toile grossière, disposée en filaments entrecroisés à la 
base des pétioles, est fréquemment utilisée pour servir de filtre 
ou de tamis grossier. Les fibres longitudinales des stipes , nom- 
mées dock à Java, font des cordages excellents pour la marine. 
Le bourgeon terminal fournirait un chou d'un excellent goût, 
si l'on pouvait se décider à détruire, pour un si frêle avantage, 
les ressources infinies et importantes que le cocotier donne 
dans le cours de sa vie. Parfois cependant, dans les colonies, 
on prépare, par luxe de table, des tiges de jeunes cocotiers en- 
core herbacées et n'ayant pas dépassé trois ou quatre ans, 
remplies, dans leur intérieur, d'une moelle saccharine muqueuse, 
très-agréable au gout. 

Mais les ressources les plus importantes fournies par ce pal- 
mier sont ses noix, qui, suspendues par grappes sous le feuil- 
lage, se succèdent pendant long-temps sans interruption , et 
offrent des fruits naissants à côté de ceux complètement mûrs, 
et d’autres dans un état intermédiaire. L'enveloppe filamenteuse, 
ou le brou qui entoure chaque noix, est connu dans l'Inde 
sous le nom de Cure ou de Bastin * , et au Brésil sous celui de 
Cairo. On en retire, dans les ports de l'Inde, une bourre avan- 
tageuse pour calfater les vaisseaux; car on dit qu'elle résiste 
beaucoup plus long-temps que l'étoupe de chanvre à une im- 
mersion dans l’eau. Les càbles, tous les cordages employés dans 
les ports de l'Inde et du Brésil sont faits de cette matière textile; 
ils n’ont point la force de ceux du chanvre ; mais ils l'emportent 
sur eux par l'avantage de pouvoir surnager, étant très-légers. 


: On obtient les filaments du Caire ou Kair en les macérant, et en les séparant 
par le battage. Leur adhérence est rompue à coups de maillet, de manière que l’eau 
dans laquelle on les immerge a plus d’action pour dissoudre les matières gommeuses 
et solubles qui les invisquent. Ces filaments sont séchés, battus de nouveau, et mis 
dans le commerce lorsqu'ils sont nets. Quarante cocos donnent environ six livres de 


ce Caire. 


ZOOLOGIE. 327 


Quoique leur durée ne soit point inférieure aux cordages 
d'Europe, ils ont le désavantage d'être hérissés de barbes rudes 
sur leur surface, qui les rendent peu maniables *. 

La coque ligneuse située sous le brou qui enveloppe l'amande 
est, par sa dureté et par sa forme, en possession de servir de 
vases et de vaisselles à tous les insulaires dans l'enfance de la 
civilisation. Lorsque ces noix n'ont pas encore acquis leur 
maturité parfaite, elles contiennent un liquide aqueux, d’abord 
limpide, d'une saveur sucrée, aigrelette, dont les propriétés 
rafraichissantes et tempérantes ne sont point équivoques. Ce 
liquide, dont les cocos contiennent jusqu'à près d’un litre, est 
la boisson ordinaire de tous les peuples répandus dans la mer 
du Sud. Les dames créoles s'en servent, aux Antilles, pour faire 
disparaitre les taches du visage et dans l'espérance de rendre la 
peau vermeille et satinée. Nous avons remarqué que l’usage de 
cette boisson, dans les blennorhées, occasionnait une vive 
cuisson , et que les écoulements en recevaient la propriété de 
tacher le linge en noir ; ce qu'on doit attribuer, sans doute, aux 
acides carbonique et malique qui y sont contenus, ou au sel 
à base de chaux et de potasse que M. Trommsdorff y a trouvé. 
Par l'analyse chimique, en effet, on reconnait que le lait émulsif 
de coco est composé de beaucoup d’eau, de sucre , d'un peu de 
gomme et de sels végétaux ; dans la maturité du fruit, ce li- 
quide acquiert de la densité, ressemble à une crème onctueuse, 
et finit par se transformer en une substance tenace, d'une sa- 
veur douceàtre, dure, d'une blancheur éblouissante, et qu'on 
nomme chair ou lard de coco *. Au centre de cette chair 


* Trois tourons de neuf fils de carret se rompent sous un poids de 162,000 liv. 

? Cette chair est ainsi composée, d’après M. Trommsdorff ( Journ., t. XXIV, 
et Journ. de Pharmacie, 1816, t. II, pag. 97 ): 

1° D’huile butireuse, surnageant le suc laiteux qu’on en retire par expression, 
se figeant aisément, et qu'on pourrait nommer beurre végétal ; 


328 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

séjourne quelque peu du liquide primitif qui n’a point changé 
de nature, et au milieu duquel se trouve parfois une petite 
concrétion oviforme, d'un blanc de porcelaine, qui paraît être 
déposée par couches dues à la précipitation du carbonate de 
chaux. Ce corps jouit d’une réputation d'autant plus grande 
chez les Malais, qu'il ne se trouve que dans des circonstances 
très-rares et encore inappréciées : ils l'ont doté d’ailleurs des 
propriétés les plus miraculeuses, et ce n’est qu'en le payant 
fort cher qu'il est possible de se le procurer. 

L'usage de la chair de coco fournit une nourriture agréable, 
soit qu'on la mange lorsqu'elle n'a encore que la consistance 
de crème, ou soit qu'étant mure, elle serve avec beaucoup 
d'autres substances à composer des mets qui varient suivant le 
goût des tribus. Sous le rapport commercial, le cocotier peut 
encore fournir de grands produits : on retire de la chair de 
coco râpée, une huile grasse d’une saveur très-douce lorsqu'elle 
est épurée, brülant avec une belle flamme , se figeant aisément 
et propre à faire un savon amygdalin; trente-deux cocos don- 
nent à peu près dix-sept livres de pulpe, dont on peut retirer 
trois hvres d'huile. 

Nous n'étendrons pas plus loin ces recherches, bien qu'il 
soit possible de les compléter par une foule de détails sur 
l'utilité dont est ce précieux palmier chez tous les peuples dis- 
sémuinés sur les rivages des régions équatoriales. Nous nous 
bornerons à dire que la mythologie indienne l'a divinisé en le 
faisant naître du sang de Ceuxy, immolé dans un accès de 
jalousie par son père /xora. Aussi les pauvres Malabares ont 
l'usage, dans leurs cérémonies nuptiales, pour mettre le sceau 


2° De liquide aqueux; 
3° D'albumine ; 
4° De sucre liquide, ou mucoso-sucré, remplaçant la partie caséeuse du lait des 


animaux , tandis que le beurre est l’analogue de l’huile grasse. 


i ZOOLOGIE. 329 
à leur promesse de s'aimer toujours, d'échanger une de ces 
noix avec leurs épouses. 


Ç VIL 


PORT-PRASLIN (NOUVELLE-IRLANDE ). 


(Du 12 août 1823 au 21 du même mois. ) 


Le Port-Praslin est situé à l'extrémité méridionale de la Nou- 
velle-Irlande , à YOuest du cap Saint-Georges , par 11° 49 48°” de 
latitude Sud, et 150° 28 29° de longitude Est. Ce nom lui fut 
donné par Bougainville, en l'honneur d'un ministre de la 
marine qui ordonna le premier voyage autour du monde 
qu'aient exécuté les Français. Vers la même époque, Carteret, 
navigateur d'Albion, relàcha dans le havre placé plus à l'Ouest 
et appartenant à la même baie, qu'il appela 4nse aux Anglais. 
Bougainville, en séjournant dans ce port, crut qu'il était situé 
au fond d'un golfe et qu'il dépendait de la Wouvelle-Bretagne 
découverte par Dampier. Tandis que Carteret, au contraire, 
ne craignit point de senfoncer au fond de ce prétendu golfe, 
qu'il trouva ouvert par un détroit assez long, qu'il nomma 
Canal de Saint-Georges , en imposant le nom de Nouvelle-Ir- 
lande à la terre où le Port-Praslin offre une rade süre et abritée. 
Pour attemdre ce mouillage, deux passes servent aux vaisseaux, 
qui laissent à droite ou à gauche l’/l-Ferte de Bougainville, 
dite Latao par les naturels. Il est protégé au Sud-Ouest 


par un petit cap appelé Tavuaolai ; et la baie, qui s'enfonce 
Voyage de la Coquille. —Z. Tome 1. . 42 


330 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

dans l'Est au milieu des terres, se termine au pied de la mon- 
tagne de Cambatore en prenant le nom d’'Æbataros. Au Nord 
s'avance la pointe d'Embrambia, de sorte que le Port-Praslin 
se trouve parfaitement abrité de toutes parts, et protégé par 
une ceinture de montagnes nommées Lanut. Il se continue dans 
la portion Nord par un bras de mer étroit avec l'Anse aux 
Anglais ou Siourou ; car ces deux havres ne formeraient qu'une 
vaste baie, si l’//e aux marteaux,ou Lambonne, n'était interposée 
entre eux. Cette ile peut avoir environ deux milles de longueur, 
dans une direction de l'Ouest-Nord-Ouest au Nord-Ouest, en 
présentant la forme d'un grand fer à cheval, due à ce que sa 
partie méridionale est découpée par une vaste baie. Son extré- 
mité occidentale, nommée Lamassa par les habitants, a du 
jadis être couverte de cocotiers, à en juger par son nom. 

Le canal qui sépare le Port-Praslin del Anse aux Anglais a 
six milles marins; ce dernier est abrité par deux montagnes 
dont l'élévation parait considérable, et qui, par leurs pitons, 
attirent sans cesse des nuages noirs et épais, de manière que, 
lorsqu'il fait un temps superbe au Port-Praslin, la pluie y 
tombe fréquemment par torrents. Les arbres qui couvrent ce 
point de la côte sont constamment, même par les plus beaux 
jours, entourés d'abondantes et épaisses vapeurs. Les nègres 
papous, qui habitent cette partie du monde, paraissent nom- 
mer la ÂVouvelle-Irlande, Enlourou ; mais ils appellent sans 
nul doute la Nouvelle- Bretagne, Birare, et sont dans un état 
perpétuel d'hostilité avec ses habitants. 

L'ancrage du Port-Praslin est sûr et commode; la mer, pen- 
dant la durée de notre séjour , y a été constamment unie comme 
une glace, et le vent du large ne s'y faisait jamais sentir. Des 
grains violents nous amenèrent cependant une fois une légère 
rafale, dont les efforts, brisés contre le sommet des montagnes, 
descendaient sans force au fond de la baie. Quelle que püt être 


ZOOLOGIE. 337 


d'ailleurs leur intensité, ils ne seraient jamais redoutables, 
parce que la chaine qui protége les rivages est régulière à son 
sommet, et nest point déchirée par les ravins. Les vents 
régnants, pendant notre relâche, furent de légères fraicheurs 
de l'Est, de l'Est-Sud-Est et du Sud-Est; mais plus souvent on 
éprouvait un calme tel, que la feuille la plus légère semblait im- 
mobile : en général, la brise ne se faisait sentir que dans l’après- 
midi. La mer, dans ce port, est partout également profonde ; 
et; quoique mouillés très-près de terre, nous n'avions pas 
moins de trente-trois brasses sur un fond de gros sables madré- 
poriques mélangés à beaucoup de débris de coquilles. 

La chaleur n’a pas été aussi considérable que nous devions 
le croire par notre position presque immédiate sous l'équateur. 
Les vastes forêts dont la Nouvelle-frlande est couverte en tota- 
lité, sans cesse arrosées par des pluies abondantes qui per- 
mettent une vaporisation continuelle, résultat d'une chaleur 
intense, rafraichissent l'atmosphère. Ces forêts ombreuses, en 
effet, retiennent dans leur intérieur une humidité défendue 
des rayons du soleil par des dômes épais de verdure : il en 
résulte une chaleur humide dont les effets sont moins sensibles 
sur le corps que ceux de la chaleur âcre et sèche que l'on 
ressent dans les déserts d'Afrique, par exemple. Le médium 
du thermomètre à midi était de 26° 6, et, dans la nuit, il ne 
descendait jamais plus bas que 25°6’. La température de l’eau, 
prise au milieu de la baie, ne différait de celle de l'air que d'un 
degré. L'hygromètre varia de 103 à 108°, et le baromètre se 
maintint à 28 pouces. Les orages se reproduisent avec une 
fréquence qui étonne; ils se forment en un clin-d'œil et se 
dissipent de même. Les nuages les plus inférieurs sont ceux qui 
donnent de la pluie sur le Port-Praslin; tous les autres sont 
attirés par les hautes montagnes des rivages ou de l'intérieur 


de l'ile. D 
l2. 


332 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Les bords du havre qui nous occupe sont garnis de bancs 
madréporiques nombreux; ils sont interrompus devant les 
courants d'eau douce qui descendent du sommet des mon- 
tagnes, en formant des sortes de petites rivières. Pour que les 
embarcations puissent s'approcher de la terre, il faut les diri- 
ger dans ces canaux. En décrivant une de nos excursions sur le 
pourtour de la baie, nous donnerons à nos lecteurs une idée 
exacte et pittoresque des végétaux qui se pressent de toutes 
parts sur ce sol fécond, et des animaux qui y vivent. Les 
alentours du Port-Praslin sont donc bordés de coralligènes que 
la marée laisse presqu'à sec en se retirant; tandis que, à la 
haute mer, les eaux s'avancent sur les sables jusqu'au pied 
des arbres qui en forment la lisière. Dès qu'on débarque sur la 
grève, on observe une végétation tellement active et vigoureuse, 
qu'on la voit envahir le littoral, et ne cesser que là où la mer 
lui dispute la possession du sol. D'énormes troncs d'arbres ren- 
versés encombrent les rivages, et leur vétusté, comme un terreau 
fertile, nourrit encore des colonies de plantes charnues, qui 
s'en disputent les moindres parcelles. Cette végétation n'y pré- 
sente point d'éclaircie; elle couvre toute cette portion de l'île 
d'une seule forèt. Les arbres magnifiques qui la composent, 
les arecs qui les dominent, et une foule d'autres, se pressent et 
croissent avec vigueur. Des lianes de toutes sortes s’entortil- 
lent autour des troncs, grimpent jusqu'aux sommités des 
branches, et semblent avoir pour but de tendre des filets impé- 
nétrables. Parmi ces lianes, il en est une dont les fleurs légumi- 
neuses, d'un beau jaune, flattent la vue, et dont les tiges volu- 
biles se trouvent armées de crochets épineux qui déchirent 
impitoyablement le voyageur qui s'engage sans précaution 
sous leurs lacis. D'éclatants papillons se croisent en tous sens 
sous ces dômes de verdure ; des coquilles terrestres variées en 
habitent le feuillage, et sur les branchessse rencontrent fré- 


ZOOLOGTE. 333 


quemment le tupinambis noir, ponctué de jaune. Des Baring- 
tonia, qui prennent un développement énorme, des hibiscus à 
feuilles de tilleul, des Xeneo { Guettarda speciosa), et surtout 
des scævola Lobelia, de Vahl, croissent le pied dans l’eau, et 
paraissent avoir besoin, pour l'entretien de leur vie, d'une 
exposition toute maritime. Il en est de mème d'un très-beau 
pancratium qu'on ne trouve que sur le rivage. Ce végétal 
( pancratium amboinense?), remarquable par une hampe 
florale élevée, que couronnent des corolles blanches à étamines 
purpurines, a de larges feuilles roides, charnues, dans les ais- 
selles desquelles nous trouvames en abondance la coquille 
terrestre, type du genre scarabe, que M. de Blainville a décrite 
comme nouvelle en la nommant SCARABE DE LESsON, scarabus 
Lessonü(Dict. Sc. nat.,t. XLVILT, p. 32). Le therates labiata, Fab., 
à tête dorée, volait sur les branches, et annonçait son passage 
par une odeur de rose fragrante qu'il laissait derrière lui. Ca et 
là s'élévaient les tiges droites des rotangs, si estimés en Europe 
pour faire des cannes ; et sur la plupart des troncs d'arbres, 
s'enlaçaient les tiges grimpantes des poivres cubèbes ; le faux 
sagou {cycas ctrcinalis), ayant par ses stipes droits le port des 
palmiers, était alors chargé de fruits. Les Papous de la Nouvelle- 
Irlande les recherchent, et font, avec sa moelle intérieure, des 
pains analogues à ceux qu'ils retirent des vrais sagoutiers. Les 
plantes nourricières de ces profondes forèts se trouvent être 
le Zaka, si commun sur toutes les iles de la mer du Sud /éno- 
carpus edulis); le sohest, qui est le pya des O-Taitiens [tacca 
pinnatifida ) ; le chou caraïbe [arum esculentum). Les arecs 
(areca oleracea), dont nous abattimes un grand nombre pour 
en obtenir le bourgeon terminal ou le chou, formaient des 
groupes épais dans certains emplacements, en s'unissant aux 
tiges épineuses du caryota urens, des lataniers et des pandanus. 
On doit remarquer que les forêts équatoriales des Moluques, 


334 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


de la Nouvelle-Guinée et de la Nouvelle-frlande, remarquables 
par les gigantesques proportions des arbres de toutes sortes 
qui les composent, ont très-peu d’arbustes et de plantes her- 
bacées. La chaleur solaire pénètre à peine sous l'épaisse et 
haute verdure qui couvre le sol, sans cesse humide, toujours 
ombragé, et où règne une fraicheur qui fait place, aussitôt 
qu'on a franchi quelques espaces dénudés, à l'action d'une 
chaleur insupportable. La vapeur qui s'exhale du sol, lorsque 
le soleil monte, se condense en nuages au-dessus des arbres, 
et n'imite pas mal la fumée qui s'élèverait de dessus un village. 
Toute l'épaisseur de ces vastes forêts vierges est jonchée de 
troncs énormes, déracinés par leur mort naturelle, et couchés 
sur la terre qu'ils embarrassent , et à laquelle leur décomposi- 
tion lente rend les principes qu'ils en reçurent, en se réduisant 
en humus. Sous leurs écorces crevassées, se logent de froids 
reptiles; mais cependant la nature, qui aime à présenter le 
contraste de la vie et de la mort, voile encore ces traces de des- 
truction , en les couvrant de fougères au feuillage découpé et 
grèle, d'épidendrum, parasites à corolles bizarres et vivement 
peintes, de lichens ét de bolets de formes et de couleurs diver- 
ses. De tous les végétaux arborescents, l'inocarpe est sans con- 
tredit un de ceux qui atüirérent le plus notre attention. Sa 
taille, à Taïti, n'avait rien d’extraordinaire; tandis qu'a la 
Nouvelle-Irlande il acquiert des proportions considérables, 
élève sa cime à de grandes hauteurs, et envoie au loin ses 
racines, qui rampent à la surface du sol, en présentant des 
parois minces et en même temps élevées de plusieurs pieds, de 
manière à former des sortes de cabanes naturelles, séparées 
par de légères cloisons, et capables de contenir sept ou huit 
personnes. Tel est l'ensemble bien imparfait du paysage aux 
alentours de Port-Praslin. Par cette esquisse grossière, on doit 
penser quel effet imposant il imprime dans l'ame du voyageur 


ZOOLOGTE. 335 
européen. Le silence de ces lieux profonds et inhabités, où les 
nègres indigènes ne se présentent qu'accidentellement, n'est 
interrompu que par le bruissement des jeunes tiges des arbres 
sur les pas de l'explorateur, par les cris rauques et discordants 
du lori vert, ou par le bruissement des élytres des grosses 
cigales. Tout dispose l'ame, même du naturaliste le plus exclusi- 
vement porté vers les collections, à un sentiment indéfini, à 
des émotions profondes, à un plaisir mêlé de quelque chose de 
vague et de triste que rien ne peut rendre, et qu'aujourd'hui 
nous ne nous rappellerions point, si nous n'en trouvions l'ex- 
pression dans notre journal écrit sous l'inspiration des sensa- 
tions du moment. 


Les rivages du Port-Praslin sont parcourus par un grand 


5 
nombre de sources qui descendent des montagnes placées 
autour du havre qu'elles abritent. La plus remarquable, comme 
la plus abondante de ces sources, est celle que Bougainville à 
décrite dans sa relation, et que nous avons nommée Cascade 
de Bougainville. Le marin français qui la vit dans la saison de 
l'hivernage, époque où le volume d’eau qui en descendait était 
considérable, en parla en ces termes : :« Nous avons tous été voir 
« une cascade merveilleuse, qui fournissait les eaux du ruisseau 
« du navire l Étoile. L'art s'efforcerait en vain de produire dans les 
« palais des rois ce que la nature a jeté dans un coin inhabité. 
« Nous en admirâmes les groupes saillants, dont les gradations 
«presque régulières précipitent et diversifient la chute des 
«eaux. Nous suivions avec surprise tous ces massifs variés pour 
« la figure et qui forment cent bassins inégaux, où sont recues 
« les nappes de cristal, colorées par des arbres immenses, dont 
« quelques-uns ont le pied dans les bassins mêmes : cette cascade 


«mériterait le plus grand peintre. » Or, pendant la durée de 


* Voyage autour du monde, en 1766 à 1769, p. 282 de l'édition in-4°; 
Paris, 1771. 


336 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

notre relache, la source ne fournissait que peu d’eau ; car nous 
étions à la fin de l'été, dans cette partie du monde, et au mo- 
ment où la saison des: pluies allait recommencer. Les chutes de 
la cascade de Bougainville sont à peu de distance du rivage à 
l'Est du Port-Praslin ; elles sont formées par cinq gradins s’éle- 
vant rapidement les uns au-dessus des autres, dans une éléva- 
tion d'environ trente à quarante pieds. L'eau s'est creusé une 
ouverture à la moitié de la montagne, et jaillit en nappes écu- 
mantes, limpides et fraiches, dont le murmure se meéle au 
bruissement des feuilles, à la chute des vieux arbres qui tom- 
bent de temps à autre et encombrent son lit, ou jettent en 
travers des ponts chancelants. Ces eaux, très-chargées de sels, 
ont comme ciselé la surface des roches qu'elles baignent, et les 
strates d'où elles tombent en nappes sont bordées de stalactites 
calcaires, groupées d’une manière agréable. Le lit et les strates 
sont formés de chaux carbonatée, due, sans aucun doute, à 
des masses madréporiques qui ont moulé sur le noyau primitif 
un terrain récent. Les pores de ces coraux, depuis long-temps 
éteints, sont remplis par des cristaux d'un spath que l'eau 
tient en suspension, et celle-ci est rendue purgative par plu- 
sieurs autres principes salins. Comme site romantique, cette cas- 
cade mérite de fixer l’attention; mais nous l'avons trouvée bien 
inférieure à celles de Kiddi-Kiddi à la Nouvelle-Zélande, et de 
l'Ile de France. Son plus grand charme dépend des masses de 
végétaux qui se pressent dé chaque côté, y forment d'épaisses 
fourrées où se marient les feuillages les plus opposés, les teintes 
les plus diverses, les formes ligneuses les plus variables. Une 
voûte de verdure, due à d'immenses figuiers, à de gracieux 
arecs enlacés de tiges volubiles, recouvrant des eaux fraiches et 
limpides, peuplées de coquilles fluviatiles ‘, de crevettes, et em- 


1 La néritine et le clithon. 


ZOOLOGIE. 337 
bellies par les papillons ornés qui éclosent sur leurs bords, esten- 
core animée par les oiseaux qui viennent s'y reposer. De grosses 
fourmis, dont la morsure est douloureuse, sont très-communes 
en ce lieu ; et le calme de la forêt est, de temps à autre, inter- 
rompu par le cri d'un corbeau analogue à notre corneille, et 
qui imite, à faire illusion , l'aboiement d’un chien. Bougainville 
avait déja indiqué cette particularité en disant dans sa relation: 
« Nous y remarquämes une espèce d'oiseau dont le cri ressem- 
«ble si fort à l'aboiement d'un chien, qu'il n'y a personne qui 
«ny soit trompé la première fois qu'on l'entend. » 

L'ile Lambonne, que Bougainville a nommée //e aux mar- 
eaux, parce que les gens de son équipage y trouvèrent un 
grand nombre de ces coquilles bivalves, alors rares dans les 
collections, est très-riche en productions naturelles remar- 
quables. Nous y cherchâmes toutefois infructueusement ces 
testacés , dont nous ne vimes aucuns débris. Une anse considé- 
rable entame la partie boréale de cette ile, et se termine, sur le 
rivage, par des grèves sablonneuses déclives, et par des bancs 
de coralligènes. Jamais nous n'avions vu des points aussi riches 
en zoophytes; ils pullulaient dans cet espace resserré , abrité 
des vagues du large, qui déchirent et mettent à nu les rochers 
de la côte méridionale où s'arrêtent leurs efforts. Ces plateaux 
de coraux sont au contraire recouverts d'une petite masse d'eau 
dont la surface est toujours paisible, et réchauffée par l'in- 
fluence directe du soleil. La lumière, pénétrant avec force sous 
cette couche, y fait développer un luxe de vie que nous n'avions 
encore observé nulle part: aussi nous arriva-t-il de passer fré- 
quemment des heures entières en ces lieux, ayant de l’eau jusqu'à 
moitié des cuisses , pour y dessiner des zoophytes, et saisir leur 
éclat fugace , leur forme, qui, sans cette précaution , eussent 
échappé à notre étude. Dans le deuxième volume de cet ou- 


vrage, nous aurons OCCasion de décrire les rares et curieuses €s- 
Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 43 


338 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

pèces que nous recueillimes sur ce point, et il nous suffira de 
dire ici que nos collections et nos dessins s’accrurent consi- 
dérablement en éponges, en actinies, en zoanthes, en asci- 
dies , etc. Des serpules ou tuyaux de mer, dont les animaux à 
tentacules d’un azur doré, brillants de teintes vraiment fan- 
tastiques , étaient entrelacés au milieu des coraux, et le zoophyte 
sortait de son tube pour s'épanouir comme une belle fleur , et 
s'y cachait avec vivacité au contraire, lorsque l’eau, agitée par 
quelques mouvements lointains , lui donnait, par ses ondula- 
tions même lésères, la conscience d'un danger quelconque. Des 
holothuries , des étoiles de mer à six rayons droits et linéaires , 
l'asterias discoidea, la fongie avec ses larges polypes en ventou- 
ses, une actinie verte à tentacules rouges, une actinie du pour- 
pre le plus vif, des aplidium, couvraient cette partie de la baie. 
Sur le rivage, attachés aux troncs couchés des arbres abattus 
par vétusté, adhéraient de larges huitres minces, très-délicates. 
De nombreux fragments de nautiles {rautilus pompilius) jon- 
chaient les sables des grèves, et attestaient que ce céphalopode 
doit étre très-abondant à certaine profondeur. À ces objets se 
joignent des cônes , des porcelaines , des trochus, etc. 

La végétation de l'île Lambonne s'étend dans la plus grande 
partie de la côte jusqu'à la mer; partout elle est d'une rare 
beauté. Les cycas s y montraient en plus grande abondance que 
partout ailleurs. Son pourtour entier était festonné par des guir- 
landes de lianes suspendues de branches en branches, d’'en- 
tre lesquelles sortaient des arbres à pain sauvages. Des frégates 
noires volaient à de grandes hauteurs, et sur le bord de la mer 
se présentait fréquemment un assez gros martin-pêcheur à tête 
blanche /alcedo albicilla). Sur la côte occidentale, qui est assez 
élevée, mais coupée par une ravine au fond de laquelle 
coule une petite rivière d'eau douce, nous trouvàmes des 
débris de repas que les naturels y avaient faits; et un ajoupa 


ZOOLOGIE. 339 
temporaire, consistant en quelques feuilles de cocotier, jetées 
négligemment sur des branches fichées en terre, avait servi à 
abriter la cuisine de ces nègres, qui visitent, à ce qu'il parait, 
de temps à autre, leurs districts maritimes, afin d'y recueillir 
des vivres. Des tas de gros coquillages épars auprès du foyer, 
nommé Pal dans la langue du pays, témoignaient de leur appé- 
tit. Pres de là, nous remarquâmes un calophyllum inophyllum, 
dont le tronc avait pris un développement monstrueux. Cet ar- 
bre , en effet, était couché sur le sol, et donnait naissance, par 
la partie supérieure du tronc, à une douzaine de branches, tou- 
tes plus grosses que nos plus forts chênes de France, et ayant 
plusieurs brasses de circonférence : qu'on juge par suite des 
dimensions du tronc principal. Des orchidées magnifiques , de 
grandes et fraiches fougères, couvraient l'écorce, et se mélaient 
au vert gai et lustré qu'on sait être propre à ce beau végétal, 
et contrastaient avec ses fleurs blanches disposées en grappes. 
Les vaquois, les inocarpes, les Baringtonia, divers palmiers, 
étaient d’ailleurs les arbres les plus communs sur ce point de la 
Nouvelle-Irlande. La portion méridionale de l'ile Lambonne ne 
ressemble guère à la partie boréale. Baignée par la haute mer, 
dont les vagues viennent se briser sur les rochers qui la bor- 
dent, cette côte, haute et accore, est déchirée et crevassée. Sour- 
vent la mer s’engouffre dans des cavernes qu'elle s’est formées 
par le choc impétueux de ses bouleversements; et comme ces 
crevasses profondes sont parfois ouvertes à leur sommet par des 
sortes de soupiraux étroits, il en résulte que la vague heurtée 
par une puissance immense contre la barrière qui recoit le choc, 
s'élève en gerbe par l'issue supérieure, et se disperse dans l'air 
en pluie que les vents emportent. Sur les rocs sans cesse minés, 
s'avancent, pour en voiler les injures, des plantes rampantes, des 
faisceaux de feuillage, et souvent s'en élèvent les branches tom- 
bantes et comme filamenteuses du filao ou casuarina indien. 
43. 


340 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Une ceinture de coraux protége toutefois ces rocs, qui semblent 
former un ouvrage avancé, destiné à protéger le corps de la 
place. Nulle coupure y existe pour donner passage à une em- 
barcation. Revenons au Port-Praslin. La côte orientale, bordée 
aussi par un large plateau de rescifs desséché à marée basse, 
mérite toute l'attention d'un naturaliste. On y trouve un bon 
nombre de poissons , de ceux qu'on doit appeler saxatiles, et 
qui tous gracieux à l’œil, appartiennent aux genres chétodon , 
aleutère, baliste, etc. L'astérie à six rayons bleus ou cicén- 
bone des naturels, les gros casques ou sasanmak , le bénitier 
tridacne ou sabourkess et marenoa, des lepas, des haliotides , 
étaient les productions marines les plus abondantes. Des mu- 
rénophis et des scorpènes se tenaient cachées sous les pierres , 
et deux de nos matelots blessés par les aiguillons de ces der- 
nières éprouvèrent des douleurs qui furent assez longues à se 
dissiper. Ce point de la côte est le seul où nous reconnüumes des 
muscadiers sauvages /myristica mas, de Rumphius ?) Les Tour- 
nefortia à feuilles satinées, des Eugenia entourés de pothos, des 
ketmies à feuilles de tilleul, des tecks /tectona grandis) , des ca- 
ryota brülants, des ixora , des orangers , formaient les masses 
principales des fourrées; partout on rencontrait les toiles assez 
solides de deux araignées (araneæ aculeata et spinosa) déja men- 
tionnées par M. de Labillardière, et toutes deux remarquables 
par la magnificence de leur coloration variée de pourpre, d'azur 
et de blanc. Aux troncs des arbres, pendaient d'énormes nids 
spongieux et celluleux , bâtis sans nul doute par une espèce de 
thermite ou fourmi blanche. Lorsque la nuit commençait à cou- 
vrir de ses voiles la nature entière , dans les soirées calmes et se- 
reines , des milliers de vers luisants, que les naturels nomment 
kaltote, sortaient de l'épaisseur des bois, et lancaient de pe- 
tits faisceaux de lumière qui se croisaient dans tous les sens, et 
dont les lueurs expiraient pour se rallumer de nouveau et de 


ZOOLOGIE. 34 
nouveau s'éteindre. À ces détails se borneront nos tableaux 
de ces sites lointains, et sans analogie avec les nôtres; et quel 
que soit encore le nombre des observations qu'il nous faut 
passer sous silence, nous ne devons pas nous arrêter à des pein- 
tures pleines de charmes pour nos souvenirs, mais qui doivent 
faire place à un compte rendu plus austère de nos recherches. 

Une ile vaste comme la Nouvelle-Irlande doit nourrir sans 
doute plusieurs espèces de grands animaux, et quelques-uns 
de ceux qu'on trouve dans les Moluques et à la Nouvelle- 
Guinée. Mais les courtes reläches des voyages de mer ne per- 
mettent guere que d'effleurer quelques points du littoral, et 
par suite des endroits toujours pauvres en créatures animées. 
Nous n'y vimes point le babi-russa, bien que nous ne puis- 
sions douter qu'il y existe, car les naturels nous l’affirmèrent ; 
et ce qui est plus positif, ils nous en apportèrent les dents ca- 
nines, si reconnaissables par leur forme caractéristique. Les 
cochons que ces Papous élèvent en domesticité, sous le nom de 
bouré, appartiennent à la race de Siam, et dans tous les cas 
ils ne nous parurent pas y être nombreux. L'animal indigène 
le plus commun est le couscou blanc ou Æapoune, décrit 
page 158 de ce volume, que les naturels estiment à cause de 
la délicatesse de sa chair. Un vespertilion est le seul chéiroptère 
qui s'offrit à nos regards; car jamais nous n'y rencontrames de 
roussettes, bien que ces animaux aient des espèces répandues 
dans toutes les terres environnantes. Nous avons déja eu occa- 
sion de dire que les chiens, nommés poull, tiennent beaucoup 
de la variété répandue chez les habitants de la Nouvelle-Hol- 
lande. 

Les Papous du Port-Praslin appellent les oiseaux mani, et 
ce nom à la plus grande ressemblance avec celui de manou de 
la langue océanienne. Les espèces se ressentent du voisinage de 
l'équateur, mais en même temps des rapports de création de la 


342 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
Nouvelle-[rlande avec les systèmes d'îles Papoues et Moluques. 
Elles y sont en effet nombreuses et variées; mais elles appartien- 
nent en même temps à quelques-unes de ces familles précieuses 
si recherchées dans nos musées. La poule domestique, com- 
mensale de l’homme, ne diffère point de la race de nos basses- 
cours ; mais, par une singularité qui serait fort remarquable si 
l'on ne pensait que le nom de cet utile oiseau doit son origine 
à un son euphonique dans la plupart des langues, les nègres 
du Port-Praslin lui donnent le nom de coq, nom qu'ils arti- 
culent nettement : d'un autre côté, l'auraient-ils reçu de quelques 
navires européens ? Les loris ‘, ces perroquets à vestiture écar- 
late ; les gros loris papous *, dont la voix est rauque ; le perro- 
quet vert à plumes lustrées des Moluques ‘; la perruche de 
Latham, étaient tués en grand nombre dans nos chasses habi- 
tuelles. 

Plusieurs espèces du riche genre des columba habitent les 
alentours du Port-Praslin ; et parmi elles, nous citerons le 
pigeon de Nicombar ( columba nicobarica , L. ); la colombe 
Pinon (columba Pinon, Quoy et Gaim., Zool., pl. XX VIII ); 
la colombe demoiselle (columba puella, N.). La colombe 
Pinon, observée par nous dans son pays natal, diffère un peu 
de la belle figure donnée par MM. Quoy et Gaimard ; car nous 
trouvons dans notre Journal cette description : La tête et le cou 
sont d’un gris glacé mélangé à une teinte rose légère ; le ventre 


ï Psütacus lori, L., Enl. 168; Levaill., pl. CXXIIT et CXXIV. 

? Perroquet grand-lori, Levaill., pl. CXXVI, CXXVIE et CXXVIIT; Psittacus 
grandis, L. 

Cette espèce est rarement apportée en Europe; car elle vit très - difficilement 
en captivité. Cependant, en ce moment ( octobre 1828 ), M. Kéraudren, inspecteur- 
général du service de santé de la marine, en possède à Paris depuis assez long- 
temps un bel individu vivant. 

3 Psittacus sinensis, L., Enl. 514; Levaill., pl. CXXXII. 


ZOOLOGIE. 343 
est d’un roux vif ; le dessus des ailes et du dos est d'un vert doré, 
brillant de quelques reflets de cuivre de rosette ; les rémiges 
et les rectrices sont d'un vert noir; les tarses sont d'un rouge 
vif, ainsi qu'une caroncule arrondie, qui surmonte le demi-bec 
supérieur. La chair de cette espèce est savoureuse, et elle a 
l'habitude de se percher sur les sommités des rameaux les plus 
élevés. Un corbeau à duvet blanc, nommé coco par les na- 
turels, dont le plumage est entièrement noir, ne parait pas 
différer de l'espèce de la Nouvelle-Galles du Sud, que MM. Vi- 
gors et Horsfeld ont nommée, par rapport à son analogie avec 


I 


la corneille d'Europe, corvus coronoïdes sur les rivages, 
était assez commun l'aigle océanique (falco oceanica, Temm., 
pl: col. 49). Deux espèces du genre cuculus habitaient les 
bois, l'une à plumage d'un vert uniforme, et l’autre inédite, 
que nous avons figurée sous le nom de Coucal atralbin, cen- 
tropus ateralbus, pl. XXXIV. 

Parmi les oiseaux les plus vulgaires, nous citerons les sui- 
vants : Trois espèces de martin-pécheurs ; l'alcedo albicilla à 
plumage sur le corps couleur d’aigue marine, à tête et cou en- 
tièrement blancs ; l'alcedo ispida, var. moluccana ; Yhaleyon 
cinnamominus de M. Swainson, nommée ktou-kiou par les in- 
sulaires : cette dernière espèce a environ six pouces de longueur. 
La tête et le dos sont d'un vert brun, et les ailes et la queue 
seules ont une teinte d’aigue marine. Un collier fauve*entoure 
ge sont de cette dernière couleur 
devenue plus vive, et légèrement pointillée de brun. L'extrémité 


le cou, et le ventre et la gor 


des rémiges et des rectrices est brun. La moitié de la mandi- 
bule inférieure est blanche, l'iris noirâtre, et les pieds sont 
rouges. Des drongos ; des stournes (/amprotornis metallicus , 
Temm. pl. CCLXVT ), qui vivent en troupes, et dont l'iris a 


! Trans. Soc. Linn. de Londres, t. XV, p. 261. 


344 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

l'éclat du rubis; des hirondelles ; un soui-manga à gorge bronzée, 
nommé sic-sic ‘; des gobe-mouches * nouveaux; un échenil- 
leur * ; quelques chevaliers gris ; des frégates, etc. 

Nous décrirons toutefois trois espèces d’après nos notes ma- 
nuscrites, dont les individus ont été perdus lorsque notre col- 
lègue M. Garnot fit naufrage au cap de Bonne-Espérance, en 
revenant en France, après nous avoir quitté au Port-Jackson. 
Ce sont les gobe-mouches suivants : le tenourikine, long de six 
pouces, à plumage complètement noir, lustré avec des reflets 
verts métalliques, le bec plombé, les tarses noirs, et l'iris d’un 
jaune pâle; le 7ouquine, a de longueur totale sept pouces, 
le dessus du corps, les ailes et la gorge noirs, le ventre blanc, 
un sourcil de cette dernière couleur sur l'œil, enfin à bec et 
tarses bruns. La troisième espèce dont il nous reste à parler ap- 
partient au genre drongo, edolius, Cuv.; dicrurus, Vieillot. Cet 
oiseau a la queue fourchue comme celle du forficatus, et a de lon- 
eueur totale environ dix pouces. Le dessus du corps est en en- 
tier d'un gris cendré, plus foncé sur les ailes, tandis que cette 
teinte est beaucoup plus claire et d’une nuance plus douce sur 
le ventre. Le bec et les pieds sont noirs, et l'iris est noirâtre. 
Nous l’appellerons edolius comice, du nom qu'il porte dans 
son pays natal, à moins qu'il ne soit, ce dont nous doutons, 
qu'une variété de l'edolius cineraceus ou chenta de Java, décrit 
par le docteur Horsfield. 

Les reptiles trouvent au Port-Praslin toutes les circonstances 
les plus favorables pour leur multiplication paisible : chaleur 


‘ Ce soui-manga est olivâtre, excepté la gorge, qui est d’un noir d’acier bruni, 
et le ventre, jusqu'aux couvertures inférieures de la queue, qui est d’un jaune pur. 
> Muscicapa chrysomela, N. pl. XVII, fig. 2, pipimaloumé des naturels. 

5 Figuré dans notre Atlas, pl. XIL, sous le nom de pie-grièche karou ( Lanius 
caru), mais que nous avons reconnu être un ceblepyris, auquel nous conserverons 


le nom trivial et indigène de caru. 


ZOOLOGTE. 345 


et abondance d’eau sont les deux premières orandes conditions 


eo) 
de leur existence : aussi, bien que nous n’en ayons point vu, 
les navigateurs qui nous précédèrent sur cette partie du monde 
y indiquent des caïmans ; or, comme le crocodile bicaréné n'est 
pas rare à la Nouvelle-Guinée, on ne doit pas un seul instant 
douter que ce ne soit la même espèce. En revanche, nous nous 
y procurâmes plusieurs espèces de lacertains, et notamment le 
lézard de Pandang des Amboinois, ou gecko à bandes ( /acerta 
vittata, Gm.), tres-bien figuré par M. Brongniart dans le Bul- 
letin des Sciences : ; quelques ophidiens, et des tortues. Les 
habitants nomment ces dernières poules, recherchent leur 
chair, et font des hamecons pour la pêche avec leur écaille. 
Les poissons comptent une grande variété d'espèces dans 
cette baie, et toutes rivalisent en éclat. Ce serait nous entrainer 
trop loin que de les citer, d'autant plus que, dans le second 
volume, nous aurons occasion de revenir sur ce sujet. Nous ne 
passerons point sous silence toutefois le requin à ailerons noirs 
(squalus melanopterus , Quoy et Gaïm. ), qui est multiplié d'une 
maniere étonnante, ni le blennie sauteur de Commerson, sorte 
, gravit les ro- 
chers, sy promène pour attraper les petits insectes dont il se 


de poisson amphibie, qui s'élève sur les vagues 


nourrit, et, courant avec assez de rapidité sur le sable des grèves, 
imite , à faire illusion, les allures d'un scinque. Enfin, ce qu'il y a 
de plus singulier dans les mœurs de ce poisson, c'est de le voir 
nager indifféremment dans l’eau des petites rivières qui se per- 
dent dans le Port-Praslin, se plonger dans la mer, ou en sortir 
pour gravir sur les branches de quelques arbrisseaux maritimes. 
Ses yeux placés verticalement sur le sommet de la tête, ses 


oT1S 


nageoires jugulaires soudées et à rayons solides, sa couleur g 


de lin linéolé, font de ce périopthalme un être fort bizarre. 


* Et dans les Misc. de Shaw, t. IT, fig. 89. 


Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 44 


346 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


Les crustacés se composaient de langoustes, de cancers, 
de grapses peints, de palémons, de crevettes, d’un pagure et 
d’un ocypode qui se creuse des terriers dans les bois. Les in- 
sectes y sont très-variés et nombreux, et les papillons les plus 
riches et les plus colorés s'y trouvent en grand nombre. Parmi 
les coléoptères, nous citerons le therate à odeur de rose, type 
d'un nouveau genre, quise tient sur les feuilles; le trzcondyle bleu, 
qui ne quitte point les écorces ; un bupreste doré, etun très-gros 
scarabée bicorne. On y rencontre plusieurs phasmes, l’un fili- 
forme et vert, et l’autre très-grand, noir, à corselet trés-dur et 
hérissé de piquants. C'est de cet insecte que parle Bougain- 
ville, lorsqu'il dit, p. 279 : « Il est long comme le doigt, cuirassé 
« sur le corps ; il a six pates, des pointes saillantes sur les côtés, 
«et une queue fort longue. » Quant à la mante-feuille men- 
tionnée par ce navigateur, et si commune à Amboine et aux 
Seychelles, nous n'en eùmes point connaissance. Les scorpions 
et les scolopendres, ainsi que plusieurs fourmis très-grosses et 
des thermès, ne doivent pas être oubliés. 

Les coquilles les plus répandues sont de gros cônes, des 
casques, de très-grands trochus, entre autres la veuve et la peau 
de serpent; des tridacnes, l’hippope, des porcelaines, des ovules 
œufs, des fuseaux, des haliotides, des murex, des huitres, l'une 
à bords sinueux, l’autre aplatie et mince, des patelles, etc. Le 
scarabe ne quitte point l'atmosphère marine, et se tient sous la 
mousse ou dans les aisselles humides d'un pancratium ; un petit 
bulime et une hélice noire, inédite, habitent les feuilles des ar- 
bres : une onchidie est très-commune sur les rochers de la pointe 
Tavuaolai ; elle est ovalaire, de couleur jaunâtre, avec des ta- 
ches brunes. Dans les eaux douces se trouvent une espèce du 
genre faune; la melania setosa de M. Gray ( Zool. Journal, 
t. L,p. 253, pl. VIII, fig. 6, 7 et 8 ); une nérite épineuse, et la 
néritine fluviatile à lèvres rouges. Relativement à cette dernière 


ZOOLOGTIE. 347 
espèce, nous ne pouvons passer sous silence un fait très-singu- 
lier de son organisation. Les individus les plus développés, au 
lieu de vivre dans les eaux douces, où les fixent les lois de leur 
économie, se trouvaient répandus, au moins pendant la durée 
complète de notre séjour à la Nouvelle-Irlande, à de grandes 
distances dans l'intérieur des forêts, à plus d'une demi-lieue de 
tout ruisseau. Cette singularité de rencontrer à chaque pas cette 
coquille fluviatile attachée aux feuilles des arbres, et surtout à 
celles des pandanus, nous parut renverser les idées reçues; et 
nous ne concevons pas encore comment elle peut gravir sur les 
troncs pour atteindre les plus légers rameaux, à cause de son 
opercule calcaire très-solide. Quant à sa respiration, elle se con- 
tinue par la précaution qu'a ce mollusque de réserver dans sa 
coquille et sous son opercule qui ferme hermétiquement, une 
provision d'eau, qu'il renouvelle peut-être chaque matin dans 
les aisselles des feuilles des vaquois, ou de quelques autres 
plantes dont le feuillage enroulé recoit toute l'eau qui est 
condensée pendant la nuit. 

Peu de relàches nous ont été aussi favorables pour enrichir 
nos collections d'une quantité innombrable de zoophytes. Les 
holothuries, les zoanthes, les actinies, les salpa, les méduses, 
nous offrirent de nombreuses espèces. C'est au milieu de la rade 
que nous primes, par un temps calme, un acalèphe agrégé, de 
forme pyramidale, long de deux pouces, composé de pièces ar- 
ticulées, taillées à facettes comme du cristal, se désarticulant 
avec une extrême facilité, ayant son centre traversé par des 
cordons digestifs d'un beau rouge, et disposés en ganglions 
renflés de distance en distance. Cet animal, qui a de grands rap- 
ports avec celui nommé polytôme par MM. Quoy et Gaimard, 
sera pour nous le type du genre Plethosôma. Par la même raison, 
nous passerons sous silence les nombreuses espèces de madré- 
pores, d'éponges, d’alcyonium, de vers à tuyaux, le tubipore 

44. 


348 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

musique, et les disques des fongies, dont les interstices des 
lamelles sont occupés par le polype dilaté en larges et innom- 
brables ventouses, de couleur marron-clair, etc., etc. 


6 VIII. 


BAIE DOFFACK (ILE DE WAIGIOU ). 


( Du 6 septembre 1823 au 16 du même mois.) 


L'ile de Waigiou, placée au Nord de la Nouvelle-Guinée, fait 
partie de l’ensemble des iles connues sous le nom de Terres des 
Papous. Les habitants sont un mélange de Malais purs et de 
métis, provenant du croisement des Malais et des Papouas. Les 
vrais indigènes sont, dit-on, relégués dans les montagnes, où ils 
vivent isolés et sans communication avec les riverains, qui les 
nomment Alfourous. Le nom de Waigiou a été orthographié 
de bien des manières, et presque toujours on n'a tenu aucun 
compte de la prononciation des naturels : ce nom, d'ailleurs, 
nest jamais donné à l'ile entière, mais seulement à sa partie 
boréale ; car la portion méridionale est appelée Ouarido, et, 
pour rendre en français le son que les Papous articulent, il fau- 
drait écrire Ouaighiou. Cette ile avait déja été visitée par plusieurs 
navigateurs européens. Forrest s’y présenta le premier, en 1775; 
plus tard elle recut les navires envoyés à la recherche de l'infor- 
tuné La Pérouse, sous le commandement du général d'Entre- 
casteaux ; puis la corvette / Urante , montée par M. de Freycinet, 
et enfin notre vaisseau. La latitude de la baie d'Offack, presque 
directement placée sous l'équateur, se trouve être par une mi- 
nute 46 secondes S., et par 128 degrés 22 minutes 39 secondes 
de longitude orientale. 


ZOOLOGIE. 349 

Montueuse au centre, couverte de vastes marécages sur les 
bords, l'ile de Waigiou, placée directement sous l'équateur, 
éprouve des chaleurs énormes qui ne sont tempérées dans leurs 
effets que par des pluies abondantes, condensées par les som- 
mets des montagnes sans cesse enveloppés de nuages. Ces averses 
se renouvellent plusieurs fois dans le jour, avec une force dont 
il est difficile de se former une idée dans les régions tempérées, 
et cessent avec la même rapidité qu'elles sont venues. Il parait 
que la plus grande partie de la population réside non loin de 
l'ile Rawack ; mais à peine existe-t-il trois ou quatre cabanes sur 
les bords de la baie d'Offack, baie qui se divise en plusieurs bras 
de mer considérables, présentant eux-mêmes un grand nombre de 
petits havres. Les vents qui régnèrent pendant notre séjour 
soufflèrent le plus ordinairement de l'Ouest, et plus spéciale- 
ment du S.-O0., du S.-S.-O. et de l'O.-S.-0. Le milieu de la 
journée était ordinairement marqué par des calmes parfaits. 
Un seul jour, nous ressentimes une forte brise du Nord, qui ne 
dura que quelques instants : la surface de la baie fut toujours 
unie. Le baromètre se maintint ordinairement à vingt-huit 
pouces 0, 4, et monta une seule fois à 28 pouces tr, 2; le ther- 
momètre centigrade donna pour maximum 3 1 °, et ne descendit 
jamais plus bas que 27 à midi et à l'ombre. La température de 
l'eau ne variait de celle du jour à midi que d'un degré en 
moins à minuit, et était de 29 à 28 degrés. L'hygromètre à 
cheveux varia de 104 à 106 , et ne donna 96 qu'une fois. Nous 
n'eumes que quelques jours exempts de pluie; le plus ordinai- 
rement les grains, en passant sur quelques parties de l'ile, tom- 
baient avec violence l'espace de deux ou trois heures; puis le 
ciel paraissait de l’azur le plus pur. Toutefois le sommet de la 
montagne nommée {a Corne de Buffle était presque toujours 
enveloppé de masses épaisses de nuages ; et les vapeurs qui 


\ 


350 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
s'élevaient des gorges de ce mont tourbillonnaient ‘au-dessus 
des arbres comme de la fumée. 

Les rivages du port d'Offack recoivent un grand nombre de 
petites rivières qui sont alimentées par d'abondantes sources ; 
quelques-unes de celles-ci descendent des cimes des montagnes 
ou des ravines, en formant des cascades très-hautes. La mer 
remonte assez loin dans plusieurs de ces rivières, dont les 
bords sont très-limoneux. Les Papous bâtissent leurs cabanes 
sur leur cours sans redouter les crocodiles qui les habitent ; ils 
se servent de leurs canaux divers pour communiquer entre 
eux à l'aide de pirogues. Tout le littoral de Waigiou, malgré 
l'épaisse végétation qui le recouvre, n'est qu'un marécage fan- 
geux où croissent de hauts palétuviers ; la profonde humidité 
et les miasmes délétères qui règnent dans ces lieux y font éclore 
de nombreuses maladies, qui ne manquent point de sévir sur 
les Européens, et qui portent aussi leurs ravages sur les na- 
turels. 

La formation rocheuse de l'ile Waigiou est fort remarquable ; 
elle s'éloigne tout-à-fait du caractère de la Nouvelle-[rlande, au 
moins sur les rivages : caë on a du voir, par les passages précé- 
dents, que le terrain flanqué sur le pourtour du Port-Praslin 
était d'un calcaire madréporique dur, avec des coquilles, et 
parfois des grains spathiques, tandis qu'on n'en observe aucune 
trace à Waïigiou, ou du moins sur la côte Nord, et dans la baie 
d'Offack. Cette ile, par sa position, comme par les boulever- 
sements nombreux dont elle offre des traces à chaque pas, a du 
appartenir aux grandes masses de terres situées sous l'équateur, 
et qui composaient, avec les Moluques et la Nouvelle-Guinée, 
un tout continu jusqu'à la Nouvelle-Hollande. Cette idée, du 
reste, n'est qu'une supposition ; mais les faits les plus positifs 
prouvent que la surface entière de Waigiou a été torturée par 
des éruptions volcaniques, dont les débris, bien que voilés au- 


ZOOLOGTE. 351 


jourd'hui par une végétation pompeuse, se montrent en abon- 
dance. D'ailleurs on ne saurait méconnaitre cette formation, en 
observant les aiguilles basaltiques de Poulo-een, et des mille 
ilots qui saillent çà et là du sein de la mer comme des colonnes 
prismatiques, et sur le sommet desquels croissent en abon- 
dance des bouquets verdoyants et touffus. Les roches à nu ne se 
montrent parfaitement bien que dans la passe haute et étroite 
qui sert d'entrée au port d'Offack. Là, ces roches, déchique- 
oées de 


5 
veines rouges; mais elles sont surtout à découvert dans une pe- 


tées par le temps, affectent des couleurs noirâtres, mélan 


tite ile placée au milieu de la baie , et que nous nommons l’/{e 
aux tombeaux. Partout la nature de ces rochers est identique, et 
contient une grande quantité de serpentine. Sur les rivages bat- 
tus des vagues, on trouve des amas de puddings formés par 
l'émiettement et la brisure de ces roches, et réunis par un ci- 
ment calcaire assez tenace : ces puddings n'ont guère qu'une 
trentaine de pieds d'élévation au-dessus du niveau de la mer. Sur 
les grèves, enfin, on ramasse en abondance les ponces que les 
flots y ont déposées. Le sol, sous les vastes forêts de l'ile (car la 
végétation sur toutes ces terres ne cesse point d'envahir même 
les rochers les moins convenables pour qu'elle puisse s'y dé- 
velopper), le sol est le plus ordinairement composé d'une argile 
très-rouge. Les pitons des montagnes présentent parfois des em- 
placements décharnés, que leur couleur noire porterait à suppo- 
ser de nature basaltique. La Corne de Buffle est la montagne la 
plus remarquable de Waigiou; elle tient à une chaine qui se di- 
rige de l'Est-Sud-Est à l'Ouest-Sud-Ouest, et sa hauteur serait 
de 485 toises d'après les calculs des officiers de l'expédition. 
Vue de la haute mer, Waigiou ne parait être qu'un pâté de 
verdure ; et cependant on remarque peu de variété dans ces 
arbres gigantesques, qui se pressent et s'élèvent les uns sur les 
autres. Leur masse de feuillage interceptant le passage de 


352 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


l'air et des rayons lumineux, la surface de la terre ne présente 
point de ces herbes humiles , si nombreuses dans les zones tem- 
pérées, ou dans les forêts de certaines parties du Brésil. La ri- 
che tribu des palmiers se compose d’un grand nombre d'espèces: 
parmi les plantes les plus communes, se font remarquer les lata- 
niers, que leurs feuilles flabelliformes dessinent si bizarrement 
dans les paysages torridiens; les figuiers, les poivriers, les filaos 
indiens, les calophyllum , les mimeuses, les vaquois, les cer- 
bera, les Scævola , les ignames, les ananas, les arum, les bana- 
mers, les cucurbitacées, les cycas, les mangliers, les sagouïers, 
etc. Les menues herbes consistaient en liserons pieds-de-chèvres, 
en graminées ou cypéracées, en acanthe à feuilles de houx , en 
amarantes, en casse à corymbes, en nepenthes, en amomum, 
en epidendrum, recouvrant les troncs mousseux des gros ar- 
bres, et singuliers par la vivacité infinie de leurs formes et de 
leurs fleurs. En général, la botanique de Waigiou diffère peu de 
celle de la Nouvelle-frlande, et a un grand nombre de traits 
de ressemblance avec celle d'O-Taïti et de Borabora. Parmi les 
végétaux usuels et alimentaires, le palmier sagou tient le pre- 
mier rang. La moelle interne, répandue dans le stipe, fournit 
ces grains féculents avec lesquels les naturels composent des ga- 
lettes plates et quadrilatères, qui leur servent de pain, et qu'ils 
cuisent dans des sortes de petits fours en briques divisés en com- 
partiments. Les noix des muscadiers sauvages seraient peut- 
ètre susceptibles de prendre par la culture quelque développe- 
ment, et pourraient sans doute s'améliorer. Les arts trouveraient 
aussi dans cette ile des bois propres à l'ébénisterie, et le teck 
(tectona grandis) fournirait d'immenses ressources aux construc- 
tions navales. 

Pour obtenir des habitants les productions du pays, il 
suffirait d'y porter des toiles peintes, des étoffes à fleurs, ou 
colorées en rouge. On se procurerait en échange des peaux 


ZOOLOGIE. e 353 


d'oiseaux de paradis, de la nacre, des perles, de l'écaille de tortue, 
des trépangs, de la muscade et de la résine #7. Cette derniere 
matière sert aux Papous à faconner des torches avec lesquelles 
ils vont à la pêche pendant la nuit, et s'obtient du Damara re- 
sinifera de Lambert, ou du Canarium suivant Lamarck. 

Le règne animal de Waigiou doit ètre riche en espèces : 
mais nos courtes relàches et notre connaissance imparfaite 
des localités ne nous permettent d'en juger que par analo- 
gie. Parmi les mammifères, nous croyons qu’on doit citer 
le babi-russa; malheureusement ce n’est encore qu'un doute 
assez fondé, que les voyageurs futurs éclairciront. Nous ne 
renconträmes qu'une fois, en nous rendant vers l'isthme étroit 
qui sépare le havre d’'Offack de la baie Crouzol, un petit 
quadrupède à pelage gris, nommé Xaloubou par les Papous, 
que la mère venait d'égarer sans aucun doute, à en juger 
par son jeune âge, et qui, à la taille d'un rat, joignait le 
museau pointu et la poche marsupiale des sarigues. Nous 
avons décrit ce singulier didelphe à la note de la page 123, sans 
lui assigner de nom générique. Depuis, en étudiant l'animal 
nommé verra gymnura par sir Raffles, et en proposant d'en 
créer un genre distinct ‘ sous le nom de gymnura , et d'imposer 


! Sir Raffles ( Catalogue d’une collection faite dans l’ile de Sumatra , inséré dans 
les Trans. Soc. Linn. Lond., tom. XIII, p. 272, en add.) dit : « J'ai reçu un 
«animal nouveau très-singulier, qui se rapporte aux viverres par le nombre des 
«incisives, mais qui en diffère par leurs proportions et leur disposition, et qui a 
« la queue nue comme celle d’un rat. S'il doit être considéré comme une espèce du 
« genre viverra, on doit lui approprier le nom spécifique de gymnura. Or...» suit la 
description de ce singulier mammifère, d’ailleurs très-bien dépeint, et que sir Raffles 
croit être identique avec le tikus ambang bulan de l'intérieur de Malacca, découvert 
par le major Farquhar. Dans notre Manuel de Mammalogie, publié le ro mai 1827, 
nous avons regardé comme type d'un nouveau genre cette viverra gymnura de sir 
Raffles, en lui donnant le nom de gymnura Rafflesii. Dans le Zoological Journal 
(n° 10, avril à septembre 1827 ), nous retrouvons, page 246, l’adoption du genre 

Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 45 


354 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 


à l'espèce de Sumatra le nom spécifique Aafflesii, nous avons 
reconnu que notre kalubu était une deuxième espèce du même 
genre, et devait être nommée gymnura kalubu, et prendre 
place, dans les tableaux méthodiques de mammalogie, à côté 
des sarigues, dont ce genre serait le vrai représentant dans l’an- 
cien Monde. 

Les phalangers à queue prenante ou couscous ne sont pas 
rares dans les bois. Déja nos collègues dans la précédente expé- 
dition s'en étaient procuré quelques individus , et les naturels 
nous apportèrent plusieurs fois à bord le couscous tacheté , 
qu'ils nomment schamscham, et dont nous avons inséré la des- 
cription à la page 150, et donné la figure à la planche IV. 

L'ornithologie est une des branches de l’histoire naturelle 
qu'une longue relàche dans l'ile de Waigiou enrichirait le plus. 
Elle se compose de ces espèces rares et précieuses, communes 
sur le système de terres des Papouas, tels que les oiseaux de 
paradis, qui ne s'y présentent d'ailleurs que dans certaines saï- 
sons. Le paradisæa apoda ou l'émeraude , le manucode , le ma- 
gnifique , le paradisier rouge , y sont les plus communs. Nous 
tuàmes la femelle de cette dernière espèce, inconnue jusqu'à 
nous , et que nous avons fait figurer à la planche XX VIT. 

La famille des psittacidées nous offrit les loris papou, vert, tri- 
colore’ ou à tête noire; la perruche d'Amboine, ou à face bleue; le 


gymnura et la dénomination de Rafflesüi, sans aucune citation de la part de 
MM. Vigors et Horsfield de notre nom, bien que ces messieurs n'aient point ignoré 
l'existence du Manuel, dont il est inséré une critique dans le numéro suivant du 
même Journal. 

t Ce joli oiseau, que les Papous et les Malais élèvent en domesticité pour en 
vendre des centaines aux Européens, vit par grandes troupes dans les Moluques 
orientales, et surtout à la Nouvelle-Guinée, où il s'appelle maniohouire, et savou- 
Jesse dans quelques cantons. On ne peut le conserver en vie, car il meurt de spasmes 
auxquels il est très-sujet. Sa nourriture de prédilection est le miel, qu'il puise au 
fond des corolles d’une espèce d’eugenia à fleurs rouges très-brillantes: Ces arbres 
étaient parfois remplis de loris tricolores et de soui-mangas. 


ZOOLOGIE. 355 
microglosse goliath;le grand cacatoës à huppejaune,;etuneespèce 
de lori noir‘ inédite, que nous avons nommée lori deStavorinus, 
psittacus Stavorini, parce que ce navigateur nous paraît l'avoir 
mentionnée dans la relation de son voyage aux Indes orientales. 
Le lori de Stavorinus est de la taille du tricolore, auquel il res- 
semble aussi par les formes corporelles. Son plumage est en en- 
tier d’un noir lustré uniforme , excepté sur l'abdomen où règne 
un rouge vif qui s'étend jusqu'à la poitrine. Le seul individu 
que nous achetâmes à un Papou a été perdu dans le naufrage 
de M. Garnot, au Cap. Parmi les pigeons, nous citerons de belles 
colombes muscadivores, dont plusieurs étaient privées de la 
caroncule noire et arrondie que présentaient le plus grand 
nombre des espèces. Cet organe, entièrement graisseux , ne doit 
s'élever sur la base de la mandibule supérieure qu'à l'époque 
des amours, et peut-être chez les femelles seulement ; et la peau 
qui se distend pour recevoir ce fluide, résultat d'une vie en 
excès, doit, après la fécondation , se dissiper, se racornir, et 
ne plus paraitre au-dessus des narines que comme une légere 
fronçure cutanée. À Waigiou , nous rencontrames aussi des in- 
dividus de la columba puella de la Nouvelle-Irlande, le ptlino- 
pus kurukuru, et le goura, ou pigeon couronné des Molu- 
ques * (columba coronata, 1), oiseau stupide, mais dont la 
chair est exquise. Le mégapode Freycinet* est singulièrement 
multiphé à Waigiou. Les Papous nous en apportaient journelle- 
ment à bord, qu'ils échangeaient pour des bagatelles; mais leur 


chair est loin d'être délicate , car elle est sèche et coriace: Les 


© Forrest indique aussi un lori noir dans son Voyage a la Nouvelle-Guinée. 

? Ce bel oiseau est figuré dans Temminck, pl. 1°. La figure de Buffon, enl. 118, 
est très-mauvaise. Le dessin de Sonnerat, déposé au Muséum, dans les manuscrits 
de Commerson, n’est pas meilleur. 

$ Megapodius Freycinetiü. Quoy et Gaimard, Zool. de l’Uranie, pl. XXXII, 
et Temm., pl. CCXX. 


45. 


356 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 

accipitres ne nous donnèrent qu'une espèce, le matapour, falco 
ponticerianus, à tète blanche, à corps et ailes d’un marron foncé ; 
les échassiers, l'ædicnème à gros bec, ædicnemus magnirostris, 
Geoff., fig. par M. Temminck, pl.CCCLXXX VIT, etqui se trouve 
sur tous les rivages des Moluques et des iles de la Sonde; dans 
les palmipèdes, une seule sterne nommée sapenne. Les passe- 
reaux nous présentèrent le philédon corbi-calao ; une corneille 
dont le cri ne ressemble point à l'aboiement d'un chien comme 
celui du même oiseau à la Nouvelle-[rlande, mais imite au con- 
traire un ricanement moqueur; le guépier à gorge jaune; le 
calao à casque sillonné, plusieurs gobe-mouches et soui-man- 
gas, et le beau martin-chasseur Gaudichaud. 

Les reptiles les plus communs sont les tortues franches et 
cares. La chair de la première est recherchée des naturels, qui 
préparent de longs saucissons desséchés avec ses œufs, et 
conservent pour les échanges, les écailles de la seconde, ou en 
font des hamecons. Un tupinambis, de la grosseur de l'iguane 
d'Amérique, noir ponctué de Jaune, est multiplié dans les bois, 
de maniere à ce qu'on en rencontre presque à chaque pas, sur les 
branches où il attrape les petits oiseaux. Il vit aussi de pois- 
sons, qu'il guette sous lesracines des mangliers, sur le bord de la 
mer ou dans les lieux fangeux. On y trouve encore le scinque à 
queue bleue, qui parait répandu dans toute l'Océanie. Un de 
nos matelots nous assura avoir vu des serpents, dont nous ne 
rencontrames aucun individu. Nous ne vimes aussi parmi les 
batraciens qu'une grande espèce de Raine. 

L'ichthyologie de la grande et vaste baie d'Offack doit être 
très-riche, à en juger par les espèces que nos filets jetés au ha- 
sard nous apportaient chaque jour. Comme l'estimable docteur 
Quoy nous avait communiqué ses descriptions, alors inédites, 
et qui ont paru depuis dans la partie zoologique du voyage de 
l'Uranie, nous retrouvämes plusieurs des espèces figurées par 


ZOOLOGIE. 357 


ce naturaliste et par son coopérateur M. Gaimard. Trois squales 
régnaient en nombreuses tribus dans ces mers; l'un, le squale 
aux ailerons noirs, avait été confondu par l’'illustre Commerson 
avec le requin ordinaire, dont il diffère cependant, par une 
taille plus petite (les plus grands que nous ayons vus n'avaient 
pas trois pieds), par la couleur du corps, qui est d'un gris 
légèrement rougetre, et par le noir intense qui recouvre 
l'extrémité des nageoires pectorales. Les femelles nous pré- 
sentèrent constamment deux fœtus dans chaque côté de la 
matrice; et ces jeunes squales, tirés du sein de leur mère, 
s'agitaient avec tant de vigueur, qu'ils forçaient l'ouverture 
ombilicale, placée sous forme de trou arrondi entre les deux 
pectorales et au-dessous du corps, à s'ouvrir, et le sang qui 
s'en écoulait ne tardait point à les faire périr. Un rochier et un 
troisième chien de mer à barbillons se prenaient fréquemment 
dans nos trois-mailles. Les poissons les plus vulgaires, et qu'il 
nous suffira de citer pour le moment, se trouvaient donc être 
la pastenague blonde à points d'azur; la baliste Bourignon du 
docteur Quoy, qui est identique avec la baliste Praslin de Com- 
merson ; la baudroie géographique, l’acanthurus lineatus ; le 
nason licornet, décrit primitivement par Forrest; le dône ou 
scorpène à antennes ; un trigle volant; le #alolo ou blennie sau- 
teur , l'échéneis à raies blanches, un pimélode, des chétodons, 
des labres , des serrans, des aiguilles, etc., etc. 

Les coquilles marines sont assez généralement des nautiles 
(nautilus pompilius), des spirules (nautilus spirula), des volutes 
couronnes d'Éthiopie (cymbiumÆthiopicum,Montf.) dont les ha- 
bitants se servent en guise d’escoup pour vider l'eau qui s'intro- 
duit dans l'intérieur des pirogues; les bénitiers, qui atteignent 
une taille bien plus considérable que l’individu qui sert de bé- 
nitier à St-Sulpice, et que Forrest a décrit sous le nom de #ima; 
l’'huitre selle polonaise, l'huitre marteau, l’huitre des mangliers, 


358 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 
l'éperon-molette , l'hippocrène; la coronule des tortues, la venus 
deflorata , des patelles, des strombes, des grimaces, etc., etc. 

Les coquilles terrestres nous présentèrent cette grandeet belle 
variété de l’helix citrina, figurée pl. LXVIT, fig. 2 et 3, de la Zoo- 
logie de l'Urante, plusieurs autres petites espèces et le scarabe 
auricule. Parmi les mollusques fluviatiles, on doit citer les né- 
ritines , qui y sont tellement communes, que les Papous nous en 
apportaient des tubes de bambous remplis, et la melania setosa 
ou sptrella spinosa d'Humphrey, indiquée aux iles de l'Ami- 
rauté par M. Gray. Nous ne nommerons dans les insectes , que 
la cicindela decempunctata de Dejean. 

La langouste ornée, quelques portunes, le crabe honteux, sont 
tous les crustacés desenvironsd'Offack. Leséchinodermes étaient 
composés du cydarite à baguettes, de plusieurs spatangues , de 
diverses scutelles; et parmi les êtres du dernier embranchement 
du règne animal , nous mentionnerons plusieurs belles espèces 
d'holothuries figurées dans nos dessins , et remarquables par la 
singularité de leurs formes. Plusieurs méduses nouvelles enri- 
chiront également notre Atlas. Leshabitants recherchentavec un 
extrème empressement les holothuries; ilsles préparent à la ma- 
nière des Malais, pour les donner en échange des toiles que leur 
apportent quelques jonques chinoises, ou ils s'en nourrissent. 
Dans toutes les cabanes, nous rencontràmes des quantités de 
cette substance desséchée, coriace, très-peu agréable au gout, 
et que ces peuples n'estiment que parce qu'ils la regardent 
comme la matière la plus convenable pour soutenir leurs forces 
épuisées, et faire renaitre chez eux les désirs éteints par le re- 
nouvellement abusif des plaisirs des sens. 


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU TOME PREMIER. 


TABLE DES MATIÈRES 


CONTENUES 
DANS LA PREMIÈRE PARTIE DU PREMIER VOLUME 


DE LA 


ZOOLOGIE DU VOYAGE AUTOUR DU MONDE, 


EXÉCUTÉ PENDANT LES ANNÉES 1822-1029. 


CHAPITRE I“. Considérations générales sur les îles du Grand- 


Océan et sur les variétés de l'espèce humaine qui les 


habitent- par R=PMEESsSoN ete hr ee d'A Page WT 
$ I. Du Grand-Océan et desiles océaniennes, parR.-P. Les- 
SON RME PUS A NE Et a Ne in tu 2 


$ IL. Des insulaires du Grand-Océan, et de leurs habitudes 
générales; PAR EP MESSONS Le le - 31 

— 1. Malais, 36; — 2. Océaniens, 44; — 3. Carolins ou 

Mongols - Pélagiens , 67; — 4. Papouas ou Papous, 84 ; 

— 5. Tasmaniens, 101; -- 6. Alfourous-Endamènes, 102 ; 

— 7. Australiens, 106. 

Détails anatomiques relatifs aux crânes de quelques uns des 
peuples dont il est question dans ce chapitre; par 


PAGAMRNOTD EN ET EEE PL IE CRE ANA ee A 113 
Tableau comparatif des proportions que présentent les di- 
verses parties de plusieurs crânes; par P. GarnoT..... He 


Tableau de la taille de quelques-uns des naturels men- 
tionnés dans les précédents Mémoires; par P. Garnor. 116 

CHAP. IL. Considérations générales sur quelques mammifères ; 
par R.-P. Lesson 


360 


CHAP. IL. 


CHAP. IV. 


CHAP. V. 


TABLE DES MATIÈRES. 


Description des mammifères ; par R.-P. Lesson...Page 137 


Vespertilion de Buenos-Ayres, vespertilio bonariensis..... Ibid. 
Phoque molosse, ofaria molossina..........:.....2 140 
Grand couscous tacheté, cuscus maculatus............... 150 
Couscous à grosse queue, cuscus Mmacrurus............. 156 
Couscous blanc: cusCUS a louS EEE EEE CEE REC OEE 158 
Kangourou oualabat , kangurus ualabatus............... 161 
Rat-taupe hottentot, bathyergus hottentotus............. 166 
Lapin de Magellanie, lepus magellanicus................ 168 
Gochonides Papous 525 papuernsis ee Eee Boo CN 


Observations générales sur quelques cétacées ; par 
RÉSPÉSIÉESSONS NT Ar MARS RER REA EMA Res 1747 
Observations générales sur l’histoire naturelle des di- 
verses contrées visitées par la corvette {a Coquille, et 
plus particulièrement sur l’ornithologie de chacune 


d'elles par REP: LEssSON LU RENE TE 187 
S#r-Sainte-CatherineMduBrésil PP EEE ET EE 188 
$ IL. Ile de la Soledad , une des îles Malouines. ........ 196 
$ IT. Environs de Talcaguana, de Penco et de la Concep- 
Clonseaut CNT AE A AAA EU DANS Et ST UN Ut 229 
S\ IV. Cotes de lima et de Payta, au Pérou. .......... 246 
$ V.Ile d’'O-Taïti, Archipel de la Société. ............. 269 
$ VL Ile de Borabora, Archipel de la Société. ......... 306 
$ VII. Port-Praslin, Nouvelle-frlande................. 329 
$ VIIE. Baie d’Offack, île de Waigiou.................. 348 


FIN DE L'INDEX DE LA PREMIÈRE PARTIE DU PREMIER VOLUME. 


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